Thor se tourna vers Indra.
– Pour atteindre l’Insubmersible, il nous faut traverser ce désert ? demanda-t-il.
Elle hocha la tête.
– Y a-t-il un autre moyen ?
Elle secoua la tête.
– Il y a d’autres chemins mais moins directs. Vous perdriez des semaines. Si vous voulez avoir la moindre chance de rattraper ces voleurs, c’est le seul moyen.
Les autres scrutèrent l’horizon d’un air déterminé. Au loin, la chaleur formait d’étranges vagues dans la paysage.
– L’endroit n’a pas l’air accueillant, dit Reece en s’approchant de Thor.
– Personne n’a survécu à la traversée de ce désert, dit Indra. C’est très grand et peuplé de créatures hostiles.
– Nous n’avons pas assez de provisions, dit O’Connor. On n’y arriverait pas.
– Mais c’est le chemin pour trouver l’Épée, répondit Thor.
– Si elle existe toujours…, dit Elden.
– Si les voleurs ont atteint l’Insubmersible, intervint Indra, alors votre précieuse Épée est perdue à jamais. Vous risqueriez vos vies pour un rêve. Le mieux à faire, c’est de retourner vers l’Anneau.
– Nous ne ferons pas demi-tour, dit Thor d’un ton déterminé.
– Surtout maintenant, ajouta Conven qui fit un pas en avant, le regard brillant de feu et de chagrin.
– Nous trouverons l’Épée ou nous mourrons en essayant, dit Reece.
Indra secoua la tête et soupira
– Je n’en attendais pas moins de vous, les garçons, dit-elle. Téméraires jusqu’au bout.
*
Thor et ses compagnons marchaient côte à côte à travers le désert, en plissant les yeux devant le soleil brûlant et en soufflant sous l’écrasante canicule. Thor s’était réjoui de quitter enfin le sinistre monde infernal et de revoir les soleils. Il avait rapidement déchanté. Du soleil, sous ces latitudes, il n’y avait que cela : un soleil jaune dans un ciel jaune, pesant sur le groupe de tous ses rayons. Pas un brin d’ombre à l’horizon. La tête de Thor lui faisait mal. Il traînait les pieds. Il avait l’impression de marcher depuis des années. Il voyait que les autres étaient dans le même état.
Ils marchaient depuis une demi-journée. Thor ne savait pas combien de temps encore ils pourraient continuer. Il jeta un coup d’œil à Indra, qui portait sa capuche, et se demanda si elle avait raison. Peut-être étaient-ils téméraires de traverser… Mais il avait promis de trouver l’Épée – et quel choix avaient-ils ?
Leurs pas soulevaient des nuages de poussière tourbillonnants, ce qui rendait l’air irrespirable. À l’horizon, on n’apercevait qu’une terre cuite par les rayons du soleil, plate aussi loin que portait le regard. Il n’y avait pas le moindre signe de construction, de route ou de montagne. Rien. Seulement le désert. Thor avait l’impression d’être arrivé au bout du monde.
Une seule pensée le réconfortait : au moins, pour la première fois, ils avaient une destination. Ils n’étaient plus à la merci des trois frères et de leur stupide carte. Maintenant, ils écoutaient Indra et Thor lui faisait plus confiance qu’aux trois frères. Il était certain, cette fois, d’aller dans la bonne direction. Il n’était seulement pas certain de survivre au voyage.
Thor entendit alors un bruit étrange, comme un souffle léger. En baissant les yeux, il s’aperçut que le sable autour de lui commençait à tourbillonner. Les autres se rendirent compte, eux aussi. Le sable semblait s’amasser sous leurs pieds tout en formant des cercles qui s’élevèrent lentement vers le ciel. Bientôt, un grand nuage de poussière se forma et monta de plus en plus haut.
Thor sentit son corps se dessécher, comme si toute l’eau en lui s’échappait. Il eut soudain terriblement soif, plus soif que jamais.
Il porta une main paniquée à sa ceinture pour attraper fébrilement sa gourde. Il la pencha au-dessus de sa bouche… Mais l’eau n’atteignit jamais ses lèvres et monta vers le ciel.
– Que se passe-t-il ? cria Thor en direction de Indra.
Elle leva des yeux effrayés vers les nuages, en se couvrant de sa capuche.
– Une pluie inversée ! hurla-t-elle.
– C’est quoi ? cria Elden en se tenant la gorge.
– Il pleut vers le haut ! cria-t-elle. Toute l’humidité est aspirée vers le ciel !
Ce qui restait d’eau dans l’outre jaillit par le goulot, puis l’outre elle-même, faite de peau, se dessécha jusqu’à prendre l’allure d’un fruit sec.
Thor tomba à genoux et porta désespérément les mains à sa gorge. Il ne pouvait presque plus respirer. Tout autour de lui, ses compagnons étaient dans le même état.
– De l’eau ! supplia Elden à ses côtés.
Il y eut alors un grand bruit de tonnerre, comme celui d’un millier d’éclairs, et Thor vit le ciel s’assombrir de façon dramatique. Un nuage d’orage apparut, filant dans le ciel à une vitesse folle.
– BAISSEZ-VOUS ! cria Indra. Le ciel se renverse !
Elle avait à peine prononcé ces mots que le ciel s’ouvrit, déversant un mur d’eau qui emporta les compagnons avec la force d’un océan.
Thor se sentit rouler, encore et encore. Impossible de savoir combien de temps. Enfin, il refit surface sur le sol du désert et l’immense vague poursuivit son chemin derrière lui. Une terrible averse suivit alors et Thor renversa la tête pour boire, boire, boire jusqu’à plus soif, comme les autres. Enfin, il se sentit à nouveau hydraté.
Lentement, ils se mirent sur leurs pieds, pantelants, avec l’impression d’être passés sous un broyeur. Ils s’entreregardèrent. Ils avaient survécu ! Une fois le choc passé, tous éclatèrent de rire.
– Nous sommes en vie ! cria O’Connor.
– Ce désert n’a rien de pire à nous envoyer ? demanda Reece, heureux d’être vivant.
Indra secoua la tête d’un air sombre.
– Vous criez trop vite victoire, dit-elle d’une voix inquiète. Après les pluies, les animaux du désert viennent s’abreuver.
Un bruit s’éleva alors. En se retournant, Thor vit avec horreur qu’une armée de créatures sortaient du sable et filaient dans leur direction. Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule et vit que la vague avait formé un lac derrière le groupe. Ils se trouvaient maintenant sur le chemin de ces créatures assoiffées.
Thor n’avait jamais rien vu de tel et les choses se précipitaient par douzaines dans leur direction. D’énormes animaux au pelage jaune, semblables à des buffles mais deux fois plus larges, munis de quatre bras et de quatre cornes. Ils couraient de façon étrange, un instant sur les pattes arrière avant de retomber lourdement à quatre pattes pour prendre de l’élan. Ils rugissaient si fort que la terre tremblait.
Thor tira son épée, imité par ses compagnons, qui se préparèrent à se défendre. Comme les animaux approchaient, Thor roula sur le côté pour les éviter, sans frapper, en espérant qu’ils poursuivraient leur chemin jusqu’au lac.
La première créature baissa la tête pour encorner Thor et le manqua d’un cheveu. À la grande horreur de Thor, elle ne s’en satisfit pas et volta, enragée, pour le charger de nouveau. Elle semblait vouloir le tuer bien plus qu’elle ne voulait boire.
Thor fit un bond pour éviter les cornes et abattit son épée, lui entaillant la tête. L’animal poussa un hurlement, sauta sur ses pattes arrière et se retourna brusquement. Il écorcha Thor et l’envoyer bouler au sol.
Il chercha alors à le piétiner mais Thor roula hors de portée de ses pattes en soulevant un nuage de poussière. La bête se dressa à nouveau. Cette fois, Thor leva son épée et la plongea dans la poitrine de l’animal, jusqu’à la garde.
La bête poussa un hurlement et Thor roula sur le côté pour l’éviter quand elle s’écroula, morte. Heureusement, car son poids l’aurait probablement écrasé.
Comme Thor sautait sur ses pieds, une autre créature le chargea. Il fit un bond de côté mais ne put empêcher les cornes d’écorcher son bras, laissant une profonde entaille. Il poussa un cri de douleur et lâcha son épée. Désarmé, Thor tira sa fronde et l’arma d’une pierre qu’il jeta contre la créature.
Le projectile l’atteignit à l’œil. La créature tituba… sans s’arrêter de charger !
Thor courut à gauche, puis à droite, en zigzagant, mais l’animal était trop rapide. Thor sut qu’il allait se faire encorner. Il jeta un coup d’œil vers ses frères de Légion et vit qu’ils se trouvaient dans le même pétrin : chacun courait pour échapper à une bête.
Celle qui coursait Thor se rapprochait. Il pouvait sentir son souffle sur sa nuque et son odeur. La bête baissa les cornes et Thor se prépara au choc.
Soudain, elle poussa un hurlement. Thor se retourna et vit qu’elle avait été projetée dans les airs. Stupéfait, il la suivit des yeux, sans comprendre ce qui se passait. La tête d’un énorme monstre vert apparut alors dans son champ de vision. La chose faisait la taille d’un dinosaure, près de trente mètres, et ses mâchoires laissaient entrevoir une rangée de dents aiguisées comme des rasoirs. Il portait la créature dans la gueule, comme si ce n’était rien, et renversa la tête pour l’avaler. Sa victime se tortillait entre ses dents. Il l’engloutit en trois grosses bouchées et se lécha les babines.
Tout autour de Thor, les créatures au pelage jaune s’éparpillaient pour échapper au monstre, mais celui-ci les chargea en balançant son immense queue, qui faucha Thor et ses compagnons au passage. Cependant, le monstre ne s’intéressa pas à eux et se lança à la poursuite des créatures au pelage jaune.
Thor échangea un regard avec ses compagnons, tous assis par terre, stupéfaits.
Indra se leva et secoua la tête.
– Ne vous inquiétez pas, dit-elle, le pire est à venir.
CHAPITRE HUIT
Kendrick traversa la cour ravagée de la haute Silesia, aux côtés de Srog, Brom, Kolk, Atme, Godfrey et d’une douzaine de soldats de l’Argent. Tous marchaient à pas lents, délibérément, les mains sur la tête en signe de reddition.
Le petit groupe s’avança entre les milliers de soldats impériaux, en direction de la silhouette de Andronicus qui semblait les attendre au seuil des murailles extérieures. Kendrick sentait les regards peser sur lui et la tension dans l’air. Ils étaient des milliers ici, dans la cour, mais on aurait pu entendre une aiguille tomber.
Une heure plus tôt, Kendrick avait crié à Andronicus qu’ils souhaitaient se rendre. Le groupe était ensuite monté, en prenant soin de ne montrer aucune arme alors qu’ils traversaient les rangs de l’armée ennemie. Le cœur de Kendrick battait à tout rompre devant ces visages hostiles et sa gorge était sèche.
Ils avaient répété leur plan. En apercevant à présent Andronicus, sa taille, son apparence échevelée et sauvage, Kendrick pria pour que leur stratagème fonctionne. Sinon, c’en était fini de leurs vies.
Ils marchaient et leurs éperons sonnaient. Enfin, l’un des généraux de Andronicus, une créature imposante à l’air renfrogné, fit un pas en avant et tendit brusquement la main pour frapper Kendrick au milieu de la poitrine. Ils furent stoppés à six mètres de Andronicus, sans doute par prudence. Les soldats étaient plus sages que Kendrick ne l’avait imaginé : il avait espéré s’approcher tout près de Andronicus, mais il était évident qu’on ne le laisserait pas faire. Le cœur de Kendrick se mit à battre plus fort. Pourvu que cette distance supplémentaire ne perturbe pas son plan !
Comme tous se tenaient debout, silencieux, Kendrick se racla la gorge.
– Nous sommes venus nous rendre au Grand Andronicus, annonça Kendrick d’une voix tonnante en tâchant d’avoir l’air la plus convaincant que possible, son regard plongé dans celui de Andronicus.
Celui-ci leva la main pour jouer avec les têtes réduites pendant à son cou et les toisa avec un rictus – ou peut-être était-ce un sourire.
– Nous acceptons vos termes, poursuivit Kendrick. Nous admettons la défaite.
Assis sur un énorme banc de pierre, Andronicus se pencha en avant pour les dévisager, un sourire en coin.
– Je savais que vous le feriez, dit-il d’une voix qui porta dans tout le campement. Où est la fille ?
Kendrick s’attendait à cette question.
– Nous sommes venus avec un contingent de nos plus grands seigneurs et officiers, répondit-il. Nous souhaitons d’abord vous adresser notre reddition. Quand nous aurons terminé, d’autres suivront, avec votre permission.
Ajouter « avec votre permission », cela rendait Kendrick plus convaincant dans son rôle. Il y avait de cela longtemps, un de ses conseillers militaires lui avait appris une extraordinaire leçon : face à un chef narcissique, flatte-lui l’ego. Un chef bien flatté pouvait commettre des erreurs grotesques.
Andronicus se renversa sur son banc, réagissant à peine.
– Bien sûr, répondit-il. Si ce n’est pas le cas, vous seriez bien sots de venir.
Andronicus les dévisageait, comme cherchant à se décider. Il avait l’air de renifler l’entourloupe. Le cœur de Kendrick battait à tout rompre.
Enfin, au terme d’une longue attente, il se décida :
– Approchez et mettez un genou à terre, dit-il. Vous tous.
Les autres jetèrent un coup d’œil à Kendrick qui hocha la tête.
Tous firent un pas en avant et s’agenouillèrent devant Andronicus.
– Répétez après moi, dit le commandant. Nous, représentants de Silesia…
– Nous, représentants de Silesia…
– …capitulons devant le Grand Andronicus…
– …capitulons devant le Grand Andronicus…
– …et lui prêtons allégeance pour le reste de notre vie et au-delà…
– …et lui prêtons allégeance pour le reste de notre vie et au-delà…
– …et nous serons ses esclaves jusqu’à la fin de nos jours.
Kendrick eut du mal à prononcer ces derniers mots et avala sa salive avec difficulté, avant de les répéter, mot pour mot :
– …et nous serons ses esclaves jusqu’à la fin de nos jours.
Il en eut la nausée et son sang battit dans ses oreilles. Enfin, c’était terminé.
Un silence tendu suivit ces derniers mots et Andronicus sourit.
– Vous, les MacGils, vous êtes plus faibles que je ne le pensais, cingla-t-il. J’aurai beaucoup de plaisir à vous réduire en esclavage et à vous apprendre les traditions impériales. Maintenant, allez chercher la fille avant que je ne change d’avis et vous tue.
Agenouillé là, Kendrick vit soudain toute sa vie défiler devant ses yeux. Il savait que c’était un moment décisif de son existence. Si tout se passait comme prévu, il survivrait et raconterait l’histoire à ses enfants. Sinon, il serait bientôt mort. Ils savaient que les chances étaient contre eux mais il fallait tenter le coup. En son nom, au nom des MacGils et en l’honneur de Gwendolyn. C’était maintenant ou jamais.
D’un geste vif, Kendrick tendit la main dans son dos et dégaina le glaive dissimulé sous sa chemise. Il se dressa et la jeta de toutes ses forces.
– SILÉSIENS, À L’ATTAQUE !
L’épée de Kendrick tournoya dans les airs en direction de la poitrine de Andronicus. C’était un jet parfait et puissant, qui aurait pu tuer n’importe quel guerrier.
Mais Andronicus n’était pas n’importe quel guerrier. Kendrick se trouvait à quelques mètres et Andronicus fut un peu trop rapide. Il plongea et poussa un cri de douleur quand la lame effleura son bras, mais l’arme poursuivit sa route jusqu’à se planter dans l’estomac d’un général qui se trouvait derrière.
Le cri de Kendrick sema le chaos. Tous ses compagnons dégainèrent leurs armes cachées et décapitèrent les soldats qui se trouvaient à côté d’eux. Brom tira une dague de sa ceinture, fit un pas de côté et trancha la gorge d’un homme. Kolk saisit une fronde cachée sous son habit, l’arma d’un caillou et jeta le projectile qui s’abattit sur un archer juste avant que celui-ci ne décoche une flèche. Godfrey lança une dague. Il ne visait pas aussi bien que les autres et l’arme manqua sa cible, empalant à la place la jambe d’un jeune garçon.