Puis il tendit une enveloppe à DeMarco, qui la prit, l’ouvrit et regarda à l’intérieur. Kate jeta un coup d’œil par-dessus son épaule et vit qu’il s’agissait des dossiers de l’enquête. Elles avaient reçu la majorité de ces dossiers en format numérique à Washington, mais pas tous. Kate jetait toujours un coup d’œil aux dossiers sur papier, même quand elle les avait reçus en version digitale. Le fait de voir tous ces éléments sur papier – et surtout les photos de la scène de crime – rendait l’affaire encore plus présente.
« Est-ce que vous êtes le premier à être arrivé sur les lieux ? » demanda DeMarco.
« Non, Smith est arrivé en premier. Mais je le suivais de près. »
« Est-ce que vous pouvez m’expliquer ce que vous avez vu ? »
Kate aimait beaucoup cette approche. Plutôt que de feuilleter directement les dossiers, DeMarco voulait s’assurer de visualiser la scène, telle qu’elle s’était déroulée le matin où le corps avait été retrouvé. Les photos et les rapports étaient des outils précieux, mais c’était rarement aussi utile que d’entendre le récit des événements de la bouche de ceux qui étaient arrivés les premiers sur les lieux.
« D’après la mère, Kayla Peterson était rentrée à la maison pour le mariage d’une amie. Elle est sortie avec quelques amis avant-hier soir et le lendemain matin, elle n’était pas dans sa chambre. Mais sa voiture était garée dans l’allée. Quand la mère a ouvert la porte pour aller jeter un coup d’œil à la voiture, elle a retrouvé Kayla morte sur le porche. Elle avait eu le temps d’introduire sa clé dans la serrure, avant que l’assassin l’attaque. La clé pendait encore à la porte quand nous sommes arrivés. En voyant le corps, il était évident qu’elle avait été étranglée. »
« Est-ce qu’elle était entièrement habillée ? » demanda Kate.
« Oui. Le médecin légiste nous a dit qu’il n’y avait aucune indication qu’elle ait été violée ou sexuellement agressée. On dirait que le meurtre était la seule chose qui intéressait le tueur. Même chose avec la première victime. »
« Est-ce que le médecin légiste sait ce qui a été utilisé pour l’étrangler ? » demanda DeMarco.
« Il pense que c’est une sorte de câble, probablement en plastique. Et il a mis beaucoup de force pour l’étrangler. Le médecin légiste pense que le tueur doit être assez fort. »
« C’est la voiture de Kayla qui se trouve dans l’allée ? » demanda DeMarco, en montrant la seule voiture garée devant la maison.
« Oui. » Il fouilla dans sa poche et en sortit un porte-clés. Il le tendit à DeMarco et dit, « Vous pouvez aller y jeter un coup d’œil, si vous voulez. »
Ils redescendirent les marches du porche et se dirigèrent vers l’allée. Kayla conduisait une Kia Optima 2017. Elle ressemblait en tous points à la voiture typique d’une universitaire : propre, un bâton de rouge à lèvres sur la console, une bouteille d’eau à moitié vide et un chargeur de téléphone. À part ça, il n’y avait rien d’autre d’intéressant – en tout cas, rien qui pourrait leur permettre de savoir qui l’avait suivie ce soir-là.
Une fois qu’elles eurent terminé d’inspecter la voiture, Gates leur ouvrit la porte d’entrée. Il leur expliqua que Sandra lui avait donné les clés de la maison avant de quitter la ville, pour qu’il puisse y jeter un coup d’œil.
« Est-ce qu’elle pourrait être soupçonnée du meurtre ? » demanda Kate.
« Même si je pensais que ça pouvait être le cas – et je ne le pense pas – ça n’expliquerait pas la première victime. »
« C’était trois jours avant Kayla, c’est bien ça ? » demanda DeMarco.
« C’est exactement ça. Bien qu’il soit impossible d’être totalement certain qu’elle n’a rien à voir avec tout ça, j’ai interrogé chacune des personnes qui se trouvaient au bowling quand il a fermé. Pas une seule m’a dit y avoir vu Sandra Peterson. Une femme savait exactement de qui je voulais parler et elle a même trouvé scandaleux que je pose la question. De plus… je reviens sur ce que le médecin légiste a dit. Celui qui a étranglé Kayla Peterson était vraiment très fort. Et si vous finissez par rencontrer Sandra Peterson, vous verrez tout de suite que ça ne colle pas. Elle est vraiment famélique. Elle a perdu beaucoup de poids quand son mari est parti. Et pas en faisant de l’exercice. Elle a presque l’air de souffrir de malnutrition. »
Kate et DeMarco jetèrent un coup d’œil dans la chambre de Kayla. Elles y virent des vestiges de l’adolescente qu’elle avait été : des autocollants de Hannah Montana collés sur le côté de la commode et des traces plus claires aux endroits sur les murs où des posters avaient été accrochés. Elles trouvèrent deux sacs au pied du lit. L’un d’entre eux était visiblement destiné à ce dont elle allait avoir besoin pour le mariage. Il était rempli de jolis vêtements, de maquillage et de notes pour un discours. L’autre sac était beaucoup plus informel et contenait des vêtements, un livre de poche et un nécessaire de toilette. Mais rien qui puisse les aider dans leur enquête.
« Avez-vous parlé aux amies avec lesquelles elle est sortie le soir où elle a été assassinée ? » demanda DeMarco.
« À toutes, sauf une. Apparemment, elles étaient quatre en tout, en comptant Kayla. »
« J’aimerais leur parler, » dit DeMarco. Elle se tourna ensuite vers Kate, comme si elle cherchait son approbation. Kate se contenta de hocher légèrement la tête, mais elle apprécia le fait que DeMarco lui demande son avis.
« On est lundi après-midi, alors elles sont sûrement au travail. Je pourrais passer quelques coups de fil et leur demander de venir au commissariat. »
« Et pourquoi pas dans un bar ou dans une cafétéria ? » demanda DeMarco.
Gates eut l’air surpris, mais il hocha lentement la tête. « Oui, il y a bien l’un ou l’autre bar en ville. En fait, juste à côté. Je suis presque sûr que certaines de ces filles fréquentent l’un d’entre eux, Chez Esther. Je peux leur demander de vous y retrouver à dix-huit heures. »
« Assurez-vous de bien leur dire que ce n’est pas une option, » dit DeMarco. « Si elles ne viennent pas, on ira chez elles. »
Kate sourit. Ce n’était pas le chemin qu’elle aurait emprunté, mais il pouvait s’avérer efficace. Elle savait ce que DeMarco pensait. En général, quand on interrogeait des témoins en-dehors d’un commissariat ou du confort de leur maison, le flux de conversation avait tendance a être plus naturel. Mais Kate ne privilégiait pas cette approche, car la possibilité de distraction était trop grande. Mais c’était l’enquête de DeMarco et elle allait la laisser la mener à sa manière.
Ils sortirent tous les trois de la maison et au moment où ils arrivèrent à leur voiture respective, le shérif Gates était déjà au téléphone, occupé à organiser la réunion.
« Je me demande pourquoi il a laissé la mère partir comme ça, » dit DeMarco, en entrant en voiture.
« Elle vient juste de perdre sa fille. À moins qu’il y ait le moindre indice qui permette de la soupçonner, ça ne vaut pas la peine de lui faire vivre tout ça. De plus, elle n’a aucun ami, ni aucun membre de la famille dans le coin. Et la famille et les amis, c’est exactement ce dont elle a besoin en ce moment. »
DeMarco eut un petit rire. « Mon dieu, comme tu m’as manqué, Kate. Je commençais à ne plus prendre en compte les émotions des gens quand il s’agissait d’une enquête. »
« Ça arrive souvent, » dit Kate. « Après un moment, on commence par ne plus considérer les gens qu’on rencontre comme de vraies personnes. On a juste un puzzle à résoudre et ils ne sont que les éléments qui vont nous permettre de le faire. C’est une façon merdique de penser, mais ça arrive à tous les agents à un moment ou à un autre. »
« J’ai du mal à t’imaginer te comporter comme ça. »
Demande à Mélissa, pensa-t-elle. Elle te racontera comment j’ai pu faire passer mon travail avant toute autre chose.
En pensant à ça, des larmes lui vinrent aux yeux. Elle les essuya discrètement. C’était un autre rappel que lui lançait la vie. Oui, elle avait été une mère lamentable avec Mélissa, en faisant généralement passer son travail avant elle.
Et elle se retrouvait au même point, mais vingt ans plus tard et avec Michael. Elle avait l’occasion de faire les choses correctement, cette fois-ci.
Et une fois que tout ça serait terminé, elle sut que c’était ce qu’elle allait faire.
CHAPITRE CINQ
Le bar n’en était pas vraiment un. C’était plutôt un coin pour prendre un verre à l’intérieur d’un snack. Il y avait un jeu de fléchettes et même une sorte de jukebox, mais le snack en lui-même était la raison d’être de l’endroit. La zone du bar était à l’arrière, comme si le propriétaire cherchait à le dissimuler. Mais quand Kate et DeMarco y entrèrent à 17h45 pour rencontrer les amies de Kayla Peterson, ça leur parut un endroit plutôt agréable – bien que légèrement démodé.
Trois jeunes femmes étaient assises dans le box du fond. Kate vit tout de suite qu’aucune d’entre elles ne buvait de l’alcool, sûrement parce qu’elles avaient moins de vingt et un ans. Deux d’entre elles buvaient de l’eau, tandis que la troisième avait commandé un Sprite. Les trois filles remarquèrent tout de suite les agents du FBI. Elles n’avaient pas l’air effrayées en soi, mais certainement un peu nerveuses. Kate se demanda combien de temps il leur faudrait après l’interrogatoire pour essayer de se procurer de l’alcool par des moyens illicites.
DeMarco prit la parole dès qu’elles s’approchèrent de la table. « Est-ce que vous êtes bien Claire Lee, Tabby Amos et Olivia Macintyre ? »
« Oui, c’est nous, » dit la fille qui était assise au milieu. Elle avait de magnifiques cheveux roux et une silhouette élancée. Elle se leva pour leur tendre la main. « Je suis Tabitha Amos, » dit-elle. « Mais tout le monde m’appelle Tabby. »
« Et moi, c’est Claire Lee, » dit la fille sur la gauche. Elle était également très jolie, mais de manière plus ordinaire. Elle portait un sweat à capuche dans lequel elle avait l’air à l’aise. Elle n’était visiblement pas le genre de fille à ressentir le besoin d’être sur son trente et un à chaque fois qu’elle sortait de chez elle.
« Ce qui fait de moi Olivia Macintyre, » dit la dernière fille. Elle avait des cheveux blond foncé qui avaient presque l’air bruns sous l’éclairage tamisé du bar. Elle portait des lunettes élégantes et elle avait un air un peu timide.
« Nous sommes les agents DeMarco et Wise, » dit DeMarco. Elle montra discrètement son badge, en s’approchant de la table. « Est-ce qu’on peut se joindre à vous ? »
Les trois filles se serrèrent un peu pour laisser de la place à Kate et à DeMarco. Au moment où elles s’assirent, une serveuse s’approcha d’elles pour prendre leur commande. Elles commandèrent de l’eau et, vu qu’elles n’avaient pas eu le temps de déjeuner, elles prirent un cheeseburger à emporter. Les filles eurent l’air un peu surprises et Kate sut tout de suite que DeMarco avait eu raison de décider de les retrouver ici.
« J’imagine que le shérif Gates vous a déjà prévenues, » dit DeMarco, « mais nous voudrions vous parler de Kayla Peterson. Et tout particulièrement de cette dernière soirée que vous avez passée ensemble. »
Les filles se regardèrent d’un air triste. Elles étaient visiblement bouleversées par ce qui était arrivé, mais elles paraissaient avoir les idées claires. Kate ne fut pas surprise de constater que Tabby Amos était la porte-parole du groupe. C’était celle qui avait l’air la plus sûre d’elle. Elle avait également été la première à se lever pour se présenter.
« Eh bien, c’était mon idée. On était très proches au lycée. Puis Kayla et Claire sont parties à l’université et on ne se voyait presque plus. La dernière fois qu’on s’est vues, c’était à Noël dernier… c’est la dernière fois qu’on s’est retrouvées toutes les quatre ensemble. J’ai pensé que ce serait chouette de se revoir avant le mariage. »
« Quel jour a lieu le mariage ? » demanda Kate.
« Samedi prochain, » dit Olivia.
« Qui se marie ? »
« Mon frère, » dit Olivia.
« C’était un peu notre grand frère à nous toutes quand on était au lycée, » dit Tabby. « Il prenait toujours notre défense si certains types insistaient pour sortir avec nous, alors qu’on leur avait dit non. »
« Je suis l’une des demoiselles d’honneur, » dit Olivia. « Et bien entendu, j’ai invité toutes mes amies. »
« Mais on s’est dit que ce serait stupide de faire une soirée le jour avant le mariage, » dit Tabby. « Alors, on a décidé de se voir samedi soir. »
« Qu’est-ce que vous avez fait ? » demanda DeMarco.
« On est resté chez moi, » dit Claire. « Enfin… chez mes parents. Mais ils étaient partis pour le weekend. Ils savaient que j’avais envie de voir mes amies et ça ne leur posait aucun problème qu’elles viennent chez nous. On a regardé des films, on a bu du vin et on a mangé des pizzas. »
« Est-ce que vous êtes sorties à un moment ou à un autre ? »
« Je suis sortie avec Kayla pour aller acheter du vin au magasin de Glensville, » dit Olivia.
« Où se trouve Glensville ? »
« À une vingtaine de minutes de Harper Hills. »
« Et vous ne pouviez pas acheter du vin ici ? » demanda Kate.
« Non, » dit Tabby. « On a moins de vingt et un ans et tout le monde se connait dans cette ville. »
« Oui, » dit Olivia. « En plus, il y a ce type à Glensville avec lequel je sortais. Il a quelques années de plus que moi et il connaît le gérant du magasin de Glensville. » Elle s’arrêta un instant, avant d’ajouter : « Merde. Ils ne vont pas avoir des ennuis, j’espère ? »
« Ils devraient, » dit DeMarco. « Mais c’est un détail par rapport à l’affaire qui nous occupe. Maintenant… est-ce qu’il s’est passé quoi que ce soit de spécial à Glensville ? »
« Rien, » dit Olivia. « On est entrées, on a acheté trois bouteilles de vin et on est parties. »
« Est-ce qu’il y a eu des tensions avec votre ancien petit-ami ? »
« Non. On s’est à peine parlé. Il était accompagné de sa nouvelle petite-amie, de toute façon. Il avait l’air plutôt pressé de partir. »
« Est-ce que l’une d’entre vous a bu un peu de trop ce soir-là ? » demanda Kate.
« Toutes les quatre, » dit Tabby. « J’étais un peu fâchée quand j’ai remarqué que Kayla était partie. La maison de sa mère ne se trouve qu’à dix minutes de celle des parents de Claire, mais tout de même… C’était irresponsable de sa part de conduire en ayant bu. Mais après ça, j’ai appris qu’elle avait été tuée et… »
« Qu’est-ce que vous voulez dire par quand j’ai remarqué que Kayla était partie ? » demanda DeMarco.
« Eh bien, vers minuit, Claire a sorti les bouteilles d’alcool de ses parents, » dit Tabby. « On a bu un peu de trop et j’ai sombré vers une heure du matin. »
« Et moi, je me suis effondrée peu après, » dit Claire.
« Oui, » ajouta Olivia. « Moi et Kayla, on était les dernières à tenir le coup. Mais je ne pense pas qu’elle ait bu un seul verre d’alcool fort. Bien sûr, elle était un peu pompette, mais elle n’était pas morte saoule. En tout cas, pas quand j’ai fini par sombrer. »
« Alors vous pensez qu’en voyant que tout le monde s’était endormi, elle a tout simplement décidé de rentrer chez elle ? » demanda DeMarco.
« Oui, c’est ce qu’on a pensé, » dit Claire.
« Et elle ne vous a pas envoyé de message au moment de partir ? » demanda Kate. « Elle ne vous a pas laissé de mot ? »
« Non, rien, » dit Olivia.
« J’ai pensé qu’elle était peut-être mal à l’aise, » dit Tabby. « Elle n’a jamais été une grande buveuse et je ne pense pas que ça ait changé avec l’université. Ou peut-être qu’elle était juste gênée de se retrouver avec des amies qui avaient décidé de ne pas faire d’études et de rester à Harper Hills. Je ne sais pas. »
« Est-ce que vous avez trouvé qu’elle se comportait de manière différente ? » demanda Kate.
« Non, et c’est ça le plus bizarre, » dit Claire. « C’était la même Kayla de toujours. Avec l’esprit ouvert, sincère. C’était comme si rien n’avait changé depuis le lycée. »
DeMarco posa encore quelques questions sur les conversations qu’elles avaient eues ce soir-là. Pendant ce temps-là, Kate observa le comportement et l’attitude des trois filles. Elle n’avait aucune raison de penser qu’elles lui cachaient quelque chose, mais son attention fut tout de même attirée par le comportement d’Olivia. Elle avait l’air nerveuse et légèrement agitée.