Luke prit une autre gorgée de sa bière. Elle était un peu plus chaude, maintenant, pas aussi délicieuse que le moment d’avant.
— Luke ? Tu lui as dit non, n’est-ce pas ?
— Chérie, c’est mon travail. Il n’y a pas beaucoup de missions de ce type pour moi. Don m’a sauvé la mise. L’Armée allait prétendre que j’avais un syndrome de stress post-traumatique et me virer. Si ça ne s’est pas produit, c’est grâce à Don. Je ne peux pas me permettre de lui dire non pour l’instant. D’ailleurs, en fait, c’est une mission très facile.
— Une mission facile dans une zone de guerre, dit Becca. De quel travail s’agit-il ? Assassiner Oussama ben Laden ?
Luke secoua la tête.
— Non.
— Qu’est-ce que c’est, alors ?
— Là-bas, il y a un contractuel militaire américain qui a dérapé. Il pille les vieilles caches de Saddam Hussein et il vole du liquide, des œuvres d’art, de l’or, des diamants … Moi et un acolyte, ils veulent qu’on l’arrête. Ce n’est pas du tout une opération militaire. C’est une opération policière.
— Qui est ton acolyte ? dit-elle.
Il voyait dans ses yeux qu’elle pensait à ce qui était arrivé à son dernier acolyte.
— Je ne l’ai pas encore rencontré.
— Pourquoi ne demandent-ils pas à la police militaire de s’en charger ?
Luke secoua la tête.
— Cela ne concerne pas l’armée. Comme je l’ai dit, c’est l’affaire de la police. À la base, le contractuel est un civil. Ils veulent que la différence soit claire.
Luke pensa à toutes les choses qu’il ne lui disait pas. La nature instable de la région et les combats acharnés qui s’y déroulaient, les atrocités que Parr avait commises, l’équipe d’agents agressifs et de tueurs implacables qu’il s’était constituée, le désespoir avec lequel ces personnes peu scrupuleuses devaient désirer survivre indemnes avec tout leur butin et sans se faire arrêter par la police. Finalement, il y avait aussi les cadavres de ces hommes qui avaient été décapités, brûlés puis pendus à un pont.
Soudain, Becca se mit à pleurer. Luke posa la bière et alla la rejoindre. Il s’agenouilla à côté d’elle et la prit dans ses bras.
— Oh, mon Dieu, Luke, dis-moi que ça ne va pas recommencer. Je ne crois pas que je pourrais le supporter. Notre fils va naître.
— Je sais, dit-il. Je sais. Ça ne sera pas comme avant. Ce n’est pas un déploiement. Je serai absent trois jours, peut-être quatre. J’arrête cet homme et je le ramène.
— Et si tu meurs ? dit-elle.
— Je ne vais pas mourir. Je vais faire très attention. Je n’aurai probablement même pas à utiliser mon arme.
Il n’arrivait pas à croire à tous les mensonges qu’il lui disait.
À présent, ses larmes la faisaient trembler.
— Je ne veux pas que tu partes, dit-elle.
— Je sais, ma chérie, je sais, mais il le faut. Ce sera très rapide. Je t’appellerai tous les soirs. Tu peux rester avec tes parents. Je reviendrai vite. Ce sera comme si je n’étais jamais parti.
Elle secoua la tête. Maintenant, ses larmes coulaient plus fort.
— Je t’en supplie, dit-elle, je t’en supplie, dis-moi que tout ira bien.
Luke la serra fort en faisant attention au bébé qui grandissait en elle.
— Tout ira bien. Ça va bien se passer. Je le sais.
CHAPITRE HUIT
5 mai
15 h 45, Heure Avancée de l’Est
Base Commune Andrews
Comté du Prince Georges, Maryland
— C’est toi le patron, dit Don.
Don mesurait cinq centimètres de plus que Luke et il était visiblement plus large d’épaules. Face aux cheveux gris de Don, à sa taille, son âge et son expérience, Luke avait toujours un peu l’impression d’être un enfant.
— Ne les laisse pas oublier qui commande. Je viendrais bien avec toi, mais je dois assister à des réunions. Tu es mon représentant. Dans le cadre de ce voyage, tu es moi.
Luke hocha la tête.
— OK, Don.
Ils marchaient dans un couloir long et large qui traversait le terminal. Des quantités de gens, pour la plupart en uniformes de diverses sortes, s’affairaient aux alentours, allant çà et là. Des gens mangeaient debout chez Taco Bell et Subway. Des hommes serraient des femmes dans leurs bras. Des tas de bagages partaient sur des chariots. L’endroit fourmillait d’activité. Il y avait deux guerres en même temps et, dans tous les services de l’armée, des membres du personnel partaient.
— Un nouveau vient se joindre à toi. C’est ton acolyte, mais tu es l’aîné. Il s’appelle Ed Newsam. Je l’apprécie. Il est grand, il est présomptueux à l’extrême et il est jeune. Je l’ai pris dans la Force Delta, même s’il n’y est que depuis un an.
— Un an ? Don …
— En un an, il a déjà fait ses preuves de façon fort admirable. Crois-moi, tu vas être heureux que je l’aie recruté. C’est un vrai mec, un animal, comme toi à son âge.
À trente-deux ans, Luke commençait déjà à se sentir vieux. Il était reparti à la salle de gymnastique pendant les quelques dernières semaines et il avait soudain eu beaucoup de mal à se remettre en forme. La prise de conscience avait été dure. Il s’était négligé pendant son séjour à l’hôpital.
— Trudy et Swann voyagent avec toi, mais ils n’iront pas sur le théâtre des opérations avec toi. Ils resteront dans la Zone Verte sécurisée et te dispenseront des conseils et des informations de là. Tu ne dois en aucune circonstance les mettre en danger. Ils ne sont pas militaires et ils ne l’ont jamais été.
Luke hocha la tête.
— Compris.
Don s’arrêta. Il se tourna vers Luke. Son regard dur s’adoucit un peu. C’était comme s’il était le père de Luke, le père qu’il n’avait jamais eu. Don était juste un père de grande taille aux cheveux gris, à la poitrine large et au visage taillé comme une falaise de granit.
— Tu vas te débrouiller à la perfection, mon garçon. Tu as déjà été en position de commandement. Tu as déjà été en zone de guerre. Tu as déjà mené des missions difficiles, des missions impossibles. Celle-là n’est pas comme ça. Celle-là est toute facile, OK ? Papa Cronin va diriger cette opération du sol. Il assurera tes arrières et fera le nécessaire pour que tu aies les gens dont tu as besoin en l’air au-dessus de toi et un pas derrière toi.
Luke était heureux de l’entendre. Bill Cronin était un agent spécial de la CIA. Ils le connaissaient bien et il avait beaucoup d’expérience au Moyen-Orient. Luke avait servi deux fois sous ses ordres, une fois quand la Force Delta l’avait détaché à la CIA et une fois pendant une opération spéciale commune.
Don poursuivit.
— Je m’attends entièrement à ce que vous arriviez là-bas et que Parr laisse tomber son arme et lève les mains en l’air. Il sera soulagé que tu ne sois pas Al-Qaïda. Il faut qu’on réussisse d’entrée de jeu pour montrer aux membres du Congrès qu’on est sérieux et c’est pourquoi je te confie une mission facile pour ton retour dans la profession, mais ne le dis pas aux autres. Ils croient que c’est la mission la plus sérieuse qui soit.
Luke sourit et secoua la tête.
— OK, père.
— Je t’ébourifferais bien les cheveux, mais tu es trop âgé pour ça, dit Don.
Devant eux, il y avait une petite salle d’attente pour leur porte d’embarquement. Trois rangées de cinq sièges chacune étaient rassemblées devant un bureau et, derrière le bureau, il y avait la porte qui menait au tarmac. Le bureau était vide et personne n’était assis sur les chaises. Cette partie du terminal était vide.
Par les grandes fenêtres, Luke voyait un petit jet bleu du Département d’État qui, garé à l’extérieur, l’attendait. Un escalator menait à la porte ouverte de la cabine de l’avion.
Un groupe de trois personnes s’affairait autour de la porte. Deux de ces personnes étaient Trudy Wellington et Mark Swann. Trudy était incontestablement minuscule. Swann était grand et mince, mais avait l’air beaucoup plus petit à côté de la troisième personne, un noir en jean et en blouson de cuir. Le gars noir restait un peu à l’écart de Trudy et de Swann. Il avait un sac à dos vert à ses pieds.
— C’est lui ? dit Luke. Newsam ?
Don hocha la tête.
— C’est lui.
Luke l’inspecta quand ils approchèrent. Il semblait mesurer un mètre quatre-vingt-quinze. Il avait les épaules aussi larges que la poitrine. Sous son blouson de cuir, il portait un tee-shirt blanc qui moulait tellement son grand corps qu’on aurait dit que quelqu’un l’avait peint dessus. Il avait les bras couverts par le blouson, mais des poings énormes. À ses grands pieds, il portait des bottes de travail jaunes. Il ressemblait à un super-héros de dessin animé.
Seul son visage faisait exception. Il était aussi arrogant et aussi jeune que celui d’un lycéen. Il ne comportait pas la moindre ride.
— Ce gars a-t-il déjà combattu ? dit Luke.
Don hocha à nouveau la tête.
— Oh, oui.
— OK. C’est vous le patron.
— Effectivement.
Ils atteignirent le groupe. Ses trois membres se retournèrent. Trudy et Swann n’avaient d’yeux que pour Don, leur patron. Le nouveau venu, Newsam, regarda fixement Luke.
— Merci d’être tous venus. Trudy et Mark, vous avez eu l’occasion de faire la connaissance de Luke Stone, votre commandant lors de ce voyage. Luke est un des meilleurs agents spéciaux avec lequel j’aie eu le plaisir de servir dans l’Armée des États-Unis. Luke, je vous présente Ed Newsam. Je n’ai pas servi avec lui, mais j’ai entendu dire des choses spectaculaires sur lui.