Blaine s’entraina à tirer avec l’arme vide plusieurs fois. Puis Riley lui montra comment ouvrir et charger le barillet.
Blaine se mit à nouveau en position. Il se prépara. Cette fois, il le savait, il allait devoir absorber le recul. Il visa.
Puis il appuya sur la détente et tira.
La force du recul le prit par surprise. L’arme lui sauta dans la main. Il baissa le canon et chercha la cible du regard. Il n’apercevait aucun trou. Mais comment pouvait-on viser avec une arme qui sautait comme ça dans la main ?
— On va travailler sur ta respiration, dit Riley. Inspire lentement quand tu vises, puis expire lentement pendant que tu appuies sur la détende de manière à ce que le coup parte quand tu n’auras plus d’air dans les poumons. C’est à ce moment-là que le corps est le plus immobile.
Blaine tira à nouveau. Il eut l’impression d’avoir plus de maîtrise.
En regardant la cible, il vit qu’il avait au moins réussi à la toucher, cette fois.
Mais alors qu’il se préparait à tirer à nouveau, un souvenir l’assaillit – le souvenir du moment le plus terrifiant de toute sa vie. Un jour, alors qu’il vivait encore dans la maison à côté de celle de Riley, il avait entendu un terrible vacarme chez sa voisine. Il s’était précipité dans la maison de Riley, trouvant la porte d’entrée entrouverte.
Un homme attaquait la fille de Riley.
Blaine s’était jeté sur eux et il avait repoussé l’homme. Mais celui-ci était trop fort. Blaine avait pris des coups jusqu’à perdre connaissance.
C’était un souvenir amer. L’espace d’un instant, un sentiment d’impuissance lui noua le ventre.
Mais cette sensation s’évapora quand il sentit le poids de l’arme dans ses mains.
Il inspira, expira et tira, quatre fois de suite, jusqu’à vider le barillet.
Riley appuya sur un bouton pour rapprocher la cible du box.
— Pas mal pour une première, dit-elle.
En effet, Blaine vit que ses quatre derniers tirs avaient touché la forme humaine.
Il se rendit compte que son cœur battait la chamade. Il était submergé par des émotions contradictoires.
L’une d’elle était la peur.
Mais la peur de quoi ?
Du pouvoir, comprit Blaine.
La sensation d’avoir un tel pouvoir dans les mains était étourdissante. Il n’avait jamais ressenti ça.
C’était tellement agréable que c’en était effrayant.
Riley lui montra comment ouvrir le barillet pour le vider de ses cartouches vides.
— Ça suffit pour aujourd’hui ? demanda-t-elle.
— Certainement pas, dit Blaine, le souffle court. Je veux que tu m’apprennes tout ce qu’il y a à savoir sur cette chose.
Riley le regarda recharger son revolver en souriant.
Il la sentit également sourire derrière lui quand il mit en joue une nouvelle cible.
Puis il entendit le téléphone de Riley sonner.
CHAPITRE SEPT
Quand le téléphone de Riley sonna, les derniers coups de feu de Blaine résonnaient encore dans ses oreilles. De mauvaise grâce, elle sortit son téléphone de sa poche. Elle aurait aimé que rien ne vienne interrompre sa matinée avec Blaine. Quand elle baissa les yeux vers l’écran, elle sut qu’elle allait être déçue. C’était Brent Meredith qui l’appelait.
A sa grande surprise, elle prenait plaisir à apprendre à Blaine à tirer avec son nouveau pistolet. Quoi que veuille Meredith, Riley savait déjà qu’il allait interrompre la plus belle journée qu’elle ait eue depuis longtemps.
Mais elle n’avait pas d’autre choix que de décrocher.
Comme à son habitude, Meredith alla droit au but.
— Nous avons une nouvelle affaire. On a besoin de vous. Dans combien de temps vous serez à Quantico ?
Riley ravala un soupir. Comme Bill était en arrêt de travail, Riley avait espéré avoir le temps de se remettre de la mort de Lucy.
N’y compte pas, pensa-t-elle.
Elle partirait sans doute très bientôt sur le terrain. Avait-elle le temps de passer à la maison pour voir sa famille et changer de tenue ?
— Dans une heure ? demanda Riley.
— Moins que ça. Retrouvez-moi dans mon bureau. Et amenez votre sac.
Meredith raccrocha sans attendre la réponse.
Blaine attendait qu’elle termine. Il retira ses lunettes de protection et son casque pour lui demander :
— Le travail ?
Riley poussa un gros soupir
— Ouais. Il faut que j’aille à Quantico.
Blaine acquiesça sans lui faire de reproche et déchargea son arme.
— Je vais t’y conduire, dit-il.
— Non, j’ai besoin de mon sac. Et il est dans ma voiture à la maison. Tu vas devoir me déposer chez moi. J’ai bien peur d’être un peu pressée.
— Pas de problème, dit Blaine en rangeant avec soin sa nouvelle arme dans son étui.
Riley l’embrassa sur la joue.
— Je crois que je vais devoir partir, dit-elle. C’est dommage. Je passais un très bon moment.
Blaine sourit et l’embrassa à son tour.
— Moi aussi, dit-il. Ne t’inquiète pas. On reprendra là où on s’est arrêtés quand tu reviendras.
Alors qu’ils quittaient le stand de tir et la boutique, le propriétaire leur lança un au revoir chaleureux.
*
Après que Blaine l’eut déposée chez elle, Riley se dépêcha d’expliquer à tout le monde qu’elle partait. Elle n’avait même pas le temps de changer de vêtements. Au moins, elle avait pris une douche chez Blaine en se levant. A son grand soulagement, sa famille demeura imperturbable.
Ils s’habituent, pensa-t-elle. Elle n’était pas sûre que ça lui plaise, mais c’était nécessaire quand on menait une existence comme la sienne.
Riley vérifia qu’elle avait tout ce dont elle avait besoin dans la voiture, puis elle se mit en route vers Quantico. Quand elle arriva à l’UAC, elle se dirigea tout droit vers le bureau de Brent Meredith. Elle fut étonnée de rencontrer Jenn Roston, qui marchait dans la même direction.
Riley et Jenn échangèrent un bref regard, avant de presser le pas en silence.
Riley se demanda si Jenn était aussi mal à l’aise qu’elle. La veille, elles avaient eu une discussion très pénible. Riley ne savait toujours pas si c’était une erreur de lui avoir donné la clé-USB.
Mais Jenn n’a pas de raison de s’inquiéter, songea Riley.
Après tout, Jenn avait pris l’ascendant. Elle avait brillamment pris l’avantage et le contrôle de la situation. Riley avait-elle déjà rencontré une autre personne qui l’ait si facilement manipulée ?
Puis elle se rendit qu’évidemment, c’était le cas.
Elle avait été manipulée par Shane Hatcher.
Sans cesser de marcher, en regardant droit devant elle, la jeune femme prit la parole à voix basse.
— Cela n’a pas abouti.
— Quoi ? demanda Riley sans ralentir le pas.
— Les informations bancaires sur la clé-USB. Hatcher avait des fonds sur ces comptes, mais l’argent a été transféré ailleurs. Maintenant, les comptes sont fermés.
Riley résista au réflexe de lui répondre : « Je sais. »
Après tout, Hatcher le lui avait dit la veille dans son message menaçant.
Pendant un instant, Riley ne sut que dire. Elle continua de marcher sans faire de commentaire.
Jenn pensait-elle que Riley l’avait roulée en lui donnant des infos bidon ?
Enfin, Riley dit :
— C’était tout ce que j’avais. Je n’ai plus rien pour vous.
Jenn ne répondit pas. Riley aurait aimé savoir si elle la croyait.
Elle se demanda également si Hatcher serait derrière les barreaux si elle avait utilisé ces informations plus tôt. Peut-être même qu’il serait mort.
Quand elles atteignirent la porte du bureau de Meredith, Riley s’arrêta, tout comme Jenn.
Riley ressentit une pointe de panique.
Jenn allait dans le bureau de Meredith, elle aussi.
Pourquoi la jeune femme allait-elle à cette réunion ? Avait-elle dit à Meredith que Riley avait retenu des informations ?
Mais Jenn refusait de croiser son regard.
Riley frappa à la porte, puis les deux femmes entrèrent.
Meredith était assis derrière son bureau, toujours aussi intimidant.
Il dit :
— Asseyez-vous, toutes les deux.
Riley et Jenn s’assirent sur les chaises en face de son bureau.
Meredith ne dit rien pendant un moment.
Puis il dit :
— Agent Paige, agent Roston, je vous présente votre nouveau partenaire.
Riley étouffa un hoquet. Elle jeta un regard à Roston dont les grands yeux bruns étaient écarquillés.
— J’espère que ça ne vous pose pas de problème, dit Meredith. L’UAC est débordée en ce moment. Comme l’agent Jeffreys est en congé et que tous les autres sont occupés, vous vous retrouvez ensemble. C’est décidé.
Riley se rendit compte que Meredith avait raison. Le seul agent avec lequel elle aurait pu travailler en ce moment, c’était Craig Huang, mais il était occupé à surveiller sa maison.
— Ça me va, monsieur, dit Riley à Meredith.
Jenn dit :
— C’est un honneur de travailler avec l’agent Paige, monsieur.
Ces mots étonnèrent Riley. Elle se demanda si Jenn le pensait vraiment.
— Ne vous emballez pas, dit-il. Ce n’est sans doute pas grand-chose. Ce matin, le corps d’une adolescente a été découvert enterré dans un champ près d’Angier, une petite ville de l’Iowa.
— Un seul meurtre ? demanda Jenn.
— Pourquoi est-ce à l’UAC de s’en charger ? demanda Riley.
Meredith tambourina des doigts sur son bureau.
— Je pense qu’il n’y en a pas qu’un seul, dit-il. Une autre fille a disparu dans la même ville et elle n’a pas encore été retrouvée. C’est un petit coin tranquille. Ce genre de chose n’arrive pas souvent. Et les gens disent que les deux filles n’étaient pas du genre à partir avec des inconnus.
Riley secoua la tête d’un air sceptique.
— Qu’est-ce qui nous fait croire que c’est un tueur en série ? demanda-t-elle. Si nous n’avons qu’un seul corps, n’est-ce pas un peu prématuré ?
Meredith haussa les épaules.
— Oui, c’est ce que je pense aussi. Mais le chef de la police d’Angier, Joseph Sinard, est en train de péter les plombs.
Riley plissa le front en entendant ce nom.
— Sinard, répéta-t-elle. Où ai-je déjà entendu ce nom ?
Meredith sourit et répondit :
— Vous pensez peut-être au directeur exécutif adjoint du FBI, Forrest Sinard. Joe Sinard est son frère.
Riley roula les yeux au ciel. C’était plus clair. Une personne haut-placée dans la chaine alimentaire du FBI était harcelé par son frère resté à la maison. On avait renvoyé l’affaire à l’UAC. Riley avait déjà écopé de ce type de dossier, ouvert pour des motifs politiques ou diplomatiques.
Meredith dit :
— Il faut que vous y alliez pour voir si ça vaut le coup.
— Et mon travail sur le dossier Hatcher ? demanda Jenn Roston.
Meredith dit :
— On a déjà du monde qui travaille dessus : des techniciens, des enquêteurs… Je suppose qu’ils ont accès à toutes vos informations.
Jenn acquiesça.
Meredith dit :
— Ils peuvent se passer de vous pendant quelques jours. Si ça prend aussi longtemps…
Riley ne sut que penser. Non seulement elle n’était pas certaine d’avoir envie de travailler avec Jenn Roston, elle ne voulait pas non plus perdre son temps sur une affaire qui ne concernait pas l’UAC.
Elle aurait préféré apprendre à Blaine à tirer.
Ou faire d’autres choses avec Blaine, pensa-t-elle en réprimant un sourire.
— Quand est-ce qu’on part ? demanda Jenn.
— Dès que possible, dit Meredith. J’ai dit au chef de police de ne pas toucher au corps en attendant votre arrivée. Vous allez atterrir à Des Moines. L’équipe de Sinard vas vous retrouver là-bas pour vous emmener à Angier. C’est à une heure de route. On prépare l’avion. En attendant, n’allez pas trop loin. Départ dans moins de deux heures.
Riley et Jenn quittèrent le bureau de Meredith. Riley se dirigea aussitôt vers le sien. Elle s’assit un moment, en promenant son regard dans son bureau.
Des Moines, pensa-t-elle.
Elle n’y était allée que deux ou trois fois, mais c’était là qu’habitait sa sœur, Wendy. Riley et Wendy avaient perdu le contact pendant des années. Elles ne s’étaient retrouvées qu’à la mort de leur père. Wendy était avec lui quand il était mort, pas Riley.
Penser à Wendy réveillait en Riley un sentiment de culpabilité, ainsi que des mauvais souvenirs. Wendy avait fugué à quinze ans parce que leur père la battait. Riley n’en avait que cinq. Après la mort de leur père, elles s’étaient juré de garer contact, mais elles s’étaient contentées d’un chat vidéo.
Riley savait qu’elle devait rendre visite à Wendy si elle en avait la possibilité. Mais pas tout de suite. Meredith avait dit qu’Angier était à une heure de route de Des Moines et que la police viendrait les chercher à l’aéroport.
Peut-être que je pourrai voir Wendy avant de rentrer à Quantico, pensa-t-elle.
En attendant, elle avait deux heures à tuer avant de prendre l’avion. Et il y avait quelqu’un qu’elle voulait voir.
Elle s’inquiétait pour son partenaire de toujours, Bill Jeffreys. Il vivait non loin, mais elle ne l’avait pas vu depuis des jours. Bill souffrait de stress post-traumatique. Riley savait d’expérience que c’était difficile à surmonter.
Elle sortit son téléphone et tapa un message.
J’aimerais passer quelques minutes. Tu es chez toi ?
Elle attendit quelques instants. Le message avait été « envoyé », mais pas encore « lu ».
Riley soupira. Elle n’avait pas le temps d’attendre que Bill consulte ses messages. Si elle voulait le voir avant son départ, elle devait y aller maintenant, en espérant qu’il soit chez lui.
*
Le petit appartement de Bill n’était qu’à quelques minutes en voiture de l’UAC, dans la ville de Quantico. Quand elle se gara et marcha vers le bâtiment, elle remarqua une fois encore combien cet endroit était déprimant.
Ce n’était pas un immeuble insalubre. En fait, c’était un petit bâtiment ordinaire en briques rouges. Mais Riley ne pouvait s’empêcher de se rappeler chaque fois la jolie maison en banlieue où Bill habitait avant son divorce. En comparaison, cet endroit n’avait aucun charme. De plus, Bill vivait seul maintenant. Ce n’était pas la situation idéale.
Riley entra dans le bâtiment et se dirigea vers l’appartement de Bill au deuxième étage. Elle frappa à la porte et attendit.
Aucune réponse ne vint. Elle frappa à nouveau, sans succès.
Elle sortit son téléphone. Le message n’avait pas encore été lu.
Elle s’inquiéta. Etait-il arrivé quelque chose à Bill ?
Elle tendit la main vers la poignée et la fit tourner.
A sa grande stupéfaction, la porte n’était pas verrouillée. Le battant s’ouvrit.
CHAPITRE HUIT
L’appartement de Bill semblait avoir été cambriolé. Riley s’immobilisa dans l’entrée pendant une seconde, prête à tirer son arme au cas où l’intrus serait toujours là.
Puis elle se détendit. Ce n’étaient que des emballages de plats à emporter, des assiettes sales et des verres. C’était un foutoir, mais un foutoir domestique et personnel.
Elle appela Bill par son nom.
Pas de réponse.
Elle appela à nouveau.
Cette fois, elle crut entendre grogner dans une pièce attenante.
Le cœur battant, elle se précipita dans la chambre de Bill. La pièce était mal éclairée. Les rideaux étaient tirés. Bill était allongé sur son lit encore défait, dans des habits froissés. Il fixait le plafond du regard.
— Bill, pourquoi tu n’as pas répondu quand je t’appelais ? demanda-t-elle avec irritation.
— J’ai répondu, murmura-t-il. Tu ne m’as pas entendu. Tu peux arrêter de faire du bruit, s’il te plait ?
Riley aperçut la bouteille de bourbon presque vide sur la table de nuit. Elle comprit mieux ce qui se passait. Elle s’assit sur le lit à côté de Bill.
— J’ai passé une nuit difficile, dit Bill en se forçant à rire. Tu sais ce que c’est.
— Ouais, je sais, répondit Riley.
Après tout, le désespoir l’avait déjà poussée à boire.
Elle toucha son front en sueur. Elle n’imaginait que trop bien à quel point il était mal.
— Qu’est-ce qui t’a poussé à boire ? demanda-telle.
Bill grogna.
— Ce sont mes garçons, dit-il.
Puis il se tut. Riley n’avait pas vu les deux fils de Bill depuis longtemps. Ils devaient avoir neuf et onze ans maintenant.