« Reed ma dit quil avait pas mal de succès sur une application de rencontres, dit-il.
Cest complètement dingue, dit Dylan. Mais à situation désespérée, mesures désespérées, pas vrai ?
Je vous retrouve tout à lheure. »
Fran se retourna pour partir, Bonbon à sa suite, puis se tourna une dernière fois vers Maggie.
« Ça ne te dérange pas quil maccompagne ?
Pas du tout, répondit Maggie avec un sourire. Il faut juste lempêcher de trop sexciter. Et surveiller quil ne mange rien quil ne soit pas censé manger.
Comme dhabitude, » conclut Fran pour rassurer la propriétaire du chien.
Ils descendirent le chemin ensemble. Le ranch sétendait autour deux. Fran aperçut Xavier sur le dos de lun des chevaux de thérapie. Les chevaux aidaient les soldats à renforcer les membres quils avaient perdus, mais le seul fait de se trouver sur leur dos leur redonnait aussi une sensation de puissance. Le tour de Fran viendrait le lendemain. Il aurait aimé pouvoir aller plus vite quun simple trot. Mais, dans son état, il devait se montrer prudent.
Au lieu de chevaucher aux quatre vents, Fran passait beaucoup de temps dans les jardins. Le travail de la terre était bon pour le corps, mais aussi pour lesprit. Voir des plantes pousser grâce à ses soins lui mettait du baume au cœur.
« Fran, attends-moi ! » lappela Reed.
Reed sortait de la salle à manger de la grande maison dans laquelle ils prenaient la plupart de leurs repas ensemble, même si chaque pavillon disposait de sa propre cuisine. Il agitait son téléphone de sa main valide. La manche de sa chemise était roulée et épinglée à son coude, là où sarrêtait son avant-bras, quil avait laissé derrière lui dans une explosion en Afghanistan.
« Regarde-moi ça. »
Reed mit son téléphone sous le nez de Fran.
« Déjà cinquante réponses. »
Sur lécran défilaient les photos de nombreuses femmes. Cétait le docteur Patel qui leur avait parlé de cette application, qui avait été conçue par un membre de sa famille. Le psychologue avait participé à la mise au point de lalgorithme.
« Et elles veulent toutes te rencontrer ? demanda Fran.
Pas simplement me rencontrer. Elles veulent mépouser. Dire quon pensait que ça allait être compliqué ! »
Reed tenait son téléphone dans le creux de la paume, balayant les profils à droite et à gauche du bout du pouce. Cet homme ne laissait pas grand-chose le ralentir ou labattre, et surtout pas un membre manquant.
« Tépouser ? De parfaites inconnues veulent tépouser ? Elles sont au courant pour tu sais quoi ? »
Reed cliqua sur sa photo de profil. Elle le montrait clairement. Il était en uniforme, avec un bras en moins.
« La seule chose quune femme aime plus quun homme en uniforme, cest une âme blessée quelle pense pouvoir guérir. »
Fran soupira, mais pas parce que Reed se comportait comme un blaireau. Fran savait que son ami sattendait vraiment à trouver lamour dans cette affaire. Reed était quelquun doptimiste, parfois presque trop.
« Cette appli calcule la compatibilité jusquà quatre-vingt-dix-neuf pour cent. Si je narrive pas à trouver la femme de ma vie là-dessus, cest quelle nexiste pas. Jen ai sélectionné cinq. Je suis compatible à quatre-vingt-dix-huit pour cent avec celle-là. »
Reed lui montra la photo dune jolie femme. Le portrait était bien composé, comme celui dun mannequin. Elle était blonde avec des yeux vert pâle, et un petit peu trop de maquillage au goût de Fran.
« Elle est pour ainsi dire parfaite, dit Reed. Je lai invitée à prendre un verre ce week-end. Mais elle nest pas en ville, elle devrait rentrer à la fin du mois. »
Fran ne savait pas vraiment que dire. Il narrivait pas à déterminer sil devait retirer Reed de la liste des soldats à caser, ou sil devrait au contraire le surveiller dencore plus près pour sassurer que son avenir était réellement établi. Fran était déterminé à voir tous les autres hommes bien installés et autorisés à rester au ranch après son départ. Peut-être que ces histoires de mariage arrangé pouvaient fonctionner, surtout si toutes les personnes impliquées savaient dès le départ dans quoi elles sengageaient.
Reed continua à détailler à Fran tous les traits de cette femme. Mais quelque chose dautre avait attiré son attention. Sean Jeffries était en train de descendre les marches du bâtiment réservé aux soins, une grange quils avaient réaménagée pour le docteur Patel ainsi que pour les infirmières et le reste du personnel qui venait soccuper deux et des animaux thérapeutiques. Sean retint la porte, faisant bien attention à placer son visage afin que seul son bon côté soit visible par la personne qui sortait.
Cette personne, cétait Ruhi Patel, la fille du docteur Patel. Ruhi était infirmière et venait souvent aider son père à soccuper des soldats qui vivaient au ranch ou sy rendaient pour des soins.
Ruhi et le docteur Patel discutaient en descendant les marches. Sean regardait ses pieds. Mais Fran le vit jeter quelques regards à la jeune infirmière.
Fran soupira. Il soupçonnait depuis longtemps que Sean en pinçait pour Ruhi. Si cétait le cas, il naccepterait jamais de se trouver une épouse sur une application de rencontre. Ce qui signifiait que Sean devrait lui aussi quitter le ranch.
Le docteur Patel releva les yeux et aperçut les deux hommes. Il leur fit signe dapprocher.
« Je vois que vous utilisez lapplication, dit-il à Reed.
Jai un rencard la semaine prochaine avec quelquun avec qui jai soixante-douze pour cent de compatibilité, » répondit Reed en levant son téléphone pour montrer une brune au visage rond.
Il semblait bien quil avait déjà oublié le mannequin et ses quatre-vingt-dix-huit pour cent de compatibilité.
« Je trouve ça criminel, ce quils vous forcent tous à faire, dit Ruhi. Vous obliger à vous marier juste pour garder votre foyer.
Je pensais que tu croyais aux mariages arrangés, dit Reed.
Ça, cest du mariage forcé. Cest illégal.
Personne ne nous force à quoi que ce soit, répondit Reed. On nest pas obligé de le faire si on na pas envie. On peut vivre ailleurs et venir ici pour les soins. »
Sean détourna les yeux. Fran savait quil navait nulle part où aller, ce qui voulait dire que, dans son cas, la situation était forcée. Fran ne voulait pas partir non plus. Il adorait se réveiller tous les matins sur le ranch. Mais il navait pas le choix. Son cœur ne le laisserait pas rester.
« Mon père essaye de me trouver quelquun depuis que je suis adolescente, dit Ruhi. Les mariages arrangés ne mintéressent pas. Je ne suis pas sûre de vouloir me marier tout court. À notre époque, ce nest plus nécessaire. »
La façon dont Sean avala sa salive indiqua à Fran quil ne se contentait pas den pincer pour elle. Il avait lair dêtre complètement amoureux. Cela risquait de devenir un problème.
« Et vous, Francisco ? demanda le docteur Patel. Vous recherchez aussi une épouse ?
Je ne peux donner mon cœur à personne. Il est déjà brisé. »
Il avait dit ça avec un sourire, espérant déclencher quelques rires. Il nen récolta aucun. Tous connaissaient sa situation.
« Cest un peu cliché, mais on dit que lamour guérit toutes les blessures, » dit le docteur Patel.
Fran aurait voulu lui répondre que lamour ne pouvait pas déplacer des morceaux de métal, mais il garda sa langue dans sa poche et hocha la tête.
« Si vous nêtes pas prêt pour lamour, peut-être pouvez-vous au moins donner un peu de votre temps pour inspirer la prochaine génération ? Cest le jour des jeunes à léglise demain. Quelque chose me dit que votre point de vue, en particulier au sujet des bienfaits dune bonne éducation, pourrait éclairer quelques jeunes âmes. »
CHAPITRE 4
Éva et Carlos grimpèrent les escaliers qui menaient à leur appartement, au troisième étage. Au rez-de-chaussée, du papier aluminium couvrait les trous dans les moustiquaires dune de leurs voisines. Dans ce qui tenait vaguement lieu de cour, les rares touffes dherbes perdaient la bataille face à la terre nue.
Il fallait une clef pour ouvrir la lourde porte en verre blindé de limmeuble. Mais, comme dhabitude, elle était maintenue ouverte, si bien que nimporte qui pouvait entrer. Éva ne prit même pas la peine de retirer le carton qui la bloquait. Elle savait que, dès que la porte se fermerait, quelquun dautre glisserait de quoi la garder ouverte.
Son frère la suivit tandis quelle grimpait les escaliers, des insectes fuyant à leur arrivée. Dans un coin, un rongeur les regardait, lair agacé davoir vu sa tranquillité dérangée par le bruit de leurs pas.
Quand ils atteignirent leur porte, Éva sortit ses clefs. Elle fit jouer trois verrous, puis la porte sentrouvrit, mais à peine. La chaîne était attachée.
« Rosalee, » appela Éva dans lembrasure.
Ils entendirent du mouvement à lintérieur, puis le son de pieds nus dans des chaussettes sur le vieux parquet. Sans chaussettes, les échardes étaient un risque permanent.
Des yeux bruns apparurent dans lembrasure de la porte, puis celle-ci se referma. Ils entendirent le bruit de la chaîne, puis la porte souvrit juste assez pour laisser passer leurs deux corps. Enfin, les claquements de la porte et de tous les verrous en train dêtre réenclenchés.
« Ça sest bien passé à lécole aujourdhui, Rosalee ? »
Rosalee haussa les épaules. Sa peau était pâle. Linactivité lavait rendue dégingandée plutôt que ronde. Éva savait bien que sa sœur devrait sortir plus, être plus sociable. Mais elle était en sécurité à lintérieur, alors Éva ninsistait pas trop.
« Jai eu un A en sciences, répondit Rosalee, mais seulement un B en littérature. Je suis en train de retravailler mon devoir pour le rendre une deuxième fois la semaine prochaine. »
Éva hocha la tête. Sa sœur croyait dur comme fer au travail scolaire, au point den oublier de sortir et dêtre sociable. Son frère préférait passer son temps à lextérieur plutôt que dans une salle de classe. Si seulement elle pouvait les fusionner, elle obtiendrait lado parfait.
Carlos se dirigea vers le réfrigérateur. De là où elle se tenait, Éva pouvait voir quil était presque vide. Les prochaines semaines allaient être compliquées, le temps quelle shabitue au rythme des cours. Elle devrait bientôt avoir des nouvelles du programme de travail étudiant. En attendant, ils mangeraient des nouilles instantanées tous les soirs pendant quelque temps.
« Tante Val est dans sa chambre avec son copain. »