Ainsi Parlait Zarathoustra - Фридрих Ницше 5 стр.


Ils ne sont pas encore devenus des hommes, ces êtres terribles: qu'ils prêchent donc l'aversion de la vie et qu'ils s'en aillent!

Voici les phtisiques de l'âme: à peine sont-ils nés qu'ils commencent déjà à mourir, et ils aspirent aux doctrines de la fatigue et du renoncement.

Ils aimeraient à être morts et nous devons sanctifier leur volonté! Gardons-nous de ressusciter ces morts et d'endommager ces cercueils vivants.

S'ils rencontrent un malade ou bien un vieillard, ou bien encore un cadavre, ils disent de suite "la vie est réfutée"!

Mais eux seuls sont réfutés, ainsi que leur regard qui ne voit qu'un seul aspect de l'existence.

Enveloppés d'épaisse mélancolie, et avides des petits hasards qui apportent la mort: ainsi ils attendent en serrant les dents.

Ou bien encore, ils tendent la main vers des sucreries et se moquent de leurs propres enfantillages: ils sont accrochés à la vie comme à un brin de paille et ils se moquent de tenir à un brin de paille.

Leur sagesse dit: "Est fou qui demeure en vie, mais nous sommes tellement fous! Et ceci est la plus grande folie de la vie!" -

"La vie n'est que souffrance" – prétendent-ils, et ils ne mentent pas: faites donc en sorte que vous cessiez d'être! Faites donc cesser la vie qui n'est que souffrance!

Et voici l'enseignement de votre vertu: "Tu dois te tuer toi-même! Tu dois t'esquiver toi-même!"

"La luxure est un péché, – disent les uns, en prêchant la mort – mettons-nous à l'écart et n'engendrons pas d'enfants!"

"L'enfantement est pénible, disent les autres, – pourquoi enfanter encore? On n'enfante que des malheureux!" Et eux aussi sont des prédicateurs de la mort.

"Il nous faut de la pitié – disent les troisièmes. Prenez ce que j'ai! Prenez ce que je suis! Je serai d'autant moins lié par la vie!"

Si leur pitié allait jusqu'au fond de leur être, ils tâcheraient de dégoûter de la vie leurs prochains. Être méchants – ce serait là leur véritable bonté.

Mais ils veulent se débarrasser de la vie: que leur importe si avec leurs chaînes et leurs présents ils en attachent d'autres plus étroitement encore! -

Et vous aussi, vous dont la vie est inquiétude et travail sauvage: n'êtes-vous pas fatigués de la vie? N'êtes-vous pas mûrs pour la prédication de la mort?

Vous tous, vous qui aimez le travail sauvage et tout ce qui est rapide, nouveau, étrange, – vous vous supportez mal vous-mêmes, votre activité est une fuite et c'est la volonté de s'oublier soi-même.

Si vous aviez plus de foi en la vie, vous vous abandonneriez moins au moment. Mais vous n'avez pas assez de valeur intérieure pour l'attente – et vous n'en avez pas même assez pour la paresse!

Partout résonne la voix de ceux qui prêchent la mort: et le monde est plein de ceux à qui il faut prêcher la mort.

Ou bien "la vie éternelle": ce qui pour moi est la même chose, – pourvu qu'ils s'en aillent rapidement!

Ainsi parlait Zarathoustra.

DE LA GUERRE ET DES GUERRIERS

Nous ne voulons pas que nos meilleurs ennemis nous ménagent ni que nous soyons ménagés par ceux que nous aimons du fond du coeur. Laissez-moi donc vous dire la vérité!

Mes frères en la guerre! Je vous aime du fond du coeur, je suis et je fus toujours votre semblable. Je suis aussi votre meilleur ennemi. Laissez-moi donc vous dire la vérité!

Je n'ignore pas la haine et l'envie de votre coeur. Vous n'êtes pas assez grands pour ne pas connaître la haine et l'envie. Soyez donc assez grands pour ne pas en avoir honte!

Et si vous ne pouvez pas être les saints de la connaissance, soyez-en du moins les guerriers. Les guerriers de la connaissance sont les compagnons et les précurseurs de cette sainteté.

Je vois beaucoup de soldats: puissé-je voir beaucoup de guerriers! On appelle "uniforme" ce qu'ils portent: que ce qu'ils cachent dessous ne soit pas uni-forme!

Vous devez être de ceux dont l'oeil cherche toujours un ennemi – votre ennemi. Et chez quelques-uns d'entre vous il y a de la haine à première vue.

Vous devez chercher votre ennemi et faire votre guerre, une guerre pour vos pensées! Et si votre pensée succombe, votre loyauté doit néanmoins crier victoire!

Vous devez aimer la paix comme un moyen de guerres nouvelles. Et la courte paix plus que la longue.

Je ne vous conseille pas le travail, mais la lutte. Je ne vous conseille pas la paix, mais la victoire. Que votre travail soit une lutte, que votre paix soit une victoire!

On ne peut se taire et rester tranquille, que lorsque l'on a des flèches et un arc: autrement on bavarde et on se dispute. Que votre paix soit une victoire!

Vous dites que c'est la bonne cause qui sanctifie même la guerre? Je vous dis: c'est la bonne guerre qui sanctifie toute cause.

La guerre et le courage ont fait plus de grandes choses que l'amour du prochain. Ce n'est pas votre pitié, mais votre bravoure qui sauva jusqu'à présent les victimes.

Qu'est-ce qui est bien? demandez-vous. Etre brave, voilà qui est bien. Laissez dire les petites filles: "Bien, c'est ce qui est en même temps joli et touchant."

On vous appelle sans-coeur: mais votre coeur est vrai et j'aime la pudeur de votre cordialité. Vous avez honte de votre flot et d'autres rougissent de leur reflux.

Vous êtes laids? Eh bien, mes frères! Enveloppez-vous du sublime, le manteau de la laideur!

Quand votre âme grandit, elle devient impétueuse, et dans votre élévation, il y a de la méchanceté. Je vous connais.

Dans la méchanceté, l'impétueux se rencontre avec le débile. Mais ils ne se comprennent pas. Je vous connais.

Vous ne devez avoir d'ennemis que pour les haïr et non pour les mépriser. Vous devez être fiers de votre ennemi, alors les succès de votre ennemi seront aussi vos succès.

La révolte – c'est la noblesse de l'esclave. Que votre noblesse soit l'obéissance! Que votre commandement lui-même soit de l'obéissance!

Un bon guerrier préfère "tu dois" à "je veux". Et vous devez vous faire commander tout ce que vous aimez.

Que votre amour de la vie soit l'amour de vos plus hautes espérances: et que votre plus haute espérance soit la plus haute pensée de la vie.

Votre plus haute pensée, permettez que je vous la commande – la voici: l'homme est quelque chose qui doit être surmonté.

Ainsi vivez votre vie d'obéissance et de guerre! Qu'importe la vie longue! Quel guerrier veut être ménagé!

Je ne vous ménage point, je vous aime du fond du coeur, mes frères en la guerre! -

Ainsi parlait Zarathoustra.

DE LA NOUVELLE IDOLE

Il y a quelque part encore des peuples et des troupeaux, mais ce n'est pas chez nous, mes frères: chez nous il y a des États.

État? Qu'est-ce, cela? Allons! Ouvrez les oreilles, je vais vous parler de la mort des peuples.

L'État, c'est le plus froid de tous les monstres froids: il ment froidement et voici le mensonge qui rampe de sa bouche: "Moi, l'État, je suis le Peuple."

C'est un mensonge! Ils étaient des créateurs, ceux qui créèrent les peuples et qui suspendirent au-dessus des peuples une foi et un amour: ainsi ils servaient la vie.

Ce sont des destructeurs, ceux qui tendent des pièges au grand nombre et qui appellent cela un État: ils suspendent au-dessus d'eux un glaive et cent appétits.

Partout où il y a encore du peuple, il ne comprend pas l'État et il le déteste comme le mauvais oeil et une dérogation aux coutumes et aux lois.

Je vous donne ce signe: chaque peuple a son langage du bien et du mal: son voisin ne le comprend pas. Il s'est inventé ce langage pour ses coutumes et ses lois.

Mais l'État ment dans toutes ses langues du bien et du mal; et, dans tout ce qu'il dit, il ment – et tout ce qu'il a, il l'a volé.

Tout en lui est faux; il mord avec des dents volées, le hargneux. Même ses entrailles sont falsifiées.

Une confusion des langues du bien et du mal – je vous donne ce signe, comme le signe de l'État. En vérité, c'est la volonté de la mort qu'indique ce signe, il appelle les prédicateurs de la mort!

Beaucoup trop d'hommes viennent au monde: l'État a été inventé pour ceux qui sont superflus!

Voyez donc comme il les attire, les superflus! Comme il les enlace, comme il les mâche et les remâche.

"Il n'y a rien de plus grand que moi sur la terre: je suis le doigt ordonnateur de Dieu" – ainsi hurle le monstre. Et ce ne sont pas seulement ceux qui ont de longues oreilles et la vue basse qui tombent à genoux!

Hélas, en vous aussi, ô grandes âmes, il murmure ses sombres mensonges. Hélas, il devine les coeurs riches qui aiment à se répandre!

Certes, il vous devine, vous aussi, vainqueurs du Dieu ancien! Le combat vous a fatigués et maintenant votre fatigue se met au service de la nouvelle idole!

Elle voudrait placer autour d'elle des héros et des hommes honorables, la nouvelle idole! Il aime à se chauffer au soleil de la bonne conscience, – le froid monstre!

Elle veut tout vous donner, si vous l'adorez, la nouvelle idole: ainsi elle s'achète l'éclat de votre vertu et le fier regard de vos yeux.

Vous devez lui servir d'appât pour les superflus! Oui, c'est l'invention d'un tour infernal, d'un coursier de la mort, cliquetant dans la parure des honneurs divins!

Oui, c'est l'invention d'une mort pour le grand nombre, une mort qui se vante d'être la vie, une servitude selon le coeur de tous les prédicateurs de la mort!

L'État est partout où tous absorbent des poisons, les bons et les mauvais: l'État, où tous se perdent eux-mêmes, les bons et les mauvais: l'État, où le lent suicide de tous s'appelle – "la vie".

Voyez donc ces superflus! Ils volent les oeuvres des inventeurs et les trésors des sages: ils appellent leur vol civilisation – et tout leur devient maladie et revers!

Voyez donc ces superflus! Ils sont toujours malades, ils rendent leur bile et appellent cela des journaux. Ils se dévorent et ne peuvent pas même se digérer.

Voyez donc ces superflus! Ils acquièrent des richesses et en deviennent plus pauvres. Ils veulent la puissance et avant tout le levier de la puissance, beaucoup d'argent, – ces impuissants!

Voyez-les grimper, ces singes agiles! Ils grimpent les un sur les autres et se poussent ainsi dans la boue et dans l'abîme.

Ils veulent tous s'approcher du trône: c'est leur folie, – comme si le bonheur était sur le trône! Souvent la boue est sur le trône – et souvent aussi le trône est dans la boue.

Ils m'apparaissent tous comme des fous, des singes grimpeurs et impétueux. Leur idole sent mauvais, ce froid monstre: ils sentent tous mauvais, ces idolâtres.

Mes frères, voulez-vous donc étouffer dans l'exhalaison de leurs gueules et de leurs appétits! Cassez plutôt les vitres et sautez dehors!

Évitez donc la mauvaise odeur! Éloignez-vous d'idolâtrie des superflus.

Évitez donc la mauvaise odeur! Éloignez-vous de la fumée de ces sacrifices humains!

Maintenant encore les grandes âmes trouveront devant elles l'existence libre. Il reste bien des endroits pour ceux qui sont solitaires ou à deux, des endroits où souffle l'odeur des mers silencieuses.

Une vie libre reste ouverte aux grandes âmes. En vérité, celui qui possède peu est d'autant moins possédé: bénie soit la petite pauvreté.

Là où finit l'État, là seulement commence l'homme qui n'est pas superflu: là commence le chant de la nécessité, la mélodie unique, la nulle autre pareille.

Là où finit l'État, – regardez donc, mes frères! Ne voyez-vous pas l'arc-en-ciel et le pont du Surhumain?

Ainsi parlait Zarathoustra.

DES MOUCHES DE LA PLACE PUBLIQUE

Fuis, mon ami, dans ta solitude! Je te vois étourdi par le bruit des grands hommes et meurtri par les aiguillons des petits.

Avec dignité, la forêt et le rocher savent se taire en ta compagnie. Ressemble de nouveau à l'arbre que tu aimes, à l'arbre aux larges branches: il écoute silencieux, suspendu sur la mer.

Où cesse la solitude, commence la place publique; et où commence la place publique, commence aussi le bruit des grands comédiens et le bourdonnement des mouches venimeuses.

Dans le monde les meilleures choses ne valent rien sans quelqu'un qui les représente: le peuple appelle ces représentants des grands hommes.

Le peuple comprend mal ce qui est grand, c'est-à-dire ce qui crée. Mais il a un sens pour tous les représentants, pour tous les comédiens des grandes choses.

Le monde tourne autour des inventeurs de valeurs nouvelles: – il tourne invisiblement. Mais autour des comédiens tourne le peuple et la gloire: ainsi "va le monde".

Le comédien a de l'esprit, mais peu de conscience de l'esprit. Il croit toujours à ce qui lui fait obtenir ses meilleurs effets, – à ce qui pousse les gens à croire en lui-même!

Demain il aura une foi nouvelle et après-demain une foi plus nouvelle encore. Il a l'esprit prompt comme le peuple, et prompt au changement.

Renverser, – c'est ce qu'il appelle démonter. Rendre fou, – c'est ce qu'il appelle convaincre. Et le sang est pour lui le meilleur de tous les arguments.

Il appelle mensonge et néant une vérité qui ne glissent que dans les fines oreilles. En vérité, il ne croit qu'en les dieux qui font beaucoup de bruit dans le monde!

La place publique est pleine de bouffons tapageurs – et le peuple se vante de ses grands hommes! Ils sont pour lui les maîtres du moment.

Mais le moment les presse: c'est pourquoi ils te pressent aussi. Ils veulent de toi un oui ou un non. Malheur à toi, si tu voulais placer ta chaise entre un pour et un contre!

Ne sois pas jaloux des esprits impatients et absolus, ô amant, de la vérité. Jamais encore la vérité n'a été se pendre au bras des intransigeants.

A cause de ces agités retourne dans ta sécurité: ce n'est que sur la place publique qu'on est assailli par des "oui?" ou des "non?"

Ce qui se passe dans les fontaines profondes s'y passe avec lenteur: il faut qu'elles attendent longtemps pour savoir ce qui est tombé dans leur profondeur.

Tout ce qui est grand se passe loin de la place publique et de la gloire: loin de la place publique et de la gloire demeurèrent de tous temps les inventeurs de valeurs nouvelles.

Fuis, mon ami, fuis dans ta solitude: je te vois meurtri par des mouches venimeuses. Fuis là-haut où souffle un vent rude et fort!

Fuis dans ta solitude! Tu as vécu trop près des petits et des pitoyables. Fuis devant leur vengeance invisible! Ils ne veulent que se venger de toi.

N'élève plus le bras contre eux! Ils sont innombrables et ce n'est pas ta destinée d'être un chasse-mouches.

Innombrables sont ces petits et ces pitoyables; et maint édifice altier fut détruit par des gouttes de pluie et des mauvaises herbes.

Tu n'es pas une pierre, mais déjà des gouttes nombreuses t'ont crevassé. Des gouttes nombreuses te fêleront et te briseront encore.

Je te vois fatigué par les mouches venimeuses, je te vois déchiré et sanglant en maint endroit; et la fierté dédaigne même de se mettre en colère.

Elles voudraient ton sang en toute innocence, leurs âmes anémiques réclament du sang – et elles piquent en toute innocence.

Mais toi qui es profond, tu souffres trop profondément, même des petites blessures; et avant que tu ne sois guéri, leur ver venimeux aura passé sur ta main.

Tu me sembles trop fier pour tuer ces gourmands. Mais prends garde que tu ne sois destiné à porter toute leur venimeuse injustice!

Ils bourdonnent autour de toi, même avec leurs louanges: importunités, voilà leurs louanges. Ils veulent être près de ta peau et de ton sang.

Ils te flattent comme on flatte un dieu ou un diable; ils pleurnichent devant toi, comme un dieu ou un diable. Qu'importe! Ce sont des flatteurs et des pleurards, rien de plus.

Aussi font-ils souvent les aimables avec toi. Mais c'est ainsi qu'en agit toujours la ruse des lâches. Oui, les lâches sont rusés!

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