Une Forge de Bravoure - Морган Райс 5 стр.


La seule chose qui permettait à Alec de tenir bon, qui l'empêchait de sombrer dans le désespoir, était l'impression qu'on avait besoin de lui ailleurs, comme Sovos le lui avait dit avec insistance, qu'il avait un certain destin, qu'il pourrait s'en servir pour aider à détruire les Pandésiens quelque part ailleurs. Après tout, comme avait dit Sovos, s'il avait péri là-bas avec les autres, cela n'aurait aidé personne. Cela dit, il espérait ardemment que Marco et Dierdre avaient survécu et qu'il pourrait encore revenir à temps pour les retrouver.

Alec était très curieux de savoir où ils allaient et il avait mitraillé Sovos de questions. Cependant, ce dernier était resté obstinément muet. Il était toujours à la barre, jour et nuit, le dos tourné à Alec. Pour autant qu'Alec puisse dire, il ne dormait ni ne mangeait jamais. Il se tenait seulement là à regarder la mer, avec ses grandes bottes en cuir et son manteau de cuir noir, ses soieries écarlates repliées sur l'épaule, portant une cape avec ses étranges insignes. La petite barbe brune de cet homme et ses yeux verts étincelants, qui regardaient fixement les vagues comme s'ils ne faisaient qu'un avec elles, ne faisaient qu'agrandir le mystère qui entourait cet homme.

Alec regardait fixement l'inhabituelle Mer des Larmes avec sa lumière bleu vert et sentait qu'il était urgent qu'il sache où on l'emmenait. Incapable de supporter le silence plus longtemps, il se tourna vers Sovos, désespérément en quête de réponses.

“Pourquoi moi ?” demanda Alec en rompant le silence. Ce n'était pas sa première tentative mais, cette fois-ci, il voulait absolument obtenir une réponse. “Pourquoi m'avoir choisi dans toute cette cité ? Pourquoi était-ce moi qui devais survivre ? Tu aurais pu sauver cent personnes plus importantes que moi.”

Alec attendit mais Sovos resta muet. Le dos tourné, il scrutait la mer.

Alec décida de changer de tactique.

“Où allons-nous ?” redemanda Alec. “Et comment ce navire peut-il voguer si vite ? En quoi est-il fait ?”

Alec regarda le dos de l'homme. Plusieurs minutes s'écoulèrent.

Finalement, l'homme secoua la tête sans se retourner.

“Tu vas là où tu es censé aller, où tu es censé être. Je t'ai choisi parce que nous avons besoin de toi et de personne d'autre.”

Alec s'interrogea.

“Vous avez besoin de moi pour quoi ?” insista Alec.

“Pour détruire Pandésia.”

“Pourquoi moi ?” demanda Alec. “Quelle utilité puis-je avoir ?”

“Tout sera expliqué quand nous arriverons”, répondit Sovos.

“Quand nous arriverons  où ?” insista Alec, frustré. “Mes amis sont en Escalon. Les gens que j'aime. Une fille.”

“Je suis désolé”, dit Sovos en soupirant, “mais il ne reste personne là-bas. Tout ce que tu as connu et aimé a disparu.”

On entendit un long silence et, dans le sifflement du vent, Alec pria pour qu'il se trompe, bien qu'il sente en son for intérieur qu'il avait raison. Comment la vie pouvait-elle changer aussi rapidement ? se demanda-t-il.

“Cela dit, tu es en vie”, poursuivit Sovos, “et c'est un cadeau extrêmement précieux. Ne le gâche pas. Tu pourras aider beaucoup d'autres personnes si tu réussis l'épreuve.”

Alec plissa le front.

“Quelle épreuve ?” demanda-t-il.

Sovos se tourna finalement vers lui et le regarda de ses yeux perçants.

“Si tu es l'élu”, dit-il, “notre cause reposera sur tes épaules; si tu ne l'es pas, nous n'aurons rien à faire de toi.”

Alec essaya de comprendre.

“Ça fait des jours qu'on navigue et on n'est arrivé nulle part”, observa Alec. “On est seulement plus loin sur la mer. Je ne vois même plus Escalon.”

L'homme sourit d'un air suffisant.

“Et où crois-tu que nous allons ?” demanda-t-il.

Alec haussa les épaules.

“On dirait que nous voguons vers le nord-est. Peut-être allons-nous dans la direction de Marda.”

Alec scruta l'horizon, exaspéré.

Finalement, Sovos répondit.

“Comme tu te trompes, jeune homme”, répondit-il. “C'est fou ce que tu te trompes.”

Sovos se retourna vers la barre. Alors que le bateau fonçait sur les moutons de l'océan, une forte bourrasque se leva. Alec regarda au-delà de Sovos et, quand il le fit, il eut la surprise de voir une forme à l'horizon pour la première fois.

Il se précipita en avant et saisit le bastingage, plein d'excitation.

Au loin, une masse terrestre émergeait lentement et commençait juste à prendre forme. La terre semblait étinceler comme si elle était en diamant. Alec leva une main aux yeux et regarda la masse terrestre en se demandant ce qu'elle pouvait bien être. Quelle île pouvait-il y avoir ici, au milieu de nulle part ? Il se creusa la cervelle mais ne se souvint d'avoir vu aucune terre sur les cartes. Était-ce un pays dont il n'avait jamais entendu parler ?

“Qu'est-ce que c'est ?” demanda hâtivement Alec en regardant l'île avec impatience.

Sovos se tourna et, pour la première fois depuis qu'Alec l'avait rencontré, il fit un grand sourire.

“Bienvenue aux Îles Perdues, mon ami”, dit-il.

CHAPITRE SEPT

Aidan se tenait attaché un poteau, incapable de bouger. Il regardait son père qui était agenouillé à quelques mètres devant lui, encadré par des soldats pandésiens. Ils tenaient l'épée levée au-dessus de sa tête.

“NON !” hurla Aidan.

Il essaya de se libérer, de se précipiter en avant et de sauver la vie à son père, mais il avait beau essayer, il ne pouvait pas bouger car les cordes lui sciaient les poignets et les chevilles. Il était obligé de regarder son père agenouillé là et qui, les yeux pleins de larmes, l'implorait de l'aider.

“Aidan !” appela son père en lui tendant une main.

“Père !” répondit Aidan.

Les lames s'abattirent et, un moment plus tard, Aidan eut le visage éclaboussé de sang quand ils coupèrent la tête à son père.

“NON !” hurla Aidan, qui sentit sa propre vie s'effondrer en lui et eut l'impression de sombrer dans un gouffre noir.

Aidan se réveilla en sursaut. Recouvert de sueur froide, il haletait. Il se redressa dans l'obscurité et eut du mal à reconnaître l'endroit où il se trouvait.

“Père !” hurla Aidan qui, encore à moitié endormi, recherchait Duncan et avait encore l'impression qu'il était urgent de le sauver.

Il regarda tout autour de lui, sentit qu'il avait quelque chose sur le visage et sur les cheveux, partout sur le corps, et comprit qu'il avait du mal à respirer. Il tendit la main, retira une chose légère et longue de son visage et comprit qu'il était allongé dans un tas de foin, presque enseveli dedans. Il écarta rapidement le foin et se redressa.

Il faisait noir là-dedans. Seule la faible lueur d'une torche passait par des lattes et il comprit bientôt qu'il était allongé à l'arrière d'un chariot. Il entendit un bruissement à côté de lui, regarda et vit avec soulagement que c'était Blanc. Dans le chariot, à côté de lui, l'énorme chien se leva d'un bond et lui lécha le visage pendant qu'Aidan le serrait contre lui.

Aidan respirait avec difficulté, encore bouleversé par le rêve, qui avait eu l'air trop réel. Est-ce que son père avait vraiment été tué ? Il essaya de se souvenir de la dernière fois où il l'avait vu, dans la cour royale, pris en embuscade, cerné. Il se souvint qu'il avait essayé de l'aider, puis qu'il avait été emmené à toute allure par Motley au beau milieu de la nuit. Il se souvint que Motley l'avait mis dans ce chariot et qu'ils s'étaient enfuis par les ruelles d'Andros.

Cela expliquait le chariot. Mais où étaient-ils partis ? Où Motley l'avait-il emmené ?

Une porte s'ouvrit et la petite lumière d'une torche éclaira la pièce obscure. Aidan put finalement voir où il était : dans une petite pièce en pierre au plafond bas et cintré qui ressemblait à un petit cottage ou à une petite taverne. Il leva les yeux et vit Motley qui se tenait dans l'embrasure, encadré par la lumière de la torche.

“Si tu continues à crier comme ça, les Pandésiens nous trouveront”, avertit Motley.

Motley se retourna, sortit et repartit vers la pièce bien éclairée qui se trouvait plus loin. Aidan sauta vite du chariot et le suivit, accompagné de Blanc. Quand Aidan entra dans la pièce bien éclairée, Motley ferma rapidement l'épaisse porte en chêne derrière lui et la verrouilla plusieurs fois.

Le temps que ses yeux se fassent à la lumière, Aidan regarda et reconnut des visages familiers : les amis de Motley. Les acteurs. Tous ces saltimbanques itinérants. Ils étaient tous ici, tous cachés, enfermés dans ce pub en pierre et sans fenêtres. Tous les visages, qui avaient été si festifs, étaient maintenant sinistres, sombres.

“Les Pandésiens sont partout”, dit Motley à Aidan. “Parle doucement.”

Aidan était embarrassé. Il ne s'était même pas rendu compte qu'il criait.

“Désolé”, dit-il. “J'ai fait un cauchemar.”

“On fait tous des cauchemars”, répondit Motley.

“On vit dans un cauchemar”, ajouta un autre acteur, le visage morose.

“Où sommes-nous ?” demanda Aidan en regardant autour de lui, perplexe.

“Dans une taverne”, répondit Motley, “dans le coin le plus éloigné d'Andros. Nous sommes encore dans la capitale et nous nous cachons. Les Pandésiens patrouillent dehors. Ils sont passés plusieurs fois devant cet endroit mais ils ne sont pas entrés, et ils ne le feront pas tant que tu te tiendras tranquille. Nous sommes à l'abri, ici.”

“Pour l'instant”, dit un de ses amis d'un ton sceptique.

Aidan sentait qu'il était urgent d'aider son père et essaya de se souvenir.

“Mon père”, dit-il. “Est-il … mort ?”

Motley secoua la tête.

“Je ne sais pas. Il a été capturé. C'est la dernière fois que je l'ai vu.”

Aidan eut une poussée de rancœur.

“Tu m'as emmené !” dit-il avec colère. “Tu n'aurais pas dû. Je l'aurais secouru !”

Motley se frotta le menton.

“Et comment t'y serais-tu pris ?”

Aidan haussa les épaules en se creusant la cervelle.

“Je ne sais pas”, répondit-il. “D'une façon ou d'une autre.”

Motley hocha la tête.

“Tu aurais essayé”, convint-il. “Et tu serais aussi mort, à l'heure qu'il est.”

“Est-il mort, alors ?” demanda Aidan en sentant son cœur se déchirer en lui.

Motley haussa les épaules.

“Il était vivant quand nous sommes partis”, dit Motley. “Je ne sais pas s'il l'est encore. Nous n'avons plus ni amis ni espions dans la cité : elle a été annexée par les Pandésiens. Tous les hommes de ton père sont emprisonnés. J'ai bien peur que nous soyons à la merci de Pandésia.”

Aidan serra les poings. Il ne pensait qu'à son père qui croupissait dans une cellule.

“Il faut que je le sauve”, déclara Aidan, plein de motivation. “Je ne peux pas le laisser croupir là-bas. Il faut que je quitte cet endroit tout de suite.”

Aidan bondit, se précipita vers la porte et commença à ouvrir les verrous mais Motley apparut, se tint au-dessus de lui et plaça son pied devant la porte avant qu'il puisse l'ouvrir.

“Si tu y vas maintenant”, dit Motley, “tu vas tous nous faire tuer.”

Aidan regarda Motley, le vit sérieux pour la première fois et sut qu'il avait raison. Il ressentit une nouvelle gratitude et un nouveau respect pour lui; après tout, il lui avait réellement sauvé la vie. Aidan lui en serait éternellement reconnaissant. Pourtant, en même temps, il brûlait d'envie de sauver son père et il savait que chaque seconde comptait.

“Tu as dit qu'il y aurait une autre façon”, dit Aidan en se souvenant de ses paroles. “Qu'il y aurait une autre façon de le sauver.”

Motley hocha la tête.

“Je l'ai dit”, admit Motley.

“N'étaient-ce que des paroles en l'air, alors ?” demanda Aidan.

Motley poussa un soupir.

“Qu'est-ce que tu proposes ?” demanda-t-il, exaspéré. “Ton père se trouve au cœur de la capitale, dans le cachot royal, gardé par toute l'armée pandésienne. On y va comme ça et on frappe à la porte ?”

Aidan resta immobile en essayant de trouver une idée. Il savait que c'était une tâche redoutable.

“Il doit y avoir des hommes qui peuvent nous aider, non ?” demanda Aidan.

“Qui ?” dit un des acteurs. “Tous les hommes fidèles à ton père ont été capturés avec lui.”

“Pas tous”, répondit Aidan. “Quelques-uns de ses hommes étaient forcément ailleurs. Et les seigneurs de guerre d'en dehors de la capitale qui lui étaient fidèles ?”

“Peut-être.” Motley haussa les épaules. “Mais où sont ils, maintenant ?”

Aidan enrageait, désespéré. Il ressentait l'emprisonnement de son père comme si c'était le sien.

“On ne peut pas rester ici et ne rien faire”, s'exclama Aidan. “Si vous ne m'aidez pas, j'irai moi-même. Ça n'est égal de mourir. Je ne peux pas rester ici sans rien faire pendant que mon père est en prison. Quant à mes frères …” dit Aidan en se souvenant d'eux. Il se mit à pleurer, submergé par l'émotion, en se souvenant de la mort de ses deux frères.

“Je n'ai plus personne, maintenant”, dit-il.

Puis il secoua la tête. Il se souvint de Kyra, sa sœur, et pria de toutes ses forces pour qu'elle aille bien. Après tout, elle était tout ce qu'il avait, maintenant.

Alors que Aidan pleurait, embarrassé, Blanc s'approcha et posa la tête contre sa jambe. Aidan entendit des pas lourds traverser le plancher en bois craquant et sentit une grosse main musclée se poser sur son épaule.

Il leva les yeux et vit Motley qui le regardait avec compassion.

“Faux”, dit Motley. “ Nous sommes là. Nous sommes ta famille, maintenant.”

Motley se tourna et désigna les occupants de la pièce. Aidan regarda et vit tous les acteurs et tous les saltimbanques le regarder sérieusement par dizaines. La compassion dans les yeux, ils hochèrent la tête pour signifier leur accord. Il comprit que, bien qu'ils ne soient pas guerriers, c'étaient des gens au bon cœur. Il ressentit un nouveau respect pour eux.

“Merci”, dit Aidan, “mais vous êtes tous acteurs. Ce qu'il me faut, ce sont des guerriers. Vous ne pouvez pas m'aider à récupérer mon père.”

Motley eut soudain un regard particulier, comme s'il venait d'avoir une idée, et il fit un grand sourire.

“Comme tu te trompes, jeune Aidan !” répondit-il.

Aidan vit que Motley avait les yeux qui brillaient et il comprit qu'il pensait à quelque chose.

“Les guerriers ont une compétence précise”, dit Motley, “mais les saltimbanques ont une compétence qui leur est propre. Les guerriers peuvent gagner par la force mais les saltimbanques peuvent gagner par d'autres moyens, des moyens encore plus puissants.”

“Je ne comprends pas”, dit Aidan, perplexe. “Vous ne pouvez pas faire sortir mon père de sa cellule en le distrayant.”

Motley rit bruyamment.

“En fait”, répondit-il, “je crois que si.”

Aidan le regarda avec perplexité.

“Que veux-tu dire ?” demanda-t-il.

Motley se frotta le menton. Son regard se fit distant. Visiblement, il mettait au point un plan.

“Les guerriers n'ont plus le droit de se déplacer librement dans la capitale, ni de s'approcher du centre de la cité. Cela dit, les saltimbanques n'ont aucune restriction.”

Aidan était perplexe.

“Pourquoi est-ce que Pandésia autoriserait les saltimbanques à entrer dans le cœur de la capitale ?” demanda Aidan.

Motley sourit et secoua la tête.

“Tu ne sais pas encore comment fonctionne le monde, mon garçon”, répondit Motley. “Les guerriers n'ont jamais l'autorisation d'accéder qu'à certains endroits, et seulement à certains moments. Par contre, les saltimbanques ont toujours le droit d'aller partout où ils veulent. Les gens ont toujours besoin qu'on les distraie, qu'ils viennent de Pandésia ou d'Escalon. Après tout, un soldat qui s'ennuie est un soldat dangereux partout dans le royaume, et il faut maintenir l'ordre. Le divertissement a toujours été le meilleur moyen d'entretenir le moral des troupes et de contrôler une armée.”

Motley sourit.

“Tu vois, jeune Aidan”, dit-il, “ce ne sont pas les commandants qui contrôlent leur armée, mais nous, les saltimbanques ordinaires que nous sommes, les gens de la classe que tu méprises tant. Nous nous élevons au-dessus de la bataille, nous traversons les lignes ennemies. Personne ne s'intéresse à l'armure que je porte : tout ce qui intéresse les gens, c'est la qualité de mes contes, et j'ai d'excellents contes, mon garçon, des contes meilleurs que tu ne peux l'imaginer.”

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