– Et quelle est la nature du meurtre ? demanda Ellington.
– Je vais vous faire envoyer l’ensemble du rapport par email. Mais il semble que cette jeune femme courait pour fuir quelqu’un, tard dans la nuit. Notre hypothèse est que pendant qu’elle courait, elle a été percutée par un véhicule puis qu’on lui a tranché la gorge. Il y avait aussi un morceau de scotch en travers de sa bouche mais le légiste pense que cela a été mis là après sa mort. »
Mackenzie se dit que cela était tout à fait dans leurs cordes. Elle ne savait trop quoi penser de cela.
« Quand avez-vous besoin que nous soyons là-bas ? demanda Ellington.
– Il y a un vol réservé pour vous deux à cinq heures quinze demain matin. Je souhaite que vous preniez cet avion et que vous ayez examiné la scène du crime d’ici demain midi. Je sais que faire garder son enfant peut poser problème avec une affaire comme celle-ci mais…
– Pour une fois, je pense que cela peut être arrangé, dit Ellington.
– Attendez. Je ne sais pas si…
– C’est en rapport avec vos histoires de famille ? » demanda McGrath. Il avait fini de ranger ses affaires et regardait vers la porte avec envie.
« En effet, monsieur.
– Comme j’ai dit, alors, pas mes affaires. Si vous avez un souci pour faire garder votre enfant et qu’un seul de vous peut partir, faites-le-moi savoir. »
Sur ce, il les reconduisit à la porte.
***
« Je vais le dire simplement, dit Mackenzie en revenant à leur appartement. Je n’étais pas tout à fait à l’aise que ta mère garde Kevin la dernière fois qu’on a été sur une affaire. Quelques heures ici et là, pas de soucis, ça me va. Mais plusieurs jours…
– Oh, je suis d’accord avec toi sur ça. Mais si on doit parler franchement, l’idée de la laisser avec ta mère pour quelques jours ne me rassure pas vraiment non plus.
– Oh mon dieu, non.
– Si ça t’embête que ma mère le garde, alors je peux être un mari dévoué et juste rester ici. On dirait que le boulot va être plutôt basique là-bas et…
– Non. McGrath nous a véritablement demandé à tous deux de nous en charger. En tant qu’équipe. Il y a trois mois, il pensait que nous associer était une mauvaise idée, alors on a dû faire quelque chose de bien. S’il nous laisse cette chance, je pense qu’on devrait la prendre.
– Je suis d’accord, dit Ellington.
– Alors que fait-on ? »
Ils restèrent silencieux un instant mais ensuite Ellington reprit la parole. Quand il le fit, ce fut en parlant lentement, comme pour s’assurer que chacun de ses mots soient justes. « Quelle est la probabilité pour qu’elles se trouvent ici au même moment ? dit-il. Vraiment, réfléchis-y. Les chances étaient vraiment minces. Et si aucun de nous ne leur fait confiance individuellement…
– Tu veux dire que tu veux qu’elles le gardent ensemble ?
– Ca pourrait fonctionner. Tu as vu comment elles s’entendaient. Et mon dieu, Kevin avait l’air d’être au paradis des grands-mères.
– Ta mère n’en sera pas offensée ? demanda-t-elle.
– J’en doute. Et la tienne ?
– Non. Bon sang, elle sera flattée que je lui demande une chose pareille. Tu as vu l’expression sur son visage quand je lui ai dit que toi et moi devions nous rendre à une brève réunion et qu’on leur faisait confiance pour le surveiller ?
– Oui j’ai vu. » Il réfléchit à cela un instant tandis qu’ils arrivaient à l’intersection où il leur fallait tourner à gauche pour regagner leur appartement. « Alors… si l’endroit n’a pas été incendié à notre retour, est-ce qu’on a envie de leur demander à toutes les deux ? »
Mackenzie ne paniqua qu’un bref moment à cette idée. Elle se souvint de la courte visite qu’elle avait faite à sa mère il y a quelques mois. De la façon dont sa mère avait finalement repris pied, agissant de manière responsable. Peut-être que sa visite là-bas, ainsi que son désir de voir son petit-fils constituaient un tournant décisif. Et si Mackenzie pouvait s’assurer que sa mère continue d’avancer dans la bonne direction, n’en allait-il pas de sa responsabilité en tant que fille de faire en sorte que cela se produise ? Sûrement, quelques jours passés en compagnie de son petit-fils de treize mois pourraient aider à cela.
Tandis qu’ils entraient dans l’ascenseur de leur immeuble, Mackenzie tendit la main pour prendre celle d’Ellington. « Tout ça te convient ? Tu en es sûr ? »
Il eut une expression troublée tout en hochant la tête. « Je le suis. Je sais que c’est bizarre mais oui. Je pense que ça va aller. Et toi ?
– Pareil. »
Ils entrèrent dans leur appartement, de retour environ une heure vingt après être partis. Ils trouvèrent Frances en train de nettoyer le comptoir de la cuisine tandis que Patricia était assise par terre et jouait avec Kevin. Ils étaient en train de s’amuser avec un de ses jouets préférés. Voir sa mère jouer ainsi par terre avec son fils lui réchauffa le cœur d’une façon à laquelle elle ne s’était pas attendue. Elle donna un léger coup de coude à Ellington lorsqu’ils passèrent la porte du salon, lui faisant signe que c’est lui qui allait devoir parler.
« Euh… Maman ? Mme White ?
– Oh non, appelez-moi Patricia, je vous en prie.
– D’accord… Maman et Patricia. Alors Mackenzie et moi venons juste de recevoir l’opportunité de travailler ensemble sur une affaire. Nous l’avons déjà fait auparavant bien sûr, mais pas depuis notre mariage, le FBI s’étant montré bizarrement réticent à nous associer tous les deux. Mais cette fois, ça nous a été demandé.
– Eh bien, c’est formidable, dit Frances.
– En effet. Mais l’enquête est dans l’Utah. Et il faut que nous soyons dans l’avion vers cinq heures du matin. »
Patricia leva la tête vers eux pour la première fois depuis leur retour, son attention étant restée portée vers Kevin pendant tout ce temps. « Rien de dangereux ? demanda-t-elle.
– Pas plus que d’habitude, dit Mackenzie. Mais si nous vous évoquons tout cela à toutes les deux, c’est parce que nous nous sommes dit que c’était vraiment inattendu que vous soyez ensemble ici. Donc Maman… tu avais prévu de rester en ville pour deux jours, c’est ça ?
– Oui, c’est ça.
– Et toi, dit Ellington en se tournant vers sa mère, tu as débarqué sans prévenir, ce qui me laisse penser que tu n’avais rien de prévu pour bientôt. C’est juste ?
– Je comptais rentrer par avion demain mais je n’ai aucun projet concret, non.
– Ce serait possible que tu annules ta chambre d’hôtel et obtienne un remboursement, Maman ? » demanda Mackenzie.
Patricia sembla saisir où l’on voulait en venir. Elle regarda Kevin, sourit d’un air radieux puis se tourna de nouveau vers sa fille avec un peu d’appréhension. « Mackenzie… je ne sais pas. Ca me fait envie, c’est certain. Bien sûr que je le souhaite. Mais es-tu sûre ?
– Ca vous concernerait toutes les deux, dit Mackenzie. Si Frances est d’accord. Deux ou trois jours tout au plus, je pense. Vous êtes partantes pour ça ? »
Les larmes qui coulèrent des yeux de sa mère constituèrent la réponse que Mackenzie attendait. Puis Patricia acquiesça et se releva. Lorsqu’elle s’approcha pour prendre sa fille dans ses bras, Mackenzie sut à peine comment se comporter. Elle étreignit sa mère en retour, ne sachant trop ce que cela signifiait, mais sentant que c’était un peu forcé et gênant. Cela faisait-il vraiment aussi longtemps depuis qu’elles s’étaient serrées dans les bras l’une de l’autre, guidées par l’émotion plutôt que par convention sociale ?
« Vous pouvez compter sur moi aussi, dit Frances. Je n’ai des vêtements de rechange que pour un jour ou deux mais je peux faire une lessive.
– Mackenzie, je ne sais même pas par où commencer, dit Patricia. Ca fait si longtemps depuis que je me suis occupée d’un bébé et…
– C’est comme de faire du vélo, la rassura Frances. Et le petit Kevin est un ange. Il n’y a jamais de problème.
– Et nous vous laisserons un emploi du temps, dit Mackenzie.
– Ainsi que le numéro de téléphone du docteur, des pompiers et du centre antipoison » ajouta Ellington pour plaisanter.
Lorsque personne ne rit, il grimaça et sortit de la pièce à pas lents. Kevin, assis par terre, fut le seul à fournir une réponse en tendant son cou pour voir où son papa s’en allait.
« Tu penses pouvoir y arriver, mon chéri ? » demanda Mackenzie en s’asseyant au sol à côté de lui.
Pour toute réponse, il fit son sourire habituel en plus de ses grands yeux brillants, tandis qu’il levait la tête vers sa mère et les deux femmes plus âgées derrière elle.
CHAPITRE CINQ
Parvenus environ à mi-chemin de leur vol direction l’Utah, Mackenzie en était déjà à sa seconde tasse du café amer de l’avion tandis que des premiers signes d’inquiétudes commençaient à s’insinuer en elle. Elle regarda par la fenêtre, la lumière du petit matin s’épanouissant à l’horizon, puis vers Ellington.
« Tu as toujours confiance en notre arrangement ? lui demanda-t-elle.
– Oui. Pourquoi ? Tu as changé d’avis ?
– Non. Mais je connais ma mère. Je veux dire, il est évident qu’elle est en train de changer et d’améliorer sa vie, et j’espère que passer du temps avec Kevin ne fera qu’accélérer ce processus. Mais je connais ma mère. Je sais combien elle peut être entêtée et sur la défensive. Je ne peux m’empêcher de me demander si le fait d’avoir nos mères réunies ne va pas se transformer en un match de catch.
– Tant qu’elles gardent Kevin en vie, ça me convient. Mais je parierais de l’argent sur ta mère au fait. »
Elle put voir qu’il était légèrement inquiet mais essayait d’avoir l’air du mari sûr de lui sur lequel elle pouvait compter. Tout au long de leur mariage et des années passées à travailler ensemble auparavant, il avait appris quand il devait assumer ce rôle et aussi quand il devait faire un pas en arrière et la laisser prendre les devants. Il devenait vraiment doué pour exécuter ces deux choses, à savoir quel rôle il devait prendre en fonction des occasions. Elle soupira, regarda de nouveau par le hublot et lui prit la main.
« Hé, Mac ? Tout va bien, vraiment. Ca va être génial. C’est ça d’avoir une famille, tu sais ? Les beaux-parents, les proches, tout ça.
– Je sais. Mais aujourd’hui, il s’agit de ma mère. Et si demain, c’est ma sœur qui débarque et veut brusquement jouer son rôle de tante ?
– Alors tu devras la laisser faire. Ou du moins, la laisser essayer.
– Oh, mais tu ne connais pas Stephanie…
– Et je ne connaissais pas ta mère jusqu’à hier. Et cependant nous voilà, en plein ciel tandis qu’elle et ma mère sont en bas, à s’occuper de notre fils. Et si je peux être honnête… ?
– Je t’en prie.
– Je pense que tu t’inquiètes de ne pas être inquiète. Toi et moi avons été ébranlés que tout se passe aussi naturellement. Peut-être que nous avons juste besoin de l’accepter et de nous concentrer sur notre enquête. Nos mères nous ont élevés et tout s’est bien fini pour nous après tout.
– En effet, hein ? demanda-t-elle avec un sourire.
– Eh, suffisamment en tout cas. »
Mackenzie continua de boire son café à petite gorgées et fit exactement ce qu’Ellington suggérait, détourner ses pensées du résultat surprenant qui s’était déroulé chez eux pour reporter son attention sur l’enquête.
***
Ils conduisirent dans leur voiture de location sur une vingtaine de kilomètres dans les environs de Salt Lake City, prêts à devancer d’une heure l’estimation de McGrath selon laquelle ils arriveraient à midi. La ville où la femme sans identité avait été tuée était une jolie petite localité appelée Fellsburg. C’était une ville plutôt chic, le genre de lieu qui prospérait uniquement du fait de sa proximité d’avec Salt Lake City. Mackenzie se dit que la majorité de la population devait faire le trajet tous les jours, travaillant là-bas puis rentrant chez eux, dans l’un des nombreux quartiers de Fellsburg.
Se reportant aux notes et instructions dans le dossier que McGrath leur avait envoyé par email, Ellington conduisit jusqu’à un lotissement baptisé Plainsview. Il ressemblait aux deux autres lotissements qu’il leur avait fallu traverser pour venir jusque-là – des maisons à deux étages, comme découpées à l’emporte-pièce. Des pelouses bien tondues, un bon éclairage de rue avec des lampadaires environ tous les trente mètres.
Mais ils n’eurent pas à s’aventurer loin dans Plainsview. Au bout de quatre maisons, ils virent une voiture de police garée d’un côté de la rue. C’était celle de l’officier avec qui ils avaient convenu d’un rendez-vous lorsque Mackenzie lui avait téléphoné de l’aéroport pour prévenir de leur arrivée. Il descendait déjà de sa voiture de patrouille quand Ellington se gara derrière lui.
Tous trois firent connaissance entre les deux voitures, chacun se présentant. Le badge et l’insigne qu’il portait à sa poitrine indiquaient qu’il s’agissait du Sheriff Burke.
« Agents, dit Burke. Merci d’être venus. Je suis le Sheriff Declan Burke. »
Mackenzie et Ellington déclinèrent leurs noms et lui serrèrent la main. Mackenzie se dit que Burke devait avoir la cinquantaine. Il avait une barbe fournie qui aurait eu besoin d’être taillée et un visage aux traits durcis. Ses yeux étaient cachés par une paire de lunettes type aviateur même si le soleil n’éclairait vraiment pas beaucoup.
« C’est ici qu’on a découvert le corps ? demanda Mackenzie.
– C’est ça. Juste là. » Burke pointa du doigt un emplacement légèrement à la droite du centre.
« Selon le rapport, il n’y avait rien sur elle en dehors de son permis de conduire, c’est bien ça ?
– Ca, et une paire de sandales en fait. Au début, j’ai pensé que c’est la voiture qui, en la percutant, les lui avait enlevées. Mais le légiste a fait remarquer qu’il y avait des lésions et des coupures sur ses pieds, montrant clairement qu’elle les avait ôtées elle-même, peut-être dans l’espoir de courir plus vite.
– Vous avez une idée de la distance qu’elle a parcourue ainsi ? demanda Ellington.
– Nous ne sommes pas certains à ce sujet, dit Burke. Il y a un champ à un peu plus de deux kilomètres d’ici, où l’on discerne des traces de passage durant cette même nuit. Mais avec la pousse des mauvaises herbes et des graminées, il est impossible d’affirmer s’il s’agissait de cette femme – ou même d’un être humain. Il a pu s’agir d’un cerf ou d’un autre animal.
– Et personne dans le coin n’a rien vu ? demanda Mackenzie. Elle regarda le long de la rue, en direction de la route légèrement en pente jusque vers les jolies habitations. Il y avait de nombreux lampadaires. Il était difficile de croire que personne n’avait rien remarqué.
« Mes hommes et moi avons interrogé tous les habitants de cette rue. Nous avons un couche-tard qui affirme avoir vu une vieille voiture passer à travers le quartier, ses phares éteints. Mais il n’a pas repéré le numéro d’immatriculation.
– Et rien sur la fille ? dit Ellington. On ne lui connait aucune identité ?
– Nous n’avons rien pu trouver. Le permis de conduire était un faux. Et diablement bien fait en plus. Bien sûr nous avons relevé ses empreintes et pris un échantillon de sang mais rien n’a concordé avec une personne présente dans nos fichiers.
– Tout ça ne fait aucun sens, commenta Ellington.
– C’est pour cela que nous vous avons fait venir ici, dit Burke. Vous avez vu les clichés du corps et de la scène de crime, je suppose ?
– Oui, dit Mackenzie. Du scotch noir collé en travers de sa bouche. Le légiste pense que cela a été mis après sa mort.
– En effet. Nous avons analysé le scotch mais aucune empreinte dessus. »
Mackenzie avait examiné le morceau d’adhésif sur les photographies pendant un moment la veille au soir et dans l’avion ce matin. Elle s’était dit que cela pouvait constituer un symbole, une façon pour le tueur de faire savoir à la femme que même morte, elle devait rester silencieuse. Mais pourquoi ? Qu’avait-elle à dire ?