Tandis qu’ils continuaient à progresser, Erec se tint à la proue et observa, et il regarda au loin avec satisfaction en voyant la flotte de l’Empire s’arrêter devant le navire enflammé. Une des embarcations de l’Empire tenta intrépidement de l’enfoncer – mais tout ce qu’il obtint pour ses efforts fut de prendre feu ; des centaines de soldats de l’Empire poussèrent des cris, dévorés par les flammes, et sautèrent par-dessus bord – et leur bateau enflammé créa une mer de décombres encore plus grande. En le regardant, Erec se figura que l’Empire ne serait pas capable de le traverser avant plusieurs jours.
Erec sentit une main puissante serrer son épaule, et il jeta un œil pour voir Strom debout à côté de lui, souriant.
« Une de tes stratégies les plus inspirées », dit-il.
Erec sourit en retour.
« Bien joué », répondit-il.
Erec se retourna et regarda à nouveau vers l’amont de la rivière, les eaux qui serpentaient dans tous les sens, et il ne fut pas encore réconforté. Ils avaient gagné cette bataille – mais qui savait quels obstacles étaient à venir ?
CHAPITRE CINQ
Volusia, portant ses robes dorées, se tenait en hauteur sur l’estrade, les yeux baissés sur les centaines de marches d’or qu’elle avait fait ériger comme une ode à elle-même, étendit les bras, et se délecta de cet instant. Aussi loin qu’elle pouvait voir, les rues de la capitale où s’alignaient des gens, des citoyens de l’Empire, ses soldats, tous ses nouveaux adorateurs, tous s’inclinant devant elle, touchant le sol de la tête dans la lumière de l’aube. Ils psalmodiaient tous à l’unisson, un son doux et persistant, participant à l’office du matin qu’elle avait créé, comme ses ministres et commandants leur avaient ordonné de faire : la vénérer, ou être condamné à mort. Elle savait qu’actuellement ils l’adoraient car ils le devaient – mais bientôt, ils le feraient car ce serait tout ce qu’ils connaîtraient.
« Volusia, Volusia, Volusia », scandaient-ils. « Déesse du soleil et déesse des étoiles. Mère des océans et héraut du soleil. »
Volusia regarda au loin et admira sa nouvelle cité. Érigées partout se trouvaient des statues d’elle en or, exactement comme elle avait ordonné à ses hommes de les construire. Chaque coin de la capitale avait une statue d’elle, étincelant d’or ; partout où quelqu’un regardait, il n’avait d’autre choix que de la voir, de la vénérer.
Enfin, elle était satisfaite. Enfin, elle était la Déesse qu’elle savait être censée devenir.
Les chants emplissaient l’air, tout comme l’encens, qui brûlait à chaque autel dédié à elle. Hommes, femmes et enfants occupaient les rues, épaules contre épaule, tous inclinés, et elle sentit qu’elle le méritait. Cela avait été une longue et difficile marche pour arriver là, mais elle avait marché tout le long jusqu’à la capitale, avait réussi à la prendre, à détruire les armées de l’Empire qui s’étaient opposées à elle. Maintenant, enfin, la capitale était à elle.
L’Empire était sien.
Bien sûr, ses conseillers avaient une autre opinion, mais Volusia ne se souciait pas vraiment de ce qu’ils pensaient. Elle était, elle le savait, invincible, quelque part entre le ciel et la terre, et aucun pouvoir dans ce monde ne pouvait la détruire. Non seulement ils tremblaient de peur – mais en plus, elle savait que ce n'était que le début. Elle voulait encore plus de pouvoir. Elle projetait de visiter chaque corne et pointe de l’Empire et d’écraser tous ceux qui s’opposaient à elle, qui n’accepteraient pas son pouvoir unilatéral. Elle amasserait une armée de plus en plus grande, jusqu’à ce que chaque recoin de l’Empire se soumette à elle.
Prête à commencer la journée, Volusia descendit lentement de son estrade, une marche après l’autre. Elle tendit les mains, et alors qu’ils se précipitaient tous en avant, ses paumes touchèrent leurs paumes, une foule de fidèles l’adoptant comme la leur, une déesse vivante parmi eux. Quelques adorateurs, en pleurs, tombèrent face contre terre, des vingtaines d’autres formaient un pont humain en bas, impatients qu’elle marche sur eux. Elle le fit, posant le pied sur la chair moelleuse de leurs dos.
Enfin, elle avait son troupeau. Et à présent il était temps de partir en guerre.
*
Volusia se tenait haut sur les remparts entourant la capitale de l’Empire, regardant au-delà le ciel du désert avec un sentiment renforcé de destinée. Elle ne vit rien hormis des corps décapités, tous les hommes qu’elle avait tués – et un ciel de vautours, poussant des cris stridents, descendant en piqué, picorant leurs chairs. À l’extérieur de ces murs soufflait une légère brise, et elle pouvait déjà sentir la puanteur des chairs en décomposition, lourde dans l’air. Elle esquissa un grand sourire face au carnage. Ces hommes avaient osé s’opposer à elle – et ils en avaient payé le prix.
« Ne devrions-nous pas enterrer les morts, Déesse ? » s’éleva une voix.
Volusia jeta un regard pour voir un commandant de ses forces armées, Rory, un humain, grand, au large torse, avec un menton ciselé et une beauté éblouissante. Elle l’avait choisi, l’avait élevé au-dessus des autres généraux, car il était plaisant aux yeux – et encore davantage parce qu’il était un commandant brillant et gagnerait à n’importe quel prix – tout comme elle.
« Non », répondit-elle, sans le regarder. « Je veux qu’ils pourrissent sous le soleil, et que les animaux se repaissent de leur chair. Je veux que tous sachent ce qui arrive à ceux qui s’opposent à la Déesse Volusia. »
Il contempla la vue, reculant.
« Comme vous le souhaitez », répondit-il.
Volusia scruta l’horizon, et ce faisant, son sorcier, Koolian, vêtu d’un capuchon et d’une cape noire, avec des yeux verts luisants et un visage recouvert de verrues, la créature qui avait aidé à diriger l’assassinat de sa propre mère – et un des quelques membres de son cercle de proches en qui elle avait encore confiance – avança à côté d’elle, le scrutant lui aussi.
« Vous savez qu’ils sont là dehors », lui rappela-t-il. « Qu’ils viennent pour vous. Je les sens venir maintenant même. »
Elle l’ignora, regardant droit devant.
« Tout comme moi », dit-elle finalement.
« Les Chevaliers des Sept sont très puissants, Déesse », dit Koolian. « Ils voyagent avec une armée de sorciers – une armée que même vous ne pouvez combattre. »
« Et n’oubliez pas les hommes de Romulus », ajouta Rory. « Des rapports disent qu’ils approchent de nos rives à ce moment même, de retour de l’Anneau avec ses millions d’hommes. »
Volusia regardait fixement, et un long silence plana dans l’air, interrompu par rien d’autre que le hurlement du vent.
Finalement, Rory dit :
« Vous ne pouvez pas tenir cet endroit. Rester ici signifiera la mort pour nous tous. Qu’ordonnez-vous, Déesse ? Fuirons-nous la capitale ? Capitulerons-nous ? »
Volusia se retourna enfin vers lui et sourit.
« Nous célèbrerons », dit-elle.
« Célébrer ? » demanda-t-il, stupéfait.
« Oui, nous célèbrerons », dit-elle. « Jusqu’à la fin. Renforcez nos portes, et ouvrez la grande arène. Je déclare cent jours de fêtes et de jeux. Il se peut que nous mourions », conclut-elle avec un sourire, « mais nous le ferons avec le sourire. »
CHAPITRE SIX
Godfrey se ruait à travers les rues de Volusia, accompagné d’Ario, Merek, Akorth et Fulton, se hâtant d’arriver aux portes de la cité avant qu’il ne soit trop tard. Il était encore ravi par son succès à saboter l’arène, d’avoir réussi à empoisonner cet éléphant, à trouver Dray et à la lâcher dans le stade juste quand Darius avait le plus besoin de lui. Grâce à son aide, et à la femme Finienne, Silis, Darius avait gagné ; il avait sauvé la vie de son ami, ce qui soulageait au moins un petit peu sa culpabilité pour lui avoir tendu un piège dans les rues de Volusia. Évidemment, le rôle de Godfrey se déroulait dans l’ombre, où il était le meilleur, et Darius n’aurait pas pu sortir en tant que vainqueur sans son propre courage et son combat magistral. Tout de même, Godfrey avait joué un petit rôle.
Mais maintenant, tout tournait mal ; Godfrey s’était attendu, après le match, à pouvoir rencontrer Darius à la porte du stade pendant qu’on le faisait sortir, et à la libérer. Il ne s’était pas attendu à ce que Darius soit escorté hors de la porte arrière et conduit à travers la cité. Après qu’il ait gagné, la foule tout entière de l’Empire avait scandé son nom, et les contremaîtres de l’Empire avaient été menacés par sa popularité inattendue. Ils avaient créé un héros, et avaient décidé de l’emporter hors de la cité vers l’arène de la capitale aussitôt que possible, avant d’avoir une révolution sur les bras.
À présent Godfrey courait avec les autres, prêts à tout pour rattraper leur retard, pour atteindre Darius avant qu’il ne passe les portes de la cité et qu’il soit trop tard. La route vers la capitale était longue, désolée, menait à travers la Désolation et était lourdement gardée ; une fois qu’il aurait quitté la cité, ils ne pourraient l’aider d’aucune manière. Il devait le sauver, ou alors tous ses efforts auraient été vains.
Godfrey se précipitait à travers les rues, haletant, et Merek et Ario aidaient Akorth et Fulton tout le long, à bout de souffle, leurs gros ventres montrant la voie.
« Ne t’arrête pas ! » disait Merek à Fulton avec encouragement tandis qu’il tirait son bras. Ario se contentait de donner des coups de coude à Akorth dans le dos, le faisant grogner, aiguillonnant quand il ralentissait.
Godfrey sentait la sueur couler le long de sa nuque pendant qu’il courait, et il se maudit, une fois encore, pour avoir bu tant de pintes de bière. Mais il pensa à Darius et força ses jambes douloureuses à continuer à bouger, tournant le long d’une rue après l’autre, jusqu’à ce que finalement ils émergent tous d’une longue voûte de pierre dans un square urbain. Ce faisant, là au loin, à peut-être cent mètres, s’élevaient les portes de la cité, imposantes, d’une hauteur de quinze mètres. Alors que Godfrey y jetait un regard, son cœur s’arrêta en voyant ses barreaux être ouverts en grand.
« NON ! » s’écria-t-il involontairement.
Godfrey paniqua en voyant le charriot de Darius, tiré par des chevaux, g ardé par des soldats de l’Empire, entouré de barres de fer – comme une cage sur roues – passer à travers les portes ouvertes.
Godfrey courut plus vite, plus vite qu’il savait pouvoir le faire, trébuchant sur lui-même.
« Nous n’allons pas y arriver », dit Merek, la voix de la raison, posant une main sur son bras.
Mais Godfrey le repoussa et courut. Il savait qu’il s’agissait d’une cause désespérée – l’attelage était trop loin, trop lourdement gardé, trop fortifié, et pourtant il courut tout de même, jusqu’à ce qu’il ne le puisse plus.
Il se tint là, au milieu de la cour, la main ferme de Merek le retenant, et il se pencha en avant puis eut des hauts le cœur, mains sur les genoux.
« Nous ne pouvons pas le laisser partir ! » s’écria Godfrey.
Ario secoua la tête en venant à côté d’eux.
« Il est déjà parti », dit-il. « Épargne-toi. Nous devrons nous battre une autre fois. »
« Nous le ramènerons d’une autre manière », ajouta Merek.
« Comment ? » demanda Godfrey avec désespoir.
Aucun d’eux n’avait une réponse, tandis qu’ils se tenaient tous là et regardaient les portes de fer claquer derrière Darius, comme des portes se refermant sur son âme.
Il pouvait voir le charriot de Darius à travers les portes, déjà loin, roulant dans le désert, mettant de la distance entre eux et Volusia. Le nuage de poussière sur leur passage s’élevait de plus en plus haut, les dissimulant bientôt à la vue, et Godfrey sentit con cœur se briser alors qu’il avait le sentiment d’avoir abandonné la dernière personne qu’il connaissait, et son dernier espoir de rédemption.
Le silence fut brisé par les aboiements frénétiques d’un chien sauvage, et Godfrey baissa les yeux pour voir Drake émerger d’une allée de la ville, aboyant et grognant comme un fou, s’élançant à travers la cour après son maître. Lui aussi était désespéré de sauver Darius, et quand il atteignit les portes de fer, il bondit et se jeta contre elles, tirant dessus, en vain, avec ses dents.
Godfrey observa avec horreur les soldats de l’Empire montant la garde repérer Dray et le signaler les uns aux autres. L’un d’eux tira son épée et approcha du chien, s’apprêtant à l’évidence à le massacrer.
Godfrey ne sut pas ce qui le submergea, mais quelque chose en lui craqua. C’en était simplement trop pour lui, trop d’injustice à supporter. S’il ne pouvait pas sauver Darius, au moins il pouvait sauver son chien bien aimé.
Godfrey s’entendit pousser un cri, se sentit courir, comme s’il était en dehors de lui-même. Avec une sensation surréelle, il se sentit dégainer son épée courte et se précipiter en avant vers le garde inconscient, et alors que ce dernier se retournait, il se regarda la plonger dans son cœur.
Le gigantesque soldat baissa les yeux sur Godfrey avec incrédulité, les yeux grands ouverts, tandis qu’il se tenait là, figé. Puis il tomba au sol, mort.
Godfrey entendit un cri et vit deux autres gardes de l’Empire se ruer sur lui. Ils levèrent leurs armes menaçantes, et il sut qu’il ne faisait pas le poids contre eux. Il allait mourir là, à cette porte, mais au moins il mourrait dans un noble effort.
Un grognement déchira les airs, et Godfrey vit, du coin de l’œil, Dray se tourner et bondir en avant, sauter sur le garde menaçant Godfrey. Il plongea ses crocs dans sa gorge, et le cloua au sol, tirant sur lui jusqu’à ce que l’homme cesse de bouger.
Au même moment, Merek et Ario se précipitèrent en avant et utilisèrent chacun leurs épées courtes pour frapper l’autre garde dans le dos de Godfrey, le tuant avant qu’il ne puisse achever Godfrey.
Ils se tinrent tous là, dans le silence, Godfrey contemplant le carnage, choqué par ce qu’il venait juste de faire, stupéfait qu’il ait cette sorte de courage, tandis que Dray se précipitait et léchait le dos de sa main.
« Je ne pensais pas que tu avais ça en toi » dit Merek avec admiration.
Godfrey se tint là, sonné.
« Je ne suis même pas sûr de ce que j’ai tout juste fait », dit-il en le pensant, les évènements étant tous flous. Il n’avait pas voulu agir – il l’avait juste fait. Cela le rendait-il courageux ? s’interrogea-t-il.
Akorth et Fulton regardèrent de tous les côtés, terrifiés, à la recherche d’un signe de soldats de l’Empire.
« Nous devons sortir de là ! » cria Akorth. « Maintenant ! »
Godfrey sentit des mains sur lui et se sentit entrainé. Il se tourna et courut avec les autres, Dray à leur côté, tous quittant la porte, courant à nouveau vers Volusia, et vers Dieu savait ce que le destin avait en réserve pour eux.
CHAPITRE SEPT
Darius s’assit contre les barreaux de fer, les poignets enchaînés à ses chevilles par une longue chaîne lourde, le corps recouvert de blessures et de contusions, et il eut l’impression de peser mille tonnes. Pendant qu’il roulait, le charriot cahotant sur la route accidentée, il regarda dehors et contempla le ciel désert entre les barreaux, se sentant abandonné. Son attelage passait à travers un paysage sans fin, stérile, sans rien d’autre que de la désolation aussi loin que l’œil pouvait voir. Cela ressemblait à la fin du monde.
Son charriot était abrité, mais des rais de lumière du soleil se déversaient à travers les barreaux, et il sentit la chaleur oppressante du désert s’élever par vagues, le faisant transpirer même à l’ombre, ajoutant à son inconfort.
Mais Darius ne s’en souciait pas. Son corps tout entier brûlait et était douloureux des pieds à la tête, couvert de bosses, ses membres étaient durs à bouger, épuisés par les journées interminables de combats dans l’arène. Incapable de dormir, il ferma les yeux et tenta de faire disparaître ses souvenirs, mais chaque fois qu’il le faisait, il voyait tous ses amis mourant à ses côtés, Desmond, Raj, Luzi et Kaz, chacun de manière terrible. Tous morts pour qu’il puisse survivre.