- Est-elle libre, au moins ?
- C’est ma mère, déclara Ellington. Que pourrait-elle avoir prévu de plus important ? D’ailleurs… que tu l’apprécies ou non, ce petit garçon l’a conquise. Même si elle est occupée, elle abandonnera probablement ses engagements. Laisse-moi lui passer un coup de fil. Et toi, rappelle McGrath.
Avant qu’elle n’ait le temps de répondre, Ellington fouillait dans sa poche pour en sortir son téléphone de son bras valide. Le docteur lui adressa un regard sévère, en marquant une pause dans la pose du plâtre.
Mackenzie rappela immédiatement McGrath. Alors que la tonalité commençait à retentir, elle son regard se posa sur Kévin. Il était occupé à observer son père et à lui sourire. Même si son cœur battait d’excitation à la perspective de se replonger dans le travail si soudainement, elle commençait à ressentir de la peine à l’idée de s’éloigner de son bébé. Elle supposait que ce serait un sentiment dont elle ferait souvent l’expérience à mesure qu’il grandirait – un cœur déchiré entre deux amours : le travail et la famille.
Et maintenant, alors qu’une nouvelle enquête l’attendait à l’autre bout du pays, elle savait que ce ne serait jamais un sentiment auquel elle s’habituerait réellement.
CHAPITRE TROIS
Partir s’avérait plus difficile que Mackenzie ne l’avait imaginé. Le fait que son mari porte un plâtre tout neuf et que sa belle-mère ne soit pas encore arrivée lorsqu’elle franchit la porte n’aidait pas. Heureusement, Kévin dormait sa sieste de l’après-midi. Elle savait qu’il dormirait encore au moins une heure et que la mère d’Ellington était censée arriver d’ici là. Mais elle avait tout de même l’impression d’abandonner sa famille. Elle avait ressenti une culpabilité similaire lorsqu’elle était partie s’attaquer à sa dernière enquête mais cette fois, c’était un peu plus douloureux. Cette fois, elle s’était davantage investie dans son rôle de mère et savait de quoi Ellington et elle étaient capables ensemble.
- Tout se passera bien, la rassura Ellington en l’accompagnant jusqu’à la porte. Ma mère est dominante par nature. Elle prendra soin de Kévin. De moi aussi. Seigneur, elle ne me laissera aucun le choix. Elle ne partira peut-être jamais.
- Tu ne m’aides pas du tout.
Ellington l’embrassa sur la bouche, la sorte de baiser qui dure même s’il est terminé. Elle s’était un peu trop habituée à ces baisers ces derniers mois. On pourrait même dire qu’elle avait été trop gâtée.
- Pars, murmura-t-il en la regardant dans les yeux avec profondeur et passion. Plonge-toi un peu dans le travail. Je pense que tu le mérites. Nous attendrons ton retour.
Il lui tapota les fesses, sa manière de briser un peu le sérieux de l’atmosphère. Ils s’aimaient inconditionnellement et ils le savaient. Mais aucun des deux – Ellington en particulier – ne savait exprimer cet amour.
Ils échangèrent un dernier baiser et Mackenzie se retrouva hors de son appartement, la porte fermée derrière elle. Elle avait une valise, assez petite pour passer en cabine, et rien de plus. Elle marcha lentement vers l’ascenseur, certaine qu’elle était plus que disposée à retourner travailler même si sa famille lui manquait déjà.
***
Elle tenta de regarder un film dans l’avion mais, à sa grande surprise, elle s’endormit au bout de quinze minutes. Ce fut l’annonce du pilote, lorsqu’ils commencèrent leur descente vers Seattle, qui la réveilla, et elle eut l’impression qu’on lui avait volé du temps. D’un autre côté, elle était incapable de se souvenir de la dernière fois qu’elle avait pu profiter d’une vraie sieste. Même si celle-là avait eu lieu dans un avion, cela avait été un bon moment.
Elle se demanda si la culpabilité liée à cette sieste venait de sa qualité de mère, d’épouse ou des deux à la fois.
Lorsque l’avion atterrit, il était 20h31, heure locale, et il faisait sombre. Son vol avait eu en tout environ une heure et demie de retard, elle arrivait donc à Seattle à une heure qui était juste suffisamment tardive pour qu’elle se pose la question d’attendre le lendemain pour commencer à agir.
Elle contacta le directeur adjoint du bureau de terrain. Ce dernier lui indiqua qu’elle retrouverait l’agent qui l’assisterait sur la scène de crime le lendemain matin à la première heure. On lui donna le nom de l’agent – l’Agent Ryan Webber – et on lui demanda si elle disposait des dernières informations de l’enquête. Elle confirma avoir reçu les dossiers via le Directeur McGrath à Washington ; elle s’était déjà acquittée des premières formalités de l’affaire lorsqu’elle déposa sa valise sur la banquette arrière de sa voiture de location.
C’était étrange et elle se révélait incapable de l’expliquer, mais lorsqu’elle mit le contact, elle se sentit plus libre qu’elle ne l’avait été depuis qu’elle avait donné naissance à Kévin. Cette sensation venait sans doute du fait qu’elle se rendait compte qu’elle pouvait peut-être réellement y arriver. Elle parviendrait peut-être à trouver un équilibre entre sa carrière et sa famille. Elle fourmillait d’excitation (peut-être un peu d’anxiété aussi, mais dans le sens favorable) à l’idée de commencer à mener l’enquête et devoir attendre jusqu’au lendemain matin la perturbait. Elle regrettait aussi qu’Ellington ne soit pas avec elle. Elle supposait que ce devait être ce que Tom Brady avait ressenti en changeant d’équipe, entraîné par quelqu’un d’autre que Bill Be…
Oh seigneur, j’ai passé trop de temps avec Ellington, songea-t-elle en tuant la comparaison dans l’œuf. Mais honnêtement, elle ne put s’empêcher de sourire.
Avec cette idée en tête, elle devint impatiente de se retrouver dans un motel pour pouvoir appeler Ellington et Kévin sur FaceTime.
Mais avant tout, elle était agent. Il lui semblait vraiment étrange de devoir se le remémorer. Au milieu du parking de voitures de location, les clefs à la main, elle parcourut les fichiers que McGrath lui avait envoyés.
Elle savait aussi qu’elle devait se plonger plus en profondeur dans les dossiers de l’enquête. Elle avait reçu plusieurs mails de McGrath et de son assistant, précisant que tout ce dont elle avait besoin se trouverait dans sa boîte de réception aux alentours de dix-huit heures, heure de l’Est. Elle était également impatiente à la perspective d’éplucher les rapports, pour avoir un aperçu global de l’affaire avant toute interaction avec ses parties prenantes. C’était sa méthode préférée pour découvrir les particularités d’une enquête et digérer toutes les informations sans être influencée par quiconque.
Elle s’installa dans le motel qui se trouvait à une dizaine de kilomètres de l’aéroport est ne perdit pas de temps. Avant même d’ouvrir sa valise, elle s’assit sur le lit et appela Ellington sur FaceTime. Il répondit presque immédiatement. Son visage occupait presque tout l’écran, même si Kévin y apparaissait aussi, sur ses genoux. Mais Kévin semblait plus intéressé par le menton de son père que par le téléphone.
- Salut les garçons, lança Mackenzie. Je suis arrivée. Enfin.
- Bien, répondit Ellington. Je m’en réjouis. J’étais sur le point de mettre le petit bonhomme au lit. J’ai décidé qu’il se coucherait un peu plus tard aujourd’hui pour te voir mais… eh bien, comme tu peux le voir, il a développé une nouvelle passion pour mon menton.
- Kévin… salut, trésor !
Lentement, son fils regarda autour de lui et repéra son visage sur l’écran. Les coins de sa petite bouche se relevèrent, il sourit et tapota le téléphone.
- Voilà, s’écria Ellington. Dis bonne nuit à maman.
Le reste de la conversation dura environ cinq minutes. Selon Mackenzie, ce fut l’un des échanges les plus hilarants et nunuches de sa vie. Mais lorsqu’elle raccrocha, elle se sentait comblée. Elle se sentait pleine d’énergie, prête à relever tous les défis que l’affaire lui réservait.
Avec l’enquête en tête, elle alluma son ordinateur et mit en place un petit poste de travail. Elle commanda chinois, acheta un soda dans le distributeur automatique du fond du couloir et se prépara à étudier les dossiers de l’affaire pendant les heures qui suivraient. Ce n’était pas aussi terrifiant que ce à quoi elle s’attendait mais il faisait juste assez sombre pour que la pluie fine qui avait commencé à tomber soit tout à fait lugubre.
Il y avait deux victimes, toutes les deux tuées de manière presque identique. La plus grande différence entre les deux meurtres était que le plus récent avait eu lieu ici, à Seattle, alors que l’autre avait été perpétré à Portland, en Oregon. Les deux villes étaient situées à moins de trois heures de distance l’une de l’autre donc ce n’était pas si absurde – surtout si l’on considérait que les assassinats avaient eu lieu à quatre jours d’écart.
La scène de crime la plus récente se trouvait dans un parking souterrainà environ huit kilomètres de là où Mackenzie parcourait actuellement les compte-rendu de l’enquête. La victime, Sophie Torres, avait trente-trois ans, elle était serveuse à mi-temps et modèle. Le premier meurtre avait eu lieu dans un petit parc public de Portland. La victime, Amy Hill, avait été retrouvée dans une fontaine. Comme Sophie Torres, elle avait reçu un violent coup au visage, mais il était difficile de déterminer si elle était morte suite à ses blessures ou à la noyade, dans la mesure où son autopsie révélait des signes allant dans ce sens.
Mackenzie prit des notes rapides, pointant les similarités et les différences de chaque meurtre. Les similarités étaient, bien entendu, les plus évidentes. Les deux victimes étaient de jeunes femmes, qui devaient être considérées comme très belles par la plupart des hommes. Elles avaient été frappées au visage et les hématomes avaient la même apparence dans les deux cas. D’après les dossiers de l’affaire, la police scientifique jugeait qu’un marteau avait été utilisé comme arme du crime. À cause du choix étrange de l’arme, de l’âge et du sexe des victimes, il semblait que c’était l’œuvre du même tueur.
Si les deux morts avaient eu lieu dans la même ville, Mackenzie n’aurait pas eu le moindre doute. Mais les trois heures de distance et le fait que Sophie Torres ait été tuée juste devant sa voiture laissaient Mackenzie pensive.
Lorsqu’elle eut pris connaissance de toutes les informations mises à sa disposition (et terminé son poulet à l’orange et son Pepsi), elle relut ses propres notes. Ce n’était pas suffisant pour établir un profil solide, elle devrait donc approfondir le lendemain. Les mails que lui avait adressés McGrath précisaient qu’elle ferait équipe avec un agent du bureau de terrain de Seattle et qu’elle le rencontrerait sur la dernière scène de crime le lendemain à 8h00. Elle n’aimait pas l’idée mais elle comprenait. Elle espérait seulement faire équipe avec une personne qui ne serait pas têtue et arrogante avec elle, pour la simple raison qu’elle était envoyée de Washington.
Tous ces impondérables commençaient à l’angoisser inutilement. Elle décida alors qu’elle en avait terminé pour la journée. Elle prit une douche et se mit au lit juste avant 23h00. Mais avec tellement de choses en tête qu’elle fut incapable de s’endormir avant minuit passé. Pendant ce laps de temps, elle s’attendit à être réveillée par les pleurs de Kévin, puisqu’il se réveillait encore toutes les nuits avec la couche mouillée.
Mais la chambre d’hôtel restait plongée dans l’obscurité et le seul bruit provenait de la pluie battante dehors. Elle finit par s’assoupir, seulement un peu perturbée par la place vide à côté d’elle dans le lit. Bien sûr, Ellington lui manquait, mais de temps en temps, il ne devait pas être mauvais pour le corps de s’étirer un peu. Lorsqu’elle s’endormit finalement, son sommeil fut profond, et pour la première fois depuis environ huit mois, elle dormit une nuit entière.
CHAPITRE QUATRE
Mackenzie était seulement allée à Seattle une fois dans sa vie. Elle y avait passé deux jours à l’occasion d’une conférence, et pendant ce court séjour, le soleil brillait, le ciel était bleu. Ce qui l’avait amenée à penser que le vieux stéréotype d’une ville constamment sous la pluie était une exagération. Cependant, ce matin, elle sortit peu après sept heures sous un ciel couvert, trempée par une pluie soutenue pouvant difficilement être considérée comme de la bruine. L’air semblait simplement mouillé et une couche de brume enveloppait tout ce qui l’entourait. Il était très facile de comprendre pourquoi le mouvement de musique grunge était né dans un endroit pareil.
Elle acheta un café au Starbucks en face de l’hôtel et prit la route en direction du parking souterrainoù Sophie Torres avait été tuée. Il se trouvait dans une partie de la ville qui n’était pas envahie par les embouteillages, quelque part entre ce qui devait être considéré comme le « centre » et les zones plus résidentielles de la ville.
Arrivée sur place, elle conduisit jusqu’au lieu mentionné dans les dossiers de l’affaire - les places du fond du deuxième niveau. En s’approchant, elle vit une Crown Vic noire garée horizontalement devant la place, bloquant le passage. Un homme était appuyé contre le capot de la voiture, sirotant un café et fixant l’espace vide.
Mackenzie se gara sur la place la plus proche et émergea de son véhicule. L’homme se tourna, lui sourit avant de s’écarter de sa voiture.
- Agent White ? demanda-t-il.
- C’est bien moi, lança Mackenzie.
- Ravi de faire votre connaissance. Ryan Webber, à votre disposition.
Tandis qu’ils se serraient la main, Mackenzie se rendit compte que son sourire la mettait mal à l’aise. Ses yeux étaient rivés sur son visage et son sourire était assez large pour lui faire penser à l’incarnation du Joker par Heath Ledger. Webber devait flirter avec la trentaine, soit le même âge qu’elle, à peu près. Il avait une apparence soignée, ses cheveux noirs semblaient assortis au costume typique du FBI qu’il portait. Il avait fière allure et jouait à la perfection son rôle d’agent du FBI car il correspondait complètement à l’attitude et au physique de ceux qu’on voyait à la télévision.
- Désolé, enchaîna Webber. Je suppose que je ferais mieux d’éclaircir les choses tout de suite : je suis un grand admirateur. Je suivais votre carrière avant même que vous n’entriez au Bureau. Le Tueur Épouvantail… tout. J’avais un groupe d’amis à l’académie… vous étiez un peu notre star de rock. Quand on vous a proposé de rejoindre le Bureau… nous avons tous pensé que ça pouvait nous arriver à nous aussi, vous comprenez ?
Mackenzie commença à rougir mais elle s’efforça de n’en rien laisser paraître. Elle oubliait parfois à quel point les affaires qu’elle avait élucidées étaient célèbres. Sans oublier son entrée assez peu orthodoxe au FBI, qui suscitait l’admiration.
- Eh bien, merci. Et oui, j’ai eu de la chance. Mais ça commence à dater. Maintenant, je suis un agent comme les autres. Même charge de travail, mêmes règles, même vie. Mariée, mère.
- Oh ! Vous avez des enfants ?
Il prononça cette phrase comme s’il ne parvenait pas y croire. Mackenzie ignorait pourquoi il avait l’expression d’un gamin qui venait de découvrir la vérité sur le père Noël.
- Juste un pour l’instant. (Elle sentit que la conversation dérivait donc elle regarda ostensiblement par-dessus l’épaule de Webber). C’est là que le meurtre a eu lieu, n’est-ce pas ?
- En effet. Avez-vous eu accès à tous les dossiers de l’enquête ?
- Oui.
Webber ouvrit la portière conducteur de sa voiture et saisit un iPad posé sur le tableau de bord. Il ouvrit la version électronique des documents – les mêmes que Mackenzie avait parcourus la veille – et marcha en direction de la place de parking.