La Cible Zéro - Джек Марс 5 стр.


“Maya !” s’exclama Reid. Comment était-elle au courant ? “Ne touche pas à ça, tu m’entends ?”

“Je ne comptais pas y toucher,” répondit-elle. “Je te le dis, c’est tout. Je sais qu’il est là. S’il te plaît. Laisse-moi te prouver que je peux gérer.”

Reid n’aimait pas l’idée de laisser les filles seules à la maison, pas du tout même, mais elle était quasiment en train de le supplier. “Explique-moi le plan en cas de souci,” dit-il.

“Tout le plan ?!” protesta-t-elle.

“Tout le plan.”

“OK.” Elle passa ses cheveux par-dessus une épaule, comme elle le faisait souvent quand quelque chose l’ennuyait. Elle roula des yeux vers le plafond en récitant d’un air monotone le plan que Reid avait établi, peu après leur arrivée dans la nouvelle maison. “Si quelqu’un débarque à la porte d’entrée, je dois d’abord m’assurer que l’alarme est activée, puis que le verrou et la chaîne sont en place. Ensuite, je regarde dans le judas pour voir si c’est quelqu’un que je connais. Si ce n’est pas le cas, j’appelle Monsieur Thompson et lui demande de venir voir.”

“Et si tu connais la personne ?” demanda-t-il.

“Si c’est une personne que je connais,” répliqua Maya, “je regarde discrètement par la fenêtre, sur le côté, pour voir s’il n’y a pas quelqu’un d’autre avec elle. Si c’est le cas, j’appelle Monsieur Thompson pour qu’il vienne voir.”

“Et si quelqu’un essaie d’entrer par effraction ?”

“Alors on descend au sous-sol et on va dans la pièce de survie,” récita-telle. L’un des premiers travaux que Reid avait faits, après l’emménagement, avait été de remplacer la porte de la petite salle de gym, au sous-sol par une porte blindée en acier. Elle possédait trois pênes dormants et des charnières en alliage d’aluminium. Elle était à l’épreuve des balles et du feu, d’ailleurs le technicien de la CIA qui l’avait installée affirmait qu’il faudrait une douzaine de béliers des unités spéciales pour en venir à bout. Aussi, cette petite salle de gym était désormais une zone de repli efficace pour se mettre en lieu sûr.

“Et ensuite ?” demanda-t-il.

“On appelle d’abord Monsieur Thompson,” dit-elle, “puis, on appelle la police. Si nous avons oublié nos téléphones mobiles ou qu’on ne peut pas y accéder, il y a une ligne fixe dans le sous-sol avec son numéro enregistré.”

“Et si quelqu’un réussit à entrer et que vous ne pouvez pas accéder au sous-sol ?”

“Alors, on se dirige vers la sortie la plus proche,” enchaîna Maya. “Une fois dehors, on fait le plus de bruit possible.”

Thompson pouvait avoir de nombreux qualificatifs, mais dur de la feuille n’en faisait pas partie. Un soir, Reid et les filles avaient mis le son de la télé trop fort en regardant un film d’action et Thompson avait accouru au bruit de ce qu’il avait cru être de vrais tirs de balles.

“Mais nous devons toujours avoir nos téléphones avec nous, afin de pouvoir passer un appel une fois que nous sommes en lieu sûr.”

Reid approuva d’un signe de tête. Elle avait bien récité la totalité du plan… à l’exception d’un petit détail, pourtant capital. “Tu as oublié quelque chose.”

“Non, pas du tout.” Elle fronça les sourcils.

“Une fois que vous êtes en lieu sûr, après avoir appelé Thompson et la police… ?”

“Oh, oui. Ensuite, on t’appelle immédiatement pour te raconter ce qui s’est passé.”

“OK.”

“OK ?” Maya leva un sourcil. “OK, genre tu es d’accord de nous laisser toutes seules pour une fois ?”

Il n’aimait toujours pas cette idée. Mais c’était seulement pour quelques heures et Thompson serait juste à côté. “Oui,” finit-il par dire.

Maya poussa un soupir de soulagement. “Merci. Tout ira bien. Je te le jure.” Elle lui fit rapidement un nouveau câlin, puis se retourna pour descendre l’escalier. Mais, tout à coup, elle pensa à autre chose. “Je peux te poser une dernière question ?”

“Bien sûr. Mais je ne peux pas te promettre de te donner la réponse.”

“Est-ce que tu vas recommencer… à voyager ?”

“Oh.” Une fois de plus, sa question l’avait pris par surprise. La CIA lui avait proposé de reprendre son poste. En fait, le Directeur du Renseignement National lui-même avait demandé que Kent Steele soit totalement réintégré dans ses fonctions. Mais Reid n’avait pas encore donné de réponse et l’agence n’en avait pas encore exigé une non plus. La plupart du temps, il évitait de penser à tout ça.

“Je… voudrais vraiment pouvoir te répondre que non. Mais, en vérité, je n’en sais rien. Je n’ai pas encore pris ma décision.” Il s’interrompit un instant avant de demander, “Tu en penserais quoi, toi, si je le faisais ?”

“Tu veux mon avis ?” demanda-t-elle, surprise.

“Oui, bien sûr. Tu es honnêtement l’une des personnes les plus intelligentes que je connaisse et ton avis compte énormément pour moi.”

“Disons que… d’un côté, c’est plutôt cool, sachant ce que je sais maintenant…”

“Sachant ce que tu crois savoir,” rectifia Reid.

“Mais c’est aussi plutôt flippant. Je sais qu’il y a de très grandes chances que tu sois blessé ou… ou pire.” Maya garda le silence un moment. “Est-ce que ça te plaît ? De travailler pour eux ?”

Reid ne lui répondit pas directement. Elle avait raison : les épreuves qu’il avait vécues étaient terrifiantes et avaient menacé sa propre vie plus d’une fois, ainsi que la vie de ses deux filles. Il ne supporterait pas que quoi que ce soit leur arrive. Mais la dure vérité, et la raison principale pour laquelle il avait tâché de s’occuper en permanence l’esprit ces derniers temps, c’était qu’il aimait ça et que ça lui manquait. Kent Steele aspirait à la poursuite. À un moment, quand tout ça avait commencé, il avait découvert cette partie de lui comme si c’était quelqu’un d’autre, mais ce n’était pas le cas. Kent Steele était son pseudonyme. Il avait envie d’être cet alias. Il lui manquait. Il faisait partie de lui, tout comme enseigner l’Histoire de l’Europe ou élever deux filles. Même si ses souvenirs étaient embrouillés, c’était une part de lui, de son identité. Ne pas en disposer était comme se retrouver dans la peau d’un athlète qui souffre d’une blessure mettant fin à sa carrière : venait fatalement la question, Qui suis-je si je ne suis pas ça ?

Il n’avait pas besoin de répondre à haute voix. Maya pouvait lire la réponse dans ses yeux brillant de mille feux.

“Elle s’appelle comment déjà ?” demanda-t-elle soudain, changeant complètement de sujet.

Reid sourit timidement. “Maria.”

“Maria,” dit-elle pensivement. “OK. Amuse-toi bien.” Maya s’engagea dans les marches.

Avant de la suivre, Reid décida de rajouter un petit quelque chose. Il ouvrit un tiroir en hauteur dans le dressing et chercha dans le fond, jusqu’à trouver ce qu’il cherchait : un petit flacon d’une eau de Cologne onéreuse qu’il n’avait pas portée depuis deux ans. C’était le parfum préféré de Kate. Il renifla le diffuseur et sentit un frisson lui parcourir l’échine. C’était une odeur familière et musquée qui lui rappelait un tas de bons souvenirs.

Il en vaporisa sur son poignet, puis tapota chaque côté de son cou avec. L’odeur était plus forte que dans ses souvenirs, mais agréable.

C’est alors qu’un autre souvenir survint dans sa tête.

La cuisine en Virginie. Kate est en colère, elle gesticule des mains en direction de quelque chose, sur la table. Elle n’est pas juste en colère… elle a peur. “Pourquoi est-ce que tu possèdes un truc pareil, Reid ?” demande-t-elle d’un ton accusateur. “Et si l’une des filles était tombée dessus ? Réponds-moi !”

Il chassa cette vision avant que n’arrive l’inévitable migraine, mais cela ne rendait pas cette expérience moins perturbante pour autant. Il ne parvenait pas à se rappeler quand, ou pourquoi, cette dispute avait éclaté. Kate et lui se disputaient rarement et, dans ses souvenirs, elle avait l’air effrayée… soit à cause du sujet de leur dispute, soit peut-être même à cause de lui. Il ne lui avait jamais donné aucune raison de l’être. Du moins pas qu’il s’en souvienne…

Ses mains se mirent à trembler, alors qu’il réalisait quelque chose. Il ne se rappelait pas ce souvenir, ce qui voulait dire que c’était certainement l’un de ceux qui avaient été supprimés par l’implant. Mais pourquoi est-ce que des souvenirs de Kate auraient-ils été effacés avec ceux de l’Agent Zéro ?

“Papa !” Maya l’appelait au bas des marches. “Tu vas être en retard !”

“Ouais,” marmonna-t-il. “J’arrive.” Il allait bien falloir qu’il affronte la réalité, soit en cherchant une solution à son problème, soit en acceptant que ses souvenirs refassent occasionnellement surface, luttant pour sortir, confus et surprenants.

Mais il affronterait la réalité plus tard. Là, tout de suite, il avait une promesse à tenir.

Il descendit l’escalier, embrassa chacune de ses filles au sommet de la tête, puis se dirigea vers sa voiture. Avant de descendre l’allée, il s’assura que Maya avait bien mis l’alarme derrière lui, puis il grimpa dans le SUV gris métallisé, acheté quelques semaines plus tôt.

Même s’il était très nerveux, et certainement excité à l’idée de revoir Maria, il n’arrivait pas à se débarrasser de la boule d’angoisse dans son estomac. Il ne pouvait pas s’empêcher de penser que laisser les filles seules, même pour un petit moment, était une très mauvaise idée. Si les éléments du mois précédent lui avaient appris quelque chose, c’était surtout que les personnes qui voulaient le faire souffrir ne manquaient pas.

CHAPITRE TROIS

“Comment vous sentez-vous ce soir, Monsieur ?” demanda poliment l’infirmière de nuit en entrant dans sa chambre d’hôpital. Il savait qu’elle s’appelait Elena et qu’elle était Suisse, même si elle lui parlait anglais avec un accent. Elle était petite, jeune, jolie même, et plutôt gaie comme personne.

Rais ne répondit rien. Il ne répondait jamais. Il se contenta de l’observer, alors qu’elle posait un gobelet en polystyrène sur sa table de chevet. Puis, elle se mis à inspecter soigneusement ses blessures. Il savait bien que sa gaité servait à donner le change pour ne pas montrer qu’elle avait peur. Il savait bien qu’elle n’aimait pas se retrouver seule avec lui, malgré les gardes armés derrière elle, observant chacun de ses mouvements. Elle n’aimait pas le soigner, ni même lui parler.

Personne n’en avait envie.

Pourtant, l’infirmière Elena inspecta soigneusement ses blessures. Il pouvait sentir sa nervosité d’être si près de lui. Ils savaient tous ce qu’il avait fait : tuer au nom d’Amon.

Ils auraient encore plus peur s’ils savaient combien de personnes, songea-t-il avec ironie.

“Vous guérissez bien,” lui dit-elle. “Plus vite que prévu.” Elle lui disait ça chaque soir, ce qu’il décodait comme “j’espère que vous partirez bientôt.”

Ce n’était pas une bonne nouvelle pour Rais, car quand il irait assez bien pour quitter cet endroit, il serait conduit dans une geôle, un horrible trou sous terre, un site secret de la CIA, dans le désert, où il subirait de nouvelles blessures puisqu’ils le tortureraient afin d’obtenir des renseignements.

En tant qu’Amon, nous endurons. Cette phrase avait été son mantra pendant plus d’une décennie de sa vie, mais c’était fini tout ça. Autant que Rais le sache, Amon n’était plus rien depuis l’attentat déjoué à Davos. Ses leaders avaient été capturés ou tués et chaque force de police du monde entier connaissait la marque, le glyphe d’Amon que ses membres brûlaient au fer rouge sur leur peau. Rais n’avait pas le droit de regarder la télévision, mais il apprenait les nouvelles par ses gardes armés qui parlaient beaucoup (et très longtemps, souvent au grand dam de Rais).

Il avait lui-même arraché la marque de sa peau en la découpant avant d’être amené à l’hôpital de Sion, mais ça n’avait servi à rien. Ils savaient qui il était et ce qu’il avait fait, du moins en partie. Quand bien même, la cicatrice rose irrégulière et marbrée, là où il portait auparavant la marque sur son bras, était là pour lui rappeler quotidiennement qu’Amon n’existait plus. Donc il lui paraissait tout à fait logique que son mantra change.

J’endure.

Elena prit le gobelet en polystyrène, le remplit d’eau fraîche et ajouta une paille. “Vous voulez boire un peu ?”

Rais ne répondit pas, mais il se pencha légèrement en avant et entrouvrit les lèvres. Elle guida précautionneusement la paille vers lui, les deux bras tendus, coudes serrés, son corps penché en arrière dans un angle bizarre. Elle avait peur. Quatre jours plus tôt, Rais avait essayé de mordre le Dr. Gerber. Ses dents avaient juste éraflé le cou du médecin, pas même entaillé la peau, mais ça lui avait quand même valu de prendre un coup à la mâchoire de la part de l’un de ses gardes.

Rais ne tenta rien cette fois. Il prit de longues et lentes gorgées à la paille, amusé par la peur de la fille et la tension angoissée des deux officiers de police qui observaient la scène, derrière elle. Quand il eut terminé, il se pencha de nouveau en arrière. Elle poussa un audible soupir de soulagement.

J’endure.

Il avait enduré pas mal de choses ces quatre dernières semaines. Il avait subi une néphrectomie pour retirer son rein perforé. Il avait enduré une seconde chirurgie pour extraire une portion de son foie lacéré. Et il avait subi une troisième procédure visant à s’assurer qu’aucun autre de ses organes vitaux n’étaient endommagés. Il avait passé plusieurs jours en soins intensifs, avant de se retrouver dans une unité médico-chirurgicale, mais il n’avait jamais quitté le lit auquel il était attaché par les deux poignets. Les infirmiers le retournaient, changeaient son bassin hygiénique et essayaient de lui apporter autant de confort que possible, mais il n’était jamais autorisé à s’asseoir, se lever ou se déplacer de son plein gré.

Les sept blessures par coups de couteau dans son dos, ainsi que celle dans sa poitrine, avaient été suturées et, comme l’infirmière de nuit Elena le lui rappelait continuellement, elles guérissaient bien. Toutefois, les médecins ne pouvaient pas faire grand-chose pour ses nerfs endommagés. Parfois, son dos entier s’engourdissait jusqu’aux épaules, voire même jusqu’aux biceps par moments. Il ne sentait plus rien, comme si ces parties de son corps appartenaient à quelqu’un d’autre.

À d’autres moments, il se réveillait d’un sommeil de plomb avec un hurlement dans la gorge, alors qu’une douleur brûlante s’emparait de lui comme un orage colérique. Ça ne durait jamais très longtemps, mais c’était vif, intense et de survenance irrégulière. Les médecins appelaient ça des “aiguillons,” un effet secondaire parfois observé chez les personnes ayant eu des dommages nerveux aussi étendus que les siens. Ils lui avaient assuré que ces aiguillons s’estompent souvent et cessent entièrement de se manifester, mais ils ne pouvaient pas lui dire quand ce serait le cas. Au lieu de ça, ils lui avaient dit qu’il avait de la chance que sa moelle épinière n’ait pas été endommagée. Ils lui avaient d’ailleurs dit qu’il avait de la chance tout court d’avoir survécu à ses blessures.

C’est ça, de la chance, avait-il amèrement pensé. Chanceux de guérir uniquement pour tomber aux mains impatientes de la CIA dans un site secret. Chanceux que tout ce pourquoi il avait œuvré ait été réduit en pièces en un seul jour. Chanceux d’avoir été battu non pas une, mais deux fois par Kent Steele, un homme qu’il haïssait et abhorrait de toutes les fibres possibles de son être.

J’endure.

Avant de quitter la pièce, Elena remercia en allemand les deux officiers et promit de leur apporter du café quand elle repasserait plus tard. Une fois partie, ils retournèrent à leur poste, juste derrière la porte qui restait toujours ouverte, et ils reprirent leur conversation à propos d’un récent match de football. Rais maîtrisait plutôt bien l’allemand, mais les particularités du dialecte suisse-allemand et la vitesse à laquelle ils parlaient ne lui permettaient pas de comprendre par moments. Toutefois, les officiers de l’équipe de jour parlaient souvent en anglais, grâce à quoi il avait appris la plupart des nouvelles sur ce qui se passait en-dehors de sa chambre d’hôpital.

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