Alors qu’elles se rapprochaient de la scène de crime, DeMarco commença à lire les rapports sur l’affaire que Duran leur avait envoyés. En l’écoutant, Kate regardait si elle voyait le soleil percer à l’horizon mais elle ne vit rien.
« Deux couples âgés, » dit DeMarco. « Désolée… l’un avait presque la soixantaine… ne le prends pas mal. »
« Je ne le prends pas mal, » dit Kate, en se demandant si c’était une pointe d’humour.
« À première vue, ils n’ont apparemment rien en commun, à part l’endroit. La première scène était au cœur même de Roanoke et la plus récente était à seulement cinquante kilomètres de là, à Whip Springs. Il n’y a aucun signe qui semble indiquer que le mari ou la femme ait été la cible initiale. Chaque meurtre était assez sordide et un peu exagéré, comme si l’assassin prenait du plaisir. »
« Et cela peut indiquer qu’il s’agit d’une personne qui pourrait avoir la sensation que les victimes lui ont fait du tort d’une manière ou d’une autre, » dit Kate. « Ça, ou une soif de carnage et d’effusion de sang. »
« Les victimes les plus récentes, les Nash, étaient mariés depuis vingt-quatre ans. Ils ont deux enfants, dont l’un vit à San Diego et l’autre étudie à l’université de Virginie. C’est elle qui a découvert les corps quand elle rentrée hier. »
« Et l’autre couple ? » demanda Kate. « Ils ont des enfants ? »
« Apparemment, non. »
Kate réfléchit à tout ce qu’elle venait d’entendre et pour une raison qu’elle ne s’expliquait pas, elle se mit à penser à la petite fille qu’elle avait croisée aujourd’hui dans la rue. Ou plutôt, au flashback qu’elle avait eu en voyant cette petite fille.
Quand elles arrivèrent à la maison des Nash, un peu de lumière commençait enfin à pointer à l’horizon bien que le soleil ne soit pas encore levé. La lumière était diffuse à travers les arbres qui entouraient le jardin des Nash. Elles virent qu’une voiture était garée devant la maison. Un homme était debout, appuyé contre le capot, et fumait une cigarette en tenant une tasse de café.
« Vous êtes les agents Wise et DeMarco ? » demanda l’homme.
« Oui, c’est nous, » dit Kate, en faisant un pas en avant et en montrant son badge. « Qui êtes-vous ? »
« Palmetto, de la police d’état de Virginie. Police scientifique. On m’a appelé il y a quelques heures pour me prévenir que vous repreniez l’affaire. Je me suis dit que ce serait mieux que je sois là pour vous expliquer ce qu’on sait jusqu’à présent. Mais ce n’est pas grand-chose. »
Palmetto prit une dernière bouffée de sa cigarette avant de la jeter au sol et de l’écraser avec son pied. « Les corps ont déjà été retirés et on a trouvé très peu d’indices. Mais venez, entrez. C’est… révélateur. »
Palmetto parlait avec le ton sans émotions d’un homme qui fait ce genre de boulot depuis longtemps. Il les guida jusqu’à l’allée qui menait au porche des Nash. Quand il ouvrit la porte pour les laisser entrer, Kate sentit cette odeur si caractéristique. C’était l’odeur d’une scène de crime où beaucoup de sang avait été versé. Il y avait également quelque chose de chimique, pas seulement l’odeur cuivrée du sang, mais du mouvement récent de personnes avec des gants qui avaient inspecté les lieux.
Palmetto alluma toutes les lampes au fur et à mesure qu’ils s’avançaient dans la maison – à travers le vestibule, le long du couloir et dans le salon. Sous la lumière crue du plafond, Kate vit la première tache de sang sur le parquet. Puis une autre et encore une autre.
Palmetto les amena devant le divan et leur montra du doigt les taches de sang comme s’il parlait de la pluie et du beau temps.
« Les corps se trouvaient ici, un sur le divan et l’autre au sol. Apparemment, la mère a été tuée en premier, la gorge tranchée, bien qu’un autre coup de couteau semble avoir fini très près du cœur, mais asséné dans le dos. On pense qu’il y a eu une lutte avec le père. Il avait des bleus sur les avant-bras, un peu de sang lui sortait de la bouche et la table de salon était un peu de travers. »
« Est-ce qu’on sait combien de temps s’est passé entre les meurtres et le moment où la fille a découvert les corps ? » demanda Kate.
« Pas plus d’un jour, » répondit Palmetto. « Et probablement plutôt entre douze et seize heures. Je suis sûr que le médecin légiste pourra vous en dire un peu plus aujourd’hui. »
« Est-ce que vous avez trouvé quoi que ce soit d’intéressant ? » demanda DeMarco.
« Oui, c’est un élément de preuve… juste une seule. » Il mit la main dans la poche intérieure de sa veste et en sortit un petit sachet. « J’ai gardé ça. J’ai reçu l’autorisation, alors ne vous tracassez pas. J’ai pensé que vous voudriez l’avoir pour la faire analyser. C’est le seul indice qu’on a trouvé, mais c’est plutôt troublant. »
Il donna le petit sachet en plastique à Kate. Elle le prit et regarda ce qu’il contenait. À première vue, c’était un simple morceau de tissu, de quinze centimètres sur huit. C’était un morceau de tissu épais, bleu, avec une texture duveteuse. Tout le côté droit était taché de sang.
« Où est-ce que ça a été retrouvé ? » demanda Kate.
« Fourré dans la bouche de la mère. Il était vraiment enfoncé loin, presque dans sa gorge. »
Kate le regarda à la lumière. « Vous savez de quoi ça vient ? » demanda-t-elle.
« Aucune idée. On dirait juste un bête morceau de tissu. »
Mais Kate n’en était pas aussi certaine. En fait, son intuition de mamy lui disait que ce n’était pas un simple morceau de tissu. Non… c’était doux, c’était bleu clair et assez duveteux.
Ça venait d’une couverture. Peut-être d’un doudou pour bébé.
« Vous avez d’autres indices ou éléments de preuves à nous donner ? » demanda DeMarco.
« Non, c’est tout ce que j’ai, » dit Palmetto, en se dirigeant vers la porte d’entrée. « Les filles, si vous avez besoin d’aide à partir de maintenant, n’hésitez pas à appeler la police d’état. »
Kate et DeMarco échangèrent un regard agacé quand il eut le dos tourné. Sans avoir besoin de se le dire, elles n’avaient pas du tout apprécié la manière dont il venait de leur parler.
« Eh bien, c’était bref, » dit DeMarco, au moment où Palmetto leur faisait un signe de la main depuis la porte d’entrée.
« Ce n’est pas plus mal, » dit Kate. « Comme ça, on pourra se faire notre propre opinion, sans être influencées par ce que d’autres ont trouvé. »
« Tu penses que la prochaine étape, ce serait de parler avec la fille ? »
« Probablement. Et puis, il faudra qu’on aille visiter la première scène de crime et voir si on peut y trouver quoi que ce soit. Peut-être qu’on aura la chance de trouver quelqu’un qui soit plus sociable que notre ami Palmetto. »
Elles ressortirent de la maison en fermant les lampes. Quand elles se retrouvèrent à l’extérieur, le soleil avait fini par percer et apparaître à l’horizon. Kate mit en poche le morceau de tissu qu’elle pensait être un bout de couverture pour enfant et elle ne put s’empêcher d’imaginer sa petite-fille dormir sous ce genre de doudou.
Et bien que le soleil soit maintenant levé, elle ne put s’empêcher de frissonner.
CHAPITRE QUATRE
Elles se contentèrent d’un petit déjeuner dans un fastfood à Roanoke. Et pendant qu’elles attendaient leur tour pour être servies, DeMarco passa quelques coups de fil pour organiser une rencontre avec Olivia Nash, la fille du couple le plus récemment assassiné. Elle était actuellement chez sa tante à Roanoke et selon les dires de sa tante, elle était complètement dévastée.
Après avoir obtenu l’adresse et l’approbation de la tante, elles prirent la route pour la rencontrer. Il était à peine sept heures du matin mais cette heure matinale n’était pas un souci car, selon la tante, Olivia avait refusé d’aller dormir depuis qu’elle avait découvert le corps de ses parents.
Quand Kate et DeMarco arrivèrent à la maison, la tante était assise sur le porche. Cami Nash se mit debout quand Kate sortit de voiture mais elle ne fit aucun mouvement pour venir à leur rencontre. Elle avait une tasse de café en main. En voyant l’air fatigué de son visage, Kate pensa que ce n’était probablement pas la première qu’elle prenait aujourd’hui.
« Cami Nash ? » demanda Kate.
« Oui, c’est moi, » dit-elle.
« Je voudrais avant toute chose vous exprimer mes plus profondes condoléances, » dit Kate. « Est-ce que vous étiez proche de votre frère ? »
« Assez proche, oui. Mais pour l’instant, je dois passer au-dessus. Je ne peux pas… être triste car Olivia a besoin de quelqu’un auprès d’elle. Ce n’est pas la même personne avec laquelle j’ai parlé au téléphone la semaine dernière. Quelque chose en elle s’est brisé. Je ne peux même pas imaginer… ce que ça doit faire de les trouver dans cet état et… »
Elle s’arrêta de parler et but rapidement une gorgée de son café pour éviter de se mettre à pleurer.
« Elle va pouvoir nous parler ? » demanda DeMarco.
« Peut-être juste pendant un moment. Je lui ai dit que vous alliez venir et elle a eu l’air de comprendre ce que je lui disais. C’est la raison pour laquelle je suis venue à votre rencontre avant d’entrer. Il faut que vous sachiez que c’est une jeune femme tout à fait normale et équilibrée. Mais dans l’état où elle se trouve maintenant, je ne voulais pas que vous pensiez qu’elle avait des problèmes psychiques ou quelque chose dans le genre. »
« Merci de nous avoir prévenues, » dit Kate. Elle avait déjà vu des personnes totalement dévastées dans le passé et ce n’était jamais agréable à voir. Elle ne put s’empêcher de se demander si DeMarco avait de l’expérience avec ce genre de situation.
Cami les guida jusque dans la maison. Un silence de plomb régnait à l’intérieur, le seul bruit venait de l’air conditionné. Kate remarqua que Cami marchait silencieusement, en faisant attention de ne pas faire trop de bruit. Kate fit de même, en se demandant si Cami espérait que le silence aiderait Olivia à finalement s’endormir ou si elle essayait tout simplement de ne pas effrayer sa nièce déjà si affectée par les événements récents.
Elles entrèrent dans le salon, où une jeune femme était à moitié affalée dans le divan. Son visage était rouge et ses yeux légèrement gonflés par les larmes. Elle avait l’air de ne pas avoir dormi depuis une semaine. Quand elle vit Kate et DeMarco entrer, elle se redressa légèrement.
« Bonjour, mademoiselle Nash, » dit Kate. « Nous vous remercions d’avoir accepté de nous rencontrer. Nous vous présentons toutes nos condoléances. »
« Appelez-moi Olivia, s’il vous plaît. » Sa voix était rauque et lasse – presque aussi épuisée que son regard.
« Nous ferons aussi vite que possible, » dit Kate. « D’après ce que nous savons, vous veniez de rentrer de l’université. Est-ce que vous savez si vos parents avaient prévu de voir qui que ce soit d’autre ce jour-là ? »
« Si c’était le cas, je n’étais pas au courant. »
« Excusez-moi de vous poser cette question, mais est-ce que vos parents avaient des problèmes de longue date avec qui que ce soit ? Des gens qu’ils auraient pu considérer comme des ennemis ? »
Olivia secoua la tête d’un air résolu. « Papa avait déjà été marié avant… avant qu’il ne rencontre maman. Mais même avec son ex-femme, il s’entendait bien. »
Olivia se mit à pleurer silencieusement. Une série de larmes coulèrent sur ses joues et elle ne prit pas la peine de les essuyer.
« Je voudrais vous montrer quelque chose, » dit Kate. « Je ne sais pas si ça a une quelconque signification pour vous. Mais si c’est le cas, cela pourrait vous émouvoir. Est-ce que vous voulez bien y jeter un coup d’œil et nous dire si ça vous dit quelque chose ? »
Olivia eut l’air inquiète, même un peu effrayée. Kate comprenait tout à fait ce qu’elle pouvait ressentir et elle eut presque envie de ne pas lui montrer le petit morceau de tissu que Palmetto leur avait donné – le tissu que Kate croyait venir d’une couverture ou d’un doudou. Un peu à contre-cœur, elle le sortit de sa poche.
Elle sut tout de suite que le tissu ne disait absolument rien à Olivia. Son visage prit immédiatement un air soulagé et elle fut surprise lorsqu’elle regarda le sachet en plastique et ce qu’il contenait.
Olivia secoua la tête, tout en continuant à regarder le sachet en plastique transparent. « Non. Ça ne me dit rien. Pourquoi ? »
« On ne peut pas révéler ce genre d’informations pour l’instant, » dit Kate. Pour dire vrai, il n’y avait rien d’illégal à le lui dire, en tant que famille proche… mais Kate ne voyait pas l’intérêt de traumatiser encore davantage Olivia Nash.
« Est-ce que vous avez une idée de qui aurait bien pu faire ça ? » demanda Olivia. Elle avait l’air complètement perdue, comme si elle ne savait plus où elle était… ou même qui elle était. Kate ne se rappelait pas quand datait la dernière fois où elle avait vu quelqu’un d’aussi détaché de tout ce qui l’entourait.
« Pas encore, » dit-elle. « Mais on vous tiendra informée. Et s’il vous plaît, » dit-elle, en regardant Olivia, puis Cami, « contactez-nous si vous vous souvenez de quoi que ce soit qui pourrait être utile. »
À ces mots, DeMarco sortit une carte de visite de la poche intérieure de sa veste et la tendit à Cami.
Peut-être que c’était dû à l’année qu’elle avait passée à la retraite ou au sentiment de culpabilité d’avoir dû abandonner son rôle de mamy hier soir, mais Kate se sentit vraiment mal quand elle quitta la pièce, en laissant Olivia Nash à sa profonde tristesse. Au moment où elle sortit avec DeMarco de la maison, elle entendit la jeune femme gémir de douleur.
Kate et DeMarco échangèrent un regard gêné, en se dirigeant vers leur voiture. À l’intérieur de sa poche, Kate sentit la présence du morceau de tissu qui eut soudain l’air beaucoup plus pesant.
CHAPITRE CINQ
Au moment où elles quittèrent la petite ville de Whip Springs en direction de Roanoke, DeMarco utilisa son iPad pour consulter les dossiers concernant les premiers meurtres. Les détails étaient très similaires à ceux des Nash ; un couple avait été assassiné chez eux de manière particulièrement sanglante. Les résultats préliminaires ne pointaient vers aucun suspect en particulier et il n’y avait aucun témoin.
« Est-ce qu’on a retrouvé quoi que ce soit dans bouche ou la gorge de l’une des deux victimes ? » demanda Kate.
DeMarco repassa les dossiers en revue et secoua la tête. « Pas d’après ce que je vois. Je pense que c’est peut-être un – attends, non, là, j’ai l’info. C’est dans le rapport du médecin légiste. Le tissu n’a été découvert qu’hier – un jour et demi après que les corps aient été retrouvés. Mais oui… le rapport dit qu’il y avait un petit morceau de tissu dans la gorge de la mère. »
« Est-ce qu’il y a une description ? »
« Non. Je vais appeler le médecin légiste pour voir s’il peut m’en envoyer une photo. »
DeMarco ne perdit pas une seconde et passa tout de suite le coup de fil. Pendant qu’elle était au téléphone, Kate essaya de penser à ce qui pourrait bien relier deux couples apparemment pris au hasard, sur base de ce qui avait été retrouvé dans la gorge des femmes. Bien que Kate n’ait pas encore vu le morceau de tissu découvert dans la gorge de la première victime, elle s’attendait à ce qu’il soit similaire à celui qui avait été retrouvé dans la gorge de madame Nash.
DeMarco raccrocha trois minutes plus tard. Quelques secondes après, elle reçut un message. Elle regarda l’écran de son téléphone et dit : « C’est le même genre de tissu. »
Elles roulaient maintenant dans la ville de Roanoke et en s’approchant d’un feu rouge, Kate regarda le téléphone que DeMarco lui tendait. Comme Kate s’y attendait, le tissu était duveteux et bleu – il ressemblait exactement à celui retrouvé dans la gorge de madame Nash.
« On a beaucoup d’éléments concernant les deux scènes de crime, non ? » demanda Kate.
« Oui, de fait, » dit-elle. « Sur base des rapports et dossiers de l’enquête que nous avons pour l’instant, il se pourrait qu’il nous manque quelques éléments, mais je pense qu’on a déjà pas mal d’infos sur lesquelles travailler. » Elle s’interrompit au moment où l’appli GPS de son iPad sonna. « Tourne à gauche au prochain feu rouge, » dit DeMarco. « La maison se trouve cinq cents mètres plus loin dans cette rue. »