« Plus tard, » dit-il. « On verra ça plus tard. »
Il l’attira vers lui et la prit dans ses bras. Elle appuya son visage dans son cou et sentit son odeur, l’odeur subtile de son eau de Cologne et l’odeur plus concrète de son corps. Il aimait qu’on sente son odeur. Et elle trouvait ça excitant. Tout en lui l’excitait en fait.
Il se retourna et la pressa contre le lit, à plat ventre. Elle se laissa faire. Elle en avait envie. Un instant plus tard, elle se tordait de plaisir pendant que ses mains la déshabillaient et parcouraient son corps. Sa voix profonde lui murmura des choses à l’oreille, des mots qui l’auraient normalement choquée mais qui, ici, dans cette chambre, la faisaient gémir d’un plaisir animal.
***
Quand Omar se réveilla, il était seul.
Et c’était tant mieux. Elle savait ce qu’il aimait. Quand il dormait, il n’aimait pas être dérangé par les mouvements et les bruits d’autres personnes. Le sommeil, c’était fait pour se reposer. Ce ne devait pas être une lutte.
Le bateau se déplaçait. Ils avaient quitté Galveston, exactement à l’heure prévue, et ils traversaient le Golfe du Mexique en direction de la Floride. Demain, ils jetteraient l’ancre près de Tampa, et la petite fiole qu’Aabha lui avait apportée rejoindrait la terre ferme.
Il tendit la main vers la table de chevet et prit la fiole. C’était une fiole toute simple, faite de plastique épais et fermée par un bouchon rouge. Le contenu semblait vraiment insignifiant. On aurait dit un tas de poussière.
Et pourtant…
Il en avait le souffle coupé ! De détenir ce pouvoir, le pouvoir de vie ou de mort. Et pas seulement sur une seule personne – mais le pouvoir de tuer beaucoup de monde. Le pouvoir de détruire une nation entière. Le pouvoir de tenir des pays en otage. Le pouvoir de guerre totale. Le pouvoir de se venger.
Il ferma les yeux et prit une profonde inspiration, pour essayer de se calmer. Ça avait été risqué de venir à Galveston en personne, et ce n’était pas nécessaire en soi. Mais il avait eu envie d’être présent au moment où une telle arme passait en sa possession. Il avait envie de tenir cette arme en main et d’en sentir le pouvoir.
Il reposa la fiole sur la table de chevet, enfila son pantalon, et sortit du lit. Il enfila un t-shirt du Manchester United et sortit sur le pont. Il y trouva Aabha, assise dans une chaise longue et observant les étoiles et l’immensité de l’océan qui les entourait.
Un garde du corps se tenait silencieusement près de la porte.
Omar fit un geste à l’homme, qui se déplaça près de la rambarde.
« Aabha, » dit Omar. Elle tourna son visage vers lui et il vit combien elle avait l’air fatiguée.
Elle sourit et il lui sourit en retour. « Tu as fait quelque chose d’incroyable, » dit-il. « Je suis vraiment très fier de toi. Peut-être qu’il serait temps que tu te reposes. »
Elle hocha la tête. « Je suis vraiment fatiguée. »
Omar se pencha en avant et leurs lèvres se rejoignirent. Il l’embrassa profondément, savourant son odeur et le souvenir des courbes de son corps.
« Pour toi, ma chérie, le repos est plus que mérité. »
Omar jeta un coup d’œil en direction du garde du corps. C’était un homme robuste et de grande taille. Il sortit un sac en plastique de la poche de sa veste, se plaça derrière elle et, d’un mouvement rapide, il lui passa le sachet sur la tête et se mit à serrer.
Le corps d’Aabha devint instantanément électrique. Elle leva les bras et essaya de le griffer et de se défendre. Ses jambes s’agitèrent sous elle et elle tomba de sa chaise. Elle lutta mais c’était peine perdue. L’homme était bien trop fort. Ses poignets et ses avant-bras étaient crispés, tous ses muscles étaient tendus.
À travers le sac transparent, son visage devint un masque de terreur et de détresse, ses yeux s’écarquillèrent. Sa bouche était grande ouverte et cherchait de l’air sans en trouver. Au lieu d’oxygène, elle respirait du plastique.
Son corps se tendit et devint rigide. Elle s’inclina légèrement en avant. Petit à petit, elle commença à se calmer. Ses forces diminuèrent et l’abandonnèrent, avant d’arrêter totalement de bouger. Le garde du corps la laissa lentement s’effondrer sur sa chaise et il accompagna le mouvement de son corps. Maintenant qu’elle était morte, il la traitait avec tendresse.
L’homme prit une profonde inspiration et regarda Omar.
« Qu’est-ce que je fais d’elle ? »
Omar regarda la nuit noire qui l’entourait.
C’était triste de tuer une fille comme Aabha, mais elle n’était plus toute blanche. Bientôt, peut-être même déjà demain matin, les Américains allaient se rendre compte que le virus avait disparu. Ils découvriraient très vite qu’Aabha était la dernière personne présente dans le laboratoire et qu’elle était là quand les lumières s’étaient éteintes.
Ils se rendraient compte que la coupure d’électricité avait été causée par un câble souterrain délibérément sectionné, et que les générateurs de secours ne s’étaient pas mis en marche par suite d’un sabotage minutieusement préparé depuis des semaines. Ils rechercheraient désespérément Aabha, et ils ne devaient jamais la retrouver.
« Demande de l’aide à Abdul. Il a des seaux vides et du ciment à séchage rapide dans le casier à équipement en bas, près de la salle des moteurs. Amène-la là-bas. Entoure-lui les pieds et les mollets de ciment et jette-la à l’endroit le plus profond de l’océan. Au moins trois cents mètres de profondeur, ou plus. C’est facile de le savoir, non ? »
L’homme hocha la tête. « Oui, monsieur. »
« Parfait. Après ça, assure-toi que tous mes draps, oreillers et couvertures soient lavés. Il faut faire attention à détruire toute preuve. Si jamais les Américains venaient à fouiller ce bateau, je ne veux pas qu’ils retrouvent l’ADN de cette fille. »
L’homme hocha la tête. « Ce sera fait. »
« Très bien, » dit Omar.
Il laissa son garde du corps avec le cadavre d’Aabha et retourna dans sa chambre à coucher. Il était temps de prendre un bain chaud.
CHAPITRE CINQ
10 juin
11h15
Comté de Queen Anne, Maryland – Côte orientale de la baie de Chesapeake
« Peut-être qu’on devrait vendre la maison, alors, » dit Luke.
Il parlait de leur ancienne maison de campagne en front de mer, à vingt minutes de l’endroit où ils se trouvaient actuellement. Luke et Becca avaient loué une autre maison, beaucoup plus spacieuse et moderne, pour les deux semaines à venir. Luke préférait cette maison-ci mais ils étaient uniquement là parce que Becca refusait de retourner dans leur ancienne maison.
Et c’était tout à fait compréhensible. Quatre jours plus tôt, Becca et Gunner avaient été enlevés de cette maison. Et Luke n’avait pas été là pour les protéger. Ils auraient pu être tués. Ça aurait pu finir en drame.
Il regarda par la grande fenêtre de la cuisine. Gunner était dehors, en jean et en t-shirt, et jouait à un jeu imaginaire, comme seuls les enfants de neuf ans peuvent le faire. Dans quelques minutes, Gunner et Luke allaient sortir le bateau et aller pêcher.
En voyant son fils, Luke fut pris d’un accès de panique.
Et si Gunner avait été tué ? Et s’ils avaient tous les deux disparu et qu’ils ne les avait jamais retrouvés ? Et si dans deux ans, Gunner ne jouait plus à des jeux imaginaires ? C’était un véritable fouillis dans la tête de Luke.
Oui, c’était horrible. Et ça n’aurait jamais dû arriver. Mais ils avaient fait face à des problèmes encore plus importants. Luke, Ed Newsam et une petite poignée d’autres personnes avaient réussi à déjouer une violente tentative de coup d’état, et ils avaient remis en place ce qui restait du gouvernement démocratiquement élu des États-Unis. Il était possible qu’ils aient sauvé la démocratie américaine elle-même.
C’était une bonne chose, mais Becca ne semblait pas très intéressée par ça pour l’instant.
Elle était assise à la table de la cuisine dans un peignoir bleu et elle buvait sa deuxième tasse de café. « C’est facile à dire pour toi. Cette maison est dans ma famille depuis une centaine d’années. »
Les longs cheveux de Rebecca flottaient sur ses épaules. Ses yeux bleus étaient encadrés par des cils épais. Luke trouva que ses traits avaient l’air tirés. Et ça le rendait malade. Il était malade de penser à tout ce qui était arrivé, mais il ne savait pas quoi lui dire pour qu’elle se sente mieux.
Une larme coula sur la joue de Becca. « Mon jardin est là-bas, Luke. »
« Je sais. »
« Je ne peux plus travailler dans mon jardin parce que j’ai peur. J’ai peur dans ma propre maison, une maison où je vais depuis que je suis née. »
Luke resta silencieux.
« Et monsieur et madame Thompson… ils sont morts. Tu le sais ça, non ? Ces hommes les ont tués. » Elle regarda Luke d’un air dur. Ses yeux exprimaient la colère. Becca avait tendance à se fâcher sur lui, parfois pour des broutilles. Parce qu’il n’avait pas fait la vaisselle ou il avait oublié de sortir les poubelles. Quand elle était fâchée sur lui, elle avait un regard semblable à celui qu’elle avait pour l’instant. Luke l’appelait le regard de reproche. Et à cet instant précis, pour Luke, ce regard était de trop.
Il revit mentalement l’image de ses voisins, monsieur et madame Thompson. Si Hollywood devait faire un casting pour un gentil couple âgé de voisins, ce seraient exactement les Thompson. Il les aimait beaucoup et il n’aurait jamais voulu que leur vie se termine ainsi. Mais beaucoup de personnes sont mortes ce jour-là.
« Becca, je n’ai pas tué les Thompson, OK ? Je suis désolé qu’ils soient morts et je suis vraiment désolé que vous ayez été enlevés, toi et Gunner – j’en serai désolé le reste de ma vie et je ferai tout mon possible pour arranger les choses. Mais ce n’est pas moi qui ai fait tout ça. Je n’ai pas tué les Thompson. Je n’ai pas envoyé des hommes pour vous enlever. On dirait que tu mélanges tout dans ton esprit et je ne suis pas d’accord. »
Il fit une pause. Ça aurait été un bon moment pour arrêter de parler mais il ne le fit pas. Les mots sortaient de sa bouche comme un raz-de-marée.
« Tout ce que j’ai fait, c’est lutter à travers un blizzard de coups de feu et de bombes. Des gens ont essayé de me tuer toute la journée et toute la nuit. On m’a tiré dessus, une bombe a explosé près de moi, on a essayé de me tuer sur la route. Et j’ai sauvé la Présidente des États-Unis, ta Présidente, d’une mort certaine. C’est ça, ce que j’ai fait. »
Il haleta, comme s’il venait de faire un sprint.
Il regrettait tout. C’était vrai. Ça lui faisait du mal de penser que le boulot qu’il faisait pouvait lui avoir causé de la peine. Ça lui faisait plus mal qu’elle ne pourrait jamais l’imaginer. C’était exactement la raison pour laquelle il avait quitté ce boulot l’année dernière, mais il avait été rappelé cette nuit-là – une nuit qui s’était prolongée par une journée et une autre nuit interminable. Une nuit durant laquelle il avait pensé qu’il avait perdu sa famille à jamais.
Becca ne lui faisait plus confiance. Il le voyait bien. Sa présence l’effrayait. Il était la raison de tout ce qui leur était arrivé. Il vivait une vie dangereuse, il était téméraire et il allait finir par les faire tuer, elle et leur seul fils.
Des larmes coulèrent silencieusement sur le visage de Becca. Une longue minute s’écoula.
« Est-ce que ça a vraiment de l’importance ? » dit-elle.
« Quoi ? »
« Est-ce que ça a vraiment de l’importance qui est le Président ? Si Gunner et moi, on avait été tués, est-ce que ça aurait vraiment été important pour toi de savoir qui était Président des États-Unis ? »
« Mais vous êtes vivants, » dit-il. « Vous n’êtes pas morts. Vous êtes vivants et vous allez bien. C’est une grosse différence. »
« OK, » dit-elle. « Oui, c’est vrai, on est vivant. » Mais c’était un consentement sans en être un.
« Il faut que je te dise quelque chose, » dit Luke. « Je prends ma retraite. J’arrête. Il se pourrait que j’aie encore quelques réunions dans les prochains jours, mais je ne pars plus en mission. J’ai fait ma part. Maintenant, c’est fini. »
Elle secoua légèrement la tête. Comme si elle n’avait plus l’énergie pour bouger. « Tu as déjà dit ça. »
« Oui. Mais cette fois-ci, je le pense. »
***
« Il faut que le bateau soit toujours bien en équilibre. »
« OK, » dit Gunner.
Lui et son père étaient occupés à charger le bateau d’équipement. Gunner portait un jean, un t-shirt et un grand chapeau de pêcheur pour protéger son visage du soleil. Il portait également des lunettes de soleil Oakley que son père lui avait données. Il avait d’ailleurs exactement les mêmes.
Le t-shirt n’était pas trop mal – il était inspiré du film 28 jours plus tard, un film d’horreur britannique plutôt sympa avec des zombies. Le problème, c’est qu’il n’y avait aucun zombie sur le t-shirt. C’était juste un symbole rouge de danger biologique sur un fond noir. Il se dit que c’était logique. Les zombies dans le film n’étaient pas vraiment des morts-vivants. C’étaient des gens qui avaient été infectés par un virus.
« Positionne cette glacière de travers, » dit son père.
Son père utilisait parfois des mots bizarres quand ils allaient pêcher. Ça faisait souvent rire Gunner. « De travers ! » cria-t-il. « Oui, mon capitaine. »
Son père fit un mouvement de la main pour indiquer la position qu’il voulait ; de travers, vers le milieu, et non pas à l’arrière là où Gunner l’avait placée. Gunner fit glisser la grosse glacière bleue pour la mettre à l’endroit indiqué.
Ils étaient debout, l’un en face de l’autre. Son père le regarda d’un air bizarre, derrière ses lunettes de soleil. « Comment est-ce que tu te sens ? »
Gunner hésita. Il savait qu’ils étaient préoccupés à son sujet. Il les avait entendus murmurer son nom pendant la nuit. Mais il allait bien. Vraiment. Il avait eu très peur et il était toujours un peu effrayé. Il avait également beaucoup pleuré et c’était tant mieux. Il fallait parfois pleurer. Il ne fallait pas garder ses sentiments pour soi.
« Gunner ? »
Apparemment, il ferait mieux d’en parler.
« Papa, tu tues parfois des gens, n’est-ce pas ? »
Son père hocha la tête. « Oui, parfois. Ça fait partie de mon boulot. Mais je ne tue que les méchants. »
« Et comment est-ce que tu fais la différence ? »
« C’est parfois difficile à dire. Mais parfois, c’est très facile. Les méchants font du mal aux gens qui sont plus faibles qu’eux, ou à des personnes innocentes qui ne demandent rien à personne. Mon boulot, c’est de les empêcher de faire ça. »
« Comme les hommes qui ont tué le Président ? »
Son père hocha la tête.
« Tu les as tués ? »
« J’en ai tué quelques-uns, oui. »
« Et les hommes qui nous ont enlevés, maman et moi ? Tu les as aussi tués ? »
« Oui. »
« Je suis content que tu l’aies fait, papa. »
« Moi aussi, petit monstre. C’était exactement le genre de types qu’il fallait tuer. »
« Est-ce que tu es le meilleur tueur au monde ? »
Son père secoua la tête et sourit. « Je ne sais pas. Je ne pense pas qu’il y ait un classement des meilleurs tueurs. Ce n’est pas vraiment un sport. Il n’y a pas de champion du monde. Dans tous les cas, je veux que tu saches que j’arrête. Je veux passer plus de temps avec toi et ta maman. »
Gunner y réfléchit un instant. Il avait vu hier une émission sur son père à la télé. C’était juste une très brève présentation, mais ils avaient montré la photo et le nom de son père, ainsi qu’une vidéo de lui quand il était plus jeune et à l’armée. Luke Stone, opérations Delta Force. Luke Stone, Équipe d’intervention spéciale du FBI. Luke Stone et son équipe avaient sauvé le gouvernement des États-Unis.
« Je suis fier de toi, papa. Même si tu ne deviens jamais champion du monde. »
Son père se mit à rire. Il fit un geste en direction du ponton. « Alors, prêt à y aller ? »
Gunner acquiesça d’un mouvement de tête.
« On va prendre un peu le large, jeter l’ancre, et voir si on peut trouver quelques bars qui se nourrissent à marée descendante. »