« Asseyez-vous, agents, » dit-il.
Mackenzie et Harrison s’assirent chacun sur l’une des chaises qui se trouvaient devant le bureau de McGrath. Mackenzie remarqua qu’Harrison se tenait droit et que ses yeux étaient écarquillés… pas vraiment de peur mais certainement remplis d’une sorte de tension nerveuse.
« Nous avons une affaire au fin fond de l’Iowa, » commença-t-il par dire. « Vu que c’est là où vous avez grandi, j’ai pensé que c’était une affaire pour vous, White. »
Elle s’éclaircit la gorge, d’un air embarrassé.
« J’ai grandi au Nebraska, monsieur, » corrigea-t-elle.
« Ça revient au même, non ? »
Elle hocha la tête. Ceux qui ne venaient pas du Midwest ne comprendraient jamais vraiment la différence.
L’Iowa, pensa-t-elle. Bien sûr, ce n’était pas le Nebraska, mais c’était assez proche et la simple idée de retourner dans le coin la mettait mal à l’aise. Elle savait qu’elle n’avait aucune raison d’avoir peur ; après tout, elle était parvenue jusqu’à Quantico et elle avait réussi à faire quelque chose de sa vie. Elle était parvenue à atteindre son rêve d’être agent du FBI. Alors pourquoi l’idée de retourner dans le coin pour s’occuper d’une affaire la mettait aussi rapidement mal à l’aise ?
Parce que tout ce qu’il y a de négatif dans ta vie se trouve là-bas, pensa-t-elle. Ton enfance, tes anciens collègues, les mystères entourant la mort de ton père…
« Il y a eu toute une série de disparitions, toutes des femmes, » continua McGrath. « Et pour l’instant, on dirait qu’elles sont directement enlevées sur le bord de la route sur des tronçons isolés. La dernière en date a été enlevée hier soir. Sa voiture a été retrouvée sur le bord de la route avec deux pneus crevés. Il y avait une quantité incroyable de morceaux de verre sur la chaussée, et la police locale pense donc qu’il s’agit là d’un acte criminel. »
Il fit glisser l’un des dossiers vers Mackenzie et elle y jeta un coup d’œil. Il y avait plusieurs photos de la voiture, et spécialement des pneus. Elle remarqua également que le tronçon de route était effectivement très isolé, entouré d’arbres des deux côtés. Une des photos montrait également le contenu de la voiture de la dernière victime. À l’intérieur il y avait un manteau, une petite boîte à outils boulonnée sur le côté et une caisse de livres.
« Des livres ? On sait pourquoi ? » demanda Mackenzie.
« La dernière victime était un auteur. Delores Manning. Google m’apprend qu’elle vient juste de publier son deuxième livre. Un de ces mauvais romans d’amour. Elle n’est en aucun cas un auteur à succès, donc on ne devrait pas avoir d’interférences de la part des médias… enfin, pas encore. La route a été barrée et des déviations établies par le département des transports de l’État. Alors White, je veux que vous sautiez dans un avion aussi vite que possible et que vous vous rendiez sur place. Coin paumé ou pas, l’État ne souhaite manifestement pas bloquer la route pendant très longtemps. »
McGrath tourna ensuite son attention vers Harrison.
« Agent Harrison, je veux que vous compreniez que l’agent White a des liens avec le Midwest, alors sa participation allait de soi. Et bien que je vous aie assigné pour être son partenaire, je veux que vous restiez ici pour cette affaire. Je veux que vous restiez au siège afin de travailler en coulisse. Si l’agent White appelle pour une demande de recherche, je veux que vous y travailliez. Et pas seulement ça mais Delores Manning a un agent et publiciste et tout ce qui va avec. Alors si ce n’est pas résolu rapidement, les médias vont s’emparer de l’histoire. Je veux que vous gériez cet aspect. Maintenir les choses sous contrôle ici au siège dans le cas où les choses tourneraient mal. Je ne veux pas que vous le preniez mal mais je veux que ce soit un agent plus expérimenté qui s’en occupe. »
Harrison hocha la tête mais il était impossible de ne pas voir la déception dans ses yeux. « Vous pouvez compter sur moi, monsieur. Je suis ravi d’apporter mon aide, quelle qu’elle soit.”
Oh non, pensa Mackenzie. Pas un lèche-bottes.
« Alors est-ce que je vais travailler seule sur cette affaire ? » demanda Mackenzie.
McGrath lui sourit et secoua la tête. Il eut une expression presque joviale qui lui fit penser qu’ils avaient fait bien du chemin depuis leurs premières rencontres difficiles et à la limite hostiles.
« Il est hors de question que je vous envoie là-bas toute seule, » dit-il. « Je me suis arrangé pour que l’agent Ellington travaille sur cette affaire avec vous. »
« Oh, » dit-elle, sur un ton un peu étonné.
Elle n’était pas sûre de savoir ce qu’elle en pensait. Il y avait une sorte d’alchimie bizarre entre elle et Ellington – et ce depuis le jour où elle l’avait rencontré pour la première fois alors qu’elle travaillait en tant que détective au fin fond du Nebraska. Elle avait aimé travailler avec lui durant cette courte période mais maintenant que les choses étaient différentes… et bien, ça allait être une affaire intéressante, c’était le moins qu’on puisse dire. Mais il n’y avait pas de souci à se faire. Elle était sûre de pouvoir facilement séparer ses sentiments personnels à son égard des considérations d’ordre professionnel.
« Puis-je en demander la raison ? » demanda Mackenzie.
« Il a déjà travaillé dans le coin avec des agents locaux sur le terrain, comme vous le savez. Il a également un palmarès impressionnant en ce qui concerne des cas de disparitions. Pourquoi ? »
« C’était juste pour savoir, monsieur, » dit-elle, se rappelant parfaitement qu’elle et Ellington s’étaient rencontrés pour la première fois lorsqu’il était venu apporter son aide sur l’affaire du tueur épouvantail, alors qu’elle travaillait encore pour la police locale au Nebraska. « A-t-il… et bien, a-t-il demandé à travailler avec moi sur cette affaire ? »
« Non, » dit McGrath. « C’est juste que vous êtes tous les deux parfaits pour cette enquête – lui avec ses connexions et vous avec votre passé. »
McGrath se leva de sa chaise, signifiant par là la fin de la conversation. « Vous devriez recevoir un email concernant votre vol dans quelques minutes, » dit McGrath. « Je pense que vous prenez l’avion à onze heures cinquante-cinq. »
« Mais c’est déjà dans une heure et demie, » dit-elle.
« Alors je vous suggère de vous dépêcher. »
Elle sortit rapidement du bureau en regardant une dernière fois l’agent Harrison, toujours assis sur sa chaise comme un chiot abandonné, ne sachant pas quoi faire ni où aller. Mais elle n’avait pas le temps de penser à ce qu’il ressentait et au fait qu’il soit probablement blessé par la situation. Il fallait qu’elle fasse sa valise et qu’elle arrive à l’aéroport en moins d’une heure et demie.
Et pour couronner le tout, il fallait qu’elle sache pourquoi elle répugnait à l’idée de travailler sur une affaire avec Ellington.
CHAPITRE DEUX
Mackenzie arriva à l’aéroport en courant, juste à temps pour arriver à la porte d’embarquement. Elle se précipita dans l’avion cinq minutes après que les passagers aient commencé à embarquer et s’avança dans l’allée, légèrement essoufflée, frustrée et décontenancée. Elle se demanda durant un instant si Ellington était arrivé à temps mais, franchement, elle était surtout soulagée de ne pas avoir raté son vol. Ellington était un grand garçon – il pouvait prendre soin de lui-même.
Elle eut réponse à sa question quand elle trouva son siège. Ellington était déjà dans l’avion, assis confortablement dans le siège à côté du sien. Il lui sourit depuis sa place à côté du hublot et lui fit un signe de la main. Elle hocha la tête et poussa un soupir de soulagement.
« Une journée difficile ? » demanda-t-il.
« Et bien, ça a commencé par un enterrement, puis une réunion avec McGrath, » dit Mackenzie. « Après ça, j’ai dû courir jusque chez moi pour faire ma valise et me précipiter à travers Dulles pour attraper ce vol de justesse. Et il n’est pas encore midi. »
« Alors les choses ne peuvent qu’aller en s’améliorant, » plaisanta Ellington.
En rangeant son sac dans le compartiment au-dessus d’elle, Mackenzie dit : « On verra. Mais au fait, le FBI n’a pas des avions privés ? »
« Oui, mais seulement pour des cas extrêmement urgents. Et pour des employés vedettes. Cette affaire n’est pas urgente et nous ne sommes certainement pas des employés vedettes. »
Lorsqu’elle fut finalement installée dans son siège, elle prit un moment pour se détendre. Elle jeta un coup d’œil en direction d’Ellington et vit qu’il feuilletait un dossier identique à celui qu’elle avait vu dans le bureau de McGrath.
« Que penses-tu de cette affaire ? » demanda Ellington.
« Je pense qu’il est trop tôt pour spéculer, » dit-elle.
Il leva les yeux au ciel et fronça les sourcils d’un air espiègle. « Tu dois certainement avoir une sorte de premier feeling. Alors, c’est quoi ? »
Bien qu’elle n’ait aucune envie de dévoiler son opinion qui pourrait s’avérer erronée par la suite, elle appréciait le fait de se lancer tout de suite dans le vif du sujet. Ça montrait bien qu’il était le travailleur acharné et l’agent déterminé que McGrath lui avait décrit – le type d’agent qu’elle espérait bien qu’il soit.
« Je pense que le fait que nous parlions de disparitions et non de meurtres laisse de l’espoir, » dit-elle. « Mais étant donné que les victimes ont toutes été enlevées sur des routes de campagne me fait penser que ce type est du coin et qu’il connaît le terrain. Il se peut qu’il ait kidnappé ces femmes, puis qu’il les ait tuées, cachant leurs corps quelque part dans la forêt ou dans une cachette qu’il serait seul à connaître. »
« Tu as eu l’occasion d’éplucher le dossier en profondeur ? » demanda-t-il, en désignant le dossier d’un geste de la tête.
« Non. Je n’ai pas eu le temps. »
« Vas-y, jette un œil, » dit Ellington, en lui tendant le dossier.
Mackenzie se mit à lire le peu d’informations disponibles pendant que les hôtesses faisaient les recommandations de sécurité. Elle était toujours occupée à consulter le dossier quelques instants plus tard quand l’avion décolla en direction de Des Moines. Il n’y avait pas beaucoup d’informations dans le dossier, mais assez pour que Mackenzie ait une idée de l’approche à adopter une fois qu’ils seraient arrivés.
Delores Manning était la troisième femme portée disparue en neuf jours. La première femme était une personne du coin, dont la disparition avait été signalée par sa fille. Naomi Nyles, quarante-sept ans, également enlevée sur le bord de la route. La deuxième victime était une femme de Des Moines du nom de Crystal Hall. Il y avait un léger dossier à son sujet, essentiellement quelques incidents de débauche datant de sa jeunesse mais rien de sérieux. Lorsqu’elle fut enlevée, elle était venue dans le coin pour visiter une exploitation bovine. Le premier cas de disparition n’avait montré aucun signe d’acte criminel – juste une voiture abandonnée sur le côté de la route. Le deuxième véhicule abandonné était un petit pickup avec un pneu crevé. Le pickup avait été retrouvé en plein milieu d’un changement de roue, le cric se trouvait encore sous l’essieu et le pneu crevé était appuyé sur le côté de la camionnette.
Les trois cas de disparition semblaient avoir eu lieu durant la nuit, quelque part entre 22h et 3h du matin. Jusqu’à présent, neuf jours après le premier enlèvement, il n’y avait pas un seul élément de preuve et absolument aucun indice.
Comme elle le faisait toujours, Mackenzie analysa les informations à plusieurs reprises, afin de bien les mémoriser. Ce n’était pas difficile dans ce cas vu qu’il n’y avait pas grand-chose à se rappeler. Elle revint plusieurs fois sur les photos du contexte où avaient eu lieu les enlèvements – des routes de campagne qui serpentaient à travers bois, tel un énorme serpent n’ayant nulle part où aller.
Elle se laissa glisser dans l’esprit d’un tueur utilisant ces routes et l’obscurité de la nuit pour couverture. Il devait sûrement être quelqu’un de patient. Et étant donné l’obscurité, il devait probablement avoir l’habitude d’être seul. L’obscurité ne le tracassait pas. Peut-être même qu’il préférait travailler la nuit, non seulement pour la couverture qu’elle lui offrait mais également pour la sensation de solitude et d’isolement. Ce type était probablement un solitaire. Il les enlevait sur le bord de la route, apparemment dans différentes situations stressantes. Réparation de voiture, pneus crevés. Ce qui voulait dire qu’il n’agissait probablement pas dans le seul but de tuer. Il voulait juste les femmes. Mais pourquoi ?
Et maintenant concernant la dernière victime, Delores Manning ? Peut-être qu’elle était du coin avec des antécédents dans la région, pensa Mackenzie. C’est soit ça, ou soit elle était juste vraiment téméraire pour rouler sur ces routes de campagne à une telle heure de la nuit… Peu importe que ce soit un bon raccourci, c’était plutôt imprudent.
Elle espérait que ce soit le cas. Elle espérait que la femme soit une téméraire. Car le courage, peu importe sa forme, pouvait aider les gens à gérer des situations critiques. C’était plus qu’une qualité, c’était une caractéristique psychologique profonde qui permettait aux gens de s’en sortir. Elle essaya de visualiser Delores Manning, l’auteur au succès prometteur, serpentant sur ces routes de nuit. Téméraire ou non, ce n’était pas une image encourageante.
Quand Mackenzie eut terminé, elle rendit le dossier à Ellington. Elle regarda en direction du hublot derrière lui, où les flocons blancs des nuages passaient à la dérive. Elle ferma les yeux durant un instant et se replongea là-bas, pas dans l’Iowa mais au Nebraska voisin. Un endroit rempli d’immenses terres et de gigantesques forêts au lieu d’un trafic surchargé et de hauts buildings. Ça ne lui manquait pas mais l’idée d’y retourner, même pour le travail, l’enthousiasmait d’une manière qu’elle ne s’expliquait pas vraiment.
« White ? »
Elle ouvrit les yeux au moment où elle entendit son nom. Elle se tourna vers Ellington, légèrement gênée qu’il l’ait vue l’esprit totalement ailleurs. « Oui ? »
« Tu as eu l’air déconnectée durant un instant. Tout va bien ? »
« Oui, tout va bien, » dit-elle.
Et le fait est qu’elle allait vraiment bien. Les six premières heures de la journée avaient été physiquement et émotionnellement épuisantes, mais maintenant qu’elle était assise, suspendue dans les airs et avec un partenaire temporaire peu probable, elle se sentait bien.
« Je peux te poser une question ? » demanda Mackenzie.
« Vas-y. »
« As-tu fait une demande pour travailler avec moi sur cette affaire ? »
Ellington ne répondit pas tout de suite. Elle voyait bien qu’il réfléchissait avant de répondre et elle se demanda quelle raison il pouvait bien avoir pour lui mentir.
« Et bien, j’ai entendu parler de cette affaire et, comme tu le sais, j’ai des rapports professionnels avec le bureau local d’Omaha. Et puisqu’il s’agit là du bureau local le plus proche de notre objectif dans l’Iowa, je me suis proposé. Quand il m’a demandé si ça ne me dérangeait pas de travailler avec toi sur l’enquête, je n’ai pas discuté. »
Elle hocha de la tête et commença à se sentir presque coupable de s’être demandée s’il avait une autre raison pour avoir eu envie de travailler sur cette affaire. Alors qu’elle nourrissait une certaine forme de sentiments à son égard (qu’ils soient strictement physiques ou d’une certaine manière émotionnels, elle n’en était pas vraiment sûre), il ne lui avait jamais donné de raison de penser qu’il ressentait la même chose. Elle ne se rappelait que trop bien comment elle l’avait dragué lorsqu’elle l’avait rencontré pour la première fois au Nebraska et comment ses avances avaient été rejetées.