Gunner hocha la tête. Ils s’éloignèrent du ponton et commencèrent à prendre le large. Il s’accrocha au bord du bateau au moment où ils commencèrent à prendre de la vitesse.
Gunner observait l’horizon devant eux. C’était son boulot de guetter et il devait garder les yeux bien ouverts et rester sur le qui-vive, comme le disait son père. Ils étaient allés pêcher à trois reprises pendant le printemps, mais ils étaient à chaque fois revenus bredouilles. Quand tu allais pêcher et que tu n’attrapais rien, son père appelait ça ‘se faire avoir’. Et pour l’instant, ils s’étaient beaucoup fait avoir.
Quelques instants plus tard, Gunner repéra des clapotis au loin à tribord. Des hirondelles de mer étaient occupées à plonger, se lançant dans l’eau telles des bombes.
« Hé, regarde ! »
Son père hocha la tête et sourit.
« Des bars, peut-être ? »
Son père secoua la tête. « Des tassergals. » Avant d’ajouter : « Accroche-toi. »
Il lança le moteur à pleine puissance et le bateau se mit à filer sur l’eau à toute vitesse, tandis que la proue se relevait tel le nez d’un avion. Gunner fut presque projeté en arrière. Une minute plus tard, son père ralentit en s’approchant de l’endroit repéré par Gunner et la proue du bateau se rabaissa.
Gunner attrapa les deux longues cannes à pêche qui se trouvaient à l’avant du bateau. Il en tendit une à son père et lança sa ligne sans attendre. Presque tout de suite, il sentit quelque chose tirer. Sa canne à pêche commença à bouger, animée par une vie sous-marine. Une force invisible faillit la lui arracher des mains. La ligne se brisa et la tension cessa immédiatement. Le tassergal était parvenu à s’enfuir. Il se retourna vers son père, et il vit que ce dernier avait également une prise. Sa canne était presque pliée en deux.
Gunner attrapa un filet et se prépara à l’aider. Un tassergal très énervé – de couleur argentée, bleue, verte et blanche – fut sorti de l’eau et amené sur le pont.
« Un beau poisson. »
« Et qui vient mettre fin à une série de défaites ! »
Le tassergal se tordait sur le pont, attrapé dans les mailles vertes du filet.
« On va le garder ? »
« Non. Grâce à lui, c’en est fini de se faire avoir, mais on est là pour les bars. Les tassergals, ce sont de beaux poissons, mais les bars rayés sont plus gros et meilleurs au barbecue. »
Ils relâchèrent le poisson – Gunner regarda comment son père prenait le tassergal frétillant en main et lui retirait l’hameçon, avec ses doigts à seulement quelques centimètres de ses dents. Son père fit tomber le poisson sur le côté du bateau où, en un coup de queue, il s’enfonça dans les profondeurs.
Le poisson avait à peine disparu que le téléphone de son père se mit à sonner. Son père sourit et regarda le téléphone. Puis il le mit de côté, où il continua à sonner. Après un moment, il s’arrêta, mais dix secondes plus tard, il se remit à sonner.
« Tu ne vas pas répondre ? » dit Gunner.
Son père secoua la tête. « Non. En fait, je pense que je vais l’éteindre. »
Gunner sentit la peur lui serrer le ventre. « Mais papa, il faut que tu répondes. Et si c’était urgent ? Et si les méchants étaient de nouveau là ? »
Son père regarda longuement Gunner. Quand son téléphone recommença à sonner, il décrocha.
« Stone, » dit-il.
Il fit une pause et son visage s’assombrit. « Salut, Richard. Oui, le chef de cabinet de Susan. Bien sûr. J’ai entendu parler de vous. Écoutez… Vous savez que je prends quelques vacances, non ? Je n’ai même pas encore décidé si je fais encore partie de l’Équipe d’intervention spéciale, ou peu importe comment vous l’appelez maintenant. Oui, je comprends, mais il y a toujours quelque chose d’urgent. Personne ne m’appelle jamais chez moi pour me dire que ce n’est pas urgent. OK… OK. Si la Présidente veut vraiment une réunion, alors elle peut m’appeler personnellement. Elle sait comment me joindre. OK ? Merci. »
Quand son père raccrocha, Gunner le regarda. Il n’avait pas l’air d’autant s’amuser qu’avant. Gunner savait que si la Présidente appelait, son père allait rapidement faire ses bagages pour partir quelque part. Une autre mission, peut-être d’autres méchants à tuer. Et il laisserait à nouveau Gunner et sa mère tous seuls à la maison.
« Papa, est-ce que la Présidente va t’appeler ? »
Son père ébouriffa les cheveux de Gunner. « J’espère pas. Et maintenant, si on allait attraper quelques bars pour le dîner ? »
***
Des heures plus tard, la Présidente n’avait toujours pas appelé.
Luke et Gunner avaient attrapé trois beaux bars rayés, et Luke montrait à Gunner comment les vider, les nettoyer et les découper en filets. Ce n’était pas la première fois qu’il le lui montrait mais c’était en répétant qu’on apprenait. Becca participait et avait apporté une bouteille de vin sur le porche, ainsi que des crackers et du fromage.
Luke commençait juste à allumer le barbecue quand son téléphone sonna.
Il regarda sa famille. Ils s’étaient figés à la première sonnerie. Il échangea un regard avec Becca. Il n’était pas trop sûr de savoir ce qu’elle pensait. Mais quoi que ce fut, ce n’était pas une approbation. Il décrocha son téléphone.
Il entendit la voix grave d’un homme : « Agent Stone ? »
« Oui. »
« Je vous passe la Présidente des États-Unis. »
Il resta immobile pendant un instant.
Puis la connexion se fit et il entendit sa voix. « Luke ? »
« Susan. »
Il la revit, au moment où elle encourageait tout le pays à chanter ‘God Bless America.’ Ça avait été un moment incroyable mais c’était tout ce que c’était, un bref moment. Et c’était le genre de choses pour lesquelles les politiciens étaient doués. C’était presque un petit numéro pour eux.
« Luke, on est en pleine crise. »
« Susan, il y a toujours une crise. »
« Là, je suis dans la merde jusqu’au cou. »
Jolie expression qu’il n’avait plus entendue depuis longtemps.
« On organise une réunion. Ici, à la maison. J’ai besoin que tu sois là. »
« Quand ? »
Elle n’hésita pas une seconde. « Dans une heure. »
« Susan, je suis à deux heures de route. Et ça, c’est dans les bons jours. Et pour l’instant, la moitié des routes sont fermées au trafic. »
« Tu n’auras pas besoin de conduire. Un hélicoptère vient te chercher. Il sera là dans quatorze minutes. »
Luke regarda à nouveau sa famille. Becca s’était versé un verre de vin et lui tournait le dos. Elle regardait le soleil de fin d’après-midi plonger vers l’eau de la baie. Gunner avait les yeux fixés sur le poisson et sur le barbecue.
« OK, » dit Luke.
CHAPITRE SIX
18h45
Observatoire naval des États-Unis – Washington
« Agent Stone, je suis Richard Monk, le chef de cabinet de la Présidente. On s’est parlé au téléphone tout à l’heure. »
Luke venait d’arriver à l’héliport de l’Observatoire naval cinq minutes plus tôt. Il serra la main de Richard, un homme de grande taille, bien taillé, qui devait avoir près de la quarantaine, probablement l’âge de Luke. Il portait une chemise bleue avec les manches relevées jusqu’aux coudes. Sa cravate était de travers. Son torse avait l’air bien musclé, comme dans une pub pour un magazine pour hommes. Il devait être du genre à travailler dur mais également à prendre soin de lui. C’est ce qui semblait ressortir de l’allure générale de Richard Monk.
Ils traversèrent le couloir en marbre de la Nouvelle Maison Blanche, en direction d’une double porte qui se trouvait au fond. « Nous avons transformé l’ancienne salle de réunion en salle de crise, » dit Monk. « C’est encore en cours, mais on y est presque. »
« Vous avez de la chance d’être encore en vie, non ? » dit Luke.
L’homme perdit un peu de son assurance pendant une fraction de seconde. Il hocha la tête. « La Vice… enfin, elle était Vice-Présidente à l’époque. La Présidente et moi-même, ainsi que d’autres membres de notre staff, nous étions sur la côte Ouest quand le Président Hayes lui a demandé de revenir sur la côte Est. Ce fut très soudain. Je suis resté à Seattle avec d’autres pour régler quelques affaires. Quand l’explosion a eu lieu à Mount Weather… »
Il secoua la tête. « C’est horrible. Mais oui, j’aurais pu m’y trouver aussi. »
Luke hocha la tête. Ils étaient encore occupés à sortir des cadavres de Mount Weather, des jours après la catastrophe. Plus de trois cents morts pour l’instant, et ce n’était pas fini. Parmi eux, se trouvaient l’ancien Secrétaire d’État, l’ancien ministre de l’éducation, l’ancien ministre de l’intérieur, le chef de la NASA, et des dizaines de Représentants et Sénateurs des États-Unis.
Les pompiers avaient seulement réussi à éteindre l’incendie souterrain hier.
« Quelle est cette crise pour laquelle Susan m’a fait appeler ? » dit Luke.
Monk fit un geste en direction de la porte au fond du couloir. « La Présidente Hopkins est dans la salle de réunion, avec ses principaux collaborateurs. Je préfère leur laisser vous informer de la situation. »
Ils passèrent la double porte et entrèrent dans la salle. Plus d’une dizaine de personnes étaient déjà assises à une grande table ovale. Susan Hopkins, Présidente des États-Unis, était assise tout au bout. Elle paraissait toute petite, entourée d’hommes de grande taille. Deux agents des services secrets se tenaient de chaque côté d’elle. Trois autres se trouvaient dans différents coins de la salle.
Un homme à l’air nerveux se tenait en bout de table. Il était grand, chauve, un peu bedonnant. Il portait des lunettes et un costume mal taillé. Luke le jaugea en quelques secondes. Il n’avait pas l’air habitué à ce genre d’endroits et il semblait avoir de très gros ennuis. Il ressemblait à un homme qui était cuisiné de toutes parts.
Susan se mit debout. « Avant de commencer, je voudrais vous présenter l’agent Luke Stone, qui faisait anciennement partie de l’Équipe spéciale d’intervention du FBI. Il m’a sauvé la vie il y a quelques jours, et il a joué un rôle important dans la sauvegarde de la République telle qu’on la connaît. Et ce n’est pas une exagération. Je ne crois pas avoir jamais rencontré auparavant un agent aussi chevronné, aussi compétent et aussi courageux face à l’adversité. C’est un honneur pour notre nation, pour nos forces armées et pour nos services de renseignements d’avoir formé et entraîné des hommes et des femmes comme l’agent Stone. »
Tout le monde se mit debout et commença à applaudir. Aux yeux de Luke, ces applaudissements lui paraissaient guindés et formels. Ils devaient applaudir. La Présidente voulait qu’ils le fassent. Il leva la main pour essayer de les arrêter, mais sans y parvenir. Cette situation était vraiment absurde.
« Bonjour, » dit-il, quand les applaudissements cessèrent. « Désolé d’être en retard. »
Luke prit place sur une chaise vide. L’homme qui se trouvait en face de lui commença tout de suite à le fixer des yeux. Luke ne parvenait pas à savoir ce qu’il y avait dans le regard de cet homme. De l’espoir, peut-être ? Il avait l’air d’un quarterback désespéré, sur le point de faire une dernière passe en direction de Luke.
« Luke, » dit Susan. « Voici le docteur Wesley Drinan, directeur du laboratoire national de Galveston à l’unité médicale de l’Université du Texas. Il vient de nous informer d’une potentielle faille dans la sécurité au laboratoire de biosécurité de niveau 4. »
« Ah, » dit Luke. « OK. »
« Agent Stone, connaissez-vous un peu en quoi consistent les laboratoires de biosécurité de niveau 4 ? »
« Euh, vous pouvez m’appeler Luke. Je connais le terme. Mais vous pourriez peut-être m’en faire une présentation rapide. »
Drinan hocha la tête. « Bien sûr. Je vous explique ça en deux mots. Les laboratoires BSL-4 constituent le niveau le plus élevé de sécurité quand il s’agit de manier des agents biologiques. BSL-4 est le niveau requis pour travailler avec des virus et des bactéries dangereuses et exotiques qui présentent un haut risque d’infections en laboratoire, ainsi que ceux qui sont responsables de graves maladies mortelles chez les humains. Ce sont des maladies pour lesquelles aucun vaccin et aucun traitement ne sont actuellement disponibles. Il s’agit en général de maladies comme l’Ebola, la maladie de Marburg, et certains des nouveaux virus hémorragiques que nous commençons seulement à découvrir dans des régions perdues au fin fond de la jungle en Afrique ou en Amérique du Sud. On s’occupe aussi parfois de certains virus de la grippe qui ont récemment mutés, afin d’en comprendre le mécanisme de transmission, le taux d’infection, le taux de mortalité, etc. »
« OK, » dit Luke. « J’ai compris. Et quelque chose a été volé ? »
« On ne sait pas. Quelque chose a disparu. Mais on ne sait pas ce qui est arrivé. »
Luke resta silencieux. Il se contenta de hocher la tête pour l’encourager à continuer de parler.
« Il y a deux jours, il y a eu une coupure d’électricité le soir. C’est déjà très rare en soi. Mais ce qui est encore plus bizarre, c’est que nos générateurs de secours ne se sont pas mis en marche. Nos installations sont conçues pour que, dans le cas d’une coupure d’électricité, il y ait un passage sans heurts de l’électricité principale à celle de secours. Et ce n’est pas arrivé. Au lieu de ça, les installations se sont mises sur les réserves d’urgence, qui est un niveau de basse consommation qui ne fait fonctionner que les systèmes indispensables. »
« Quel genre de systèmes qui ne soient pas indispensables ont cessé de fonctionner ? » demanda Luke.
Drinan haussa les épaules. « L’éclairage, les ordinateurs, les caméras. »
« Les caméras de sécurité ? »
« Oui. »
« À l’intérieur des installations ? »
« Oui. »
« Il y avait quelqu’un à l’intérieur ? »
L’homme hocha la tête. « Il y avait deux personnes à l’intérieur à ce moment-là. L’une était le gardien de nuit, qui s’appelle Thomas Eder. Il travaille dans nos installations depuis quinze ans. Il se trouvait au poste de garde et pas à l’intérieur de la zone de confinement. On l’a interrogé, tout comme la police et le FBI. Il a répondu à toutes nos questions et se montre très coopératif. »
« Et qui d’autre ? »
« Il y avait une scientifique à l’intérieur de la zone de confinement. Elle s’appelle Aabha Rushdie. Elle est indienne. C’est une très belle personne et une scientifique très qualifiée. Elle a étudié à Londres, elle a suivi de nombreuses formations aux laboratoires BSL-4, et elle a l’habilitation de sécurité requise. Elle travaille avec nous depuis trois ans et j’ai directement travaillé avec elle à plusieurs reprises. »
« OK… » dit Luke.
« Quand l’électricité a été coupée, son tuyau d’air a temporairement cessé de fonctionner. C’est une situation potentiellement dangereuse. Elle s’est également retrouvée dans l’obscurité la plus totale. Elle a pris peur et apparemment, Thomas Eder lui aurait permis de sortir des installations sans suivre tout le protocole de sécurité requis. »´
Luke sourit. Ça semblait assez facile. « Et après ça, quelque chose avait disparu. »
Drinan hésita. « Le lendemain, on a fait l’inventaire et on a découvert qu’une fiole d’un virus très particulier de l’Ebola avait disparu. »
« Et quelqu’un a pu parler à cette madame Rushdie ? »
Drinan secoua la tête. « Elle a également disparu. Hier, sa voiture a été retrouvée par un fermier sur une propriété isolée dans la montagne, à quatre-vingts kilomètres à l’Ouest d’Austin. Selon la police d’état, une voiture abandonnée comme ça, c’est plutôt louche. Elle n’est pas chez elle. On a essayé de contacter sa famille à Londres, mais sans succès. »
« Est-ce qu’elle aurait eu une raison de voler le virus de l’Ebola ? »
« Non. C’est impossible à croire. J’y réfléchis depuis deux jours. L’Aabha que je connais n’est pas quelqu’un qui… je ne peux même pas arriver à le dire. Elle n’est pas comme ça. Je ne comprends pas ce qui s’est passé. J’ai peur qu’elle ait été enlevée ou qu’elle soit tombée entre les mains de criminels. J’en perds mes mots. »