« Je meuble deux pièces supplémentaires dans le B&B, et j’en repense une autre. »
« Ah oui, vous êtes la fille du B&B », dit Rico en hochant de la tête. « Votre père serait si fier de ce que vous avez accompli, vous savez. »
Emily ne put s’empêcher de se tortiller. Même si elle appréciait ses mots gentils, cela la mettait mal à l’aise de penser à son père.
« Merci », dit-elle doucement.
« Bon », dit Rico de sa voix flétrie, « puisque vous êtes une cliente si estimée et que vous faites quelque chose qui bénéficiera à la ville tout entière, je vais vous accorder une réduction. » Il tapa sur quelques boutons et un chiffre apparut sur l’écran poussiéreux.
Emily plissa les yeux, pas certaine de bien y voir. « Rico, c’est une réduction de cinquante pour cent. » Elle ne pouvait dire si le vieux gentleman avait entré par erreur le nombre plus petit ; la dernière chose qu’elle voulait était l’escroquer accidentellement.
« C’est bien ça. Vous avez une réduction spéciale Memorial Week-End de Sunset Harbor. »
Il lui fit un clin d’œil.
Emily balbutia en tendant sa carte. Elle pouvait à peine croire en sa générosité.
« En êtes-vous sûr ? »
Rico fit geste de la main pour la réduire au silence. La vente se fit et Emily se tint là, un peu hébétée.
« Merci, Rico », dit-elle, le souffle court, et elle déposé un baiser sur la joue parcheminée du vieil homme. « Je ne sais pas comment vous remercier. »
Il esquissa un grand sourire, et ce sourire dit tout.
Elle se sentait comme une enfant frivole tandis qu’elle retraversait précipitamment le magasin d’antiquités pour trouver Daniel.
« Rico m’a fait un rabais sur la moitié du prix ! », s’exclama-t-elle quand elle l’atteignit.
Il paraissait stupéfait.
« C’est fantastique », répondit Daniel.
« Allez », dit-elle, tout à coup impatiente. « Sortons tout ça d’ici et commençons à retaper le B&B. »
Daniel rit. « Je n’ai jamais vu quelqu’un avoir autant hâte de mettre fin à un rendez-vous. »
« Je suis désolée », dit Emily en rougissant. « C’est juste qu’il y a tant de choses à faire et à préparer pour quand Jayne arrivera ici. »
« Qui est Jayne ? », demanda Daniel. « Tu ne m’as pas dit que tu avais enregistré un nouveau client. » Il avait l’air excité pour elle, sinon un peu surpris.
Emily rit. « Oh, ce n’est pas comme ça. Jayne est ma vieille meilleure amie de New York. »
Daniel parut soudain embarrassé. Il s’était senti jugé par Amy quand elle était venue rendre visite et était plus que réticent à rencontrer une autre des amies d’Emily.
« D’accord », dit-il dans un demi-marmonnement.
« Elle est sympathique », le rassura Emily. « Et elle va t’adorer. » Elle l’embrassa sur la joue.
« Tu ne peux pas en être certaine », dit Daniel. « Tu ne sais jamais – les gens se caressent dans le mauvais sens du poil tout le temps. Et ce n’est pas comme si j’étais le gars le plus amical au monde. »
Emily accrocha son bras autour de son cou et le poussa du nez. « Je te le promets. Elle t’aimera parce que je t’aime. C’est comme ça que ça marche avec des meilleures amies. »
Emily prit conscience, après avoir parlé, qu’elle avait dit le mot “A”. Elle avait dit à Daniel qu’elle l’aimait. Cela lui avait juste échappé, mais elle ne se sentait pas mal ou angoissée à propos de tout ça. En fait, le dire avait semblé être la chose la plus naturelle au monde. Elle remarqua, toutefois, que Daniel ne le dit pas en retour et elle se demanda si elle avait franchi cette ligne trop tôt.
Tous deux restèrent ainsi pendant un moment, s’étreignant silencieusement dans le sombre magasin d’antiquités, tandis qu’Emily songeait à la signification du silence de Daniel dans son esprit.
*
Le ciel s’assombrissait tandis qu’ils déchargeaient les lourds lits à baldaquin de l’arrière du camion de Daniel et les montaient dans les chambres. Ils passèrent les quatre heures suivantes à les assembler et à arranger les chambres, aucun ne commentant les mots qui avaient été échangés entre eux dans la boutique de Rico.
Alors que le ciel s’obscurcissait, Emily commença à sentir que la maison était plus en train de devenir comme un véritable B&B, comme si elle s’engageait plus complètement dans l’idée. De bien des manières, elle avait atteint le point de non-retour. Pas seulement avec le B&B, mais avec ses sentiments envers Daniel. Elle l’aimait. Elle aimait le B&B. Et il n’y avait aucun doute dans son esprit concernant l’un ou l’autre.
« Je pense que nous devrions rester chez moi ce soir », annonça Daniel quand la pendule frappa minuit.
« Certainement », dit Emily, un peu décontenancée. Elle n’avait jamais passé la nuit dans la remise de Daniel et se demandait s’il s’agissait d’une sorte de tentative de sa part de montrer son engagement envers elle quand il avait échoué plus tôt à prononcer ces trois petits mots.
Ils fermèrent le B&B et traversèrent la pelouse en direction de l’endroit où la petite remise de Daniel de tenait, dans l’obscurité. Il ouvrit la porte et la fit entrer.
Emily se sentait toujours tellement plus jeune quand elle rentrait dans la maison de Daniel. Quelque chose dans sa grande collection de disques et de livres l’intimidait. Elle balayait les étagères du regard maintenant, regardant les écrits académiques que possédait Daniel. Psychologie. Photographie. Il avait des ouvrages sur beaucoup de sujets différents. Et, au grand amusement d’Emily, ces écrits académiques à l’air intimidant étaient tous pris en sandwich entre des romans policiers à sensation.
« Sans blague ! », s’exclama-t-elle. « Tu lis Agatha Christie ? »
Daniel haussa seulement les épaules. « Rien de mal avec un Agatha de temps à autre. Elle est une excellente romancière. »
« Mais ces livres ne sont-ils pas pour des femmes d’âge mûr ? »
« Pourquoi tu n’en lis pas un puis tu me dis ? », dit-il avec insolence.
Emily le frappa avec un coussin. « Comment oses-tu. Trente-cinq ans est difficilement un âge mûr ! »
Ils rirent tandis que Daniel se battait contre Emily sur le canapé. Il la chatouilla impitoyablement, la faisant crier et lui rouer le dos de coups avec ses poings fermés. Ensuite, ils tombèrent tous les deux, épuisés par leur jeu de bagarre, dans un enchevêtrement de membres. Les gloussements d’Emily se calmèrent. Elle haletait, reprenant son souffle, les bras enroulés autour de Daniel, entortillant ses cheveux autour ses doigts. Leur humeur puérile s’estompa, devenant plus sérieuse.
Daniel se recula pour pouvoir voir son visage. « Tu es belle, tu sais », dit-il. « Je ne suis pas sûr de te le dire assez souvent. »
Emily pouvait saisir les sous-entendus de ce qu’il disait. Il faisait référence à plus tôt, au fait qu’il ne lui avait pas dit qu’il l’aimait aussi. Il essayait de se faire pardonner pour ça à présent en l’inondant de compliments. Ce n’était pas vraiment la même chose, mais elle était néanmoins heureuse de l’entendre.
« Merci », murmura-t-elle. « Tu n’es pas si mal toi non plus. »
Daniel eut un petit sourire satisfait, esquissant ce sourire en coin qu’Emily aimait tant.
« Je suis tellement heureux de t’avoir rencontrée », poursuivit-il. « Ma vie maintenant comparée à ce qu’elle était avant toi, c’est presque incompréhensible. Tu as tout bouleversé. »
« Dans le bon sens, j’espère », dit Emily.
« Dans le meilleur des sens », lui assura Daniel.
Emily sentit ses joues rosir. Bien qu’elle apprécie écouter Daniel dire ces mots, elle était encore timide, encore un peu incertaine d’où elle en était avec lui, et indécise quant à savoir jusqu’à quel point elle devrait vraiment s’autoriser à se rapprocher, étant donné combien tout était en suspens avec le B&B.
Daniel avoir du mal à dire les mots suivants. Emily l’observa patiemment, le regard encourageant.
« Si tu partais, je ne sais pas ce que je ferais », dit Daniel. « En fait, si. Je conduirais jusqu’à New York pour être de nouveau avec toi. » Il lui prit la main. « Ce que je suis en train de dire, c’est reste avec moi. D’accord ? Où que puisse être cet endroit, fais que ça soit avec moi. »
Les paroles de Daniel touchèrent profondément Emily. Il y avait une telle sincérité en elles, une telle tendresse. Ce n’était pas de l’amour qu’il communiquait mais quelque chose d’autre, quelque chose de similaire ou au moins aussi important. C’était un désir d’être avec elle quoi qu’il arrive avec le B&B. Il bannissait le compte à rebours, disant que peu lui importait qu’elle n’y arrive pas d’ici le quatre juillet, qu’il serait encore là avec elle.
« Je le ferai », dit Emily, les yeux fixes levés sur lui avec adoration. « Nous pouvons rester ensemble. Quoi qu’il arrive. »
Daniel se pencha et embrassa profondément Emily. Elle sentit son corps se réchauffer en réponse à lui, et la chaleur entre eux s’intensifia. Ensuite Daniel se leva et lui tendit une main. Elle se mordilla une lèvre et la prit, le suivant avec un empressement passionné tandis qu’il la menait dans la chambre.
CHAPITRE SEPT
Le rendez-vous avait exactement été ce dont à la fois Emily et Daniel avaient besoin. Parfois ils étaient tellement accablés par tout le travail au B&B qu’il n’était pas facile de laisser glisser de telles choses. Ce ne fut donc pas une surprise quand ils n’entendirent pas leur alarme réglée à huit heures du matin. Emily en particulier avait du sommeil bien nécessaire à rattraper.
Quand ils se réveillèrent tous les deux – à neuf heures, ce qui semblait maintenant être incroyablement tardif – ils décidèrent qu’il serait mieux de profiter d’un peu de temps supplémentaire au lit, puisqu’ils avaient passé un si bon moment entre les draps la nuit précédente.
Ils se levèrent finalement autour de dix heures, mais même alors ils apprécièrent un long petit-déjeuner paisible avant d’enfin admettre qu’ils devraient retourner à la maison principale pour continuer le travail dans les nouvelles chambres.
« Eh, regarde », dit Daniel alors qu’il fermait la porte de la remise et la verrouillait derrière eux. « Il y a une voiture dans l’allée. »
« Un autre client ? », l’interrogea Emily.
Ils commencèrent à s’approcher tranquillement, main dans la main, remontant le passage de graviers. Emily leva les yeux vers la maison, où elle pouvait voir une femme aux cheveux noirs et brillants debout sur le perron, plusieurs sacs à côté d’elle, qui sonnait encore et encore.
« Je pense que tu as raison », dit Daniel.
Emily poussa une exclamation, réalisant soudainement qui se tenait là.
« Oh non, j’ai oublié pour Jayne ! », cria-t-elle. Elle regarda sa montre. Onze heures. Jayne avait dit qu’elle arriverait à dix heures. Elle espérait que sa pauvre amie n’était pas restée là debout pendant une heure tout entière, à faire sonner la cloche.
« Jayne », s’exclama-t-elle en s’élançant dans l’allée. « Je suis tellement désolée ! Je suis là ! »
Jayne se retourna en entendant son nom. « Em ! », cria-t-elle et agitant la main. Quand elle remarqua Daniel qui marchait à vive allure à quelques pas derrière, ses sourcils se levèrent en flèche, comme pour dire, “Qui est ce gars ?”.
Emily l’atteignit et les deux femmes s’enlacèrent.
« Tu es restée là pendant une heure ? », demanda Emily, inquiète.
« Oh, franchement, Emily. Tu ne me connais pas bien ? Bien sûr que je ne suis pas arrivée ici à l’heure. J’étais en retard d’environ quarante-cinq minutes ! »
« Quand même », dit Emily, d’un air confus. « Quinze minutes, c’est plutôt un long moment passé debout sur le perron de quelqu’un. »
Jayne tapa le revêtement en bois du talon. « Un perron robuste et solide. Il a fait du bon travail. »
Emily rit. Juste à cet instant, Daniel les rejoignit.
« Jayne, voici Daniel », dit précipitamment Emily, sachant qu’elle n’avait d’autre choix que de le présenter.
Daniel serra la main de Jayne avec courtoisie, même si elle le dévisageait comme un morceau de viande.
« Ravi de vous rencontrer », dit-il. « Emily m’a beaucoup parlé de vous. »
« Elle a fait ça ? », dit Jayne, les sourcils levés sur son front. « Parce qu’elle ne m’a rien dit de vous. Vous êtes un secret bien gardé, Daniel. »
Emily ne put s’empêcher de rougir. Jayne n’était pas faite pour les subtilités, ou pour garder la bouche fermée quand elle l’aurait vraiment dû. Emily espérait seulement que Daniel ne chercherait pas de signification dans ses mots, et n’en tirerait pas des conclusions qui n’étaient pas vraiment pas justes.
« Vous voulez que je vous aide à porter votre sac ? », demanda-t-il.
« Oui, s’il vous plaît », répondit Jayne.
À la seconde où Daniel se pencha pour ramasser ses sacs, elle tendit le cou pour regarder ses fesses. Elle saisit le regard d’Emily et hocha de la tête en approbation. Emily se hérissa.
« Laisse-moi prendre ceux-là », dit rapidement Emily en écartant Daniel du passage, et elle attrapa les sacs. « Wow, Jayne, ces trucs sont lourds ! Qu’est-ce que tu as pris ? »
« Oh, tu sais », dit Jayne. « Deux tenues par jour – pour la journée et la nuit – plus un petit quelque chose pour une soirée habillée, juste au cas où. De la lingerie, évidemment. Des masques pour le visage et des crèmes hydratantes, une trousse à maquillage, vernis à ongles, lisseur pour les cheveux, fer à friser— »
« Tu avais vraiment besoin d’amener un lisseur et un fer à friser ? », s’enquit Emily, tirant les sacs par-dessus le seuil et dans le couloir.
« — et un fer à crêper », ajouta Jayne. « On ne sait jamais quelle humeur pourrait frapper. » Elle lança un grand sourire diabolique à Emily.
« Emily », dit Daniel, « tu as l’air d’avoir du mal. Pourquoi ne me laisses-tu pas monter ceux-là dans la chambre de Jayne ? »
« Merci Daniel », dit Emily en s’assurant qu’elle bloquait stratégiquement la vue de Jayne sur le postérieur de Daniel tandis qu’il se penchait. « Pourquoi ne les mets-tu pas dans la Chambre Une s’il te plaît ? »
La chambre d’origine, la Chambre Une, était affectueusement surnommée la chambre de Mr Kapowski par Daniel et Emily, mais à cet instant-là Emily n’avait guère envie de se plonger dans cette histoire en particulier. Elle savait qu’elle avait eu l’air bizarrement rigide et formel en lui demandant de mettre les sacs dans la Chambre Une, mais à ce moment-là elle ne s’en souciât pas ; son seul intérêt était d’éloigner prudemment Daniel de Jayne aussi vite que possible, de préférence sans qu’elle lorgne son derrière pendant qu’il montait les escaliers. La chambre la plus éloignée dans la maison semblait être une bonne distance.
Emily se tourna vers Jayne. « Laisse-moi te faire visiter. » Elle conduisit son amie dans le salon.
« Oh mon dieu ! » glapit Jane avant même que la porte ne se soit fermée derrière elles. « Est-ce que c’est le nouvel homme dans ta vie ? Dis-moi que ce n’est pas le cas ! Vraiment ? Comment as-tu fait pour ne rien dire ? Pourquoi n’es-tu pas en train d’appeler tous ceux que tu as un jour rencontrés, y compris ton instituteur de maternelle et le facteur, pour leur dire que tu sors avec un bûcheron canon ? »
Jayne parlait incroyablement vite, et fort, d’une manière qui pourrait donner la migraine à quelqu’un après cinq minutes passées en sa compagnie.
« Il n’est pas bûcheron », murmura Emily, qui se sentait embarrassée. Comment avait-elle pu oublier combien Jayne pouvait être impertinente ? Mais qu’est-ce qui lui avait fait penser qu’inviter sa plus vieille amie au B&B était une bonne idée, quand faire cela signifiait que sa relation serait minutieusement examinée ? Elle ne voulait pas effrayer Daniel ; elle avait déjà fait un bon travail pour ça toute seule en laissant échapper qu’elle l’aimait la veille.
« Mais chérie », ajouta Jayne, « il est extrêmement canon. Tu peux le voir, pas vrai ? Je veux dire, tes goûts sont devenus un peu délirants durant les derniers mois mais tu peux encore voir un mec canon quand il se tient devant toi, n’est-ce pas ? »
« Oui », murmura Emily en levant les yeux au ciel. « S’il te plaît ne sois pas bizarre avec lui. C’est récent. Vraiment récent. »