Un Trône pour des Sœurs - Морган Райс 2 стр.


De toute façon, elle va être vendue comme putain … c'est aussi bien que je prenne mon tour avant.

Sophia fut choquée d'entendre ces pensées. Elle leur trouvait un air presque gras et elle savait que c'étaient celles du garçon. Elle sentit monter la panique en elle.

Elle se mit à se débattre mais il lui cloua facilement les bras au sol.

Elle ne pouvait faire qu'une seule chose. Elle se concentra autant que possible et invoqua son talent en espérant que, cette fois-ci, il marcherait pour elle.

Kate, cria-t-elle intérieurement, la cour ! A l'aide !

*

“Plus d'élégance, Kate !” cria la bonne sœur. “Plus d'élégance !”

Kate n'avait pas grande considération pour l'élégance mais elle fit quand même l'effort demandé quand elle versa de l'eau dans une coupe que tenait la sœur. La sœur Yvaine lui jetait un regard critique d'en-dessous son masque.

“Non, tu n'as toujours pas compris. Et je sais que tu n'es pas maladroite, ma fille. Je t'ai vue faire la roue dans la cour.”

Cela dit, la Sœur Yvaine n'avait pas puni Kate pour autant, ce qui suggérait qu'elle ne faisait pas partie des pires. Kate essaya encore d'une main tremblante.

Avec les autres filles qui l'accompagnaient, elle était censée être en train d'apprendre à servir élégamment aux tables des nobles mais, en vérité, Kate n'était pas faite pour ça. Elle était trop petite et avait les muscles trop noueux pour le genre de féminité gracieuse à laquelle pensaient les bonnes sœurs. Si elle portait ses cheveux roux courts, c'était pour une raison précise. Dans un monde idéal, où elle aurait eu la liberté de choisir, elle aurait vraiment voulu devenir l'apprentie d'un forgeron ou peut-être se faire accepter dans une des troupes qui œuvraient en ville — ou peut-être même avoir la possibilité d'entrer à l'armée comme le faisaient les garçons. Apprendre à verser du vin avec grâce était le genre de leçon que sa grande sœur, qui rêvait de devenir une aristocrate, aurait apprécié, pas elle.

Comme si cette pensée l'avait connectée à Sophia, Kate s'interrompit brusquement quand elle entendit la voix de sa sœur dans sa tête. Toutefois, elle eut un doute, car leur talent n'était pas toujours aussi fiable que ça.

Cependant, le message se répéta et elle perçut aussi le sentiment qui venait avec.

Kate, la cour ! A l'aide !

Kate sentait la peur que dégageait ce message.

Brusquement, involontairement, elle s'éloigna de la bonne sœur et, ce faisant, renversa son pichet d'eau sur le sol en pierre.

“Je suis désolée”, dit-elle. “Il faut que je parte.”

La Sœur Yvaine regardait encore l'eau.

“Kate, nettoie ça tout de suite !”

Cependant, Kate courait déjà. Elle se ferait probablement battre pour cette offense plus tard mais ce ne serait pas la première fois. Ça ne comptait pas. Ce qui comptait, c'était d'aider la seule personne du monde à laquelle elle tenait.

Elle traversa l'orphelinat au pas de course. Elle connaissait le chemin parce qu'elle avait exploré tous les recoins de cet endroit dans les années qui s'étaient écoulées depuis l'affreuse nuit où on l'avait emmenée ici. De plus, tard la nuit, elle s'échappait des ronflements incessants et de la puanteur du dortoir quand elle le pouvait et jouissait librement de l'orphelinat dans l'obscurité. En ces moments où elle était la seule à être debout et où l'on n'entendait que le son des cloches de la ville, elle inspectait les moindres recoins des murs de l'établissement, sentant qu'il faudrait qu'elle les connaisse par cœur un de ces jours.

Et maintenant, elle les connaissait.

Kate entendait le son que produisait sa sœur, qui se battait en appelant à l'aide. Instinctivement, elle plongea dans une pièce, saisit un tisonnier dans l'âtre et poursuivit sa route. Elle ne savait pas ce qu'elle ferait avec cet objet.

Elle arriva brusquement dans la cour et se sentit désespérée quand elle vit sa sœur plaquée au sol par deux garçons pendant qu'un autre maniait maladroitement sa robe.

Kate comprit exactement ce qu'il fallait qu'elle fasse.

Une rage primale l'envahit, une rage qu'elle n'aurait pas pu contrôler même si elle l'avait voulu, et elle se rua en avant en rugissant et en abattant le tisonnier sur la tête du premier garçon. Il se retourna au moment où Kate frappait et, par conséquent, le tisonnier ne le frappa pas aussi nettement que Kate l'aurait voulu mais il suffit quand même à l'envoyer à terre, où il tomba en touchant l'endroit où elle avait frappé.

Elle se déchaîna sur un autre, l'atteignit au genou là où il se tenait et le fit tomber. Elle frappa le troisième au ventre jusqu'à ce qu'il tombe.

Elle continua à les frapper, refusant de leur laisser le temps de se remettre. Elle avait participé à des quantités de bagarres pendant toutes les années qu'elle avait passées à l'orphelinat et elle savait qu'elle ne pouvait se reposer ni sur sa taille ni sur sa force. La furie était la seule chose qu'elle avait pour survivre et, heureusement, Kate n'en manquait pas.

Elle frappa sans arrêt jusqu'à ce que les garçons battent en retraite. Même s'ils étaient peut-être sur le point de rejoindre l'armée, les Frères Masqués qui sévissaient de leur côté ne leur apprenaient pas à se battre. Cela les aurait rendus trop difficiles à contrôler. Kate frappa un des garçons au visage puis virevolta pour en frapper un autre au coude et entendit le craquement du fer qui heurtait de l'os.

“Debout”, dit-elle à sa sœur en tendant la main. “Debout !”

Sophia se leva, hébétée, et prit la main à Kate comme si, pour une fois, c'était elle la sœur cadette.

Kate partit en courant et sa sœur courut avec elle. Sophia sembla reprendre conscience alors qu'elles couraient. Alors qu'elles filaient dans les couloirs de l'orphelinat, une partie de leur vieille certitude sembla revenir.

Derrière elles, Kate entendit des cris poussés par des garçons, des sœurs ou les deux. Elle n'en avait que faire. Elle savait qu'elles ne pouvaient que sortir.

“On ne revient pas”, dit Sophia. “Il faut qu'on quitte l'orphelinat.”

Kate hocha la tête. Pour ce qu'elles venaient de faire, la punition ne se limiterait pas à une simple correction. Cependant, à ce moment-là, Kate se souvint.

“Dans ce cas, on part”, répondit Kate en courant, “mais d'abord, il faut juste que —”

“Non”, dit Sophia. “On n'a pas le temps. Laisse tout. Il faut qu'on parte.”

Kate secoua la tête. Il y avait des choses qu'elle ne pouvait pas abandonner.

Donc, au lieu de fuir, elle fonça vers son dortoir en tenant le bras à Sophia pour qu'elle la suive.

Le dortoir était un endroit lugubre avec des lits qui n'étaient guère mieux que des planches en bois qui dépassaient du mur comme des étagères. Kate n'était pas bête au point de mettre ses objets importants dans la petite commode qui se trouvait au pied de son lit, où n'importe qui aurait pu les voler. En fait, elle se dirigea vers une fente entre deux lattes du plancher et tira sur une des lattes avec ses doigts jusqu'à ce qu'elle se soulève.

“Kate”, haleta Sophia, reprenant son souffle, “on n'a pas le temps.”

Kate secoua la tête.

“Je ne l'abandonnerai pas.”

Sophia savait forcément ce qu'elle était venue chercher, le seul souvenir qu'elle avait de cette nuit, de leur vie d'avant.

Finalement, le doigt de Kate s'accrocha à du métal et elle souleva le médaillon pour qu'il brille dans la pénombre.

Durant son enfance, elle avait été sûre que c'était vraiment de l'or, une fortune qui n'attendait que d'être dépensée. Quand elle avait grandi, elle avait fini par comprendre que c'était un alliage plus commun mais, de toute façon, à cette époque-là, il avait fini par être plus précieux que l'or pour elle. La miniature qui se trouvait à l'intérieur et qui montrait une femme qui souriait pendant qu'un homme lui posait la main sur l'épaule était ce qu'elle avait de plus proche d'un souvenir de ses parents.

En général, Kate ne portait pas le médaillon de peur qu'un des autres enfants ou les bonnes sœurs ne le lui prennent. Elle le glissa à l'intérieur de sa robe.

“Partons”, dit-elle.

Elles coururent vers la porte de l'orphelinat, qui était censée toujours être ouverte parce que l'Ordre de la Déesse Masquée avait trouvé porte close quand il avait exploré le monde et avait condamné ses habitants pour cela. Kate et Sophia coururent dans les méandres des couloirs, sortirent dans le vestibule et regardèrent autour d'elles pour vérifier si quelqu'un les poursuivait.

Kate les entendait mais, à ce moment-là, il n'y avait que la sœur qui se tenait toujours à côté de la porte, une grosse femme qui s'interposa pour bloquer le passage aux deux filles quand elles arrivèrent. Kate rougit, se souvenant immédiatement de toutes les années de correction qu'elle avait subies aux mains de cette sœur.

“Vous voilà”, dit-elle d'un ton sévère. “Vous avez beaucoup désobéi, vous deux, et —”

Kate n'attendit pas; avec le tisonnier, elle frappa si fort la sœur au ventre qu'elle se plia en deux. A ce moment-là, elle aurait voulu avoir une des épées élégantes que portaient les courtiers, ou peut-être une hache. En fait, elle dut se contenter d'étourdir la femme assez longtemps pour qu'elle et Sophia puissent passer.

Cependant, quand Kate traversa les portes, elle s'arrêta.

“Kate !” hurla Sophia d'une voix pleine de panique. “On y va ! Qu'est-ce que tu fais ?!”

Cependant, Kate ne pouvait pas contrôler cette envie, alors même qu'elle entendait les cris des poursuivants et qu'elle savait qu'elles risquaient toutes les deux leur liberté.

Elle avança de deux pas, leva haut le tisonnier et frappa la bonne sœur au dos plusieurs fois.

La bonne sœur grogna et cria à chaque coup et chacun de ses cris fut un délice pour Kate.

“Kate !” supplia Sophia, au bord des larmes.

Kate regarda longtemps, trop longtemps la bonne sœur parce qu'elle avait besoin de graver cette image de vengeance, de justice, dans son esprit. Elle savait que cette image la soutiendrait quelles que soient les corrections qu'elle recevrait par la suite.

Puis elle se retourna et quitta brusquement la Maison des Oubliés avec sa sœur comme deux fugitives quittant un navire qui coule. La puanteur, le bruit et l'agitation de la ville agressèrent Kate mais, cette fois-ci, elle ne ralentit pas.

Tenant la main de sa sœur, elle courut.

Et courut.

Et courut.

Et, malgré leur situation, elle inspira profondément et fit un grand sourire.

Pour aussi peu de temps que ce soit, elles étaient libres.

CHAPITRE DEUX

Sophia n'avait jamais eu aussi peur mais, en même temps, elle ne s'était jamais sentie aussi vivante ou aussi libre. Alors qu'elle courait dans la ville avec sa sœur, elle entendit Kate pousser un cri d'excitation qui la mit à l'aise et la terrifia en même temps. Ce cri rendait les choses trop réelles. Leur vie ne serait plus jamais la même.

“Silence”, insista Sophia. “Tu vas nous faire repérer.”

“Elles arrivent, de toute façon”, répondit sa sœur. “Autant apprécier ce qu'on a.”

Comme pour mettre l'accent sur ce point, elle contourna un cheval, saisit une pomme sur une charrette et courut sur les pavés d'Ashton.

La ville débordait de l'activité du marché qui y venait tous les Sixthdays et Sophia regarda autour d'elle, étonnée par tout ce qu'elle voyait, entendait et sentait. Si ce n'avait été pour le marché, elle n'aurait jamais su quel jour c'était. Dans la Maison des Oubliés, ces choses ne comptaient pas. Il n'y avait que les cycles sempiternels de la prière et du travail, des punitions et de l'apprentissage par cœur.

Cours plus vite, lui dit sa sœur par télépathie.

Quand elles entendirent des sifflets et des cris quelque part derrière elles, elles accélérèrent. Sophia les emmena dans une ruelle puis suivit Kate avec difficulté quand cette dernière grimpa par-dessus un mur. Malgré son impétuosité, sa sœur était trop rapide, comme un muscle solide et remonté qui attendait de se détendre.

Sophia entendit encore les sifflets. Elle réussit tout juste à atteindre le haut du mur et, à ce moment-là, elle trouva comme toujours la main forte de Kate qui l'attendait. Elle se rendit compte que, même de ce point de vue, elles étaient vraiment différentes : la main de Kate était rude, calleuse, musclée, alors que les doigts de Sophia étaient longs, fins et délicats.

Les deux faces de la même pièce, comme disait leur mère.

“Elles ont appelé les gardiens”, s'écria Kate, incrédule, comme si, d'une façon ou d'une autre, les sœurs ne respectaient pas les règles du jeu.

“Que t'imaginais-tu ?” répondit Sophia. “On s'enfuit avant qu'elles puissent nous vendre.”

Kate les emmena au bas d'une série de marches pavées puis vers un espace dégagé plein de monde. Sophia se força à ralentir quand elles approchèrent du marché de la ville, se raccrochant à l'avant-bras de Kate pour l'empêcher de courir.

On se fera moins remarquer si on ne court pas, dit Sophia par télépathie, trop essoufflée pour parler.

Malgré son incertitude, Kate ralentit pour marcher à la même allure que Sophia.

Elles marchèrent lentement, frôlant des gens qui s'écartèrent, refusant visiblement de toucher des filles d'aussi basse extraction qu'elles. Peut-être croyaient-ils qu'on avait libéré ces deux filles pour qu’elles aillent faire une course.

Sophia se força à avoir l'air de juste regarder les marchandises pendant qu'elles se servaient de la foule pour se camoufler. Elle regarda autour d'elle, le clocher au-dessus du temple de l'Ordre de la Déesse Masquée, les divers étals et les boutiques à la vitrine en verre qui étaient derrière eux. Dans un coin de la place, il y avait un groupe d'acteurs qui interprétait un des contes traditionnels avec des costumes raffinés pendant qu'un des censeurs regardait du bord de la foule environnante. Il y avait un recruteur de l'armée qui se tenait sur une estrade et essayait de recruter des troupes pour la nouvelle guerre de conquête de cette ville, la bataille qui s'annonçait de l'autre côté du Canal du Knife-Water.

Sophia vit sa sœur fixer le recruteur du regard et elle la retira vers elle.

Non, dit Sophia par télépathie. Ce n'est pas pour toi.

Kate allait répondre quand, soudain, les cris se firent à nouveau entendre derrière elles.

Elles s'enfuirent à nouveau toutes les deux.

Sophia savait que personne ne les aiderait, maintenant. Elles étaient à Ashton et coupables en ce lieu. Personne n'essaierait d'aider deux fuyardes.

En fait, quand elle leva les yeux, Sophia vit quelqu'un commencer à leur bloquer la route. Personne n'accepterait de laisser deux orphelines fuir leurs obligations, ce qu'elles étaient.

Des mains tentèrent de les saisir et elles durent se battre pour passer. Sophia gifla une main qui s'était posée sur son épaule pendant que Kate frappait méchamment avec son tisonnier volé.

La foule s'ouvrit devant elles et Sophia vit sa sœur courir vers une section d'échafaudages en bois abandonnés à côté d'un mur de pierre, où des maçons avaient dû essayer de redresser une façade.

On grimpe encore ? dit Sophia par télépathie.

Elles ne nous suivront pas, répondit sa sœur.

C'était probablement vrai, ne serait-ce que parce que la meute de leurs poursuivants ordinaires ne risquerait pas sa vie de la sorte. Pourtant, Sophia craignait cette escalade, mais elle n'avait pas de meilleure idée à ce moment-là.

Ses mains tremblantes se refermèrent autour des lattes en bois de l'échafaudage et elle se mit à grimper.

Très vite, elle eut mal aux bras mais, à ce stade-là, il fallait soit continuer soit tomber et, même s'il n'y avait pas eu les pavés en dessous, Sophia n'aurait pas voulu tomber alors que la plus grande partie de la foule la poursuivait.

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