L'Agent Zéro - Джек Марс 6 стр.


Mais, il devait savoir. Il devait y aller quoi qu’il en coûte.

Toutefois, il lui fallait d’abord acheter une veste, et pas seulement pour couvrir sa chemise maculée de sang. Les températures approchaient des quinze degrés en ce mois de février, mais il faisait encore trop frais pour ne porter qu’une chemise. Le boulevard agissait comme un tunnel venteux et la brise était vive. Il entra dans la première boutique de vêtements et choisit le premier blouson qui lui tapa dans l’œil, un bomber en cuir marron foncé avec une doublure polaire. Bizarre, se dit-il. Il n’aurait jamais choisi une telle veste auparavant, avec son amour pour le tweed et le tissu écossais, mais il était attiré par celle-ci.

Le bomber coûtait deux-cent-quarante euros. Peu importe, il avait plein d’argent. Il choisit également une nouvelle chemise, un tee-shirt gris ardoise, un jean et des bottines marron de bonne qualité. Il amena ses emplettes au comptoir et paya cash.

Il y avait une empreinte de sang laissée par un pouce sur l’un des billets. Le vendeur aux lèvres fines fit semblant de ne pas le voir. Un flash stroboscopique passa dans son esprit…

“Un mec entre dans une station-service, couvert de sang. Il paie son carburant et tourne les talons pour s’en aller. Le caissier, perplexe, le rappelle, ‘Hé, mec, tout va bien ?’ Le gars sourit. ‘Oh… ouais, je vais bien. Ce n’est pas mon sang.’”

Je n’avais jamais entendu cette blague avant.

“Est-ce que je peux utiliser la cabine d’essayage ?” demanda Reid en français.

Le vendeur pointa du doigt l’arrière du magasin. Il n’avait pas prononcé un seul mot de toute la transaction.

Avant de se changer, Reid s’examina pour la première fois dans un miroir propre. Bon sang, il avait une sale gueule. Son œil droit était fortement gonflé et du sang tachait les bandages. Il fallait qu’il trouve une pharmacie pour acheter un kit de premier secours digne de ce nom. Il fit glisser son jean, crasseux et légèrement ensanglanté au niveau de sa cuisse blessée, en grimaçant de douleur. Quelque chose le surprit en tombant au sol. C’était le Beretta. Il avait presque oublié qu’il l’avait.

Le pistolet était plus lourd qu’il ne l’aurait imaginé. Neuf-cent-quarante-cinq grammes, non chargé, savait-il. Le tenir en main était comme embrasser une ancienne maîtresse, familier et étranger à la fois. Il le posa pour finir de se changer, fourra ses anciens vêtements dans le sac de shopping, et remit le pistolet dans la ceinture de son nouveau jean, au creux de son dos.

Une fois de retour sur le boulevard, Reid garda la tête basse et marcha d’un pas rapide, ne quittant pas des yeux le trottoir. Il n’avait pas besoin que d’autres visions viennent le distraire pour le moment. Il jeta le sac contenant ses anciens vêtements dans une poubelle à l’angle d’une rue, sans même cesser de marcher.

“Oh ! Excusez-moi,” dit-il alors que son épaule venait de heurter violemment une passante vêtue d’un tailleur. Elle le fusilla du regard. “C’est ça, désolé.” Elle soupira dans un souffle avant de s’éloigner. Il fourra ses mains dans les poches de son blouson, ainsi que le téléphone mobile qu’il venait de dérober dans le sac de la femme.

C’était facile. Trop facile.

Deux croisements plus loin, il s’arrêta sous l’auvent d’un grand magasin et sortit le téléphone de sa poche. Il poussa un soupir de soulagement : il avait choisi la femme d’affaires pour une raison précise, et son instinct s’avérait payant. Skype était installé sur son téléphone et son compte était associé à un numéro américain.

Il ouvrit le navigateur internet du téléphone, chercha le numéro du Pap’s Deli dans le Bronx, et lança l’appel.

Une jeune voix masculine ne tarda pas à répondre. “Pap’s, que puis-je faire pour vous ?”

“Ronnie ?” L’un de ses étudiants de l’année passée travaillait à mi-temps chez le traiteur préféré de Reid. “C’est le Professeur Lawson.”

“Salut, Professeur !” répondit le jeune homme avec entrain. “Comment allez-vous ? Vous voulez passer commande à emporter ?”

“Non. Enfin, oui… on peut dire ça. Écoutez, j’ai vraiment besoin que vous me rendiez un gros service, Ronnie.” Pap’s Deli n’était qu’à six pâtés de maisons de chez lui. Quand il faisait beau, il n’hésitait pas à s’y rendre à pied pour aller chercher des sandwiches. “Vous avez Skype sur votre téléphone ?”

“Ouais ?” dit Ronnie d’une voix étonnée.

“Bien. Voici ce que j’aimerais que vous fassiez. Écrivez ce numéro…” Il demanda à son ancien étudiant de faire un saut chez lui en vitesse, de voir qui était là, si toutefois il y avait quelqu’un, puis de rappeler le numéro américain sur le téléphone.

“Professeur, est-ce que vous avez des ennuis ?”

“Non, Ronnie, je vais bien,” mentit-il. “J’ai perdu mon téléphone et une gentille dame me laisse utiliser le sien pour faire savoir à mes filles que je vais bien. Mais je n’ai que quelques minutes. Donc si vous pouviez, s’il vous plait…”

“C’est bon, Professeur. C’est un plaisir. Je vous rappelle très vite.” Ronnie raccrocha.

En attendant, Reid fit les cent pas sous l’auvent du magasin, regardant le téléphone sans cesse pour ne pas manquer l’appel. Quand le téléphone sonna, il eut l’impression d’avoir attendu une heure, alors que seulement six minutes s’étaient écoulées.

“Allô ?” Il répondit à l’appel Skype dès la première sonnerie. “Ronnie ?”

“Reid, c’est toi ?” prononça une voix féminine agitée.

“Linda !” dit Reid dans un souffle. “Je suis content que tu sois là. Écoute, j’ai besoin de savoir…”

“Reid, qu’est-ce qui s’est passé ? Où es-tu ?” demanda-t-elle.

“Les filles, elles sont à…”

“Qu’est-ce qui s’est passé ?” insista Linda. “Les filles se sont levées ce matin, paniquées parce que tu étais parti, donc elles m’ont appelée et je suis venue immédiatement…”

“Linda, s’il te plait,” tenta-t-il de l’interrompre, “Où sont-elles ?”

Elle parlait sans l’écouter, clairement affolée. Linda avait beaucoup de qualités, mais gérer une situation de crise n’en faisait pas partie. “Maya a dit que tu partais parfois te promener le matin, mais que les deux portes étaient ouvertes à l’avant et à l’arrière de la maison. Du coup, elle voulait appeler la police et elle a dit que tu ne pars jamais en laissant ton téléphone à la maison. Et maintenant, voici cet employé du traiteur qui me tend ce téléphone…”

“Linda !” cria Reid brusquement. Deux hommes d’un certain âge qui passaient par là se retournèrent d’étonnement. “Où sont les filles ?”

“Elles sont ici,” dit-elle, haletante. “Elles sont toutes les deux à la maison, avec moi.”

“Elles n’ont rien ?”

“Non, rien du tout. Reid, qu’est-ce qui se passe ?”

“As-tu appelé la police ?”

“Pas encore, non… À la télé, ils disent toujours qu’il faut attendre vingt-quatre heures avant de signaler une disparition… Est-ce que tu as des ennuis ? D’où est-ce que tu m’appelle ? C’est le compte Skype de qui ?”

“Je ne peux pas te le dire. Contente-toi de m’écouter. Demande aux filles de faire leur valise et amène-les à l’hôtel. Pas quelque chose de proche, sors de la ville. Peut-être à Jersey…”

“Reid, de quoi ?”

“Mon portefeuille est sur mon bureau, à l’étage. N’utilise pas directement la carte de crédit. Retire des sous avec n’importe quelle carte qu’il y a dedans et utilise cet argent pour payer le séjour. Ne donne pas de date de départ.”

“Reid ! Je ne ferai rien du tout tant que tu ne me diras pas… attends une seconde.” La voix de Linda devint étouffée et distante. “Oui, c’est lui. Il va bien, je crois. Attends, Maya !”

“Papa ? Papa, c’est toi ?” Une voix différente avait pris l’appareil. “Qu’est-ce qui s’est passé ? Où es-tu ?”

“Maya ! Je, euh, j’ai eu une urgence, à la toute dernière minute. Je ne voulais pas vous réveiller…”

“Tu te moques de moi ?” Sa voix était aiguë, agitée et inquiète en même temps. “Je ne suis pas stupide, Papa. Dis-moi la vérité.”

Il soupira. “Tu as raison. Je suis désolé. Je ne peux pas te dire où je suis, Maya. Et je ne dois pas rester au téléphone trop longtemps. Fais seulement ce que ta tante te demande, OK ? Tu vas quitter la maison pour un petit moment. Ne va pas à l’école. Ne va nulle part. Ne parle pas de moi que ce soit au téléphone ou sur l’ordinateur. Tu comprends ?”

“Non, je ne comprends pas ! Est-ce que tu as des ennuis ? Doit-on appeler la police ?”

“Non, ne fais pas ça”, dit-il. “Pas encore. Laisse-moi… juste du temps pour résoudre un truc.”

Elle garda le silence un long moment. Puis, elle finit par dire, “Jure-moi que tu vas bien.”

Il grimaça.

“Papa ?”

“Ouais,” dit-il un peu trop fort. “Je vais bien. S’il te plait, fait juste ce que je te demande et va avec ta Tante Linda. Je vous aime toutes les deux. Dis-le à Sara et fais-lui un câlin de ma part. Je vous contacte aussi vite que possible…”

“Attends, attends !” dit Maya. “Comment vas-tu nous contacter si tu ne sais pas où nous sommes ?”

Il prit le temps d’y réfléchir. Il ne pouvait pas demander à Ronnie de s’impliquer encore plus là-dedans. Il ne pouvait pas non plus appeler les filles directement. Et, enfin, il ne pouvait pas risquer de savoir où elles étaient, car cela pourrait se retourner contre lui…

“Je créerai un faux compte,” dit Maya, “sous un autre nom. Tu le sauras. Je le consulterai uniquement depuis les ordinateurs de l’hôtel. Si tu as besoin de nous contacter, envoie un message.”

Reid comprit immédiatement. Il se sentit soudain très fier : elle était si intelligente et bien plus cool face à la pression qu’il ne l’aurait cru.

“Papa ?”

“Ouais,” dit-il. “C’est parfait. Prend soin de ta sœur. Je dois y aller…”

“Je t’aime,” dit Maya.

Il mit un terme à l’appel. Puis, il renifla. Elle revenait de nouveau, cette folle envie de se précipiter chez lui pour les retrouver, les garder en sécurité, emporter tout ce qu’ils pourraient et tout quitter, partir quelque part…

Il ne pouvait pas faire ça. Peu importe ce dont il s’agissait, ceux qui en avaient après lui l’avaient déjà trouvé une fois. Il avait été extrêmement chanceux qu’ils ne s’en soient pas pris à ses filles. Peut-être ne connaissaient-ils pas leur existence. La prochaine fois, s’il y en avait une, il n’aurait probablement pas autant de chance.

Reid ouvrit le téléphone, en retira la carte SIM et la cassa en deux. Il laissa tomber les morceaux dans une grille d’égout. Reprenant sa marche dans la rue, il déposa la batterie dans une poubelle, et les deux parties du téléphone dans d’autres.

Il savait qu’il avançait en direction de la Rue de Stalingrad, même s’il n’avait aucune idée de ce qu’il ferait une fois qu’il y serait. Son cerveau lui hurlait de changer de direction, d’ailler n’importe où ailleurs. Pourtant, le sang-froid dans son subconscient l’exhortait à continuer.

Ses ravisseurs lui avaient demandé ce qu’il savait de leurs “plans.” Les lieux à propos desquels ils l’avaient questionné (Zagreb, Madrid et Téhéran), il devait y avoir un lien entre eux et ils étaient clairement liés aussi aux hommes qui l’avaient enlevé. Quelles que soient ses visions (il refusait toujours de les reconnaître comme étant autre chose), elles étaient au courant de quelque chose qui s’était soit déjà passé, soit qui allait se produire. Mais cette connaissance, il ne la possédait pas. Plus il y réfléchissait et plus il sentait dans son esprit qu’il y avait urgence.

Non, c’était même plus fort que ça. Il lui semblait que c’était une obligation.

Ses ravisseurs lui avaient paru résolus à le tuer à petit feu pour obtenir des réponses. Et il avait la sensation que, s’il ne découvrait pas ce dont il s’agissait et ce qu’il était censé savoir, beaucoup de gens allaient mourir.

“Monsieur.” Les réflexions de Reid furent stoppées par une femme emmitouflée dans un manteau et une écharpe, lui touchant gentiment le bras. “Vous saignez,” dit-elle en anglais, montrant son propre sourcil.

“Oh. Merci.” Il toucha son sourcil droit du bout des doigts. Une petite coupure avait imbibé le pansement et une goutte de sang était en train de couler sur son visage. “Il faut que je trouve une pharmacie,” murmura-t-il.

Puis, il eut le souffle coupé en réalisant quelque chose : il y avait une pharmacie pas loin et il fallait juste descendre deux rues et en remonter une autre. Il n’était jamais rentré dedans, du moins pas à sa connaissance, à laquelle on ne pouvait pas se fier d’ailleurs. Pourtant, il le savait, tout simplement, aussi bien qu’il connaissait la route pour se rendre au Pap’s Deli.

Un frisson parcourut son dos de bas en haut. Les autres visions avaient été viscérales et s’étaient toutes manifestées par des stimuli externes : des visions, des bruits et même des odeurs. Cette fois, aucune vision n’était venue accompagner ça. Il s’agissait véritablement d’un souvenir, de la même manière qu’il avait su où tourner à chaque panneau de rue, de la même manière qu’il savait comment charger le Beretta.

Il prit une décision avant que le feu piéton ne passe au vert. Il irait au rendez-vous dans l’idée d’obtenir toutes les informations possibles. Ensuite, il déciderait quoi en faire : peut-être les donner aux autorités et laver son nom en échange pour le meurtre des quatre hommes dans le sous-sol. Les laisser procéder aux arrestations pendant qu’il rentrerait chez lui retrouver ses filles.

Une fois à la pharmacie, il acheta un petit tube de super glue, une boîte de pansements papillon, des cotons-tiges et un fond de teint correspondant le plus possible à sa carnation de peau. Il emporta ses achats dans les toilettes et en verrouilla la porte.

Il décolla les pansements qu’il s’était mis n’importe comment sur le visage, dans l’appartement, et lava les croûtes de sang de ses blessures. Sur les coupures les plus petites, il appliqua les pansements papillon. Pour les blessures plus profondes qui auraient normalement nécessité des points de suture, il rapprocha les bords de la peau et y colla une bande de super glue, sifflant entre ses dents en même temps. Puis, il retint son souffle environ trente secondes. La glue le brûlait vivement, mais la douleur diminuait au séchage. Pour finir, il étala le fond de teint sur les contours de son visage, en particulier aux endroits que ses anciens ravisseurs sadiques avaient arrangés à leur sauce. Il n’était pas possible de camoufler totalement son œil enflé et sa mâchoire tuméfiée. Mais ainsi, au moins, il y aurait moins de gens pour le regarder bizarrement dans la rue.

La totalité des opérations prit environ une demi-heure et, deux fois dans cet intervalle de temps, des clients frappèrent à la porte des toilettes (la deuxième fois, une femme hurla en français que son enfant était sur le point de se pisser dessus). Par deux fois, Reid se contenta de crier, “Occupé !”

Enfin, une fois sa tâche achevée, il s’examina de nouveau dans le miroir. Il était loin d’être parfait mais, au moins, il n’avait plus l’air d’avoir été battu dans une cellule de torture souterraine. Il se demandait s’il aurait dû choisir un fond de teint plus sombre, quelque chose qui lui aurait donné l’air plus étranger. Est-ce que l’homme au bout du fil savait qui il allait rencontrer ? Allaient-ils le reconnaître ou reconnaître la personne qu’ils le croyaient être ? Les trois hommes qui étaient venus chez lui avaient semblé hésitants et avaient vérifié sur une photographie.

“Qu’est-ce que je fous ?” se demanda-t-il. Tu te prépares à rencontrer un dangereux criminel qui est certainement un terroriste notoire, dit une voix dans sa tête, pas cette nouvelle voix intrusive, mais sa propre voix, celle de Reid Lawson. C’était son propre bon sens qui se moquait de lui.

Puis cette personnalité sûre et affirmée, celle qui se trouvait juste en-dessous de la surface, reprit la parole. Tout ira bien, lui dit-elle. Rien que tu n’aies déjà fait avant. Sa main saisit instinctivement le manche du Beretta enfoncé à l’arrière de son jean, caché par son nouveau blouson. Tu connais tout ça.

Avant de quitter la pharmacie, il acheta quelques articles supplémentaires : une montre pas chère, une bouteille d’eau et deux barres de chocolat. Une fois de retour sur le trottoir, il dévora les deux barres chocolatées. Il ne savait pas combien de sang il avait perdu, et il voulait être sûr de faire remonter son taux de sucre. Il vida la totalité de la bouteille d’eau d’un trait, puis demanda l’heure à un passant. Il mit sa montre à l’heure et la glissa autour de son poignet.

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