Elle arrivait très vite et glissait droit vers les fenêtres.
CRAC !
La voiturette heurta la vitre et la brisa – suivie par un torrent d’eau.
L’eau s’engouffra dans la cafétéria et poussa la voiturette à travers la pièce. Un homme essaya de l’arrêter, avant de perdre l’équilibre et disparaître sous les flots.
Partout, les gens tombaient, incapables de lutter contre la force du courant. Les tables et les chaises glissèrent à travers la pièce et s’empilèrent contre le mur du fond.
Monty se protégea derrière le comptoir de la réception. Il regarda ses pieds. Il avait déjà de l’eau jusqu’aux mollets. Soudain, en face de lui, la fenêtre de la cafétéria se brisa, en envoyant des morceaux de verre un peu partout.
On aurait dit une explosion.
Monty se prépara à fuir. Mais avant que ses pieds trouvent une prise et qu’il puisse grimper sur le comptoir, il fut submergé par le torrent.
CHAPITRE DEUX
7h35
Observatoire Naval des États-Unis – Washington DC
Pour Susan Hopkins, la première femme Présidente des États-Unis, la vie ne pourrait pas aller mieux. C’était l’été, alors Michaela et Lauren étaient en vacances. Pierre les avait amenées dès que la situation était revenue à la normale, et finalement, toute la famille séjournait ici, dans la Nouvelle Maison Blanche. Michaela s’était remise de son enlèvement comme si ça avait été une aventure complètement dingue qu’elle avait choisi de surmonter. Elle avait même participé à quelques talkshows pour parler de son expérience et elle avait cosigné avec Lauren un article dans un magazine national.
En effet, Susan et Pierre s’étaient décarcassés pour que Lauren ne soit pas mise à l’écart de toute cette publicité. Après la première interview télévisée, ils avaient insisté pour que les filles soient interviewées ensemble. C’était tout à fait normal – tandis que Michaela était coincée en haut d’une tour de cinquante étages, gardée par des terroristes, Lauren était seule à la maison. On lui avait arraché sa sœur jumelle et son amie de toujours.
Il arrivait parfois à Susan de suffoquer à l’idée de perdre sa fille. Ça lui arrivait de se réveiller en pleine nuit, en ayant du mal à respirer, comme si un démon était assis sur sa poitrine.
Elle pouvait remercier Luke Stone pour lui avoir ramené Michaela. Luke Stone l’avait sauvée et ramenée à la maison. Lui et son équipe avaient tué chacun des kidnappeurs. C’était un homme dur à cerner. Tueur impitoyable d’un côté, mais aussi un père aimant de l’autre. Susan était convaincue qu’il n’était pas allé sur ce toit parce que c’était son boulot, mais parce qu’il aimait tellement son fils qu’il ne pouvait pas se faire à l’idée que Susan puisse perdre sa fille.
Dans dix jours, toute la famille, excepté Susan, retournerait en Californie pour se préparer à une nouvelle année scolaire. Elle allait à nouveau les perdre mais ce n’était que temporaire. Et elle avait été tellement heureuse de les avoir auprès d’elle. À un tel point… qu’elle avait presque peur de penser à leur départ.
« À quoi penses-tu ? » demanda Pierre.
Ils étaient étendus sur le lit King-size de la chambre à coucher principale. La lumière du matin filtrait à travers les fenêtres orientées au Sud-est. La tête de Susan était posée sur la poitrine nue de son mari et elle avait un bras autour de ses hanches. Et quoi, s’il était homosexuel ? C’était son mari et le père de ses deux filles. Elle l’aimait. Ils avaient partagé tellement de choses ensemble. Et cet instant-là, le dimanche matin, c’était leur moment privilégié.
Vu que leurs filles étaient adolescentes, elles avaient tendance à dormir tard. Elles resteraient au lit jusqu’à midi si Pierre et Susan les laissaient faire. Et il faut dire que Susan serait également ravie de faire la grasse matinée, si le devoir ne l’appelait pas. Être Présidente des États-Unis était un boulot à temps plein, sept jours sur sept, avec seulement quelques heures de répit le dimanche matin.
« Je pensais que j’étais vraiment heureuse, » dit-elle. « Pour la première fois depuis le six juin, je suis totalement heureuse. J’ai été tellement contente de vous avoir auprès de moi. Comme avant. Et avec tout ce qui s’est passé, j’ai l’impression que je commence vraiment à me sentir à l’aise dans mon rôle de Présidente. Je ne pensais pas en être capable, mais si, finalement, j’y suis arrivée. »
« Tu t’es endurcie, » dit Pierre. « Tu es plus résistante. »
« Et c’est une mauvaise chose ? » dit-elle.
Il secoua la tête. « Non, pas du tout. Tu as beaucoup muri. Tu étais beaucoup moins mature quand tu étais Vice-Présidente. »
Susan acquiesça d’un mouvement de tête. « C’est vrai que j’étais plutôt immature. »
« C’est clair, » dit-il. « Tu te rappelles quand Mademoiselle t’a fait faire ton jogging en pantalon moulant orange ? Très sexy. Mais tu étais également Vice-Présidente des États-Unis à cette époque-là. C’était un peu… trop informel comme attitude. »
« C’était amusant d’être Vice-Présidente. Ça m’a vraiment beaucoup plu. »
Il hocha la tête et rit. « Je sais. J’ai remarqué. »
« Mais après, les choses ont changé. »
« Oui. »
« Et on ne peut pas retourner en arrière, » dit-elle.
Il baissa les yeux vers elle. « Est-ce que tu le ferais, si tu le pouvais ? »
Elle y réfléchit pendant une seconde. « Si tous ces gens pouvaient encore être vivants, ceux qui ont perdu leur vie à Mont Weather, je rendrais tout de suite son poste à Thomas Hayes, sans hésiter une seconde. Mais sinon, non. Je ne retournerais pas en arrière. J’ai encore deux années devant moi avant de décider si je veux me présenter aux élections. J’ai l’impression que les gens commencent à me suivre et si j’obtenais un autre mandat, je pense qu’on pourrait faire de très grandes choses. »
Il fronça les sourcils. « Un autre mandat ? »
Elle se mit à rire. « C’est une conversation qui peut attendre. »
À ce moment-là, le téléphone à côté du lit se mit à sonner. Susan tendit la main vers le cornet, en espérant que ce ne soit rien de grave.
Mais ça ne l’était jamais.
C’était sa nouvelle chef de cabinet, Kat Lopez. Susan reconnut tout de suite sa voix.
« Susan ? »
« Salut, Kat. Tu sais qu’il n’est même pas huit heures du matin et qu’on est dimanche ? Même dieu se reposait un jour par semaine. Tu peux en faire de même, tu sais. »
Le ton de la voix de Kat était très sérieux. De toute façon, c’était toujours le cas. Kat était une femme hispanique qui avait débuté tout en bas de l’échelle et qui avait dû lutter pour grimper les échelons. Elle n’y était pas arrivée en souriant. Susan trouvait que c’était dommage. Kat était extrêmement compétente. Mais elle était également jolie. Et ça ne lui ferait pas de mal de sourire de temps en temps.
« Susan, un important barrage vient juste de s’effondrer à l’Ouest de la Caroline du Nord. Nos analystes pensent qu’il s’agit d’une attaque terroriste. »
Susan ressentit cette pointe familière de crainte. C’était quelque chose à laquelle elle ne parviendrait jamais à s’habituer. C’était une chose qu’elle ne souhaiterait pas à son pire ennemi.
« Il y a des victimes ? » demanda-t-elle.
Elle vit l’expression du visage de Pierre changer. C’était le boulot. Un cauchemar. Et il y a à peine une minute, elle avait nonchalamment envisagé de se représenter pour un autre mandat.
« Oui, » répondit Kat.
« Combien ? »
« On ne le sait pas encore. Probablement des centaines. »
Susan eut l’impression de suffoquer.
« Susan, il y a un groupe qui est occupé à se mettre en place dans la salle de crise. »
Susan hocha la tête. « Je serai là dans un quart d’heure. »
Elle raccrocha. Pierre la fixait des yeux.
« De mauvaises nouvelles ? » demanda-t-il.
« Comme toujours. »
« OK, » dit-il. « Vas-y, va faire ton boulot. Je m’occuperai des filles. »
Mais Susan était déjà debout et se dirigeait vers la douche, avant même qu’il eut terminé de parler.
CHAPITRE TROIS
10h23
Sentier transversal, Southwest Harbor, Parc national d’Acadia, Maine
« Ça va ? Tu tiens le coup ? »
« Tout va bien, papa. »
Luke Stone et son fils, Gunner, gravissaient lentement les marches raides du sentier. C’était une matinée chaude et humide, et Luke était conscient que Gunner n’avait que dix ans. Ils gravissaient la montagne en prenant leur temps et Luke veillait à s’arrêter fréquemment pour qu’ils s’hydratent.
Ils grimpaient de plus en plus haut, à travers les énormes roches. Les imposantes pierres étaient disposées de telle façon qu’elles créaient un escalier imposant, serpentant vers le sommet, qui semblait avoir été creusé par les mains géantes d’un dieu nordique qui serait descendu du ciel tout spécialement pour le sculpter. Mais Luke savait que ces pierres avaient été installées par de jeunes hommes sans emploi venant des grandes villes de la côte Est et qui avaient été amenés ici il y a quatre-vingts ans par le Civilian Conservation Corps, au cours de la Grande dépression.
Un peu plus haut, ils trouvèrent des échelons en fer vissés dans la pierre. Ils gravirent l’échelle, avant de continuer à monter un sentier sinueux à travers les roches. Très vite, le sentier devint plat et ils traversèrent une forêt dense, avant d’arriver à la dernière montée pour atteindre le sommet. Ils grimpèrent sur les rochers.
Ils se trouvaient en haut d’une falaise et ils avaient une vue magnifique sur le grand lac en contrebas, où ils s’étaient garés. Au-delà de ça, se trouvait l’océan atlantique, à environ une dizaine de kilomètres.
« Qu’est-ce que tu en penses ? »
Gunner était en sueur. Il s’assit sur un rocher, détacha son sac à dos et en sortit une bouteille d’eau. Son t-shirt était trempé de sueur. Ses cheveux blonds étaient emmêlés. Il prit une gorgée de sa bouteille et la tendit à Luke. C’était un enfant au caractère très affirmé.
« C’est vraiment super, papa. J’adore. »
« Je voudrais te donner quelque chose, » dit Luke. « Et je voulais attendre qu’on ait atteint le sommet. Je ne sais pas pourquoi. J’ai juste trouvé que ce serait un chouette endroit pour te l’offrir. »
Gunner eut l’air légèrement inquiet. Il aimait recevoir des cadeaux, mais en général, il préférait des cadeaux qu’il avait demandés.
Luke sortit l’appareil de sa poche. C’était un petit morceau de plastique noir, de la taille d’un porte-clés. Ça n’avait l’air de rien. Ça aurait pu être une télécommande d’ouverture pour une porte de garage.
« Qu’est-ce que c’est ? » demanda Gunner.
« C’est un appareil GPS. Un système de géolocalisation. » Luke tendit le doigt vers le ciel. « Là-haut, dans l’espace, il y a tous ces satellites… »
Gunner se mit à sourire. Il secoua la tête. « Je sais ce qu’est un GPS, papa. Maman en a un dans sa voiture. Et heureusement… sinon elle ne retrouverait jamais son chemin. Pourquoi est-ce que tu m’en offres un ? »
« Tu vois cette attache à l’arrière ? Je voudrais que tu l’accroches à ton sac à dos et que tu le portes toujours sur toi. J’ai une appli sur mon téléphone qui me permet de suivre cet appareil. Du coup, même quand on sera séparé, je saurai toujours où tu te trouves. »
« Tu t’inquiètes pour moi ? »
Luke secoua la tête. « Non. Je ne suis pas inquiet. Je sais que tu peux prendre soin de toi. C’est juste qu’on ne s’est pas beaucoup vu dernièrement et je me sentirais plus proche de toi si je pouvais savoir où tu es, en jetant tout simplement un coup d’œil à mon téléphone. »
« Mais moi, je ne pourrai pas voir où tu es, » dit Gunner. « Alors, comment suis-je supposé me sentir plus près de toi ? »
Luke sortit un autre appareil GPS de sa poche. « Tu vois cet appareil ? Je vais l’attacher à mon porte-clés. Quand on sera rentré à l’hôtel, je téléchargerai l’appli sur ton téléphone et comme ça, tu pourras toujours savoir où je suis. »
Gunner sourit. « J’aime beaucoup cette idée, papa. Mais tu sais, on peut aussi tout simplement s’envoyer des messages. Est-ce que tu sais comment en envoyer ? Je sais que beaucoup de gens de ton âge ne savent pas. »
Luke se mit à sourire. « Oui, bien sûr, on peut s’envoyer des messages. On peut faire les deux. »
Pour Luke, c’était une sensation un peu amère de se retrouver ici, avec Gunner. Luke avait grandi sans son père et maintenant, Gunner se retrouvait dans la même situation. Le divorce avec Becca n’était pas encore prononcé, mais ça n’allait plus tarder. Luke n’avait plus travaillé pour le gouvernement depuis deux mois, mais Becca était catégorique : elle demandait de toute façon le divorce.
En attendant, Luke passait deux weekends par mois avec Gunner. Il faisait tout ce qu’il pouvait pour veiller à ce que ces weekends soient toujours remplis d’aventure et d’amusement. Il faisait également tout son possible pour répondre aux questions de Gunner de manière claire, tout en gardant un ton optimiste. Des questions comme celle-ci, par exemple :
« Tu penses qu’on pourrait faire ça un jour avec maman ? »
Luke regarda l’océan. Des questions comme celles-là lui donnaient envie de se jeter du haut de la falaise. « Je l’espère. »
Gunner sentit qu’il y avait peut-être une possibilité et demanda : « Quand ? »
« Eh bien, il faut que tu comprennes que ta maman et moi, nous ne sommes pas tout à fait d’accord pour l’instant. »
« Je ne comprends pas, » dit Gunner. « Vous vous aimez, non ? Et tu as promis que tu allais quitter ton boulot ? Est-ce que tu as vraiment arrêté ? »
Luke hocha la tête. « Oui, j’ai arrêté. »
« Mais maman n’y croit pas. »
« Je sais. »
« Mais si tu pouvais la convaincre d’y croire, alors… »
C’est vrai, Luke avait arrêté. Il était parti et il avait complètement disparu des radars. Susan Hopkins lui avait promis de le laisser tranquille et elle avait tenu sa promesse. Il avait également coupé le contact avec son groupe de l’Équipe d’intervention spéciale.
Et il appréciait vraiment cette solitude. Il était retourné à l’essentiel. Il avait loué une cabane dans les montagnes Adirondack pendant deux semaines et il avait passé tout son temps à chasser à l’arc à flèche et à pêcher. Tous les matins, il sautait dans le lac qui se trouvait derrière sa cabane. Il s’était laissé pousser la barbe.
Après ça, il avait passé dix jours dans les Caraïbes, à Saint Vincent, où il avait nagé avec des tortues marines, d’énormes raies, des requins et exploré quelques épaves de bateaux gisant au fond de la mer.
Après chaque petit voyage, il revenait à Washington pour récupérer Gunner et l’emmener pour leur prochaine aventure. Luke devait bien l’admettre : ça lui plaisait de ne plus travailler. Dans un an, quand il tomberait à court d’argent, ce ne serait probablement plus aussi agréable, mais pour l’instant, il comptait bien en profiter.
« Est-ce que vous allez vraiment vous séparer pour du bon ? »
Luke entendit un léger tremblement dans la voix de Gunner, au moment où il posa cette question. Il ne comprenait que trop bien. Gunner avait peur. Luke s’assit à côté de lui sur les rochers.
« Gunner, je vous aime tous les deux très fort, toi et ta mère. La situation est compliquée et on essaie de la résoudre de la meilleure manière possible. »
Ce n’était pas tout à fait vrai. Becca était très froide avec Luke. Elle voulait divorcer. Elle voulait la garde exclusive de Gunner. Elle pensait que Luke était un danger pour Gunner et pour elle. Elle l’avait même menacé de demander une ordonnance de protection contre lui. Sa réaction était démesurée et elle venait d’une famille qui avait beaucoup d’argent. Elle pouvait payer une longue bataille légale pour la garde de Gunner, si ça s’avérait nécessaire.
« Est-ce que tu veux être avec elle ? »
« Oui, bien sûr. » C’était le premier mensonge qu’il disait à Gunner au cours de cette conversation. Mais la vérité était plus difficile à cerner. Au début, il en avait eu envie. Mais plus le temps passait et plus la position de Becca se durcissait, moins il en était sûr.