Thor mit pied à terre dans le sable rouge et se tint devant les piliers, les examinant.
« Je ne peux pas te laisser ici, mon amie », dit Thor. « C’est trop dangereux pour toi. Si je dois y aller seul, alors j’irais. Retourne à la sécurité du foyer. Attends-moi là-bas. »
Mycoples secoua la tête et la baissa jusqu’au sol, s’allongeant là, résignée.
Je t’attendrais jusqu’à la fin du monde.
Thor pouvait voir qu’elle était décidée à rester. Il savait qu’elle était têtue, qu’elle ne céderait pas.
Thor se pencha en avant, caressa les écailles de Mycoples sur son long museau, s’inclina, et l’embrassa. Elle ronronna, leva la tête, et la posa sur sa poitrine.
« Je reviendrais pour toi, ma mie », dit Thor.
Thor pivota et fit face aux piliers, d’or pur, étincelants dans le soleil et l’aveuglant presque, et il fit un premier pas. Il se sentait vivant d’une manière qu’il n’aurait jamais imaginée alors qu’il passait à travers les portes et, enfin, dans le Pays des Druides.
CHAPITRE SIX
Gwendolyn voyageait à l’arrière d’un attelage, cahotant le long de la route, menant le convoi de gens qui serpentait lentement vers l’est, loin de la Cour du Roi. Gwendolyn était satisfaite de l’évacuation, qui avait été ordonnée jusqu’à présent, et satisfaite de la progression de son peuple. Elle détestait laisser sa cité derrière elle, mais elle était assurée qu’au moins ils auraient gagné assez de distance pour que son peuple soit en sécurité, bien avancé sur la voie de leur ultime mission : traverser le Passage Occidental du Canyon, embarquer sur sa flotte de navires sur les rivages des Tartuviens, et de franchir le grand océan vers les Isles Boréales. C’était la seule manière, elle le savait, de garder son peuple en sécurité.
Pendant qu’ils marchaient, des milliers de ses gens à pied tout autour d’elle, des milliers d’autres ballottant dans leurs charrettes, le bruit des sabots de chevaux emplissait les oreilles de Gwen, le son du mouvement régulier des charriots, de l’humanité. Gwen se retrouva à se perdre dans la monotonie du périple, tenant Guwayne contre sa poitrine, le berçant. À côté d’elle étaient assis Steffen et Illepra, l’accompagnant tout le long du chemin.
Gwen regarda dehors vers la route devant elle et tenta de s’imaginer ailleurs que là. Elle avait travaillé si dur pour reconstruire son royaume, et à présent elle était là, fuyant loin de lui. Elle exécutait son plan d’évacuation de masse à cause de l’invasion des McCloud – mais plus important, en raison de toutes les anciennes prophéties, des allusions d’Argon, à cause de ses propres rêves et du sentiment d’une tragédie en suspens. Mais si, se demanda-t-elle, elle avait tort ? S’il s’agissait seulement d’un rêve, juste d’inquiétudes dans la nuit ? Et si tout allait bien dans l’Anneau ? Si c’était une réaction exagérée, une évacuation inutile ? Après tout, elle pouvait évacuer son peuple vers une autre cité à l’intérieur de l’Anneau, telle Silésia. Elle n’était pas obligée de les mener de l’autre côté d’un océan.
Sauf si elle pressentait une destruction complète et totale de l’Anneau. Pourtant d’après tout ce qu’elle avait lu et entendu et ressenti, cette destruction était imminente. Évacuer était le seul moyen, s’assurait-elle.
Alors que Gwen contemplait l’horizon, elle souhaita que Thor puisse être là, à son côté. Elle leva les yeux et scruta le ciel, se demandant où il était maintenant. Avait-il trouvé le Pays des Druides ? Avait-il trouvé sa mère ? Reviendrait-il à elle ?
Et se marieraient-ils un jour ?
Gwen abaissa le regard dans les yeux de Guwayne, et elle vit Thor le lui rendre, vit ses yeux gris, et elle tint son fils plus fermement. Elle essaya de ne pas penser au sacrifice qu’elle avait dû faire dans les Limbes. Tout allait-il se réaliser ? Le destin serait-il si cruel ?
« Ma dame ? »
Gwen sursauta en entendant la voix ; elle se tourna et vit Steffen, se tournant dans le charriot, pointant quelque chose dans le ciel. Elle remarqua que, tout autour d’elle, son peuple s’arrêtait, et elle sentit soudainement son propre attelage tressauter et s’arrêter. Elle fut perplexe quant à la raison pour laquelle le cocher pourrait s’arrêter sans son ordre.
Gwen suivit le doigt de Steffen, et là, à l’horizon, elle fut surprise de voir trois flèches tirées haut dans les airs, toutes enflammées, puis retomber dans une courbe, chutant vers le sol comme des étoiles filantes. Elle fut choquée : trois flèches enflammées ne pouvaient signifier qu’une chose : c’était le signe des MacGils. Les serres d’un faucon, utilisées pour annoncer la victoire. C’était une marque utilisée par son père et son père avant lui, un signe conçu seulement pour les MacGils. Il n’y avait pas d’erreur possible : cela indiquait que les MacGils avaient gagné. Ils avaient repris la Cour du Roi.
Mais comment était-ce possible ? se demanda-t-elle. Quand ils étaient partis, il n’y avait aucun espoir de victoire, encore moins de survie, sa chère cité envahie par les McClouds, sans personne pour monter la garde.
Gwen aperçut, dans l’horizon lointain, une bannière en train d’être hissée, de plus en plus haut. Elle plissa les yeux, et là encore il n’y avait pas d’erreur : c’était la bannière des MacGils. Cela ne pouvait que signifier que la Cour du Roi était à présent de retour dans le giron des MacGils.
D’un côté, Gwen se sentit transportée de joie, et souhaitait y retourner à l’instant même. De l’autre, alors qu’elle considérait la route qu’ils avaient parcourue, elle pensa aux prédictions d’Argon, aux parchemins qu’elle avait lus, à ses propres prémonitions. Elle sentait, profondément en elle, que son peuple devait toujours être évacué. Peut-être les MacGils avaient-ils repris la Cour du Roi ; mais cela n’impliquait pas que l’Anneau soit sûr. Gwendolyn était encore certaine que quelque chose de pire approchait, et qu’elle devait emmener son peuple loin de là, le mettre e, sûreté.
« Il semble que nous ayons gagné », dit Steffen.
« Une raison pour festoyer ! », s’exclama Aberthol, approchant son attelage.
« La Cour du Roi est à nouveau notre ! » s’écria un homme du peuple.
Une grande clameur s’éleva parmi ses gens.
« Nous devons faire demi-tour immédiatement ! » cria un autre.
Une autre acclamation monta dans les airs. Mais Gwen secoua la tête catégoriquement. Elle se leva et fit face à son peuple, et tous les yeux se tournèrent vers elle.
« Nous ne ferons pas demi-tour ! » tonna-t-elle à son peuple. « Nous avons commencé l’évacuation, et nous devons nous y tenir. Je sais qu’un grand danger attend l’Anneau. Je dois vous mettre en sécurité tant que nous en avons encore le temps, pendant qu’il reste encore une chance. »
Son peuple grogna, mécontent, et plusieurs manants s’avancèrent, pointant vers l’horizon.
« Je ne sais pas pour le reste d’entre vous », brailla l’un d’eux, « mais la Cour du Roi est mon foyer ! C’est tout ce que je connais et aime ! Je ne suis pas sur le point de traverser un océan vers une île étrange pendant que notre cité est intacte et aux mains des MacGils ! Je retourne à la Cour du Roi ! »
Une grande clameur s’éleva, et comme il partait, s’en retournant, des centaines de personnes se mirent en rang et le suivirent, tournant leurs attelages, se dirigeant sur la route menant à la Cour du Roi.
« Ma dame, devrais-je les arrêter ? » s’enquerra Steffen, paniqué, loyal jusqu’à la fin.
« Vous entendez la voix du peuple, ma dame », dit Aberthol, montant à côté d’elle. « Vous seriez insensée de le leur dénier. De plus, vous ne le pouvez pas. C’est leur foyer. C’est tout ce qu’ils connaissent. N’affrontez pas votre propre peuple. Ne les menez pas sans raisons. »
« Mais j’ai une bonne raison », dit Gwen. « Je sais que la destruction est en chemin. »
Aberthol secoua la tête.
« Et pourtant ils l’ignorent », répondit-il. « Je ne doute pas de vous. Mais les reines prévoient, pendant que les masses agissent à l’instinct. Et une reine est aussi puissante que le peuple veut bien lui permettre d’être. »
Gwen se tint là, brûlant de frustration tandis qu’elle observait son peuple défier ses ordres, regagnant la Cour du Roi. C’était la première fois qu’ils se rebellaient ouvertement, qu’ils la défiaient ostensiblement. Elle n’aimait pas la sensation. Est-ce que cela présageait des choses à venir ? Ses jours en tant que reine étaient-ils comptés ?
« Ma dame, dois-je donner l’ordre aux soldats de les arrêter ? » demanda Steffen.
Elle eut l’impression qu’il était le seul à lui être encore loyal. Une part d’elle voulait dire oui.
Mais alors qu’elle les regarder partir, elle sut que cela serait vain.
« Non », dit-elle doucement, la voix brisée, se sentant comme si son enfant venait tout juste de lui tourner le dos. Ce qui la chagrinait le plus était qu’elle savait que leurs actes mèneraient seulement à leur malheur, et qu’il n’y avait rien qu’elle puisse faire pour arrêter cela. « Je ne peux empêcher ce que le destin prévoit pour eux. »
*
Gwendolyn, découragée alors qu’elle suivait son peuple pendant le retour à la Cour du Roi, passa sous les portes arrière de la Cour du Roi et entendit déjà les acclamations distantes des réjouissances venant de l’autre côté. Ses gens étaient transportés de joie, dansant et applaudissant, lançant leurs chapeaux dans les airs alors qu’ils se déversaient à travers les portes, retournant vers les cours de la cité qu’ils connaissaient et chérissaient, la cité qu’ils appelaient chez eux. Tout le monde se précipité pour féliciter la Légion, Kendrick, et l’Argent victorieuse.
Mais Gwendolyn procéda avec une boule au ventre, déchirée par des sentiments partagés. D’un côté, elle était évidemment heureuse d’être de retour, elle aussi, heureuse qu’ils aient défait les McClouds, heureuse de voir que Kendrick et les autres étaient saufs. Elle était fière de voir les corps des McClouds éparpillés partout, et elle était ravie de voir que son frère Godfrey avait réussi à survivre, assis à l’écart et pansant une plaie, la tête dans ses mains.
Toutefois en même temps, Gwendolyn ne pouvait dissiper ce profond sentiment de mauvais augure, sa certitude qu’un autre cataclysme allait s’abattre sur eux tous, et que la meilleure chose à faire pour son peuple était d’évacuer avant qu’il ne soit trop tard.
Mais son peuple était emporté par la victoire. Il n’écouterait pas la raison tandis qu’elle était menée, avec des milliers d’autres, dans la cité tentaculaire qu’elle connaissait si bien. Comme ils entraient, Gwen fut soulagée de voir que, au moins, les McClouds avaient été tués rapidement, avant d’avoir eu une chance de causer de réels dégâts à sa reconstruction soigneuse.
« Gwendolyn ! »
Gwendolyn se tourna et vit Kendrick mettre pied à terre, se précipiter en avant, et l’enlacer. Elle lui rendit son étreinte, son armure dure et froide, après avoir confié Guwayne à Illepra à côté d’elle.
« Mon frère », dit-elle, levant le regard sur lui, ses yeux étincelants de triomphe. « Je suis fière de toi. Tu as fait plus que tenir notre cité – tu as vaincu nos assaillants. Toi et l’Argent. Tu personnifies notre code d’honneur. Père serait fier. »
Kendrick esquissa un grand sourire cependant qu’il inclinait la tête.
« Je te suis reconnaissant pour ces mots, sœur. Je n’allais pas laisser ta cité, notre cité, la cité de notre père, être détruite par ces barbares. Je n’étais pas seul ; tu dois savoir que notre frère Godfrey a opposé la première résistance. Lui et une petite poignée d’autres, et même la Légion – ils ont tous aidé à repousser les assaillants. »
Gwen se tourna pour voir Godfrey marcher vers eux, un sourire troublé sur son visage, une main sur le côté de sa tête, couverte de sang séché.
« Tu es devenu un homme aujourd’hui, mon frère », lui dit-elle avec sincérité, posant une main sur son épaule. « Père serait fier. »
Godfrey sourit en retour d’un air penaud.
« Je voulais juste te prévenir », dit-il.
Elle sourit.
« Tu as fait bien plus que ça. »
À côté de lui arrivèrent Elden, O’Connor, Conven, et des douzaines de membres de la Légion.
« Ma dame », dit Elden. « Nos hommes ont vaillamment combattu ici aujourd’hui. Mais, je suis triste de l’annoncer, nous en avons perdu beaucoup. »
Gwen regarda derrière lui et vit tous les corps de toutes parts dans la Cour du Roi. Des milliers de McClouds – mais aussi des douzaines de recrues de la Légion. Même une poignée de chevaliers de l’Argent étaient morts. Cela ramena des souvenirs douloureux de la dernière fois que sa cité avait été envahie. Il était dur pour Gwen de regarder.
Elle pivota et vit une douzaine de McClouds, captifs, toujours en vie, tête baissée, mains derrière le dos.
« Et qui sont ceux-là ? » demanda-t-elle.
« Les généraux des McClouds », répondit Kendrick. « Nous les avons gardés en vie. Ils sont tout ce qui reste de leur armée. Qu’ordonnes-tu que l’on fasse d’eux ? »
Gwendolyn les examina lentement, les fixant droit dans les yeux. Chacun d’entre eux la fixa du regard en retour, fier, provocant. Leurs visages étaient bourrus, typiques des McClouds, ne montrant aucun remords.
Gwen soupira. Il y avait eu un temps où elle avait pensé que la paix était la réponse à tout, que si seulement elle était assez douce et bienveillante envers ses voisins, pouvait faire montre d’assez de bonne volonté, alors ils seraient plus amène envers elle et son peuple.
Mais plus elle régnait, plus elle voyait que les autres interprétaient ses offres de paix comme un signe de faiblesse, comme une chose de laquelle tirer parti. Elle n’avait plus la même naïveté, la même foi en l’humanité, qu’elle avait auparavant. De plus en plus, elle n’avait foi qu’en une chose : un règne de fer.
Alors que Kendrick et les autres la regardaient tous, Gwendolyn éleva la voix :
« Tuez-les tous. »
Leurs yeux s’écarquillèrent sous l’effet de la surprise, et du respect. De toute évidence, ils ne s’étaient pas attendus à cela de la part de leur reine, qui avait toujours lutté pour la paix.
« Ais-je entendu correctement, ma dame », demandé Kendrick, de la stupéfaction dans la voix.
Gwendolyn acquiesça.
« Tu as bien entendu », répondit-elle. « Quand tu auras terminé, rassemble leurs corps, et expulse-les de nos portes.
Gwendolyn se tourna et s’éloigna, à travers les cours de la Cour du Roi, et ce faisant, elle entendit derrière elle les cris des McClouds. Malgré elle, elle tressaillit.
Gwen marcha à travers une cité envahie de corps et pourtant emplie d’acclamations et de musique et de danse, des milliers de personnes grouillant à nouveau vers leurs maisons, remplissant la cité comme si rien de mauvais ne s’était produit. Alors qu’elle les observait, son cœur s’emplit d’effroi.
« La cité est de nouveau notre », dit Kendrick, venant à côté d’elle.
Gwendolyn secoua la tête.
« Seulement pour un certain temps. »
Il la dévisagea avec surprise.
« Que veux-tu dire ? »
Elle s’arrêta et lui fit face.
« J’ai vu les prophéties », dit-elle. « Les anciennes écritures. J’ai parlé avec Argon. J’ai eu un rêve. Un assaut s’annonce sur nous. C’était une erreur de revenir ici. Nous devons évacuer immédiatement. »
Kendrick la regarda, le visage blême, et Gwen soupira en contemplant ses gens.
« Mais mon peuple n’écoutera pas. »
Kendrick secoua la tête.
« Et si tu avais tort ? » dit-il. « Si tu regardais trop profondément dans les prophéties ? Nous avons la meilleure armée du monde. Rien ne peut atteindre nos portes. Les McClouds sont morts, et nous n’avons plus d’ennemis dans l’Anneau. Tu n’as rien à craindre. Nous n’avons rien à craindre. »
Gwendolyn remua la tête.