La Fille Aux Arcs-En-Ciel Interdits - Mori Anna 3 стр.


“Pourquoi tu ne le commences à lire ce soir? Juste pour te préparer à ton nouveau travail” suggéra-t-il, les yeux riants.

“Ok, je le ferai” répondis-je avec peu d’enthousiasme.

“A demain matin, Mademoiselle Bruno” il me congédia, l’air encore grave. “Ferme-toi dans ta chambre, je ne voudrais pas que les esprits du palais, ou quelque autre redoutable créature nocturne, viendraient te visiter cette nuit. Tu sais...” Il fit une pause, un éclair de drôle dans le noir de ses yeux. “Comme Je t’ai dit avant, il est difficile de trouver employées par ici ”.

J’essayais un sourire, peu convaincant, tout bien considéré.

“Bonne nuit Monsieur Mc Laine”. Avant de fermer la porte, la répartie me sortit des lèvres, sans que je pusse la retenir.

“Je ne crois pas aux esprits ou aux créatures nocturnes”.

“Vous êtes sûre?”

“Il n’existe aucune preuve de leur existence, monsieur” je répondis, en lui signant involontairement.

“Néanmoins du fait qu’ils n’existent pas” répliqua-t-il. Tourna le fauteuil roulant, et il reviendra derrière le bureau.

Je fermai délicatement la porte, le cœur sous les pieds. Peut-être qu’il avait raison, et les zombies existent. Parce que dans ce moment je me sentais une d’eux. Etourdie, le cerveau en tilt, suspendue dans des limbes dans lesquels je ne savais plus distinguer entre réel et irréel. Il était pire que ne savoir pas distinguer les couleurs.

Je dînai sans conviction en compagnie de Madame Mc Millian, la tête ailleurs, avec une toute autre compagnie. Je craignais que je l’eusse récupérée seulement le lendemain matin, en retournant chez celui au près duquel je l’avais laissée. Quelque chose me disait qu’ils n’étaient pas de bonnes mains celles auxquelles mon cœur confiant l’avait livrée.

Je me rappelle très peu de la conversation de ce soir avec la gouvernante. Elle parlait toute seule, incessante. Elle semblait au septième ciel pour avoir finalement quelqu’un avec lequel parler. Ou plutôt, qui l’écoutait. J’étais parfaite en ce sens. Trop polie pour l’interrompre, trop respectueuse pour montrer mon désintérêt, trop occupée pour penser à autre pour avertir la nécessité de rester seule. Dans tout cas j’aurais pensé à lui.

Dans ma chambre, une heure plus tard, assise tranquillement dans mon lit, la tête appuyée sur les coussins, j’ouvris le livre en me plongeant dans la lecture. A la deuxième page j’étais déjà terrifiée, et répréhensiblement, en considérant qu’il s’agissait simplement d’un livre.

Malgré le bon sens duquel, en théorie, j’étais bien douée, l’atmosphère dans la chambre devenait asphyxiante, et le désir de prendre l’air devint urgent.

A pieds nus je traversai la chambre dans la pénombre et j’ouvris grande la fenêtre. Je m’assis sur le rebord, en m’immergeant dans la nuit tiède de début été, le silence déchiré seulement par le striduler des grillons et le rappel d’une chouette. Il était beau d’être là, loin années-lumière de la frénésie de Londres, de ses rythmes pressants, toujours au fil de l’hystérie. Le nuit était un édredon noir, à part la blancheur de quelques étoiles ici et là. J’aimais la nuit, et je pensai oisivement que j’aurais aimé d’être une créature nocturne. L’obscurité était mon alliée. Sans lumière tout est noir, et mon incapacité génétique de distinguer les couleurs diminuait, perdait d’importance. La nuit mes yeux étaient identiques à ceux d’une autre personne. Pendant quelques heures je ne me sentais pas différente. Un soulagement momentané bien sûr, mais rafraichissant comme de l’eau sur la peau chaude.

Le matin après je me réveillait au son du réveil, et je restais pendant quelques minutes dans le lit, ahuri. Après un étourdissement initial, je me rappelai ce qu’il avait eu lieu le jour avant, et je reconnus la chambre.

Quand Je fus habillée, je descendis les escaliers, presque effrayée par le silence profond tout autour. La vue de Millicent Mc Millian, joyeuse et bavardant comme toujours, effaça le brouillard et reporta le beau temps dans mon esprit tourbillonnant.

“Vous avez bien dormi, mademoiselle Bruno?” elle commença.

“Jamais si bien” répondis-je, surprise moi-même de celle nouveauté. Il y avait des années que je ne m’abandonnais si sereinement au sommeil, les pensées négatives mises à part pendant au moins quelques heures.

“Voulez-vous du café ou du thé?”

“Du thé, s’il-vous-plait” je la priai, en m’asseyant à la table de la cuisine.

“Allez dans le salon, je vous le serve de là”.

“Je préfère de faire le petit déjeuner avec vous” dis-je, en suffocant un bâillement.

La femme me parait satisfaite et elle commença à s’affairer au tour des réchauds. Elle reprit le bavardage habituel, et je fus libre de penser à Monique. Qu’est-ce qu’elle était en train de faire à cette heure? Avait-elle déjà préparé le petit déjeuner? Penser à ma sœur avait reporté le fardeau sur mes épaules minces, et j’accueillis volontiers l’arrivé de la tasse de thé.

“Merci, Madame Mc Millian”. Je sirotai avec plaisir la liquide chaude et agréablement parfumée, tandis que la gouvernant servait le pain grillé et une série de petits bols remplies avec diverses confitures invitantes.

“Prenez celle de framboises. Elle est fantastique”.

J’allongeai la main vers le plateau, le cœur déjà en fibrillation. Ma diversité retourna à m’inonder de boue, sombre et avec une mauvaise odeur. Pourquoi moi? Et dans tout le monde il y en avait d’autres comme moi? Ou j’étais une anomalie isolée, un aberrante erreur de la nature?

Je saisis un bol quelconque, en espérant que la vieille femme était trop concentrée à parler pour s’apercevoir d’une mienne erreur éventuelle. Les confitures étaient cinq, donc j’avais une possibilité sur cinq, deux sur dix, vingt sur cent de deviner la bonne à la première tentative.

Elle me corrigea rapidement, moins distraite que ce que je pensais. “Non, mademoiselle. Celle-là est d’oranges”. Elle sourit, pas du tout consciente de l’agitation qui me poussait dedans, et de mon front perlé de sueur. Elle me passa un petit bol. “Voilà, il est facile de la confondre avec celle de fraises ”.

Elle ne s’aperçoit pas de mon sourire forcé, et elle reprit l’histoire de ses aventures amoureuses avec un jeune florentin qui avait fini pour la laisser pour une sudaméricaine.

Je mangeai à contrecœur, encore nerveuse pour l’incident juste avant, et déjà repentante de n’avoir pas accepté la proposition de manger seule. Dans ce cas il n’y aurait pas été aucun problème. Eviter les situations potentiellement critiques: il était mon mantra. Depuis toujours. Je ne devais pas permettre que l’atmosphère délicieuse de celle maison me poussait à faire des actions hasardeuses, en oubliant la prudence nécessaire. Madame Mc Millian semblait une femme maline, intelligente et attentionnée, toutefois elle était excessivement bavarde. Je ne pouvais pas compter sur sa discrétion.

Elle fit une petite pause pour boire son thé, et j’en profitai pour lui poser quelques questions. “Vous travaillez il y a beaucoup d’années auprès de Monsieur Mc Laine?”

Elle s’éclaira, heureuse de pouvoir donner le prélude à de nouveaux anecdotes. “Je travaille ici il y a quinze ans. J’arrivai peu mois après l’accident survenu à Monsieur Mc Laine. Celui dans lequel... Eh bien, vous avez compris. Tous les employés de maison précédents furent éloignés. Il semble que Monsieur Mc Laine était un homme très gai, plein d’envie de vivre, toujours joyeux. Malheureusement maintenant les tout a changé ”.

“Comment s’est-t-il passé? Je veux dire... L’accident? C’est-à-dire... pardonnez ma curiosité, elle est impardonnable”. Je me mordis les lèvres, craintive d’être mal comprise.

Elle hocha la tête. “Il est normal de se poser des questions, il appartient à la nature humaine. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé précisément. Au village ils m’ont dit que Monsieur Mc Laine devait se marier justement le jour après l’accident de voiture, et évidemment rien n’en est sorti. Certains disent qu’il était ivre, mais c’étaient des rumeurs sans aucun fondement, à mon avis. Ce dont on sait pertinemment est qu’il sortit de la route pour éviter un enfant”.

Ma curiosité se raviva, alimentée par ses mots. “Enfant? J’avais lu sur internet que l’accident s’est passé le nuit ”.

Elle haussa les épaules. “Oui, il semble qu’il s’agissait du fis de l’épicier. Il avait échappé de sa maison puisqu’il s’était mis dans la tête de de se joindre à la compagnie du cirque, en tournée dans la zone”.

Je revins sur celle nouvelle. Cela expliqua les changements brusques d’humeur de Monsieur Mc Laine, sa mauvaise humeur pérenne, son malheur. Comment ne pas le comprendre? Son monde s’était effrité, brisé, par effet d’un destin scélérat. Un homme jeune, riche, beau, écrivain de succès, en train d’accomplir son rêve d’amour... Et dans peu de secondes perdre la plupart de celui qu’il possédait. Je n’aurais jamais pu éprouver une telle malchance, je pouvais seulement l’imaginer. On ne peut pas perdre ce qu’on n’a pas. Ma seule compagnie était le Néant, il y a toujours.

Un coup d’œil rapide à la montre me confirma qu’il était temps de s’en aller. Mon premier jour de travail. Mon cœur accéléra, et dans une lueur de lucidité je me demandai s’il dépendait du nouveau travail, ou du mystérieux propriétaire de celle maison.

Je montai les marches deux par deux, dans la crainte irrationnelle d’arriver en retard. Dans le couloir je rencontrai Kyle, l’infirmier factotum. “Bonjour”.

Je ralentis, en ayant honte de mon empressement. Je devais lui sembler une insécure, ou pire une exaltée.

“Bonjour”.

“Mademoiselle Bruno, n’est-ce pas? Puis-je vous tutoyer? Mais enfin nous sommes dans le même bateau, à la merci d’un fou furieux ”. La grossière et brutale vilénie de ses mots me laissa surprise.

“Je le sais, Je suis irrespectueux envers mon employeur, etcétéra etcétéra. Tu apprendras très tôt à être d’accord avec moi. Comment t’appelles-tu?”

“Mélisande”.

Il ébaucha une révérence sinistre. “Heureux de faire ta connaissance, Mélisande aux cheveux rouges. Ton nom est vraiment étrange, il n’est pas écossais... Même si tu sembles plus écossaise que moi”.

Je fis un sourire par courtoisie, et je cherchai à le dépasser, ayant encore peur d’arriver en retard. Mais il me bloquait la voie, arrêté, avec ses jambes écartées, sur le palier. Il fut l’intervention arrivée à point nommé d’une troisième personne à démêler la situation.

“Mademoiselle Bruno! Je déteste les retards!” Le cri provenait indubitablement par mon nouvel employeur, et mes cheveux se dressèrent sur la nuque.

Kyle se déplaça tout de suite, en me permettant de passer. “Bonne chance Mélisande aux cheveux rouges. Tu en aura besoin”.

Je lui donnai un regard féroce, et je courus vers la porte au fond du couloir. Elle était semi-fermée, et un anneau de fumée en sortait.

Sébastian Mc Laine était assis derrière le bureau, de même que le jour avant, un cigare entre les doigts, le visage inflexible.

“Fermez la porte, S’il vous plait. Ensuite venez à vous asseoir. Nous avons déjà perdu assez de temps, tandis que vous étiez en train de fraterniser avec le reste du personnel”. Le ton était rude, insultant.

Un mouvement de rébellion me poussa à répondre, un agneau téméraire face à une hache.

“Il était seulement une normale courtoisie. Ou peut-être que vous préfériez une secrétaire grossière? Dans ce cas je peux même plier bagage. Toute de suite”.

Ma réponse impulsive lui prit au dépourvu. Son visage s’éclaira par la surprise, le même que probablement j’étais en train de refléter. Je n’avais jamais été si audace.

“Et moi que je l’avais déjà stéréotypée comme un chien sans dents... J’ai été trop précipité... Vraiment précipité”.

Je m’assis face de lui, les jambes qui me flageolaient déjà, contrite par ma franchise impulsive. Et terrorisée par les conséquences potentielles, explosives.

Mon employeur ne semblait pas offensé, au contraire. Il souriait. “Quel est votre nom de Baptême, Mademoiselle Bruno?”

“Mélisande” Je répondis automatiquement.

“De Debussy, Je présume. Vos parents étaient passionnés de musique? Des concertistes, peut-être?”

“Mon père était mineur” je confessai à contrecœur.

“Mélisande... Un nom grandiloquent pour la fille d’un mineur” observa-t-il, la voix vibrante d’un rire retenu. Il était en train de se moquer de moi, et au mépris des intentions du jour avant, je n’étais pas sûre de le vouloir lui permettre. Ou celle-ci aurait devenu son activité préférée.

Je redressai les épaules, en cherchant de récupérer la tenue perdue. “Et Sébastian, pourquoi? De Saint Sébastien, peut-être? Une choix vraiment incohérente”.

Il recevait le coup, en faisant la moue pendant un instant infinitésimal. “Arrache les griffes, Mélisande Bruno. Je ne suis pas en guerre avec toi. Si je le fusse, tu n’aurais aucune espérance de vaincre. Jamais. Néanmoins dans tes rêves les plus hardis”.

“Je ne rêve jamais, monsieur” répondis-je de la façon la plus digne possible.

Il sembla surpris par ma réponse, grondante de sincérité. “Tu as de la chance donc. Les rêves sont toujours un piège. S’ils sont des cauchemars, ils troublent le sommeil. S’ils sont beaux, le réveil sera doublement amer. Il est mieux de ne pas rêver, après tout ”. Ses yeux ne se détachaient pas des miens, charmeurs. “Tu es un personnage intéressant Mélisande. Tu es une petite chose, mais amusante” ajouta-t-il, le ton gouailleur.

“Heureuse d’avoir les qualités requises pour ce travail, donc” commentai-je ironiquement.

Je me torturai la lèvre inférieure avec les dents, dépassée encore par le repentir. Qu’est-ce qu’il m’arrivait? Je n’avais jamais réagi avec une telle déplorable impulsivité. Je devais y mettre un terme, avant de perdre complètement le contrôle.

Son sourire maintenant allait d’une oreille à l’autre, impudemment amusé. “Tu les as vraiment. Je suis sûr qu’on s’entendra bien. Une secrétaire qui ne sait pas rêver, comme son chef. Il y a une affinité élective entre nous, Mélisande. D’âmes, en quelque sorte. S’il n’était qu’un entre nous n’en a plus une, et il y a longtemps désormais...”

Avant que je pusse donner un sens à ses mots obscurs, il devint sérieux, les yeux encore détachés, l’expression imperscrutable, loin, sans vie.

“Tu dois envoyer le fax des premiers chapitres du livre à mon éditeur. Tu sais comment faire?”

J’hochai la tête, et en souffrant j’ai réalisé que je sentais déjà la manque du notre duel verbal. J’aurais voulu qu’il était infini. J’avais été inspirée par cet échange, comme une source miraculeuse, en me remplissant de vitalité débordante, une énergie sans précédents pour moi.

Les deux heures suivantes passèrent vites. J’envoyai plusieurs fax, j’ouvris la poste, j’écris des lettres de refuse à invitations différentes et je mis en ordre le bureau. Il écrivait à l’ordinateur, en silence, le front tout plissé, les lèvres étroites, les mains blanches et élégantes qui volaient sur le clavier. Vers l’heure du déjeuner il rappela mon attention avec un geste de la main.

“Tu peux faire une pause, Mélisande. Même manger quelque chose, ou faire une promenade”.

“Merci monsieur”.

“As-tu commencé à lire mon livre, celui que je t’ai donné?” Son visage était encore loin, immobile, toutefois je vis un éclair de bonne humeur dans ces yeux noirs

“Vous aviez raison, monsieur. Ce n’est pas exactement mon genre” confiai-je en toute sincérité.

Ses lèvres se courbèrent légèrement, dans un sourire oblique, qui avait été capable de pénétrer la cuirasse de mes défenses. Cuirasse que je pensais être plus fort que l’acier.

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