Un Trône pour des Sœurs - Морган Райс 3 стр.


Kate attendait déjà au sommet, souriant encore comme si tout cela n'était qu'un jeu. Sa main était à nouveau là et elle tira Sophia vers le haut. Ensuite, elles coururent encore mais, cette fois-ci, sur les toits.

Kate les emmena vers un interstice qui menait vers un autre toit, bondissant dans le chaume comme si elle ne se souciait aucunement du risque de passer au travers. Sophia la suivit, réprimant son envie de crier quand elle glissa presque puis bondissant avec sa sœur dans une section basse où une douzaine de cheminées crachaient la fumée d'un four à poterie situé en dessous.

Kate essaya à nouveau de courir mais Sophia, sentant une occasion de se cacher, la saisit et la tira dans le chaume, où elles se retrouvèrent cachées parmi les bottes de foin.

Attends, dit-elle par télépathie.

A son grand étonnement, Kate ne protesta pas. Elle regarda autour d'elle alors qu'elles se blottissaient dans la partie plate du toit, ignorant la chaleur qui montait des feux d'en dessous. Kate avait dû se rendre compte qu'elles étaient bien cachées. La fumée brouillait la plus grande partie de ce qui se trouvait autour d'elles et ce brouillard qui les enveloppait les cachait encore plus. C'était comme une seconde ville, là-haut, avec des lignes de vêtements, des drapeaux et des bannières qui fournissaient toutes les cachettes qu'elles pouvaient désirer. Si elles restaient tranquilles, personne ne pourrait les retrouver en ce lieu. De plus, personne d'autre n'aurait la stupidité de risquer de marcher sur le chaume.

Sophia regarda autour d'elle. L'endroit était paisible à sa façon. Il y avait des endroits où les maisons étaient si proches les unes des autres que les gens auraient pu toucher du bras celle des voisins et, plus loin, Sophie vit qu'on vidait un pot de chambre dans la rue. Elle n'avait jamais eu l'occasion de voir la ville sous cet angle, les tours du clergé et les fabricants de munitions, les gardiens de l'horloge et les sages qui se dressaient au-dessus du reste, le palais qui se tenait entouré par ses murailles comme une escarboucle qui brillait sur la peau du reste.

Elle se blottit là avec sa sœur, qu'elle tenait dans ses bras, et attendit que les sons de la poursuite passent en dessous.

Peut-être, juste peut-être, arriveraient-elles à s'en sortir.

CHAPITRE TROIS

La matinée devint l'après-midi avant que Sophia et Kate n'osent sortir de leur cachette en rampant. Comme Sophia l'avait pensé, personne n'avait osé grimper sur les toits pour y aller les rechercher et, même si les sons de la poursuite s'étaient bien rapprochés, ils ne s'étaient jamais rapprochés assez.

Maintenant, ils semblaient avoir complètement disparu.

Kate jeta un coup d’œil à l'extérieur et observa la ville d'en dessous. L'agitation du matin avait disparu, remplacée par un rythme et par une foule plus détendus.

“Il faut qu'on descende d'ici”, murmura Sophia à sa sœur.

Kate hocha la tête. “Je meurs de faim.”

Sophia le comprenait. La pomme que Kate avait volée avait disparu depuis longtemps et la faim commençait à la hanter, elle aussi.

Elles descendirent au niveau de la rue et Sophia se mit à regarder autour d'elles. Même si les sons de leurs poursuivants avaient disparu, une partie d'elle-même était convaincue que quelqu'un allait leur sauter dessus dès le moment où leurs pieds toucheraient le sol.

Elles se frayèrent un chemin dans les rues en essayant de se faire aussi discrètes que possible. Cela dit, à Ashton, il était impossible d'éviter les gens parce qu'il y en avait tout simplement trop. Les bonnes sœurs ne s'étaient pas vraiment souciées de leur enseigner la géographie mais Sophia avait entendu dire qu'il y avait des villes plus grandes au-delà des États Marchands.

A cet instant-là, c'était dur à croire. Il y avait des gens partout où Sophia regardait, même si, à cette heure-là de la journée, la plus grande partie de la population de la ville devait être à l'intérieur, en train de travailler durement. Il y avait des enfants qui jouaient dans la rue, des femmes qui allaient et venaient des marchés et des boutiques, des ouvriers qui portaient des outils et des échelles. Il y avait des tavernes et des théâtres, des boutiques qui vendaient du café venant des pays récemment découverts au-delà de l'Océan des Reflets, des cafés où les gens semblaient être presque aussi intéressés par la discussion que par leur repas. Elle était très étonnée de voir les gens rire, heureux, vraiment insouciants, ne rien faire d'autre que passer le temps et s'amuser. Elle avait même du mal à croire qu'un tel monde puisse exister. Par rapport au silence et à l'obéissance imposés par l'orphelinat, le contraste était choquant.

Il y a tant de choses, dit Sophia par télépathie à sa sœur, lorgnant les stands de nourriture qu'il y avait partout, sentant croître des crampes à l'estomac à chaque odeur qu'elle rencontrait.

Kate inspectait les lieux d'un œil pragmatique. Elle choisit un des cafés et s'en approcha prudemment pendant que les gens qui se tenaient devant se moquaient d'un soi-disant philosophe qui essayait de décider quelle proportion du monde on pouvait vraiment connaître.

“Tu y arriverais mieux si tu n'étais pas ivre tout le temps”, lui cria un badaud.

Un autre se tourna vers Sophia et Kate alors qu'elles approchaient. L'hostilité ambiante était palpable.

“On ne veut pas de racailles comme vous ici”, dit-il d'un ton méprisant. “Filez !”

La colère pure de ses paroles était pire que ce à quoi Sophia s'était attendue. Cependant, elle repartit vers la rue en traînant les pieds, entraînant Kate avec elle pour qu'elle évite de faire une chose qu'elles devraient regretter par la suite. Bien qu'elle ait visiblement abandonné son tisonnier quelque part en fuyant la foule, elle avait certainement l'air de vouloir taper sur quelque chose.

Cela signifiait qu'elles n'avaient pas le choix : elles allaient devoir voler leur nourriture. Sophia avait espéré que quelqu'un leur ferait la charité. Pourtant, elle savait que ce n'était pas comme ça que fonctionnait le monde.

Elles comprirent alors toutes les deux qu'il était temps qu'elles utilisent leurs talents et elles se mirent d'accord sans mot dire, d'un signe de tête simultané. Elles se placèrent chacune d'un côté d'une ruelle, regardèrent toutes les deux une boulangère travailler et attendirent. Sophia attendit jusqu'à ce que la boulangère puisse lire ses pensées puis elle lui dit ce qu'elle voulait qu'elle entende.

Oh non, pensa la boulangère. Les petits pains. Comment ai-je pu les oublier à l'intérieur ?

Dès que la boulangère eut cette idée, Sophia et Kate passèrent rapidement à l'action. Quand la femme se détourna pour repartir chercher les petits pains à l'intérieur, elles se précipitèrent en avant et, se déplaçant à toute vitesse, saisirent chacune une brassée de gâteaux, presque plus que ce qu'elles pourraient manger.

Elles se cachèrent toutes les deux derrière une ruelle et mangèrent voracement. Bientôt, Sophia sentit qu'elle avait le ventre plein. C'était une sensation étrange et agréable qu'elle n'avait jamais connue. La Maison des Oubliés ne pensait pas qu'il fallait fournir plus que le strict minimum à ses protégées.

Alors, elle rit en voyant Kate essayer d'enfoncer un gâteau entier dans sa bouche.

Qu'est-ce qu'il y a ? demanda sa sœur.

C'est si bon de te voir heureuse, répondit Sophia par télépathie.

Elle n'était pas sûre que ce bonheur durerait. A chaque pas, elle cherchait les chasseurs qui les poursuivaient peut-être. Pour les récupérer, l'orphelinat ne se dépenserait pas plus que ce que les deux filles pourraient leur rapporter mais comment prévoir l'avenir alors que les bonnes sœurs voudraient certainement se venger ? Il fallait au minimum que Sophia et Kate restent à l'écart des gardes, et pas seulement parce qu'elles s'étaient évadées.

Après tout, on pendait bien les voleurs à Ashton.

Il faut qu'on arrête d'avoir l'air d'orphelines en cavale ou on ne pourra plus traverser la ville sans que les gens nous regardent et tentent de nous attraper.

Sophia regarda sa sœur, étonnée par cette idée.

Tu veux voler des vêtements ? répondit Sophia par télépathie.

Kate hocha la tête.

Cette pensée fit encore plus peur à Sophia mais cette dernière savait que sa sœur, qui était toujours pragmatique, avait raison.

Elles se levèrent toutes les deux en même temps, se rangeant les gâteaux restants autour de la taille. Alors que Sophia cherchait des vêtements, elle sentit Kate lui toucher le bras. Elle suivit son regard et vit une corde à linge en haut d'un toit. Elle n'était pas surveillée.

Bien sûr que non, comprit-elle avec soulagement. Après tout, qui surveillerait une corde à linge ?

Sophia sentit quand même son cœur battre très fort quand elles grimpèrent sur un autre toit. Elles s'arrêtèrent toutes les deux, regardèrent autour d'elles puis tirèrent sur la corde à linge comme un pêcheur aurait pu tirer sur une corde de pêche.

Sophia vola une robe en laine verte et une combinaison couleur crème qui était probablement le genre de chose qu'une fermière pourrait porter mais qui était quand même trop luxueuse pour elle. A sa grande surprise, sa sœur choisit un maillot de corps, une culotte et un pourpoint qui la faisait plus ressembler à un garçon aux cheveux en pointe qu'à la fille qu'elle était.

“Kate”, se plaignit Sophia, “tu ne peux pas te promener habillée comme ça !”

Kate haussa les épaules. “Nous ne sommes censées ni l'une ni l'autre avoir cet air-là. Autant se sentir à l'aise.”

Ce n'était pas faux. Les lois somptuaires indiquaient clairement ce qu'un niveau donné de la société pouvait et ne pouvait pas porter, et cela s'appliquait aussi aux oubliées et à celles qui étaient liées par contrat synallagmatique. Dans leur situation actuelle, les deux filles enfreignaient encore plus de lois en rejetant leurs haillons, les seuls vêtements qu'elles avaient le droit de porter, et en s'habillant au-dessus de leur rang.

“D'accord”, dit Sophia. “Je ne discuterai pas. De plus, si quelqu'un recherche deux filles, il ne fera peut-être pas attention à nous”, dit-elle en riant.

“Je ne ressemble pas à un garçon”, lui répondit sèchement Kate, visiblement indignée.

Sophia sourit à ces mots. Elles récupérèrent leurs gâteaux, les fourrèrent dans leurs nouvelles poches et repartirent ensemble.

Ce qu'il fallait qu'elles fassent ensuite était moins susceptible de les faire sourire; il y avait encore beaucoup de choses qu'il fallait qu'elles fassent pour arriver à survivre. Il fallait d'abord qu'elles trouvent un abri puis qu'elles décident ce qu'elles allaient faire, où elles allaient aller.

Une chose à la fois, se rappela-t-elle.

Elles redescendirent dans les rues et, cette fois-ci, Sophia ouvrit la marche en essayant de trouver un itinéraire pour traverser la section la plus pauvre de la ville car, à son goût, elles étaient encore trop près de l'orphelinat.

Devant, elle vit une série de maisons brûlées qui ne s'étaient visiblement pas remises d'un des incendies qui ravageaient parfois la ville quand la rivière était basse. Il serait dangereux de se reposer à cet endroit.

Pourtant, Sophia se dirigea vers ces maisons.

Kate la regarda d'un air étonné et sceptique.

Sophia haussa les épaules.

C'est dangereux mais c'est mieux que rien du tout, dit-elle par télépathie.

Elles approchèrent prudemment et, juste au moment où Sophia passa la tête à un coin, elle fut surprise de voir deux silhouettes émerger des décombres. A force de séjourner dans les ruines carbonisées, elles avaient l'air si noircies par la suie que, l'espace d'un instant, Sophia pensa qu'elles sortaient du feu.

“Partez ! C'est chez nous, ici !”

L'une d'elles se précipita vers Sophia, qui hurla en reculant involontairement d'un pas. Kate semblait prête à se battre mais, à ce moment, l'autre personne sortit une dague qui brilla plus que tout ce qu'il y avait en ce lieu.

“On est chez nous ! Choisissez votre propre ruine ou je vous saigne.”

Alors, les sœurs s'enfuirent, mettant autant de distance que possible entre elles et la maison. A chaque pas, Sophia était sûre qu'elle entendait arriver des voyous armés de couteaux, des gardes ou les bonnes sœurs quelque part derrière elles.

Elles marchèrent jusqu'à en avoir mal aux jambes et jusqu'à ce que l'après-midi s'assombrisse beaucoup trop. Au moins, elles se réconfortaient en sachant que, à chaque pas, elles étaient un pas plus loin de l'orphelinat.

Finalement, elles approchèrent d'une partie de la ville qui avait l'air légèrement plus belle. Pour une raison quelconque, le visage de Kate s'illumina quand elle la vit.

“Qu'est-ce qu'il y a ?” demanda Sophia.

“La bibliothèque des pauvres”, répondit sa sœur. “On peut s'y réfugier. Parfois, je m'y abrite quand les sœurs nous envoient faire des courses et le bibliothécaire me laisse entrer, bien que je n'aie pas de quoi payer.”

Sophia n'avait pas grand espoir de trouver de l'aide à cet endroit mais, en vérité, elle n'avait pas de meilleure idée. Elle laissa Kate l'y emmener et elles se dirigèrent vers un endroit plein de gens où des prêteurs sur gages se mêlaient aux avocats et où l'on trouvait même quelques chariots parmi les chevaux et piétons habituels.

La bibliothèque était un des plus grands bâtiments du lieu. Sophia connaissait son histoire : un des nobles de la ville avait décidé d'éduquer les pauvres et avait laissé une partie de sa fortune pour qu'on construise le genre de bibliothèque que la plupart des gens gardaient sous clef dans leur maison de campagne. Bien sûr, comme il fallait payer un penny pour entrer, cela signifiait que les plus pauvres ne pouvaient pas y aller. Sophia n'avait jamais eu un penny. Les bonnes sœurs ne voyaient aucune raison de donner de l'argent à leurs protégées.

Elles approchèrent de l'entrée et Sophia vit qu'un homme vieillissant y était assis. Dans ses vêtements légèrement usés, il n'avait pas l'air méchant bien qu'il fasse visiblement tout autant office de garde que de bibliothécaire. A la grande surprise de Sophia, quand elles approchèrent, il sourit. Sophia n'avait jamais vu personne se réjouir de rencontrer sa sœur.

“La jeune Kate”, dit-il. “Cela fait longtemps que je ne t'ai pas vu. Et tu as apporté une amie. Entrez, entrez. Je ne veux pas m'opposer au savoir. Même si le fils du comte Varrish a imposé une taxe d'un penny sur le savoir, le vieux comte n'y a jamais cru.”

Il avait l'air de vraiment le penser mais Kate secouait déjà la tête.

“Ce n'est pas ce qu'il nous faut, Geoffrey”, dit Kate. “Ma sœur et moi … on s'est enfuies de l'orphelinat.”

Sophia vit que le vieil homme était choqué.

“Non”, dit-il. “Non, tu ne dois pas faire une telle bêtise.”

“Trop tard”, dit Sophia.

“Alors, vous ne pouvez pas rester ici”, insista Geoffrey. “Si les gardes viennent et qu'ils vous trouvent ici avec moi, ils penseront que j'ai joué un rôle dans votre évasion.”

Sophia voulait partir mais il semblait que Kate veuille encore essayer.

“Je vous en prie, Geoffrey”, dit Kate. “Il me faut —”

“Il faut que vous y reveniez”, dit Geoffrey. “Implorez leur pardon. J'ai de la pitié pour votre situation mais c'est la situation que le destin vous a attribuée. Revenez avant que les gardes ne vous attrapent. Je ne peux pas vous aider. Je risque même de me faire fouetter pour ne pas avoir alerté les gardes quand je vous ai vues. Je ne peux pas en faire plus pour vous.”

Sa voix était sévère mais Sophia voyait quand même à son regard qu'il était gentil et que prononcer ces mots lui faisait de la peine. C'était presque comme s'il se battait contre lui-même, comme s'il ne faisait semblant d'être sévère que pour bien se faire comprendre.

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