Les Destinés - Морган Райс 5 стр.


Raymond sut alors qu’il ne servait à rien de continuer. Les gens d’ici n’allaient plus l’écouter, quoi qu’il dise. Ils avaient entendu trop de promesses de la part d’un trop grand nombre d’autres personnes, à l’époque où le roi Carris avait interdit à ses nobles de se battre. La garantie que Royce prendrait réellement soin des villageois suffirait à les convaincre, et le forgeron avait raison : ils n’avaient aucune raison d’y croire alors qu’il n’était même pas là.

Raymond tourna son cheval, sortant du village avec autant de dignité qu’il pouvait lui rester à présent. Autant dire que cela ne représentait plus grand-chose.

Il emprunta le sentier en direction du village suivant, essayant de réfléchir pendant qu’il chevauchait, et ignorant la pluie constante qui commençait à tomber autour de lui.

Il aimait son frère, mais il souhaitait aussi que Royce n’ait pas ressenti le besoin de partir pour retrouver son père. Objectivement, Raymond pouvait comprendre à quel point trouver le vieux roi aiderait leur cause, mais c’était Royce que le peuple suivrait, Royce qu’il devait voir pour se soulever. Sans lui à ses côtés, Raymond n’était pas sûr d’être capable de rassembler une armée pour leur cause.

Cela signifiait que lorsque le roi Carris riposterait, ils ne disposeraient que des forces de Earl Undine contre toute la puissance de l’armée royale. Raymond ne savait pas quelle serait la taille de cette armée, mais comme elle serait composée de forces de tous les seigneurs du pays… ils n’auraient aucune chance.

Si seulement Royce avait pu être ici, Raymond n’avait aucun doute sur sa capacité à lever l’armée dont ils avaient besoin. Mais il espérait que Lofen et Garet auraient plus de chance.

— Impossible de ne s’en remettre qu’à la chance, se dit Raymond. Pas quand tant de gens risquent de mourir.

Il avait été aux premières loges pour voir ce que les nobles pouvaient faire à ceux qui osaient leur tenir tête. Il y avait vu de ses propres yeux les potences, les tortures sur la pierre de guérison, et pire encore. À tout le moins, chaque village qui accepterait de les rejoindre se trouverait ravagé, ce qui ne donnait que des raisons supplémentaires à ceux qui restaient de ne pas se mêler à la révolte.

Raymond soupira. Il n’y avait aucun moyen résoudre cette épineuse équation : ils avaient besoin de Royce, mais c’était impossible tant qu’il était parti à la recherche de son père. À moins que…

— Non, ça ne peut pas marcher, se dit Raymond.

En y réfléchissant, c’était peut-être possible. Ce n’était pas comme si quelqu’un ici savait à quoi ressemblait Royce. Ils avaient peut-être entendu parler de lui, on leur avait peut-être même fait une description générale, mais tout le monde savait à quel point les histoires étaient exagérées.

— C’est une idée stupide, murmura Raymond.

Le problème, c’est que cette idée était la seule qui lui était venue pour le moment. Oui, ce serait dangereux, parce que Royce était un homme recherché. Oui, cela aurait des répercussions plus tard : les gens se sentiraient trahis quand ils le découvriraient, certains pourraient même déserter. Mais il ne voyait pas d’autres solutions. D’autres se sentiraient trop liés à la cause une fois qu’ils feraient partie de l’armée, ou seraient trop occupés à se battre pour y penser.

— Ils ne verront peut-être même pas Royce de près, marmonna Raymond.

Il se rendit compte qu’il avait déjà pris sa décision sans vraiment s’être décidé, et il continua sa route vers un autre auditoire. Il dépassa un ou deux villages pour dépasser les rumeurs qui se répandraient de Byesby et risqueraient de gâcher ce qu’il était sur le point de faire. L’endroit qu’il choisit était plus grand, avec une auberge et une grande grange qui servait de magasin général. C’était assez grand pour que la vue d’un homme entrant dans le village ne fasse pas sortir les gens de leurs maisons par sa rareté. Cela signifiait que Raymond devait rester juché sur son cheval au milieu de la place du village et crier encore et encore jusqu’à ce que les gens viennent à lui.

— Tout le monde, écoutez. Ecoute-moi bien ! J’ai des nouvelles !

Il attendit que les gens se rassemblent avant de commencer à parler.

— La guerre approche ! dit-il. Vous avez entendu dire que le fils du vrai roi est revenu, et qu’il a renversé un duc qui opprimait son propre peuple ! C’est la vérité, et je sais ce que vous pensez. Vous pensez qu’il ne s’agit que d’une autre querelle entre nobles qui ne vous concerne en rien, mais je suis ici pour vous dire que vous avez aussi un rôle à y jouer. Que la situation est différente.

— Oh, et pourquoi ça ? interpella un homme à l’arrière de la foule croissante. Raymond avait l’impression que les choses évoluaient exactement comme lors de son précèdent discours.

— Parce que nous avons une chance de changer les choses. Parce que ce n’est pas une querelle entre nobles, mais une opportunité de bâtir un monde qui ne sera plus celui de quelques nobles nous écrasant tous. Parce que c’est un combat où les gens impliqués se soucient des gens comme vous, des gens comme nous tous.

— Vraiment ? demanda l’homme. Alors, étranger, qui es-tu, pour en savoir autant à ce propos ?

Raymond reprit son souffle, sachant que c’était le moment de continuer ou de renoncer, et qu’une fois que ce serait fait, il ne pourrait plus revenir en arrière.

— Allez, insista l’homme. Qui es-tu, pour prétendre qu’un noble lointain se soucie de nous tous ?

— C’est simple, dit Raymond, et cette fois, sa voix se répandit dans tout le village pour que tout le monde l’entende. Je m’appelle Royce, et je suis le fils du roi Philippe, le seul et légitime roi de ce pays !

CHAPITRE CINQ

Royce progressait prudemment à travers une forêt, les arbres se fondaient tellement les uns aux autres qu’il était impossible de discerner un chemin. Il était perdu, et d’une certaine façon, il savait que c’était un endroit où se perdre signifiait bientôt mourir.

Il continua, ne sachant pas quoi faire d’autre. Autour de lui maintenant, les arbres se refermaient, et leurs branches fouettaient l’air, poussées par un vent invisible, secouant Royce et le malmenant. Les branches déchiraient sa peau, rejointes désormais par des ronces, le meurtrissant davantage et le ralentissant. Il lui fallut puiser tout ce qu’il avait pour pouvoir continuer.

Mais à quoi bon continuer ? Il ne savait pas où il se trouvait, alors pourquoi continuer à avancer ainsi, à travers l’obscurité et l’incertitude de la forêt ? Son énergie faiblissait, alors pourquoi ne pas s’asseoir sur la souche d’un arbre, attendre de reprendre son souffle, et…

— S’arrêter, c’est mourir, mon fils. La voix était venue à travers les arbres, et même s’il ne l’avait entendue que dans ses rêves, Royce la reconnut immédiatement comme étant celle de son père. Il se tourna vers le son, reprenant sa marche.

— Père, où es-tu ? cria-t-il, poussant dans la direction d’où semblait venir la voix.

Sa progression était de plus en plus compliquée. Il y avait des arbres tombés, et Royce avait de plus en plus de difficulté à passer par-dessus. Il y avait des rochers qui perçaient le sol de la forêt, et à présent il semblait que Royce devait grimper autant que courir juste pour les contourner. La route à suivre était encore indiscernable du reste de la forêt, et Royce ressentait le désespoir accablant de ne pas savoir où aller.

C’est alors qu’il vit le cerf blanc se tenir non loin de lui, un cerf qui l’attendait et le regardait avec impatience. Avec la même étrange certitude qu’il avait ressentie auparavant, Royce savait que cet animal était là pour lui montrer le chemin. Il se retourna pour le suivre, courant dans son sillage.

Le cerf blanc était rapide, et Royce dut redoubler d’effort pour le suivre. C’était comme si ses poumons explosaient sous l’effort, et ses membres étaient en feu. Malgré cela, il continua à courir, à travers les branches et les ronces, jusqu’à un espace où le cerf disparut, remplacé par un personnage en armure entouré d’un halo de lumière blanche.

— Père, dit Royce, d’une voix étouffée par la fatigue. Il se sentait comme privé de souffle, privé de temps.

Son père hocha la tête et sourit, puis, inexplicablement, pointa le ciel.

— Tu dois partir maintenant, Royce. Remonte, remonte vers la lumière.

En levant les yeux, Royce vit une lumière au-dessus de lui, et alors qu’il essayait de suivre les conseils de son père, la lumière devint de plus en plus proche…

***

Royce se réveilla dans un cri muet qui sembla rejeter autant d’eau que d’air. Il cracha de l’eau de mer et commença à s’asseoir, mais des mains prudentes le retinrent en place. Royce se débattit contre elles pendant un moment avant qu’il ne réalise que c’était Mark, ses mains poussant l’eau hors de l’estomac de Royce.

— Attention, dit son ami. Tu vas faire chavirer le radeau.

Le « radeau » en question n’était qu’une section du mât du navire qui s’était rompue dans le chaos, puis s’était emmêlée avec suffisamment de bois flotté pour former une sorte de plate-forme flottante fragile, portée par les vagues.

Bolis, Neave et Matilde étaient agenouillés sur l’embarcation de fortune, Gwylim un peu plus loin vers le bord et Ember volant au-dessus. Matilde avait une entaille sur le flanc qui pouvait provenir d’une lame ou d’un débris de bois, quoi qu’il en soit du sang coulait dans l’eau pendant que Neave s’agitait sur elle et coupait des morceaux de voile en guise de bandages. Sir Bolis essayait à la hâte d’attacher une ferrure métallique à une longueur de bois, formant ainsi un harpon de fortune. Son armure et ses armes semblaient avoir disparu au fond des eaux.

Royce baissa rapidement les yeux et vit que l’épée de cristal était toujours à sa ceinture, tandis qu’il portait encore l’armure qu’il avait prise dans la tour du comte Undine.

— Je ne sais pas comment tu as réussi à nager avec ça, dit Mark, mais tu l’as fait. Tu as surgi comme un bouchon et je t’ai sorti de là.

— Merci, dit Royce, offrant sa main à son ami.

Mark la prit et la serra de toutes ses forces.

— Après toutes les fois où tu m’as sauvé, tu n’as pas besoin de me remercier. Je suis content que tu aies survécu.

— Pour l’instant, dit Bolis à la proue de leur embarcation providentielle. Nous sommes toujours en danger.

Royce regarda autour de lui, essayant d’appréhender les choses au-delà du radeau. Il constata qu’ils avaient été emportés au large, les sept îles étaient de nouveau une simple tache sur l’horizon. La mer vacillait aussi, comme si une tempête s’annonçait. Leur radeau grinçait sous la pression des vagues successives.

— Oubliez le harpon, dit Royce. Nous devons nous concentrer sur l’arrimage du radeau.

— Vous n’avez pas vu la créature dévorer les gens, dit Bolis. Elle a dû tuer tous les marins qui ont été pris dans l’épave principale. Ce Wyrm des mers ne fait pas partie des choses que j’affronterais sans arme.

— Préfériez-vous l’affronter dans l’eau quand le radeau s’effondrera ou coulera ? riposta Royce. Il avait vu la créature dont s’inquiétait Bolis, et il savait à quel point la menace serait grande, mais à ce moment-là, la mer pouvait les tuer tout aussi certainement.

Il y avait des cordes attachées aux mâts, et Royce désigna l’une d’elles.

— Tout le monde essaie d’attraper des morceaux de corde qui ne sont pas déjà enchevêtrés et de les utiliser pour consolider le radeau. C’est la priorité, puis pagayer pour rejoindre la terre ferme, enfin s’armer.

— C’est facile à dire pour vous, dit Bolis.

Mais il s’exécuta tout de même. Ainsi que Neave et Mark. Quand Matilde se leva pour aider, elle s’effondra en s’affaissant de douleur.

— On s’en occupe, lui dit Royce. C’est grave à quel point ?

— Je ne vais pas en mourir, dit Matilde. Du moins… je ne crois pas.

— Pourquoi peut-elle s’asseoir là et se reposer ? demanda Bolis.

Neave lui fit face, un poignard à la main.

— Donne-moi une raison de ne pas t’étriper et jeter tes restes aux poissons, envahisseur.

Royce s’interposa entre eux, mais Gwylim intervint plus rapidement, l’imposant bhargir les séparant l’un de l’autre.

— On ne peut pas se permettre de se battre, dit Royce. Nous devons travailler ensemble, ou nous allons tous nous noyer.

Ils maugréèrent, mais retournèrent au travail, et bientôt, le radeau parut beaucoup plus stable qu’avant. D’où elle était assise, Matilde travaillait déjà à amarrer une planche à un morceau de bois plus long, créant une sorte de rame. Royce l’imita, et bientôt, ils eurent chacun leur propre rame.

— De quel côté ? demanda Bolis, et Royce montra du doigt. Il n’y avait qu’une seule destination possible pour un bateau aussi précaire.

— Retour vers les îles, confirma-t-il.

— Et la créature, souligna Mark.

— Peut-être auront-nous de la chance et nous nous en sortirons, dit Royce.

— Peut-être qu’il aura déjà mangé à sa faim, dit Neave en jetant un coup d’œil pour dire qu’elle espérait que tout le monde sur le radeau avait participé à lui fournir son repas.

Royce ne savait pas à quel point c’était probable, mais il ne semblait pas y avoir d’autre option ; ils devaient essayer de retourner sur les îles.

— Ramez ensemble, dit-il. Prêts ?

Ils ramèrent en direction des îles. Tous, même Matilde, participèrent. Même avec tous ces bras et tous ces efforts, la tâche se révéla ardue ; d’une part leurs rames de fortunes n’étaient pas des plus performantes et d’autre part les vagues semblaient déterminées à les entrainer plus loin vers le large. Royce savait qu’ils ne devaient pas laisser cela arriver. Au loin, ils couleraient, mourraient de soif, ou seraient des proies faciles pour une autre créature des profondeurs. Leur seul espoir résidait sur le fait d’atteindre la terre ferme.

— Ramez plus fort, cria Royce, essayant de les encourager. Nous avançons.

C’était le cas, mais très lentement. Pour Ember, ils n’étaient qu’un point perdu dans l’immensité de l’océan. Ce point se déplaçait en direction des îles, mais à peine plus vite qu’il ne l’aurait fait s’il avait été poussé par une marée contraire. Malgré tout, ils se rapprochaient de plus en plus, au milieu de la brume, des rochers et de l’immensité de l’eau.

— Nous y sommes presque, dit Mark.

Le ton de son ami reflétait son optimiste. Empruntant pour un moment le point de vue d’Ember, Royce observa le labyrinthe de récifs autour des îles, les courants tourbillonnants autour d’eux semblant presque impatients de tirer vers le fond tout navire qui s’approcherait de trop près.

La plus proche des îles avait des plages à ses extrémités, mais ces plages étaient entourées de rochers et de récifs, avec des vagues venant se briser sur ceux-ci bien trop violemment. Royce décida qu’il vaudrait peut-être mieux en choisir une autre, en évitant complètement cette première île, malgré le danger et l’urgence de leur situation.

Puis Gwylim se mit à hurler, un hurlement long et grave comme un avertissement. Cette plainte fut suffisante pour que Royce fasse revenir Ember vers le radeau, ce qui lui donna l’avantage de sa vue pendant qu’elle scrutait aux alentours de leur embarcation. De là-haut, Royce put repérer la silhouette dans l’eau qui s’avançait vers eux…

— La créature ! hurla-t-il en reprenant pleinement tous ses sens, alors même que la bête sortait de l’eau en spirales sinueuses, exposant un corps d’anguille, des nageoires comme des lames et des dents brillantes au soleil.

Elle plongea dans l’eau près du radeau, et une vague s’abattit sur eux, faisant presque chavirer le frêle esquif. Une partie de Royce devina que c’était l’intention de la créature ; peut-être avait-elle décidé que ces aspirants marins seraient plus inoffensifs une fois tombés dans l’eau.

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