« Je peux le prendre ?
– Tu es sa grand-mère, dit Mackenzie. Bien sûr que tu peux. »
Lorsqu’Ellington lui tendit Kevin, il le fit sans aucune hésitation. Il observa l’expression emplie d’admiration et de gratitude de sa belle-mère avec une extrême attention, tout comme Mackenzie. Même si cette dernière était heureuse de voir sa mère tenir Kevin dans ses bras, il y avait assurément quelque chose d’irréel dans tout cela.
« Il te ressemble tout à fait, dit Patricia à sa fille.
– C’est une bonne chose » dit Ellington avec un léger rire.
Mackenzie conduisit sa mère plus loin dans l’appartement pour l’amener jusqu’au salon. Ils s’assirent tous, Mackenzie et Ellington échangeant un regard au-dessus de la tête de Patricia tandis qu’ils s’installaient confortablement. Ellington la regarda d’une façon qui signifiait je-te-l’avais-bien-dit, qu’elle lui retourna avec une grimace.
« Tu n’as pas déjà pris une chambre à l’hôtel, n’est-ce pas ? demanda Mackenzie.
– Si. J’y ai déjà déposé mes bagages. » Elle ne détourna pas ses yeux de Kevin tout en parlant. Mackenzie n’était pas certaine d’avoir jamais vu sa mère afficher un aussi large sourire de toute sa vie.
« Tu n’étais pas obligée de faire ça, Maman. Je t’avais dit que tu étais la bienvenue pour loger ici.
– Je sais, dit-elle, détachant enfin le regard de son petit-fils tout en le faisant rebondir sur ses genoux. Mais vous êtes tous deux très occupés par votre travail et je ne veux pas être une gêne. En plus, j’ai un jacuzzi dans ma chambre pour ce soir, et je compte me promener un peu demain. Je n’ai jamais été à Washington auparavant, alors… »
Elle s’interrompit là, comme si cela mettait un terme à toute leur discussion. Et en ce qui concernait Mackenzie, c’était bel et bien le cas.
« Eh bien, le dîner va bientôt être prêt, dit Mackenzie. D’ici quelques minutes. La table est déjà mise si jamais on souhaite déjà s’installer. »
C’est exactement ce qu’ils firent. Patricia prenant Kevin avec elle tandis qu’Ellington déplaçait la chaise haute du petit garçon au bord de la table du dîner. Tandis qu’ils prenaient place, Ellington versa du vin pour lui-même et Patricia tandis que Mackenzie apportait les plats au fur et à mesure. Elle avait toujours eu un don pour la cuisine même si elle devait s’en tenir à des choses simples. Pour ce soir, elle avait prévu un plat simple à quatre ingrédients, un poulet au citron et romarin avec des asperges et des pommes de terre. Patricia le regarda comme si cela la surprenait également.
« Tu sais cuisiner ? demanda-t-elle.
– Un peu, je ne suis pas très douée.
– Elle est trop modeste, dit Ellington.
– Elle l’a toujours été. »
Et c’est ainsi que le dîner commença. La conversation fut un peu gauche mais sans être pénible. Ellington parla la majeure partie du temps, laissant Patricia en apprendre davantage à son sujet : où il avait grandi, depuis combien de temps il était agent du FBI, ainsi que sa propre version décrivant la façon dont avait débuté sa relation avec sa fille. Mackenzie fut également surprise de constater à quel point cela compta pour elle lorsque sa mère la complimenta sur sa cuisine. Pendant tout ce temps, Kevin resta assis sur sa chaise haute, mangeant les petits morceaux de poulet que Mackenzie avait coupés pour lui. Il commençait vraiment à savoir manger en se servant de ses mains, même si une bonne partie de la nourriture finissait encore par terre.
Lorsque tout le monde eut terminé son assiette et que la bouteille de vin fut vide, Mackenzie comprit que la probabilité était forte pour que ne se produise pas le désastre qu’elle avait craint. Une fois le dîner achevé, Ellington débarbouilla Kevin et lui donna quelques cuillerées de yaourt avant de débarrasser la table. Mackenzie s’assit en face de sa mère tandis que de la cuisine, on pouvait entendre Ellington en train de remplir le lave-vaisselle.
« Je suppose que tu n’as pas parlé à ta sœur récemment ? dit Patricia.
– Non. La dernière fois qu’on a parlé ensemble, tu m’as dit qu’elle était à Los Angeles, c’est ça ?
– Oui. Et si ça a changé, elle ne m’a pas appelée pour m’en parler. Je te jure, on dirait qu’elle est devenue encore plus distante après que tu te sois occupé de l’affaire concernant votre père. Je n’ai jamais compris comment elle… »
Elle fut interrompue par un coup frappé à la porte de l’appartement… ce qui était curieux puisqu’il était rare qu’Ellington et Mackenzie reçoive la visite de quelqu’un.
« Chérie, tu as entendu ? appela Ellington de la cuisine. Je suis en pleine vaisselle.
– Une seconde, Maman » dit Mackenzie en se levant de table. En passant, elle pinça légèrement le nez de Kevin pour le taquiner. Elle était surprise que tout se passe aussi bien. Elle aurait même pu aller jusqu’à dire qu’elle appréciait la visite de sa mère. La soirée se déroulait remarquablement bien.
Elle alla ouvrir la porte, d’une démarche quelque peu sautillante. Cependant lorsqu’elle ouvrit, son humeur joyeuse cessa d’un coup et le monde réel lui revint en pleine figure.
« Bonjour Mackenzie » dit la femme à la porte.
Mackenzie essaya de sourire d’un air artificiel qui ne lui allait pas bien. « Hé, Ellington, appela-t-elle par-dessus son épaule. Ta mère est ici. »
CHAPITRE TROIS
Mackenzie n’avait honnêtement rien contre Frances Ellington. Elle lui avait été vraiment utile lorsque Mackenzie était retournée au travail et qu’elle était venue s’occuper de Kevin pour eux. Cela ne faisait pas non plus de mal que Kevin adore tellement sa grand-mère Ellington. Mais l’idée que les deux grands-mères se trouvent au même endroit au même moment était incroyablement perturbant. Mackenzie se dit qu’elle connaissait suffisamment les deux femmes pour savoir que c’était comme d’approcher une allumette enflammée près d’un baril d’essence.
Lentement, timidement, Mackenzie conduisit Frances au salon. Dès l’instant où Kevin l’aperçut, son visage s’éclaira et il tendit ses bras en avant. Derrière eux, Ellington entra dans la pièce, une expression abasourdi sur le visage.
« Maman… que fais-tu ici ?
– J’étais dans le quartier et je me suis dit que j’allais m’arrêter pour vous emmener dîner quelque part, mais on dirait que je viens un peu tard.
– Tu l’aurais su si tu avais téléphoné. »
Frances ignora la remarque de son fils, repéra Patricia assise à la table et lui fit un large sourire. « Mon nom est Patricia Ellington, au fait.
– Et je m’appelle Patricia White, dit Patricia. Je suis ravie de vous rencontrer. »
Il y eut un silence empli de tension que tout le monde put ressentir. On aurait dit que même Kevin était interloqué, il regardait tout autour dans la pièce pour voir si quelque chose n’allait pas. Ses yeux finirent par se poser sur Mackenzie et elle lui fit un grand sourire, ce qui sembla résoudre la question pour lui.
« Eh bien, si nous comptons tous rester ici, je ferais aussi bien d’apporter le dessert, dit Ellington. Ce n’est pas grand-chose, juste un gâteau à la crème glacée qui m’a interpellé quand je l’ai vu à l’épicerie hier.
– Ca me paraît très bien, dit Frances en prenant place sur la chaise à côté de Kevin. Celui-ci lui porta alors toute son attention, oubliant complètement sa nouvelle grand-mère.
« Frances le garde de temps en temps » expliqua Mackenzie à sa mère. Elle espérait que cette simple phrase était bien choisie parce qu’à l’oreille de Mackenzie, cela sonnait presque comme une accusation. Elle le garde de temps en temps parce qu’elle a choisi de faire partie de sa vie depuis le début. Voilà comment cela sonnait pour Mackenzie.
Ellington apporta le gâteau et entreprit de le couper. Lorsqu’il en donna une petite tranche à Kevin, celui-ci réagit aussitôt en y enfonçant ses mains avec un gloussement. Cela provoqua un rire chez ses deux grands-mères, ce qui, en retour, entraîna Kevin à s’attaquer une seconde fois au gâteau.
« Dites, attendez, dit Patricia. N’est-il pas un peu jeune pour un gâteau comme ça ?
– Non, dit Mackenzie. Kevin adore la crème glacée.
– Je ne me rappelle pas t’avoir jamais donné de la glace aussi jeune. »
Mackenzie eut cette pensée qu’elle n’osa dire à voix haute : Ca m’étonne que tu te rappelles de quoi que ce soit de mon enfance.
« Oh oui, dit Frances. Il aime en particulier la glace à la fraise. Mais pas au chocolat. Vous devriez voir l’air horrifié que prend cet enfant quand il goûte à n’importe quoi de chocolaté. »
Mackenzie observa le visage de sa mère et y vit l’ombre de la femme qu’elle avait autrefois été. On y lisait de la déception ainsi que de l’embarras. Elle commença aussitôt à se redresser, adoptant une posture défensive et Mackenzie sut immédiatement que les choses allaient s’envenimer s’ils continuaient sur cette voie.
« Mais ne t’inquiètes pas, Maman, dit Mackenzie. Il mange énormément d’aliments sains également.
– Je ne mettais pas ça en doute. J’étais simplement… curieuse. Ca fait un moment depuis que j’ai élevé un enfant…
– N’est-ce pas étrange ? dit Frances. On croit qu’on en a terminé avec la magie d’élever ses enfants quand ils quittent la maison et puis… bam ! On devient grand-parent.
– C’est le cas, je suppose » dit Patricia en regardant Kevin. Elle tendit une main dont il se saisit, barbouillant son index de glace à la vanille.
« Comme vous pouvez le voir, dit Frances, il est plutôt partageur également. »
Patricia rit devant cette remarque, un son qui lui valut un grand sourire de la part de Kevin. Mackenzie put voir des larmes dans les yeux de sa mère même si elle continuait de rire en même temps. Et au moment où son rire eut atteint son paroxysme, Kevin gloussait avec elle comme s’ils venaient de partager une plaisanterie rien qu’entre eux.
« Je suppose qu’il tient son sens de l’humour du côté de votre famille, dit Frances. Dieu sait que mes enfants n’ont jamais été très portés à la plaisanterie.
– Hé, dit Ellington. Il y a beaucoup de gens qui me trouvent drôle ! Pas vrai, Mac ?
– Je ne sais pas, dit-elle. J’ai déjà rencontré l’un d’eux ? »
Il roula des yeux vers elle tandis que leurs mères riaient à leurs dépens. Kevin se joignit de nouveau à elles, continuant d’enfoncer ses mains dans le gâteau à la crème glacée avant d’en fourrer une partie dans sa bouche.
On dirait la quatrième dimension, pensa Mackenzie en voyant tout cet échange se dérouler. Leurs mères s’entendaient bien en fait. Et ce n’était pas forcé. D’accord, cela n’avait duré que quelques instants mais quelque chose là-dedans avait paru naturel. Quelque chose qui – mon dieu – lui paraissait bien.
Elle était sûre d’être en train de les fixer mais ne pouvait s’en empêcher. Et il est impossible de dire combien de temps elle aurait continué à faire ça si le téléphone n’avait pas sonné pour l’interrompre. Elle bondit sur cette occasion de s’éloigner de la table, se précipitant vers son téléphone posé sur le comptoir de la cuisine sans même se demander qui cela pouvait bien être.
Tout cela changea lorsqu’elle vit le nom de son patron, McGrath, sur l’écran d’appel. Il était plus de cinq heures de l’après-midi et à chaque fois que McGrath appelait à une heure pareille, cela signifiait généralement qu’elle allait avoir quelques journées bien chargées. Elle prit son téléphone et regarda en direction du vestibule et jusqu’à la salle à manger, espérant croiser le regard d’Ellington. Mais il était en train de discuter avec sa mère et d’enlever de la glace sur le visage et les mains de Kevin.
« Agent White à l’appareil, répondit-elle.
– Bonjour White. » La voix de McGrath était lugubre comme toujours. Il était difficile de jauger son humeur rien qu’avec ces deux mots. « Je crois que j’ai une affaire qui pourrait vous convenir comme un gant. Mais il s’agit plutôt d’une urgence. J’ai besoin que vous soyez prête ce soir et que vous soyez dans l’avion très tôt demain matin, direction l’Utah.
– Cela me convient mais pourquoi les agents de là-bas ne s’en chargent-ils pas ?
– Les circonstances sont particulières, je vous expliquerai ça quand vous serez dans mon bureau. Dans combien de temps Ellington et vous pouvez être ici ? »
Elle fut un peu déçue d’elle-même d’être si soulagée d’avoir une telle porte de sortie – une excuse valable pour s’éloigner de toute cette étrange atmosphère entre sa mère et Frances.
« Très rapidement en fait, dit-elle. Nous avons en quelque sorte une baby-sitter à domicile pour le moment.
– Excellent. Dans une demi-heure, ça vous va ?
– C’est parfait » dit-elle. Elle mit fin à l’appel puis, fixant toujours des yeux la salle à manger en essayant de donner du sens à tout cela, appela : « Hé, Ellington ? Tu peux venir une seconde ? »
Ce fut peut-être le ton de sa voix ou bien la simple déduction que personne ne leur téléphonait jamais si ce n’est les gens avec qui ils travaillaient mais Ellington vint aussitôt, un sourire plein d’expectative sur le visage.
« Le boulot ? demanda-t-il.
– Oui.
– Super, dit Ellington. Parce que franchement, quoiqu’il soit en train de se dérouler ici, c’est fichtrement bizarre.
– Je sais, hein ? »
Alors, comme pour leur donner raison, leurs deux mères rirent à propos de quelque chose dans la salle à manger, suivies par l’éclat de rire joyeux de leur fils.
CHAPITRE QUATRE
Même si cela faisait bizarre de laisser Kevin avec ses deux grands-mères, Mackenzie ne put nier que cela lui fit chaud au cœur de savoir que sa mère allait enfin passer un moment privilégié avec son fils. Sa seule crainte était que le côté entêté et plutôt égoïste de sa mère ne fasse surface et qu’elle ne se braque lorsqu’elle s’apercevrait que Kevin et Frances avaient établi un lien entre eux. Elle était stupéfaite de n’avoir aucune inquiétude à ce sujet tandis qu’Ellington et elle se frayaient un chemin le long des couloirs vides du quartier général du FBI jusqu’au bureau de McGrath.
Quand ils entrèrent, il était clair qu’il était en train de terminer sa journée. Il disposait quelques dossiers dans son attaché-case et paraissait plutôt de bonne humeur.
« Merci d’être venu aussi rapidement, dit-il.
– Aucun problème, dit Ellington. En fait, vous nous avez rendu service d’une certaine façon.
– Vraiment ?
– Des histoires de famille, dit Mackenzie.
– Pas mes affaires donc. Alors je serais bref et concis. Nous avons une femme morte là-bas, dans l’Utah. Le FBI a été contacté à ce sujet parce que selon les autorités locales, cette femme n’a aucune identité. Pas de papiers, pas de numéro de sécurité sociale, d’acte de naissance, aucune adresse connue, rien.
– Et pourquoi appeler des agents de Washington pour se charger de ça plutôt que ceux déjà sur le terrain à Salt Lake City ? demanda Mackenzie.
– Je ne connais pas tous les détails mais le service du FBI là-bas est un peu dans le pétrin. A cause de précédents problèmes dans le secteur concernant la protection de certains individus, la branche de Salt Lake City doit faire extrêmement attention à la façon dont ils gèrent des enquêtes là-bas.
– C’est plutôt vague, dit Ellington.
– Eh bien, c’est tout ce que je peux vous dire pour l’instant. Je peux aussi ajouter qu’il y a eu un conflit d’intérêt qui s’est réglé au tribunal, et qu’il a finalement été démontré que le FBI était dans son tort. Les chefs de la branche de Salt Lake City nous ont donc contactés aujourd’hui pour voir si on pouvait faire venir là-bas quelques agents de Washington afin de travailler en toute discrétion sur l’affaire. Et vu la nature du meurtre, on dirait que c’est quelque chose dont vous allez tous deux vous charger plutôt facilement. Allez là-bas, découvrez qui elle est et qui l’a tuée. Et pourquoi. Puis donnez les infos à la police locale et rentrez à la maison.