Un Joyau pour la Cour - Морган Райс 6 стр.


Si Angelica avait eu un poignard, elle l'aurait utilisé pendant qu'il déverrouillait la porte, l'ouvrait et laissait l'air froid du dehors leur souffler dessus. Si elle avait eu ne serait-ce qu'un couteau de table bien aiguisé, elle aurait au moins essayé de lui trancher la gorge avec, mais elle n'en avait pas. Dans sa robe de mariée, elle n'avait rien d'utile. Tout ce qu'elle avait, c'était deux ou trois poudres destinées à rafraîchir son maquillage, un tabac à priser sédatif censé servir à la détendre si elle se sentait anxieuse et … rien d'autre. C'était tout ce qu'elle avait. Tout le reste était au-dessous, quelque part, rangé jusqu'à la fin de son mariage.

“Je vous en prie”, supplia-t-elle et, pour avoir l'air démunie, elle n'eut pas besoin de jouer un rôle. “Si vous ne voulez pas d'argent, alors, pourquoi ne pas être décent ? Je ne suis qu'une jeune femme prisonnière d'un jeu dont je n'ai jamais voulu. Je vous en prie, aidez-moi.”

Le garde la traîna sur le toit, qui était plat et doté de créneaux purement décoratifs. Le vent fouetta les cheveux à Angelica.

“Et tu t'imagines que je vais te croire ?” demanda le garde. “Tu ne serais qu'une petite créature innocente ? Tu connais les histoires qu'on raconte sur toi dans le palais, milady ?”

Angelica en connaissait la plupart. Elle tenait à savoir ce que les gens disaient sur elle pour pouvoir se venger de leurs affronts par la suite.

“On dit que tu es cruelle et prétentieuse, que tu as ruiné la vie de certaines personnes seulement parce qu'elles t'avaient parlé sur un mauvais ton et que tu t'es arrangée pour faire tatouer une marque de contrat synallagmatique à tes rivales et à les faire exiler. Tu t'imagines que tu mérites qu'on ait pitié de toi ?”

“Ce sont des mensonges”, dit Angelica. “Elles —”

“Ça m'est égal.” Il la traîna vers le parapet. “La Douairière m'a donné mes ordres.”

“Et que fera-t-elle quand vous y aurez obéi ?” demanda Angelica. “Pensez-vous qu'elle vous laissera la vie sauve ? Si l'Assemblée découvrait qu'elle a assassiné une femme noble, elle serait détrônée.”

Le grand homme haussa les épaules. “J'ai déjà tué pour elle.”

Il le dit comme si c'était une chose ordinaire et, alors, Angelica comprit qu'elle allait mourir. Elle se dit que, quoi qu'elle tente de lui dire, cet homme allait l'assassiner et que, vu son attitude, il allait aussi y prendre du plaisir.

Il repoussa Angelica vers le bord et elle comprit qu'elle tomberait dans quelques moments. Pour une raison inexplicable, elle se mit à penser à Sebastian et ses pensées ne furent pas haineuses comme elles auraient dû l'être vu la façon dont il l'avait abandonnée. Angelica ne comprenait pas pourquoi. Sebastian était seulement l'homme qu'elle avait prévu d'épouser pour consolider sa position à la cour, un homme qu'elle s'était préparé à attirer dans son lit avec un somnifère …

Une idée lui vint. Elle était désespérée mais, en ce moment-là, tout était désespéré.

“Je pourrais vous offrir quelque chose de plus précieux que l'argent”, dit Angelica. “Quelque chose de meilleur.”

Le garde rit mais s'interrompit quand même. “C'est quoi ?”

Angelica baissa la main vers sa ceinture, en tira la petite blague à tabac de sédatif et la leva comme si c'était la chose la plus précieuse du monde. Le garde la laissa faire et la regarda fixement, sous le charme, en essayant de déterminer ce que c'était. Avec beaucoup de délicatesse, Angelica ouvrit la boîte.

“Qu'est-ce que c'est ?” demanda le garde. “On dirait —”

Angelica souffla brusquement et envoya une nuée de poudre au visage du garde, qui était bouche bée. Quand il tenta de la saisir, elle se détourna vers la gauche en espérant se libérer de son emprise pendant qu'il avait encore de la poudre dans les yeux. Une grosse main se referma sur le bras d'Angelica et ils reculèrent tous les deux vers le bord du toit du palais.

Angelica ne savait pas quel effet le sédatif aurait. Il avait fonctionné rapidement quand elle l'avait utilisé mais, en temps normal, il se prenait en petites doses et avait un effet modéré. Quel effet aurait une dose aussi grosse sur un homme de cette taille et lui laisserait-elle le temps d'agir ? Angelica sentait déjà le bord du toit contre son dos et elle voyait le ciel pendant que le grand homme poussait contre elle.

“Je vais te tuer !” hurla le garde et Angelica constata que, dans le meilleur des cas, son élocution lui parut légèrement déformée. Est-ce que son étreinte faiblissait ? Est-ce que la pression que l'homme exerçait était en train de diminuer ?

A présent, elle était tellement pressée contre le bord du toit qu'elle voyait le sol sous elle, ainsi que quelques domestiques et quelques nobles. Dans une seconde, elle tomberait et s'écraserait sur les pavés de la cour, où elle se briserait en morceaux aussi sûrement qu’un verre qu'on aurait laissé tomber.

A cette seconde, Angelica sentit l'étreinte du garde faiblir, pas de beaucoup mais assez pour qu'elle se contorsionne et se faufile à côté de lui, le positionnant ainsi dos au ciel.

“Vous auriez dû accepter l'argent”, dit-elle. Alors, elle fonça en avant et le repoussa de toutes ses forces. L'espace d'un instant, le garde se balança sur le bord puis il tomba en arrière en fouettant l'air des bras.

Pas seulement l'air. Un bras réussit à saisir Angelica, qui se retrouva tirée en avant, jusqu'au bord et au-delà. Elle cria et tenta de s'accrocher là où elle le pouvait. Ses doigts trouvèrent un morceau de maçonnerie, le lâchèrent puis le retrouvèrent pendant que le garde continuait à tomber sous elle. Angelica regarda vers le bas juste assez longtemps pour le voir chuter vers le sol. Elle sentit un bref moment de satisfaction quand il le heurta mais cette satisfaction céda vite la place à la terreur. Elle était suspendue à la façade du château.

Angelica essaya de trouver une chose à laquelle se raccrocher. Ses pieds pendirent dans le vide un instant puis réussirent à trouver une prise sur les flancs rugueux d'un bouclier héraldique en pierre sculptée. Avec un léger amusement, Angelica comprit que c'était les armes royales mais, en même temps, elle ne put s'empêcher de se sentir soulagée que ce bouclier soit ici. Sans lui, maintenant, elle serait forcément aussi morte que la Douairière voulait qu'elle soit.

Remonter sur le toit sembla lui prendre une éternité et les muscles d'Angelica souffrirent de cet effort inattendu. En dessous, elle entendait maintenant des cris et les gens se rassembler autour du corps du garde. Elle savait que certaines personnes lèveraient les yeux et la verraient remonter sur le toit, s'y effondrer et y rester immobile, la respiration lourde.

“Debout”, se dit-elle. “Si tu restes ici, tu es morte. Debout.”

Elle se força à se relever en essayant de réfléchir. La Douairière avait essayé de la tuer. La chose la plus évidente à faire, c'était de fuir, car qui pouvait tenir tête à la Douairière ? Il fallait qu'elle trouve le moyen de sortir du palais, peut-être d'aller jusqu'aux quais et de partir pour les terres de sa famille, au-delà des mers. Ou alors, elle pourrait quitter la ville par une des petites routes en évitant tous les gardes et partir à la campagne. Sa famille était puissante et elle avait la sorte d'amis qui pouvait demander des comptes à l'Assemblée des Nobles, qui —

“Les nobles feront ce que la Douairière leur ordonnera”, se dit Angelica, et même s'ils faisaient quelque chose d'autre, ce serait si lent qu'elle serait forcément assassinée entre-temps. Ce qu'elle pouvait espérer de mieux, c'était fuir sans s'arrêter, ne jamais être en sécurité, ne plus jamais se retrouver au cœur des choses. C'était une solution inacceptable.

Cette idée la ramena à sa question précédente : qui pouvait tenir tête à la Douairière ?

Angelica s'épousseta soigneusement, se recoiffa aussi bien que possible puis hocha la tête. Ce plan était … dangereux, certes, et presque certainement déplaisant. Cela dit, c'était sa meilleure chance de survie.

Pendant que les gens criaient en dessous, elle repartit dans le palais en courant.

CHAPITRE SEPT

Les yeux de Sebastian commençaient à s'habituer à la quasi-obscurité de sa cellule, à son humidité, même à sa puanteur. Il commençait à s'habituer au faible gargouillis d'eau qu'il entendait quelque part au loin et au son du va-et-vient des gens au-delà. C'était probablement un mauvais signe. Il y avait des endroits auxquels personne ne devrait s'habituer.

La cellule était petite, un carré de guère plus de quelques mètres de côté avec, à l'entrée, des barreaux de fer verrouillés par une serrure solide. Ce n'était pas une prison chic comme on en trouvait dans les tours et où la famille d'un homme pouvait payer pour qu'il y vive avec style jusqu'au jour où il finissait par perdre sa tête. C'était la sorte d'endroit où l'on pouvait jeter un homme pour que le monde l'oublie.

“Et si on m'oublie”, murmura Sebastian, “Rupert aura la couronne.”

C'était forcément de cela qu'il s'agissait. Sebastian n'avait aucun doute sur ce point. Si son frère le faisait disparaître, s'il donnait l'impression que Sebastian s'était enfui pour ne plus jamais revenir, alors, Rupert deviendrait l'héritier du trône par défaut. Le fait qu'il n'ait pas encore tué Sebastian suggérait que cela pourrait lui suffire, qu'il relâcherait peut-être Sebastian quand il aurait ce qu'il voulait.

“Ou alors, cela signifie peut-être qu'il veut me tuer en prenant son temps”, dit Sebastian.

En ce moment, il n'entendait pas d'autres voix dans la quasi-obscurité, même si, de temps à autre, quelques-unes lui parvenaient de loin. Sebastian soupçonnait qu'il y avait d'autres cellules en ce lieu, peut-être d'autres prisonniers, où que soit cet endroit. Où était-il ? C'était vraiment une question qui méritait réflexion. S'ils étaient quelque part sous le palais, alors, Sebastian aurait sa chance d'attirer assez d'attention pour trouver de l'aide. S'ils étaient en quelque autre lieu de la ville … eh bien, tout dépendrait de l'endroit où ils étaient mais Sebastian trouverait un moyen d'obtenir de l'aide.

Il essaya de réfléchir au trajet qu'ils avaient fait pour arriver ici mais il était impossible de le retrouver avec certitude. Ce n'était pas le palais, devina-il. Même Rupert n'aurait pas l'arrogance d'y enfermer Sebastian. Son frère et sa famille avaient assez d'argent pour acheter d'autres propriétés autour de la ville, une autre maison qu'il garderait pour y rencontrer ses liaisons ou pour y mener ses sombres affaires.

“Probablement les deux, connaissant Rupert”, dit Sebastian.

“Tais-toi”, dit une voix. Une silhouette émergea de l'obscurité, un homme quelconque qui tenait lieu de gardien. L'homme ne passait que deux ou trois fois par jour pour apporter une eau saumâtre et du pain rassis. Il se mit à racler un gourdin en bois contre les barreaux de la cellule de Sebastian. Il avait passé si longtemps dans le silence que ce bruit soudain le fit sursauter.

“Tu sais qui je suis”, dit Sebastian. “Je suis le frère de Rupert, le fils cadet de la Douairière.” Il saisit les barreaux. “Elle tuera tous ceux qui auront fait du mal à ses fils. Tu le sais, tu n'es pas idiot. Actuellement, ta seule chance de survivre est d'être mon libérateur.”

Sebastian n'aimait pas menacer cet homme. C'était la sorte de chose que son frère aurait pu faire mais c'était aussi la vérité toute simple. Si sa mère pensait qu'il avait été capturé, elle ferait raser Ashton pour le retrouver et, quand elle le retrouverait, tous ceux qui lui auraient fait du mal en mourraient. Quand elle protégeait sa famille, sa mère était l'image même du monarque cruel et implacable dont les gens connaissaient l'existence.

“Seulement si elle s'en rend compte”, dit le garde en envoyant un coup presque nonchalant aux mains de Sebastian avec le gourdin. Sebastian grimaça de douleur mais réussit à saisir le gourdin puis à rapprocher l'autre homme de la grille tout en tendant l'autre main vers sa ceinture.

Ce n'était pas une bonne stratégie. Après tout, l'autre homme était armé et Sebastian, qui était piégé dans une cellule close, ne pouvait ni le contourner ni l'éviter. Le garde le frappa avec sa main libre puis lui envoya un coup au ventre avec son gourdin. Sebastian sentit l'air s'échapper de ses poumons. Il tomba à genoux.

“Ces nobles, quelle arrogance”, dit l'homme sur un ton sec en crachant par terre à côté de Sebastian. “Ils s'imaginent que tout marchera pour eux, quoi qu'ils tentent. Eh bien, non. Ta mère ne viendra pas te chercher, tu ne sortiras pas d'ici et je serai là pour regarder quand ton frère décidera de te couper en morceaux.”

Il frappa Sebastian une fois de plus avec le gourdin puis recula dans l'obscurité. Sebastian entendit le son d'un verrou.

A ce moment-là, il ne se souciait pas de la douleur même si elle lui lacérait les côtes comme du feu. Il ne se souciait ni de lui-même, ni de ce que Rupert pourrait faire ni de ce qui pouvait bien se passer maintenant pour que tout cela soit possible. Cependant, Sebastian se mit quand même à repenser à Sophia, à Ishjemme et à son enfant.

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