C’est sûrement parce que c’est le grand jour, pensa-t-elle. J’ai travaillé dur pour arriver jusqu’ici et j’y suis finalement parvenue. Tous les yeux sont maintenant rivés sur moi, alors je ne peux pas rater mon coup – même s’il s’agit d’un bête travail de bureau.
Elle consulta ses emails et envoya les réponses nécessaires afin de pouvoir commencer à travailler sur son affectation. En une heure, elle avait tous les documents et toutes les ressources dont elle avait besoin. Elle était déterminée à faire de son mieux, afin de montrer à McGrath qu’il gâchait son talent en la reléguant à un travail de bureau.
Elle examina de près des cartes, des enregistrements téléphoniques et des données GPS, afin de déterminer la position de deux suspects potentiels, impliqués dans un réseau de trafic sexuel. Après une heure de profonde concentration, elle se sentit entièrement impliquée dans l’affaire. Le fait qu’elle ne soit pas actuellement sur le terrain, à rechercher activement ce genre de types, ne la dérangeait pas pour l’instant. Elle était concentrée et elle avait un objectif en vue. C’était tout ce dont elle avait besoin.
Oui, bien sûr, c’était une tâche subalterne et limite ennuyeuse, mais elle refusait de laisser ça entraver son travail. Elle fit une pause pour déjeuner et se remit sur l’affaire, travaillant avec ferveur et obtenant des résultats. Quand la journée se termina, elle envoya ses observations par email à son responsable de département et s’en alla. Elle n’avait jamais eu un travail de bureau auparavant mais ça ressemblait fortement à ce qu’elle s’en imaginait. Il ne manquait que le compteur pour pointer sa carte.
Au moment où elle atteignit sa voiture, elle se laissa envahir à nouveau par un sentiment de déception. Un travail de bureau. Coincée derrière un ordinateur et entre les murs d’un box. Ce n’était pas du tout ce qu’elle avait imaginé.
Malgré ça, elle était fière d’être arrivée là où elle était. Elle ne laisserait pas son ego ni ses attentes lui faire oublier qu’elle était aujourd’hui un agent du FBI. Mais elle ne put tout de même pas s’empêcher de penser à Colby. Elle se demanda où elle se trouvait à l’instant présent et ce qu’elle aurait à dire si elle apprenait qu’on lui avait assigné un travail de bureau pour débuter sa carrière.
Et une petite partie de Mackenzie ne put s’empêcher de se demander si Colby n’avait pas été la plus clairvoyante en prenant la décision de partir.
Est-ce qu’elle allait travailler à ce bureau durant des années ?
***
Mackenzie arriva le lendemain matin, bien décidée à passer une bonne journée. Hier, elle avait fait de grandes avancées sur son affaire et elle avait le sentiment que si elle parvenait à fournir rapidement des résultats efficaces, McGrath s’en rendrait compte.
Tout de suite, elle se rendit compte qu’on lui avait attribué une autre affaire. Celle-ci concernait une fraude à la carte verte. Les documents annexés aux emails lui fournissaient plus de trois cents pages de témoignages, de dossiers et documents gouvernementaux et le jargon juridique en tant que ressource. Ça avait l’air d’une tâche incroyablement fastidieuse et ennuyeuse.
Enragée, Mackenzie jeta un coup d’œil en direction du téléphone. Elle avait accès aux serveurs et donc au numéro de téléphone de McGrath. Elle se demanda ce qu’il répondrait si elle l’appelait pour lui demander pourquoi elle était punie d’une telle façon.
Mais elle se ravisa et au lieu de céder à la tentation, elle imprima chaque document et les empila sur son bureau.
Ça faisait une vingtaine de minutes qu’elle était occupée à cette tâche abrutissante lorsqu’elle entendit que quelqu’un frappait légèrement à l’entrée de son box. Elle se retourna et lorsqu’elle vit qu’il s’agissait de McGrath, elle resta immobile durant un instant.
McGrath lui souriait de la même manière qu’il l’avait fait lorsqu’il était venu lui parler lors de la remise de son diplôme. Il y avait quelque chose dans ce sourire qui lui faisait penser qu’il n’avait vraiment aucune idée qu’elle puisse se sentir rabaissée par le fait d’être coincée dans un box.
« Désolé que ça m’ait pris autant de temps avant de venir vous voir, » dit McGrath. « Mais je voulais vous saluer et voir comment ça allait. »
Elle ravala la première réponse qui lui vint en tête. Elle haussa les épaules d’une manière peu enthousiaste et dit : « Ça va. C’est juste que… et bien, je suis un peu surprise et déconcertée. »
« Ah bon ? En quoi ? »
« Et bien, à plusieurs reprises, vous m’avez dit être impatient de m’avoir en tant qu’agent actif. J’imagine que je ne pensais pas que ça impliquerait de me retrouver assise derrière un bureau à imprimer des documents concernant la carte verte. »
« Oui, je sais, je sais. Mais faites-moi confiance. Il y a une raison valable à tout ça. Continuez à faire votre boulot. Votre heure arrivera, White. »
Elle entendit à nouveau la voix d’Ellington résonner à ses oreilles. Il est très clairvoyant dans sa manière d’utiliser de nouveaux agents.
Si vous le dites, pensa-t-elle.
« On se reparle très bientôt, » dit McGrath. « D’ici là, prenez soin de vous. »
Et comme Hasbrook le jour précédent, McGrath eut l’air pressé de s’éloigner des box. Elle le regarda partir, se demandant quel type de leçon ou d’aptitude particulière elle était sensée apprendre. Elle détestait l’idée de se sentir supérieure à la tâche qui lui était assignée mais bon, il y avait des limites…
Ce qu’Ellington avait dit concernant McGrath… était-elle vraiment sensée le croire ? En pensant à Ellington, elle se demanda s’il avait une idée du genre de tâche à laquelle on l’avait reléguée. Puis elle pensa à Harry et se sentit coupable de ne pas l’avoir appelé ces derniers jours. Harry était resté silencieux dans son coin car il savait qu’elle avait horreur de se sentir sous pression. C’était une des raisons pour laquelle elle continuait à le voir. Aucun homme n’avait vraiment jamais été aussi patient avec elle. Même Zack avait ses limites et la seule raison pour laquelle ils étaient restés aussi longtemps ensemble, c’était parce que leur relation était devenue confortable et qu’ils n’avaient aucune envie d’être confrontés au changement.
Il était presque midi quand Mackenzie fit une dernière pile de paperasseries sur son bureau. Avant de se plonger dans la tonne de formulaires et de paperasses qui l’attendaient, elle se dit qu’elle ferait mieux d’aller grignoter quelque chose et de prendre un grand café.
Elle traversa le corridor en direction des ascenseurs. Lorsque l’ascenseur arriva et que les portes s’ouvrirent, elle fut surprise d’y voir Bryers de l’autre côté. Il avait également l’air étonné de la voir mais il lui décocha un large sourire.
« Hé, qu’est-ce que tu viens faire ici ? » demanda-t-elle.
« En fait, je venais te voir. J’ai pensé que tu aurais peut-être envie d’aller déjeuner. »
« C’est exactement ce que j’allais faire. Très bonne idée. »
Ils descendirent en ascenseur et s’assirent à une table dans une petite épicerie à proximité. Lorsqu’ils furent assis devant leurs sandwiches, Bryers alla directement au but en lui posant une question lourde de sens.
« Comment ça se passe ? » demanda-t-il.
« Et bien… ça se passe. Coincée derrière un bureau, piégée dans un box, à lire des tonnes de paperasseries, ce n’est pas exactement ce que j’avais imaginé. »
« Venant de n’importe quel autre nouvel agent, ça aurait l’air d’un commentaire d’enfant gâté, » dit Bryers. « Mais en l’occurrence, je suis d’accord avec toi. Tes capacités ne sont pas utilisées à bon escient. C’est pour ça que je suis là. Je suis venu à ta rescousse. »
Elle leva les yeux vers lui, d’un air interrogateur.
« Quel genre de rescousse ? »
« Une autre affaire, » répondit Bryers. « Enfin, maintenant, si tu as envie de rester à travailler sur ce qui t’occupe actuellement et continuer à éplucher des cas de fraude à l’immigration, je comprends. Mais je pense que j’ai quelque chose à te proposer qui t’intéressera davantage. »
Elle sentit son cœur battre à tout rompre.
« Tu as l’autorité nécessaire pour me changer d’affaire ? » demanda-t-elle, sur un ton suspicieux.
« Oui, de fait. À la différence de la dernière fois, aujourd’hui tu as le soutien de tout le monde. J’ai reçu l’appel de McGrath il y a une demi-heure. Il n’est pas vraiment fan à l’idée de t’envoyer au cœur de l’action, mais j’ai réussi à lui forcer un peu la main. »
« Vraiment ? » demanda-t-elle, se sentant soulagée et, comme Bryers l’avait mentionné, légèrement gâtée.
« Je peux te montrer l’historique de mes appels, si tu veux. Il allait t’appeler et te le dire lui-même mais je lui ai demandé de pouvoir te l’annoncer. Je pense qu’il savait depuis hier que tu allais finir par travailler là-dessus mais nous voulions nous assurer d’avoir une affaire solide. »
« Et c’est le cas ? » demanda-t-elle. Elle sentit une boule d’excitation se former dans son estomac.
« Oui, c’est le cas. Nous avons trouvé un cadavre dans un parc à Strasburg, en Virginie. Ça ressemble très fort à un autre corps que nous avons trouvé dans la même zone il y a environ deux ans. »
« Et tu penses que les deux affaires sont liées ? »
Il écarta la question d’un geste de la main et prit une bouchée de son sandwich.
« Je t’en parlerai lorsqu’on sera en route. Pour l’instant, mangeons. Profite du silence tant que tu le peux. »
Elle hocha la tête et se mit à grignoter son sandwich bien qu’elle n’ait soudain plus vraiment faim du tout.
Elle ressentait une forme d’excitation, mais également d’effroi et de tristesse. Quelqu’un avait été assassiné.
Et ça allait être à elle de rectifier les choses.
CHAPITRE QUATRE
Ils partirent de Quantico directement après le déjeuner. Alors que Bryers conduisait en direction du Sud-ouest, Mackenzie avait l’impression d’être sauvée de l’ennui total, uniquement pour être emportée vers un danger certain.
« Alors que peux-tu me dire au sujet de l’affaire ? » finit-elle par demander.
« Un cadavre a été découvert à Strasburg, en Virginie. Le corps a été retrouvé dans un parc naturel, dans un état très semblable à celui d’un autre corps qui avait été découvert dans la même zone il y a environ deux ans. »
« Tu penses que les deux affaires sont liées ? »
« À mon avis, oui. Même emplacement et même type de meurtre brutal. Les dossiers sont dans mon sac sur le siège arrière, si tu veux y jeter un coup d’œil. »
Elle tendit le bras vers le siège arrière et attrapa le porte-documents que Bryers emportait en général avec lui lorsque des recherches allaient être nécessaires. Elle en sortit un dossier, tout en continuant à lui poser des questions.
« Quand est-ce que ce deuxième corps a-t-il été découvert ? » demanda-t-elle.
« Dimanche. Et pour l’instant il n’y a aucune trace nous permettant de nous diriger dans une direction ou l’autre. Il n’y a pas de piste, cette fois-ci. Nous avons besoin de toi. »
« Pourquoi moi ? » demanda-t-elle, sur un ton curieux.
Il la regarda, d’un air curieux également.
« Tu es un agent maintenant – et sacrément douée pour ce genre d’affaire, » dit-il. « Les gens parlent déjà à ton sujet, des personnes qui ne savaient pas vraiment qui tu étais lorsque tu es arrivée à Quantico. Bien qu’il ne soit pas normal qu’un nouvel agent se retrouve sur une affaire telle que celle-ci, et bien, tu n’es pas non plus vraiment un agent ordinaire, n’est-ce pas ? »
« Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? » demanda Mackenzie.
« Ça va dépendre de tes performances, j’imagine, » dit-il.
Elle décida d’en rester là et concentra son attention sur le dossier. Bryers lui jetait des coups d’œil furtifs pendant qu’elle en survolait le contenu – soit pour évaluer sa réaction ou peut-être pour voir où elle en était. Pendant qu’elle prenait connaissance du dossier, Bryers se mit à parler de l’affaire.
« Ça ne prit que quelques heures avant d’être presque certains que ce meurtre était lié à un autre corps qui avait été découvert il y a presque deux ans, à environ cinquante-cinq kilomètres de là. Les photos qui se trouvent dans le dossier concernent ce premier cadavre. »
« Il y a deux ans, » dit Mackenzie, sur un ton méfiant. Sur la photo, elle vit un corps salement mutilé. C’était tellement insupportable à voir qu’elle dut regarder ailleurs durant un instant. « Comment peux-tu relier aussi facilement les deux meurtres entre eux avec un tel laps de temps entre les deux ? »
« Parce que les deux corps ont été retrouvés dans le même parc naturel et qu’ils ont été charcutés de la même manière. Et tu sais ce qu’on pense des coïncidences au Bureau, n’est-ce pas ? »
« Qu’elles n’existent pas ? »
« Exactement. »
« Strasburg, » dit Mackenzie. « Je ne connais pas du tout. C’est une petite ville, c’est ça ? »
« Plutôt de taille moyenne. Population d’environ six mille habitants. Une de ces villes typiques du Sud qui se raccroche encore à la Guerre de Sécession. »
« Et il y a un parc naturel là-bas ? »
« Et bien oui, » dit Bryers. « Je ne le savais pas non plus. Et un parc d’assez grande taille, en plus. Le parc naturel Little Hill. Environ cent quinze kilomètres de terre, en tout. Il s’étend presque jusqu’au Kentucky. Beaucoup de gens y vont pour y pêcher, y faire du camping ou de la randonnée. Beaucoup d’espace inexploré de forêt. Ce genre de parc naturel. »
« Comment les corps ont-ils été découverts ? » demanda Mackenzie.
« Un campeur a trouvé le deuxième corps samedi soir, » dit Bryers. « Quant au cadavre qui a été découvert il y a deux ans, c’était une scène assez horrible. Le corps a été retrouvé des semaines après le meurtre. Il était en décomposition et des animaux sauvages s’en étaient nourri, comme tu peux le voir sur les photos. »
« Des indications précises sur la manière dont ils ont été tués ? »
« Aucune que nous soyons à même d’identifier. Les corps étaient salement mutilés. Le premier cadavre d’il y a deux ans – la tête avait pratiquement été tranchée, les dix doigts avaient été coupés et n’ont jamais été retrouvés et la jambe droite avait disparu. Quant au cadavre plus récent, les morceaux étaient en quelque sorte éparpillés un peu partout. La jambe gauche a été trouvée à deux cents mètres du reste du corps. La main droite a été coupée et n’a pas encore été retrouvée. »
Mackenzie soupira, submergée durant un instant par tout le mal qui sévissait dans le monde.
« Quelle brutalité, » dit-elle doucement.
Il hocha de la tête.
« Oui, de fait. »
« Tu as raison, » dit-elle. « Il y a trop de similarités pour les ignorer. »
Il s’interrompit et laissa échapper une toux qu’il couvrit avec l’intérieur de son coude. C’était une toux profonde, longue et sèche, du style de celles qui venaient juste après un gros rhume.
« Ça va ? » demanda-t-elle.
« Oui, ça va. C’est le début de l’automne et mes stupides allergies resurgissent toujours à cette période de l’année. Mais… et toi ? Est-ce que ça va ? La remise des diplômes est terminée, tu es maintenant officiellement un agent du FBI et le monde est à toi. C’est une idée stimulante ou plutôt terrifiante pour toi ? »
« Un peu des deux, » dit-elle honnêtement.
« Des membres de ta famille sont venus te voir pour ta remise de diplôme de samedi ? »
« Non, » dit-elle. Et avant qu’il n’ait le temps de prendre un air triste ou d’exprimer ses regrets, elle ajouta : « Mais c’est bien comme ça. Je n’ai jamais été vraiment proche de ma famille. »
« Je vois ce que tu veux dire, » dit-il. « Même chose pour moi. Mes parents étaient des gens biens mais quand je suis devenu un adolescent et que j’ai commencé à me comporter comme tel, ils m’ont en quelque sorte tourné le dos. Je n’étais pas assez chrétien pour eux. Et j’aimais un peu trop les filles. Ce genre de choses. »