Salle de Crise - Джек Марс 5 стр.


Derrière eux, était assis Mark Swann. Il était grand et mince, et il avait étendu ses longues jambes jusque dans l’allée. Il portait un jean bleu et ses pieds croisés arrivaient juste devant ceux de Luke. Ses cheveux cendrés étaient plus longs qu’avant et il les attachait en queue. Il avait changé ses lunettes d’aviateur pour des lunettes rondes à la John Lennon. Il portait un t-shirt noir avec le logo du group punk The Ramones. Les bureaux de la NSA devaient être plutôt relax, apparemment.

« L’eau est sortie par les écluses comme elle est censée le faire, » dit le pilote de l’hélico. C’était un homme d’âge moyen, qui portait une veste noire en nylon avec les initiales FEMA dans le dos. « Le barrage et les installations n’ont subi aucun dégât et il n’y a aucune victime parmi le personnel. Seule la route d’accès a été balayée. Mais à cinq kilomètres d’ici, c’est là où les choses se corsent. »

Ils avaient pris un jet des services secrets depuis Washington jusqu’à un petit aéroport municipal qui se trouvait à l’entrée du Parc national. Ils étaient arrivés juste avant le lever du soleil et cet hélicoptère les attendait. Ils n’avaient pas beaucoup parlé pendant le trajet. Ils étaient d’humeur morose vu les circonstances. Et Trudy Wellington, en tant qu’officier des renseignements, aurait normalement fait la conversation en leur faisant un topo sur la situation durant le trajet. Susan avait proposé un autre officier des renseignements à Luke mais il avait refusé. Ils venaient de toute façon pour interroger un prisonnier. Ils allaient sûrement pouvoir lui soutirer tous les renseignements dont ils pourraient avoir besoin.

Luke savait qu’ils ressentaient tous l’absence de Trudy et qu’ils étaient tous un peu choqués par ce qui lui était arrivé. Il avait également l’impression que les deux hommes qui l’accompagnaient étaient maintenant passés à une autre étape dans leur vie. Ils avaient de nouvelles missions, une nouvelle formation, de nouveaux collègues, de nouveaux défis à relever. Beaucoup de choses pouvaient changer en deux mois.

L’Équipe d’intervention spéciale n’existait plus. Luke aurait pu faire en sorte qu’elle se maintienne sous une forme ou une autre – après la tentative de coup d’état et l’attaque à l’Ébola, il aurait pu monter sa propre équipe et continuer à travailler avec ses hommes – mais il avait choisi de ne pas le faire. Maintenant l’Équipe d’intervention spéciale, c’était de l’histoire ancienne, et Luke Stone aussi. Il avait pris sa retraite, c’est vrai. Mais il avait également totalement disparu des radars et il n’avait fait aucun effort pour essayer de garder le contact. La cohésion de l’équipe était très importante pour les opérations spéciales de renseignement. Et sans contact, il n’y avait pas de cohésion.

Ça voulait dire que pour l’instant, il n’y avait pas d’équipe.

L’hélico vira de bord et se dirigea vers le Sud. Ils purent tout de suite se rendre compte de l’ampleur des dégâts. Toute la région en aval du barrage était inondée. Il y avait de grands arbres arrachés un peu partout et éparpillés comme des allumettes. En quelques minutes, ils arrivèrent à l’endroit où se dressait l’hôtel Black Rock. Des parties de l’étage supérieur du bâtiment principal étaient toujours intactes et se dressaient au-dessus des flots. Des voitures étaient empilées contre l’hôtel en ruine, ainsi que des arbres dont certains avaient les branches qui sortaient de l’eau. On aurait dit des bras implorant le ciel pour un miracle.

L’accumulation de voitures, d’arbres et de débris avait créé un mini-barrage, derrière lequel un grand lac s’était formé. Une dizaine de Zodiacs s’y trouvaient, avec des équipes de plongeurs en combinaison qui se préparaient à plonger ou qui sortaient de l’eau, en fonction du bateau.

« Ils ont trouvé des survivants ? » demanda Luke.

Le pilote secoua la tête. « Pas un seul. En tout cas, c’était le cas ce matin. Mais ils ont retrouvé une centaine de corps dans la cafétéria. Ils les remontent un par un. Je ne pense pas qu’ils aient déjà commencé à fouiller chacune des chambres. Peut-être qu’ils attendront que le niveau d’eau baisse avant de le faire. Se déplacer dans des couloirs sous l’eau, c’est dangereux et ce n’est probablement pas nécessaire. Il n’y a aucun survivant là-dessous. »

Ed Newsam, qui était affalé comme à son habitude, se redressa sur son siège en entendant ces mots. « Comment est-ce que vous pouvez en être aussi sûr ? Il peut y avoir des poches d’air sous l’eau. Il pourrait y avoir des gens qui attendent d’être secourus. »

« Ces bateaux sont équipés d’appareils d’écoute sous-marine, » dit le pilote. « S’il y a des survivants sous l’eau, ils n’ont pas fait un seul bruit durant toute la journée d’hier et toute la nuit. »

« Il n’empêche que, si j’étais responsable des recherches, j’enverrais tout de suite mes meilleurs plongeurs fouiller chacune des chambres. Nous savons déjà que les gens de la cafétéria sont morts. Et les plongeurs, ils ont signé pour faire face à des situations dangereuses. Les civils, non. »

Le pilote haussa les épaules. « Eh bien, ils font aussi vite qu’ils peuvent. »

L’hélicoptère continua vers le Sud. L’inondation avait creusé une bande à travers la vallée, comme un chemin à travers la forêt. On aurait dit qu’un géant venait de traverser la région. Il y avait de l’eau partout. Le lit original de la rivière était invisible sous toute cette eau.

Ils survolèrent la ville de Sargent, qui se trouvait encore sous un mètre d’eau. La dévastation ici n’était pas aussi totale. Il y avait de nombreux terrains déserts où devaient probablement se dresser des maisons qui avaient été arrachées par les flots, mais certains édifices, bâtiments et panneaux de fast-food étaient encore visibles. L’hélico survola un bâtiment en parpaing, contre lequel étaient empilés un tas de voitures et de SUV. Sur une pancarte qui sortait à moitié de l’eau, ils purent lire l’inscription VOITURES D’OCCASION HONEST ABE.

« On pense qu’il y a combien de victimes ici ? » demanda Luke.

« Cinq cents, » dit le pilote. « Mais ça peut encore changer. Il y a plus d’une centaine de personnes portées disparues. Ils n’ont pas eu beaucoup de temps devant eux et c’était tôt le matin. Beaucoup de gens ont été balayés par les flots dans leur maison. Imaginez que vous dormez et que l’ancienne alarme datant de la Guerre froide se met à retentir, qu’est-ce que vous faites ? Apparemment, certaines personnes se sont réfugiées dans leur cave. Et c’est le pire endroit où se réfugier en cas d’inondation. »

« Personne ne s’attendait à ce que le barrage cède ? » demanda Swann. C’était la première chose qu’il disait depuis qu’ils avaient embarqué sur l’hélico.

Le pilote était occupé avec ses manettes. « Pourquoi ? Le barrage n’a pas cédé. Ce barrage a été construit pour durer des centaines d’années. »

« OK, » dit Luke. « J’en ai vu assez. Allons parler au prisonnier. »


*


8h30

Chattahoochee National Forest, Géorgie


Le camp apparut au milieu de la forêt, comme une sorte de mirage.

« Regardez-moi ça, » dit Ed Newsam.

Le campement était installé sur un terrain parfaitement découpé, de deux kilomètres sur deux kilomètres. C’était un carré parfait, brun et gris, en plein cœur d’une forêt dense de couleur vert foncé. Au moment où l’hélico s’approcha, Luke put apercevoir des dizaines de baraques, disposées en plusieurs rangées, et un grand réservoir d’eau au milieu du campement. Des dépendances entouraient le réservoir et une passerelle le traversait.

L’hélico commença à descendre en direction de l’héliport, qui se trouvait dans le coin le plus à l’Ouest du camp, à côté de quelques grands bâtiments administratifs, une piscine et quelques parkings. Luke pouvait maintenant voir plusieurs cours bétonnées, une route d’accès, les rues qui se trouvaient à l’intérieur du camp, et un mur surmonté de fil barbelé et des tours de guet le long du périmètre. L’endroit était comme une blessure ouverte au milieu de la forêt environnante.

« C’est quoi, cet endroit ? » demanda Luke, dans son casque.

Le pilote était occupé avec ses manœuvres d’approche mais pas trop occupé pour que ça l’empêche de parler. « Je l’ai déjà entendu appeler ‘campement de la Liberté’, » dit-il. « Mais les gens par ici ont tendance à l’appeler le camp de Nulle part. C’est l’un de nos campements – de la FEMA. Vous ne le trouverez sur aucune carte. Je ne pense pas qu’il ait un nom officiel. »

« Est-ce qu’il existe ? » demanda Luke.

L’hélico volait de plus en plus bas et les bâtiments gris du campement commencèrent à se dresser autour d’eux. Luke remarqua que les fenêtres étaient renforcées par des fils en acier.

Le pilote hocha la tête. « Quoi exactement ? Ici, on est en pleine contrée sauvage et inhabitée. Il n’y a rien d’autre ici, à ma connaissance. »

Un homme portant une veste jaune et tenant des tiges orangées se tenait sur le côté de l’héliport. Il donna des indications au pilote, qui posa l’hélicoptère exactement au milieu de la piste. Il arrêta le moteur et les rotors se mirent immédiatement à ralentir, dans un léger gémissement.

« Quand vous verrez ce Chinois, » dit le pilote, « donnez-lui quelques coups de ma part. »

« On n’est pas venu pour ça, » dit Luke.

Le pilote se retourna et sourit. « Bien sûr que si. Vous savez, c’est mon boulot de transporter des gens dans ce genre d’endroits. Je sais qui fait quoi… juste en les regardant, croyez-moi. Dès que je vous ai vus, j’ai tout de suite su qu’ils avaient décidé de monter la pression de quelques crans. »

Ils sortirent de l’hélicoptère, en baissant la tête. Un homme les attendait déjà sur l’héliport. Il portait un costume gris et une cravate bleue. Les hélices de l’hélicoptère tournaient encore et faisaient voler ses cheveux dans tous les sens. Le tissu de son costume en était tout chiffonné. Ses chaussures noires vernies brillaient. On aurait dit qu’il venait juste de descendre d’un train de navetteurs à Manhattan. Il avait vraiment l’air de ne pas être à sa place.

En s’approchant, Luke commença à discerner les traits de son visage. Il avait l’air intemporel – ni âgé, ni jeune, juste quelque part entre les deux. Il tendit une main que Luke serra.

« Agent Stone ? Je m’appelle Pete Winn. On m’a dit que c’était la Présidente qui vous envoyait. Merci d’être venu. »

« Merci à vous, Pete. Mais appelez-moi Luke. »

Luke, Ed et Swann suivirent Pete Winn. Ils s’éloignèrent de l’hélicoptère et se dirigèrent vers un abri en tôle ondulée qui se trouvait de l’autre côté de la piste. Même l’héliport était entouré de clôture en fil barbelé. La seule manière d’entrer ou de sortir de l’héliport, c’était à travers cet édifice. Les portes s’ouvrirent automatiquement quand les hommes s’en approchèrent.

« C’est quoi, cet endroit ? » demanda Luke.

« Ça ? » dit Winn. « Vous voulez dire, ce camp ? »

« Oui. »

« Bon, je vais vous faire un résumé rapide. En gros, il s’agit d’un camp de détention. Nous avons actuellement un peu plus de deux cent cinquante détenus, y compris plus de soixante-dix enfants. Pour la plupart, il s’agit d’étrangers illégaux venant du Mexique ou d’Amérique centrale, dont les vies courraient un danger aux mains des cartels de drogue et des gangs criminels, s’ils étaient renvoyés chez eux. On ne leur a pas accordé l’asile, alors ils restent ici avec leur famille jusqu’à ce que le service d’immigration ait décidé quoi en faire. Leur statut est officiellement indéterminé. Pendant ce temps, cet endroit est totalement invisible et les gangs n’ont aucune idée de l’endroit où ils se trouvent. »

Ils traversèrent rapidement le bâtiment en tôle. C’était l’endroit où pouvaient se reposer les contrôleurs aériens, les gens qui travaillaient à l’héliport et les pilotes. Il y avait quelques tables et quelques chaises, de l’équipement de surveillance radio et vidéo, un écran radar, une cafetière et un vieux carton de donuts rassis sur la table.

« Alors ils restent ici éternellement ? » demanda Swann.

« Éternellement, ça ferait quand même long, » dit Winn. « La famille qui a séjourné avec nous le plus longtemps est restée sept ans. »

Winn avait sûrement dû voir l’expression de surprise sur leurs visages.

« Ce n’est pas aussi mal que ça en a l’air. Je vous assure. Tous les enfants vont à l’école cinq jours par semaine. L’école se trouve ici, dans le camp. Il y a différentes activités proposées, y compris la projection de deux nouvelles productions tous les weekends, en anglais et en espagnol. Ils peuvent jouer au football et au basket, et les adultes peuvent prendre des cours de langue et suivre des formations professionnelles. »

« Ça a l’air génial, » dit Swann. « Ça vous dérange si je viens y passer mes prochaines vacances ? »

« Vous seriez étonnés, » dit Winn. « Les gens apprécient cet endroit. C’est bien mieux que rentrer chez eux et être assassinés. »

Une SUV noire les attendait devant l’abri en tôle. La voiture démarra et à un moment donné, ils passèrent une autre clôture surmontée de lames de rasoir. Une poignée d’hommes étaient assis sur des bancs de l’autre côté de la clôture. Quatre ou cinq d’entre eux étaient blancs, et les deux autres étaient noirs. Ils portaient tous des combinaisons jaune vif. Ils regardèrent la voiture passer, à travers la clôture.

« Ces types n’ont pas l’air d’être Mexicains, » dit Ed Newsam.

L’expression du visage de Pete Winn commença à changer. Il avait été accueillant, et même un peu nerveux, au moment de rencontrer Luke et son équipe. Mais maintenant, il commençait à prendre un air presque dédaigneux.

« Non, c’est vrai, » dit-il. « On a aussi des gens de chez nous. »

« Ils essayent aussi de se cacher des cartels ? » demanda Swann.

Winn regarda droit devant lui. « Messieurs, je suis certain qu’il y a certains aspects dans votre travail dont vous ne pouvez pas parler. C’est la même chose pour moi. »

Au bout de quelques minutes, ils se retrouvèrent de l’autre côté du camp. La voiture s’arrêta. Il n’y avait personne – aucun prisonnier, aucun travailleur. Une petite cabane se dressait toute seule sur un petit lot de terre.

Les hommes sortirent du véhicule. Le sol était en terre battue et compacte, complètement desséchée. Il n’y avait aucun signe de vie ni d’activité à proximité de cet endroit.

Pete Winn tendit un porte-clés à Luke. Une seule clé y était accrochée. Le visage de Winn était devenu dur. Son regard était froid, presque glacial. Son attitude avait complètement changé. Il n’avait plus rien à voir avec le fonctionnaire hésitant qui les avait accueillis à l’héliport.

« L’existence de cette cabane est classée top secret. Officiellement, elle n’existe pas, ni le prisonnier d’ailleurs. Votre visite non plus n’a jamais eu lieu. Le gouvernement chinois n’a fait aucune demande officielle, ni officieuse d’ailleurs, concernant un homme du nom de Li Quiangguo. D’après ce que j’ai compris, les Chinois agissent comme s’ils n’avaient rien à cacher, ni à se reprocher. Ils ont même offert de l’aide pour découvrir comment le système de contrôle du barrage avait été piraté. »

Il fit un geste de la tête en direction de la cabane.

« Les murs de la cabane sont insonorisés. La clé ouvre une armoire qui se trouve au fond de la pièce. Si vous avez besoin de certains ustensiles pour votre interrogatoire, il se pourrait que vous trouviez ce dont vous avez besoin dans cette armoire. »

Luke hocha la tête, mais resta silencieux. Il n’aimait pas du tout que tout le monde ait l’air de sous-entendre qu’il avait été envoyé ici pour torturer le prisonnier.

Est-ce qu’il avait déjà torturé des gens ? Ça dépendait de la définition qu’on en faisait, mais probablement que ça lui était déjà arrivé. Mais il n’était jamais arrivé que quelqu’un fasse appel à lui dans le but qu’il torture un suspect. Si c’est ce qu’ils pensaient, ils se trompaient – et probablement que ces gens étaient bien plus enclins que lui à la torture. Si ça lui était arrivé dans le passé, ça avait toujours été dans le feu de l’action et complètement improvisé. Et c’était toujours parce que cette personne détenait des informations cruciales dont Luke avait besoin tout de suite.

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