Les deux hommes étaient allongés par terre, inconscients, et Erec les enjamba pour se diriger vers l'aubergiste, qui tremblait maintenant dans sa chaise, les yeux écarquillés de peur.
Erec tendit la main, saisit l'homme par les cheveux, lui tira violemment la tête en arrière et mit un poignard contre la gorge de l'homme.
“Dis-moi où elle est et je te laisserai peut-être en vie”, grogna Erec.
L'homme bafouilla.
“Je vais te le dire mais tu perds ton temps,” répondit-il. “Je l'ai vendue à un seigneur. Il a sa propre troupe de chevaliers et habite dans son propre château. C'est un homme très puissant. Personne ne s'est jamais introduit de force dans son château. Et en plus de ça, il a une armée entière en réserve. C'est un homme très riche. Il a une armée de mercenaires qui fait tout ce qu'il ordonne n'importe quand. Il garde toutes les filles qu'il achète. Jamais tu ne pourras la libérer. Par conséquent, repars d'où tu viens. Elle a disparu.”
Erec rapprocha la lame de la gorge de l'homme jusqu'à ce que le sang commence à couler. L'homme poussa un cri.
“Où est ce seigneur ?” grogna Erec en perdant patience.
“Son château est à l'ouest de la ville. Prends la porte Ouest de la cité et va jusqu'au bout de la route. Tu verras son château. Cependant, c'est une perte de temps. Il a payé cher pour elle, plus que ce qu'elle valait.”
Erec en avait assez. Sans attendre, il trancha la gorge à ce proxénète et le tua. Le sang coula partout quand l'homme s'effondra sur son siège, mort.
Erec baissa les yeux vers le cadavre, vers les hommes de main inconscients, et se sentit dégoûté par l'endroit tout entier. Il n'arrivait pas à croire qu'il puisse exister.
Erec parcourut la pièce et commença à couper les cordes épaisses qui reliaient toutes les femmes, les libérant une à la fois. Plusieurs se levèrent d'un bond et coururent vers la porte. Bientôt, toute la pièce fut libérée et elles se ruèrent toutes vers la porte. Certaines étaient trop droguées pour bouger et d'autres les aidèrent.
“Qui que tu sois”, dit une femme à Erec en s'arrêtant à la porte, “sois béni. Et où que tu ailles, puisse Dieu te venir en aide.”
Erec apprécia la gratitude et la bénédiction. Avec un sentiment de désespoir, il se dit que, là où il allait, il en aurait besoin.
CHAPITRE DIX
L'aube se leva et la lumière entra par les petites fenêtres de la maison d'Illepra, éclaira les yeux fermés de Gwendolyn et la réveilla lentement. Le premier soleil, orange doux, la caressa et la réveilla dans le proche silence de l'aube. Elle cligna des yeux plusieurs fois, d'abord désorientée, en se demandant où elle était, puis se souvint.
Godfrey.
Gwen s'était endormie dans la maison, par terre, sur un lit de paille près du chevet de son frère. Illepra dormait juste à côté de Godfrey et cela avait été une longue nuit pour tous les trois. Godfrey avait gémi tout au long de la nuit, s'était retourné dans tous les sens et Illepra l'avait soigné sans arrêt. Gwen avait été là pour aider de toutes les façons qu'elle avait pu. Elle avait emmené des chiffons humides, les avait essorés et placés sur le front de Godfrey. Elle avait tendu à Illepra les plantes aromatiques et les baumes qu'elle n'avait cessé de demander. La nuit avait eu l'air sans fin; à de nombreuses reprises, Godfrey avait crié et elle avait été sûre qu'il mourait. Plus d'une fois, il avait appelé leur père et ça avait fait frissonner Gwen. Elle sentait la présence de son père, qui planait fortement au-dessus d'eux. Elle ne savait pas si son père voulait que son fils vive ou meure, car leur relation avait toujours été pleine de tension.
Gwen avait aussi dormi dans la maison parce qu'elle ne savait pas où aller autrement. Elle ne se serait pas sentie en sécurité si elle était revenue au château, sous le même toit que son frère; elle se sentait en sécurité ici, prise en charge par Illepra, avec Akorth et Fulton qui montaient la garde de l'autre côté de la porte. Elle sentait que personne ne savait où elle était et elle voulait que ça continue. De plus, ces quelques derniers jours, elle s'était rapprochée de Godfrey, avait découvert le frère qu'elle n'avait jamais connu et souffrait à l'idée de le voir mourir.
Gwen se leva avec difficulté, se précipita au côté de Godfrey, son cœur battant la chamade, en se demandant s'il était encore en vie. Une partie d'elle-même sentait que, s'il se réveillait ce matin, il survivrait, et que s'il ne se réveillait pas, ce serait terminé. Illepra se réveilla et se précipita vers Godfrey, elle aussi. Elle avait dû s'endormir à un moment de la nuit; Gwen ne pouvait guère lui en vouloir.
Elles restèrent toutes les deux agenouillées à côté de Godfrey pendant que la petite maison se remplissait de lumière. Gwen plaça une main sur son poignet et le secoua. Illepra leva le bras et lui plaça une main sur le front. Elle ferma les yeux, respira et, soudain, Godfrey ouvrit grand les yeux. Illepra retira sa main, surprise.
Gwen était surprise, elle aussi. Elle ne s'attendait pas à voir Godfrey ouvrir les yeux. Il se tourna et la fixa du regard.
“Godfrey ?” demanda-t-elle.
Il plissa les yeux, les ferma puis les rouvrit; puis, à la grande surprise de sa sœur, il se dressa lui-même sur un coude et les regarda.
“Quelle heure est-il ?” demanda-t-il. “Où suis-je ?”
Sa voix avait l'air alerte, saine et Gwen ne s'était jamais sentie aussi soulagée. Elle fit un immense sourire en même temps qu'Illepra.
Gwen bondit en avant et le prit dans ses bras, le serra fort contre elle puis se retira.
“Tu es en vie !” s'exclama-t-elle.
“Bien sûr”, dit-il. “Pourquoi ne le serais-je pas? Qui est cette dame ?” demanda-t-il en se tournant vers Illepra.
“La dame qui t'a sauvé la vie”, répondit Gwen.
“Sauvé la vie ?”
Illepra baissa les yeux vers le sol.
“Je n'ai fait qu'aider un petit peu”, dit-elle humblement.
“Que m'est-il arrivé ?” demanda-t-il à Gwen, frénétique. “Tout ce dont je me souviens, c'est que je buvais à la taverne, puis …”
“Vous avez été empoisonné”, dit Illepra. “Par un poison très rare et très fort. Cela faisait des années que je ne l'avais pas vu. Vous avez de la chance d'être en vie. En fait, vous êtes le seul que j'aie jamais vu survivre à ce poison. Quelqu'un a dû veiller sur vous.”
En entendant ses paroles, Gwen sut qu'elle avait raison et pensa immédiatement à son père. Le soleil rentrait en stries par les fenêtres et elle sentait que son père était avec eux. Il avait voulu que Godfrey vive.
“Ça t'apprendra”, dit Gwen avec un sourire. “Tu avais promis de renoncer à la bière. Or, regarde ce qui t'est arrivé.”
Il se tourna vers elle et lui sourit; elle vit la vie revenir dans ses joues et se sentit inondée de soulagement. Godfrey était de retour.
“Tu m'as sauvé la vie”, lui dit-il sérieusement.
Il se tourna vers Illepra.
“Vous m'avez toutes les deux sauvé la vie”, ajouta-t-il. “Je ne sais pas comment je pourrai jamais vous remercier.”
Quand il regarda Illepra, Gwen remarqua quelque chose. Dans son regard, il y avait plus que de la gratitude. Elle se tourna, regarda Illepra, remarqua qu'elle rougissait en regardant par terre et se rendit compte qu'ils s'appréciaient l'un l'autre.
Illepra se détourna rapidement et traversa la pièce, leur tournant le dos, s'occupant de la préparation d'une potion.
Godfrey se retourna vers Gwen.
“Gareth ?” demanda-t-il, soudain grave.
Gwen lui répondit d'un hochement de tête en comprenant ce qu'il demandait.
“Tu as de la chance de ne pas être mort”, dit-elle. “Firth l'est, lui.”
“Firth ?” répondit Godfrey en haussant la voix, surpris. “Mort? Mais comment ?”
“Il l'a fait pendre”, dit-elle. “Tu étais supposé être le prochain sur la liste.”
“Et toi ?” demanda Godfrey.
Gwen haussa les épaules.
“Il prévoit de me donner en mariage. Il m'a vendue aux Nevaruns. Apparemment, ils vont venir me chercher.”
Godfrey se redressa, indigné.
“Jamais je ne le permettrai !” s'exclama-t-il.
“Moi non plus”, répondit-elle. “Je trouverai un moyen.”
“Mais sans Firth, nous n'avons aucune preuve”, dit-il. “Nous n'avons aucun moyen de le renverser. Gareth sera libre.”
“Nous trouverons un moyen”, répondit-elle. “Nous trouverons – ”
Soudain, la porte s'ouvrit, la maison se remplit de lumière et Akorth et Fulton rentrèrent.
“Milady – ” commença Akorth, puis se tourna quand il vit Godfrey.
“Fils de pute !” cria Akorth à Godfrey, ravi. “Je le savais! Tu as berné à peu près tout le monde dans ta vie: je savais que tu bernerais aussi la mort !”
“Je savais bien qu'une chope de bière ne pourrait jamais te tuer !” ajouta Fulton.
Akorth et Fulton accoururent, Godfrey se leva du lit d'un bond et ils se serrèrent tous les uns contre les autres.
Ensuite, Akorth se tourna vers Gwen, sérieux.
“Milady, je suis désolé de vous déranger mais nous avons repéré un contingent de soldats à l'horizon. Ils se précipitent vers nous à l'instant même.”
Gwen le regarda avec inquiétude puis courut dehors, suivie par tous les autres. Elle baissa la tête puis plissa les yeux dans la forte lumière du soleil.
Le groupe se tint dehors. Gwen regarda l'horizon et vit un petit groupe de l'Argent se diriger vers la maison. Une demi-douzaine hommes chargeait à toute vitesse et il n'y avait pas le moindre doute qu'ils se dirigeaient vers eux.
Godfrey baissa le bras pour tirer son épée mais Gwen lui posa une main rassurante sur le poignet.
“Ce ne sont pas les hommes de Gareth, mais ceux de Kendrick. Je suis sûre qu'ils viennent en paix.”
Les soldats les rejoignirent et, sans s'arrêter, descendirent de cheval et s'agenouillèrent devant Gwendolyn.
“Milady”, dit le soldat de tête. “Nous vous apportons de grandes nouvelles. Nous avons repoussé les McCloud! Votre frère Kendrick est en sécurité et il m'a demandé de vous envoyer un message: Thor va bien.”
Quand elle entendit les nouvelles, Gwen éclata en sanglots, submergée de gratitude et de soulagement. Elle s'avança et serra Godfrey contre elle. Godfrey la serra lui aussi. Elle avait l'impression qu'on venait de lui rendre la vie.
“Ils reviendront tous aujourd'hui”, poursuivit le messager, “et il y aura une grande célébration à la Cour du Roi !”
“De grandes nouvelles, en vérité !” s'exclama Gwen.
“Milady”, dit une autre voix grave, et Gwen vit un seigneur, guerrier renommé, Srog, qui portait le rouge distinctif de l'ouest. C'était un homme qu'elle connaissait depuis sa jeunesse. Il avait été proche de son père. Il était agenouillé devant elle et elle eut honte.
“S'il vous plaît, monsieur”, dit-elle, “ne vous agenouillez pas devant moi.”
C'était un homme célèbre, un puissant seigneur qui avait des milliers de soldats sous ses ordres et qui gouvernait sa propre cité, Silesia, la forteresse de l'Ouest, une cité hors du commun, bâtie à l'intérieur d'une falaise au bord du Canyon. Cette cité était presque impénétrable et Srog était un des rares hommes en lesquels son père avait eu confiance.
“Je suis venu ici avec ces hommes parce que j'entends dire que de grands changements se préparent à la Cour du Roi”, dit-il d'un air entendu. “Le trône est instable. Il faut nommer un nouveau souverain, un vrai souverain avec de l'autorité, à la place du roi actuel. J'ai entendu dire que votre père désirait que vous soyez reine. Votre père était comme un frère pour moi et sa parole est la mienne. Si tel est son souhait, alors, c'est aussi le mien. Je suis venu vous dire que, si vous montez sur le trône, alors, mes hommes vous feront allégeance. Je vous conseillerais d'agir vite. Les événements d'aujourd'hui ont prouvé que la Cour du Roi a besoin d'un nouveau souverain.”
Gwen resta sur place, désemparée, sans savoir comment réagir. Elle se sentait profondément émue, et fière, mais elle se sentait aussi accablée, dépassée.
“Je vous remercie, monsieur”, dit-elle. “Je suis reconnaissante pour vos paroles et pour votre offre. Je vais sérieusement y réfléchir. Pour l'instant, je souhaite seulement accueillir mon frère et Thor.”
Srog baissa la tête et un cor sonna à l'horizon. Gwen leva les yeux et aperçut déjà un nuage de poussière: une grande armée arrivait. Elle leva une main pour bloquer le soleil et eut chaud au cœur. Même d'ici, elle sentait qui c'était. C'était l'Argent, les hommes du Roi.
Et Thor chevauchait à leur tête.
CHAPITRE ONZE
Thor chevauchait avec l'armée. Des milliers de soldats rentraient ensemble à la Cour du Roi et il se sentait victorieux. Il avait encore peine à comprendre ce qui s'était passé. Il était fier de ce qu'il avait fait, fier de ne pas avoir cédé à la peur, d'être resté affronter ces guerriers quand la bataille avait l'air d'être perdue. Et il était choqué d'avoir survécu d'une façon ou d'une autre.
Toute la bataille avait eu l'air surréaliste et il était extrêmement heureux d'avoir pu invoquer ses pouvoirs. Cela dit, il était aussi confus, puisque ses pouvoirs ne fonctionnaient pas toujours. Il ne les comprenait pas et, pire encore, il ne savait pas d'où ils venaient ou comment les invoquer. Cela lui apprenait plus que jamais qu'il fallait qu'il apprenne aussi à se fier à ses compétences humaines, à être le meilleur combattant, le meilleur guerrier qu'il puisse être. Il commençait à comprendre que, pour être le meilleur guerrier qu'il puisse être, il avait besoin des deux versants de lui-même, du combattant et du sorcier, si c'était bien ce qu'il était.
Ils chevauchèrent toute la nuit pour revenir à la Cour du Roi et Thor était maintenant plus qu'épuisé, mais aussi euphorique. Le premier soleil se levait à l'horizon, la grande étendue du ciel s'ouvrait devant lui en nuances de jaune et de rose et il avait l'impression de voir le monde pour la première fois. Il ne s'était jamais senti aussi en vie. Il était entouré de ses amis, Reece, O’Connor, Elden et les jumeaux, de Kendrick, Kolk, et Brom et de centaines de membres de la Légion, de l'Argent et de l'armée du Roi. Cependant, au lieu d'être à la périphérie de tout cela, maintenant, il chevauchait au centre et ils l'accueillaient tous comme un des leurs. En effet, ils le regardaient tous différemment depuis la bataille. Maintenant, il ne voyait plus seulement de l'admiration dans les yeux de ses compagnons de la Légion, mais aussi dans les yeux des vrais guerriers endurcis. Il avait affronté toute l'armée McCloud tout seul et inversé le cours de la guerre.
Thor était simplement heureux de n'avoir laissé tomber aucun de ses frères de la Légion. Il était heureux que ses amis en aient réchappé sans véritables blessures, et il ressentait du regret pour ceux qui étaient morts dans la bataille. Il ne les connaissait pas mais il aurait voulu pouvoir les sauver, eux aussi. Cela avait été une bataille sanglante et féroce et, à l'instant même, alors que Thor chevauchait, quand il clignait des yeux, il voyait dans sa tête des images du combat, des différentes armes et guerriers qui s'étaient attaqués à lui. Les McCloud étaient féroces et il avait eu de la chance. Qui savait s'il en aurait autant s'ils se rencontraient à nouveau. Qui savait s'il serait à nouveau capable d'invoquer ces pouvoirs. Il ne savait pas s'ils reviendraient un jour. Il avait besoin de réponses et il avait besoin de trouver sa mère. Il avait besoin de savoir qui il était vraiment. Il avait besoin de trouver Argon.
Krohn gémit derrière lui. Thor se pencha en arrière et lui caressa la tête pendant que Krohn lui léchait la main. Thor était soulagé que Krohn aille bien. Thor l'avait emporté du champ de bataille et l'avait attaché derrière lui, à l'arrière de son cheval; Krohn avait l'air capable de marcher mais Thor voulait qu'il se repose et récupère pour le long voyage de retour. C'était un coup violent qu'avait reçu Krohn et il semblait à Thor qu'il avait peut-être une côte cassée. Thor ne pouvait pas vraiment exprimer sa gratitude à Krohn qui, pour lui, était plus un frère qu'un animal et lui avait sauvé la vie plus d'une fois.