Un Prix de Courage - Морган Райс 5 стр.


– Elle a besoin de dormir, dit Illepra en s’avançant d’un air protecteur.

Gwendolyn entendit vaguement leur conversation : ses paupières de plus en plus lourdes, elle dériva lentement entre la brume du sommeil. Des images de Thor et de son père traversèrent son esprit. Elle commençait à avoir du mal à distinguer la réalité du rêve. La conversation de ses compagnons ne lui parvenait que par bribes.

– Ses blessures sont-elles sérieuses ? demanda une voix qui appartenait sans doute à Kendrick.

Gwen sentit la main de Illepra caresser son front. Les derniers mots qu’elle entendit furent la réponse de la guérisseuse :

– Les blessures de son corps sont bénignes, mon seigneur. Ce sont les blessures de l’esprit qui sont profondes.

*

Quand Gwen s’éveilla à nouveau, ce fut au son crépitant du feu. Elle n’aurait su dire combien de temps elle avait dormi. Elle cligna des yeux plusieurs fois en regardant autour d’elle. La foule s’était dispersée. Seuls restaient Steffen, assis à son chevet, Illepra, qui enduisait son poignet de pommade, et une autre personne. C’était un vieillard au visage doux, qui la contemplait avec inquiétude. Elle le reconnaissait vaguement, mais elle eut du mal à l’identifier. Elle se sentait fatiguée, si fatiguée, comme si elle n’avait pas dormi depuis des années.

– Madame ? demanda le vieillard en se penchant vers elle.

Il portait quelque chose dans ses mains. Elle réalisa que c’était un livre relié de cuir.

– Je suis Aberthol, dit-il, votre vieux professeur. M’entendez-vous ?

Gwen avala sa salive avec difficulté et hocha lentement la tête. Elle ouvrit à peine les yeux.

– J’ai attendu des heures pour vous voir, dit-il. Je vous ai vu remuer.

Gwen hocha la tête. Elle se souvenait maintenant et sa présence lui mettait du baume au cœur.

Aberthol ouvrit son grand livre. Elle sentit son poids contre sa cuisse et entendit les lourdes pages craquer à mesure qu’il les tournait.

– C’est un des ouvrages que j’ai réussi à sauver, expliqua-t-il, avant que la Maison des Érudits ne brûle. C’est la quatrième annale des MacGils. Vous l’avez lue. Elle narre bien des histories de conquêtes, de triomphes et de défaites, bien sûr… Mais il y a également d’autres histoires. Des histoires de grands chefs blessés. Des blessures du corps et des blessures de l’esprit. Tout ce que l’on peut imaginer, Madame. Et je suis venu vous dire ceci : même les meilleurs des hommes et des femmes ont souffert de manière inimaginable, de blessures ou de torture. Vous n’êtes pas la seule. Vous êtes un barreau sur la roue du temps. Bien d’autres ont survécu à de plus grandes souffrances. Nombre d’entre eux sont devenus de grands chefs. Ne soyez pas honteuse, dit-il en saisissant son poignet. Voilà ce que je viens vous dire. Ne soyez jamais honteuse. Il ne devrait y avoir aucune honte dans votre cœur, mais seulement de l’honneur et du courage pour ce que vous avez fait. Vous êtes un des plus grands souverains que l’Anneau a connus. Et ce qui vous arrive ne vous diminue en rien.

Gwen, touchée par ces mots, sentit une larme couler le long de sa joue. C’était exactement ce qu’elle avait eu besoin d’entendre et elle était reconnaissance. Bien sûr, elle savait et comprenait qu’il avait raison.

Cependant, elle avait bien du mal à le ressentir dans son cœur. Une partie d’elle ne pouvait s’empêcher de croire qu’elle était souillée pour toujours. Elle savait que ce n’était pas vrai, mais c’était ce qu’elle ressentait.

Aberthol sourit et tira un livre plus petit.

– Vous rappelez-vous celui-ci ? demanda-t-il en tournant la couverture de cuir rouge. C’était votre préféré quand vous étiez petite. Les légendes de nos pères. Il y a dans celui-ci une histoire que j’aimerais vous lire, pour vous aider à passer le temps.

Gwen était touchée par son geste, mais elle ne pouvait plus le supporter. Elle secoua tristement la tête.

– Merci, dit-elle d’une voix rauque comme une larme coulait à nouveau. Mais je ne peux pas l’écouter maintenant.

La déception se lut sur son visage et il hocha la tête, compréhensif.

– Une autre fois, dit-elle d’un air abattu. J’ai besoin d’être seule. S’il vous plaît, laissez-moi. Vous tous, ajouta-t-elle en se tournant vers Steffen et Illepra.

Tous se levèrent et inclinèrent la tête, avant de quitter la pièce.

Gwen se sentait coupable et ne pouvait se raisonner. Elle voulait se recroqueviller et mourir. Elle entendit leur pas quitter la chambre et la porte se refermer. Elle leva les yeux pour s’assurer qu’elle était seule.

À sa grande surprise, ce n’était pas le cas. Une silhouette solitaire se tenait sur le seuil, droite, altière et parfaite, comme toujours. Elle marcha lentement et majestueusement vers Gwen, avant de s’arrêter à quelques pas de son lit, le visage inexpressif.

Sa mère.

Gwen était surprise de la voir là, l’ancienne reine, toujours aussi hautaine et fière, toujours aussi froide à l’égard de sa fille. Il n’y avait aucune trace de compassion dans ses yeux, contrairement aux regards de ses autres visiteurs.

– Que fais-tu là ? demanda Gwen.

– Je viens te rendre visite.

– Je ne veux pas te voir, dit Gwen. Je ne veux voir personne.

– Ce que tu veux ne m’intéresse pas, répondit sa mère pleine d’assurance. Je suis ta mère et j’ai le droit de te voir quand bon me chante.

Gwen sentit sa vieille colère se réveiller : sa mère était vraiment la dernière personne qu’elle voulait voir… Mais elle la connaissait : sa mère ne partirait pas avant de lui avoir dit ce qu’elle voulait lui dire.

– Parle dans ce cas, dit Gwendolyn. Parle et va-t-en et ne reviens plus.

Sa mère soupira.

– Tu ne le sais pas, dit-elle, mais quand j’étais jeune, ton âge à peu près, j’ai été agressée, comme toi.

Gwen lui renvoya son regard, choquée. Elle n’en avait jamais rien su.

– Ton père le savait, poursuivit sa mère, et cela ne le dérangeait pas. Il m’a épousée malgré tout. J’avais eu l’impression que ma vie était terminée, mais ce n’était pas le cas.

Gwen ferma les yeux et une larme roula à nouveau au coin de son œil. Elle essaya de ne pas écouter. Elle ne voulait pas entendre l’histoire de sa mère. Il était trop tard pour qu’elle lui montre un peu de compassion. Sa mère pensait-elle vraiment qu’elle pouvait revenir après tant d’années difficiles et lui offrir une simple histoire pour que tout soit oublié ?

– As-tu fini ? demanda Gwen.

Sa mère fit un pas en avant.

– Non, je n’ai pas fini, dit-elle fermement. Tu es Reine maintenant et il est temps que tu te comportes en Reine.

Sa voix était dure et tranchante comme de l’acier. Gwen y lut une force qu’elle n’avait encore jamais remarquée.

– Tu te complais dans la pitié, mais des femmes souffrent plus que toi, chaque jour, partout. Ce qui t’est arrivé n’est rien face au destin du monde. M’entends-tu ? Ce n’est rien.

Sa mère soupira.

– Si tu veux survivre et faire de ce monde ton foyer, tu dois être forte. Plus forte que les hommes. Les hommes finiront par t’avoir, d’une manière ou d’une autre. Il ne s’agit pas de ce qui arrive à ton corps, il s’agit de la façon dont tu perçois les événements, la façon que tu as de réagir. Tu peux contrôler cela. Tu peux choisir de te laisser mourir ou tu peux te montrer forte. C’est cela qui différencie les filles des femmes.

Gwen savait que sa mère essayait de l’aider, mais elle haïssait l’absence de compassion dans ses propos. Et elle haïssait qu’on lui fasse la leçon.

– Je te déteste, lui dit Gwendolyn. Je t’ai toujours détestée.

– Je le sais, répondit sa mère, et je te hais tout autant. Cela ne veux pas dire que nous ne nous comprenons pas. Je ne veux pas de ton amour, je veux que tu sois forte. Ce monde ne peut être gouverné par des faibles ou des couards, mais par ceux qui balayent l’adversité d’un geste comme si ce n’était rien. Tu peux te laisser mourir, si tel est ton souhait. Tu as bien le temps pour ça. Mais quel ennui ! Sois forte et vis ta vie. Vis ta vie ! Sois un exemple pour les autres. Un jour, je t’assure, tu mourras de toute façon. Tant que tu vis, tu n’as qu’à vivre.

– Laisse-moi tranquille ! cria Gwen, incapable d’entendre un seul mot de plus.

Sa mère lui jeta un regard froid. Enfin, après un silence interminable, elle fit volte-face et quitta la pièce en trottinant comme un paon. Elle claqua la porte derrière elle.

Dans le silence qui suivit, Gwen se mit à pleurer, et pleura, pleura, pleura. Plus que jamais, elle souhaita que tout disparaisse.

CHAPITRE SIX

Kendrick se tenait au bord du Canyon et contemplait la brume tourbillonnante. Son cœur se brisait. Il était difficile pour lui de voir sa sœur dans cet état. Kendrick se sentait impuissant et souillé, comme s’il avait été lui-même la cible de l’agression. Il voyait sur les visages des Silésiens qu’ils ne considéraient pas seulement Gwen comme leur souveraine, mais aussi comme un membre de leur famille. Tous étaient abattus. Andronicus leur avait porté un coup terrible à tous.

Kendrick se sentait coupable. Il aurait dû savoir que sa jeune sœur tenterait de faire quelque chose, car elle était courageuse et fière. Il aurait dû prévoir qu’elle essayerait de se rendre à l’ennemi avant qu’on ne puisse l’arrêter. Il aurait dû trouver le moyen d’empêcher ça. Il connaissait sa nature. Il savait qu’elle accordait facilement sa confiance et qu’elle avait bon cœur. En tant que guerrier, il connaissait également la brutalité de certains chefs de guerre. Il était plus âgé et plus sage qu’elle. Il l’avait laissé tomber.

Kendrick se sentait également coupable de voir une situation si sombre tomber sur les épaules d’une jeune fille si jeune, d’à peine seize ans, tout juste couronnée. Elle n’aurait pas dû porter ce poids toute seule. Même Kendrick aurait eu du mal à le supporter à sa place, ou même leur père. Gwen faisait de son mieux, étant donné les circonstances. Peut-être mieux que tout autre à sa place. Kendrick, lui non plus, n’avait aucune solution. Aucun d’entre eux n’avait de solution.

Kendrick pensa à Andronicus et s’empourpra. C’était un chef sans principe, sans morale, sans humanité. Il était clair à présent que tous les Silésiens auraient connu un sort fatal après leur reddition : ils auraient été tous tués ou réduits en esclavage, jusqu’au dernier.

Quelque chose changeait dans l’air. Kendrick le voyait dans les regards de ses hommes. Lui-même le ressentait. Les Silésiens n’étaient plus déterminés à survivre seulement ou à se défendre. Maintenant, ils voulaient se venger.

– SILÉSIENS ! tonna une voix.

La foule se tut et tous levèrent les yeux. De la cite haute, penché sur l’arête du Canyon, Andronicus les regardait, flanché de ses sbires.

– Je vous donne le choix ! tonna-t-il. Livrez-moi Gwendolyn et je vous laisserai la vie sauve ! Si vous ne le faites pas, je ferai pleuvoir le feu sur vous, dès le coucher du soleil. Un feu si intense qu’aucun de vous n’y survivra !

Il marqua une pause et sourit.

– C’est une offre généreuse. Ne réfléchissez pas trop longtemps.

Là-dessus, Andronicus se retira brusquement.

Les Silésiens s’entreregardèrent lentement.

Srog fit un pas en avant.

– Compagnons de Silesia ! s’écria-t-il devant une masse de guerriers plus graves que jamais auparavant. Andronicus s’en est pris à notre souveraine bien-aimée. La fille de notre bien-aimé Roi MacGil. Une grande Reine. Ce faisant, il s’en est pris à chacun d’entre nous. Il a tenté de souiller son honneur, mais il n’a souillé que le sien !

– C’EST VRAI ! hurla-t-on dans la foule, comme les hommes serraient le poing sur le pommeau de leurs épées, leurs regards enflammés.

– Kendrick, dit Srog en se tournant vers lui, que proposes-tu ?

Kendrick croisa les regards des soldats devant lui.

– NOUS ATTAQUONS ! cria-t-il.

Il sentait un feu pulser dans ses veines. La foule poussa des cris d’approbation. La témérité se lisait dans tous les regards. Chacun était prêt à se battre jusqu’à la mort, Kendrick le voyait bien.

– NOUS MOURRONS COMME DES HOMMES, NON COMME DES CHIENS ! cria-t-il encore.

– OUI ! répondit la foule.

– NOUS NOUS BATTONS POUR GWENDOLYN ! POUR NOS MÈRES ET NOS SŒURS ET NOS ÉPOUSES !

– OUI !

– POUR GWENDOLYN ! cria Kendrick.

– POUR GWENDOLYN ! répéta la foule.

Les soldats poussèrent des hurlements de joie et leur nombre ne fit que croître.

Avec un dernier cri de guerre, ils suivirent Kendrick et Srog qui les menèrent dans les escaliers, toujours plus haut, en direction de la haute Silesia. Il était temps de montrer à Andronicus ce dont l’Argent était capable.

CHAPITRE SEPT

Thor se tenait aux côtés de Reece, O’Connor, Elden, Conven, Indra et Krohn à l’embouchure de la rivière, comme tous regardaient le corps de Conval. L’humeur était sombre. Un terrible poids pesait sur la poitrine de Thor qui contemplait, à ses pieds, son frère de Légion. Conval. Mort. Cela ne semblait pas réel. Aussi loin que Thor se souvenait, ils avaient été six dans ce voyage. Il n’avait jamais imaginé qu’ils pourraient soudain se retrouver à cinq. C’était comme si ce coup du sort rappelait à Thor sa propre mortalité.

Il pensa à toutes les fois où Conval avait été présent pour lui, toujours à ses côtés, à chaque pas, depuis le jour où Thor avait rejoint la Légion. Il était comme un frère. Conval l’avait toujours défendu. Il avait toujours eu un mot gentil pour lui. Contrairement aux autres, il avait accepté Thor comme un ami dès le début. Le voir étendu là, mort, à cause d’une erreur de Thor… Il en était malade. S’il n’avait pas fait confiance à ces trois frères, Conval aurait peut-être gardé la vie sauve.

Thor ne pouvait imaginer Conval et Conven séparés, les deux frères jumeaux, inséparables, complémentaires. Comment Conven pouvait-il bien se sentir à présent ? Il semblait avoir perdu l’esprit : le Conven insouciant et heureux que Thor avait connu était parti avec ce coup d’épée.

Tous se tenaient à l’orée du champ de bataille, les corps des soldats impériaux entassés derrière eux, et contemplaient le corps de Conval à leurs pieds, comme pétrifiés. Aucun n’avait voulu repartir sans lui offrir des funérailles convenables. Ils avaient arrachés quelques fourrures précieuses sur les corps des officiers pour envelopper le cadavre. Ils avaient placé son corps étendu, raide, tourné vers le ciel, sur le petit bateau qui les avait menés jusqu’ici. Les funérailles d’un guerrier. Conval semblait déjà pétrifié, son corps raide et bleu, comme s’il n’avait jamais vécu.

Thor ne savait pas combien ils restèrent debout là, perdus dans leur chagrin, incapables de laisser partir ce corps. Indra passa la paume de sa main sur le visage de Conval, en formant des petits cercles et en chantant les yeux fermés une litanie que Thor ne comprit pas. À voir la façon dont elle menait la cérémonie, il était évident que c’était important pour elle. Thor sentait un sentiment de paix en l’écoutant. Les garçons, eux, ne savaient pas quoi dire et se contentaient de l’observer en silence, l’air morose.

Enfin, Indra se tut et fit un pas en arrière. Conven s’avança, les yeux noyés de larmes, et s’agenouilla au chevet de son frère. Il prit sa main entre les siennes et courba la tête.

Conven repoussa alors le bateau qui se mit à danser sur les eaux calmes de la rivière. Comme s’il comprenait l’importance de la cérémonie, le courant l’emporta soudain en douceur, de plus en plus loin. Krohn gémissait en le voyant s’éloigner. Une étrange brume s’éleva alors et enveloppa l’embarcation qui disparut.

Thor eut l’impression que son corps, lui aussi, avait été aspiré par le monde infernal.

Lentement, les garçons se tournèrent les uns vers les autres, puis en direction du champ de bataille et du paysage qui s’étendait au-delà. Ils avaient atteint un carrefour. Le monde infernal se trouvait derrière eux. Devant eux, d’une part et d’autre du paysage, une vaste prairie et un désert cuit par le soleil leur faisaient face.

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