« Est-ce que vous savez si Viktor avait des clients dans la ville de Colin ? » demanda Chloé.
« Je ne sais pas. Mais peut-être que sa femme pourrait obtenir cette information. »
C’est courageux de sa part de mentionner la femme de Bjurman, pensa Chloé. Parce qu’elle est clairement attirée par lui et je ne serais pas étonnée qu’ils aient eu une liaison.
« Est-ce que monsieur Bjurman avait l’air particulièrement stressé ou mal à l’aise hier soir ? » demanda Chloé.
« Non. Et si c’était le cas, il l’a très bien caché. Je… je ne comprends pas… »
Apparemment, personne n’avait l’air de comprendre. Et il était clair qu’elles n’allaient rien apprendre de plus de Theresa Diaz. Chloé savait que l’étape suivante était logiquement de se rendre à Colin et voir ce qu’elles pouvaient découvrir concernant Steven Fielding. Mais en faisant ça, Chloé avait l’impression qu’elles allaient s’éloigner du meurtre de Bjurman parce qu’elle était de plus en plus certaine que les deux meurtres n’avaient aucun lien entre eux.
« Je ne comprends vraiment pas, » dit à nouveau Theresa, d’une voix tremblante.
Alors, on est deux, pensa Chloé.
CHAPITRE SIX
« Bon, on est d’accord, n’est-ce pas ? Ils couchaient ensemble. »
La question était directe, mais c’était le genre de question à laquelle Chloé s’attendait tout à fait de la part de Rhodes.
« C’est aussi ce que je pense, » dit Chloé. « Tu as remarqué qu’elle avait pleuré, n’est-ce pas ? »
« Oui, elle avait les yeux rougis et gonflés. Et elle parlait d’une voix tremblante. »
« On comprend pourquoi elle n’a pas eu envie d’avouer qu’elle avait une liaison avec lui, » dit Chloé. « Surtout si ce qu’elle a dit concernant la rencontre entre son mari et Bjurman est vrai. Il est logique qu’elle veuille éviter les problèmes. Si l’homme avec lequel elle couchait est soudain retrouvé mort, c’est tout de suite plus facile de garder la liaison secrète. »
« Je pense qu’il faut quand même vérifier que son mari était bien en voyage d’affaires, » dit Rhodes. « On pourrait probablement demander à Anderson et à Benson de confirmer cette information pour nous. »
« Tu penses que le mari pourrait être l’assassin ? » demanda Chloé.
« Probablement pas. Mais vu que les deux meurtres semblent n’avoir aucun lien entre eux, il vaut mieux envisager toutes les possibilités. »
Chloé hocha la tête. Elle aimait vraiment ces moments où elle se sentait en parfaite syntonie avec Rhodes. Leur collaboration n’avait pas débuté des meilleures façons, alors c’était agréable de se rendre compte qu’elles étaient parvenues à surmonter leurs différences et à vraiment travailler ensemble de manière harmonieuse.
« Dis, Fine ? »
« Oui ? »
« Qu’est-ce qui s’est vraiment passé au Texas ? »
Tout d’un coup, Chloé ne se sentit plus du tout en harmonie avec sa coéquipière. Elle en voulut à Rhodes de lui poser cette question – que ce soit ou pas sur les conseils de Johnson – mais elle ne voulait certainement pas qu’elle sache combien ça l’agaçait. Ce serait comme si elle avait quelque chose à cacher.
« Tu veux que j’y inclue tous les détails du drame familial qui va avec ? »
Rhodes fit la grimace. « Je préférerais sans. Je sais combien tu détestes parler de tout ça. »
Chloé hésita un instant. Elle n’était pas sûre de savoir comment continuer. Si Rhodes jouait la comédie, elle tenait plutôt bien son rôle.
« Mon père et Danielle se sont disputés chez lui, dans son appartement. Je ne sais même pas à quel sujet, parce que Danielle n’a pas voulu tout me raconter en détails. Mais finalement, je pense que mon père a tout simplement pété un câble et… »
« Et ? »
« Rhodes, ne le prends pas mal, mais je n’ai pas vraiment envie d’en parler. Pas maintenant. Ça va m’occuper l’esprit et me déconcentrer de l’enquête. Tu comprends, n’est-ce pas ? »
« Oui, bien sûr. »
Chloé eut l’impression qu’il y avait de la déception dans sa voix, mais elle n’en était pas tout à fait sûre. Elle détestait l’idée que Rhodes puisse l’espionner et qu’elle ait été chargée de répéter à Johnson et à ses supérieurs tout ce qu’elle pourrait apprendre. Alors pour l’instant, Chloé devait faire très attention à chaque mot qui sortait de sa bouche.
En tout cas, le silence qui s’installa entre elles indiquait clairement que Rhodes ne s’était pas attendue à ce que Chloé refuse d’en dire plus. Le silence se fit de plus en plus pesant, alors que Rhodes entrait dans la petite ville de Colin.
Il était tellement pesant que Chloé sursauta légèrement quand son téléphone se mit à sonner. Elle décrocha rapidement, en espérant que Rhodes n’avait pas remarqué sa réaction.
« Agent Fine. »
« Agent Fine, c’est Anderson, » dit la voix chantante d’Anderson. « Je voulais vous informer qu’un policier de Colin venait juste d’arrêter un homme. Ils pensent qu’il s’agit de l’assassin de Steven Fielding. »
« Est-ce qu’il y a un lien avec Bjurman ? » demanda Chloé.
« On ne sait pas encore. Ils viennent juste de l’arrêter. Il devrait être prêt à être interrogé dès que vous arriverez au commissariat. »
Chloé la remercia et raccrocha. « C’était Anderson. Apparemment, la police de Colin aurait arrêté l’assassin. »
« L’assassin des deux victimes ? »
« On ne sait pas encore. »
« Alors, allons le découvrir, » dit Rhodes, en appuyant plus fort sur la pédale d’accélérateur.
***
Le commissariat de Colin était le plus petit commissariat que Chloé avait jamais visité. Le hall d’entrée était un carré parfait, contenant une petite salle d’attente, un minuscule open space et un petit coin de pause. Une odeur d’aérosol et de café flottait dans l’air. Mais l’endroit paraissait être en parfait état de fonctionnement. Tout semblait à sa place et bien ordonné. Quelques secondes après que Chloé et Rhodes soient entrées dans le bâtiment, un homme musclé de petite taille vint à leur rencontre. Il avait l’air très pressé. Il portait un uniforme et sa chemise était trempée de sueur et lui collait à la peau. Le nom de Cooper était inscrit sur le badge qu’il portait à la poitrine.
« Vous êtes les agents ? » demanda-t-il.
« Oui, » dit Rhodes. « Agents Rhodes et Fine. »
« Super, » dit Cooper. « Venez, suivez-moi. »
Il les accompagna à travers l’open space, vers un couloir qui donnait sur l’arrière confiné du bâtiment. Il ne prit pas la peine de les amener dans un bureau, mais il les guida directement jusqu’au bout de l’édifice, où se trouvaient une cellule de détention et une salle d’interrogatoire. C’était certainement l’endroit où ils avaient enfermé le suspect.
« Voici ce qu’on sait, » dit Cooper. « Il y a une heure, on a reçu un appel du bar Rock & Sam. Le barman, Sam, est un bon ami à moi, alors je suis sûr qu’on peut se fier à sa version des faits. Il nous a raconté que ce type, Carol Hughes, un habitué, était entré dans le bar. Il y vient souvent pour déjeuner. Hughes a commandé ce qu’il prend d’habitude et quand il a tendu le bras pour prendre sa bière, Sam a remarqué la montre qu’il portait au poignet. C’était une montre de luxe, pas le genre de montre que porterait normalement ce type. Et Sam avait déjà vu exactement cette même montre auparavant – mais au poignet de Steven Fielding. »
« Vraiment ? » dit Rhodes. « Il pense avoir vu la même montre au poignet d’un autre type ? »
« Eh bien, c’est une montre assez unique. Elle est dorée – je ne sais pas si c’est de l’or – et elle est ornée du logo de l’équipe des Volunteers du Tennessee. Sam se rappelle clairement avoir vu ce logo sur la montre que Steven portait au bar il y a quelques semaines. Alors quand il a vu la montre au poignet de Hughes, il s’est rappelé que Steven avait été assassiné quelques jours plus tôt, lors d’une tentative de cambriolage. Il nous a discrètement appelés. C’est moi qui ai répondu à l’appel et je suis allé au bar pour arrêter le type. Il a presque pissé dans son froc quand il a vu arriver la police. Il a résisté mais il n’a rien avoué. »
« Ça paraît plutôt clair, tout ça, » dit Chloé.
« Si vous voulez voir la montre, elle fait maintenant partie des pièces à conviction. On a relevé les empreintes et on y a retrouvé celles de deux personnes. Je suis quasiment sûr qu’elles appartiennent à Fielding et à notre suspect. »
« Ça ne va pas être nécessaire, » dit Chloé. « Je pense que parler au suspect sera suffisant. »
« Il est tout à vous. Et n’hésitez pas à m’appeler si vous avez besoin de quoi que ce soit. »
Sur ces mots, Cooper ouvrit la porte de la salle d’interrogatoire, qui se trouvait à côté de la cellule de détention. Il y avait une table au milieu de la pièce, à laquelle le poignet droit de Carol Hughes avait été menotté. Quand Chloé et Rhodes entrèrent dans la pièce, Hughes eut l’air sur le point de bondir de sa chaise.
C’était un homme à l’allure plutôt banale. Une visite chez le coiffeur ne lui aurait pas fait de mal, car ses favoris étaient broussailleux et de longues mèches de cheveux lui collaient au front. Il écarquilla les yeux en les voyant entrer et un air surpris envahit son visage. Chloé commençait à se demander si on ne l’avait pas mise en équipe avec Rhodes afin d’expérimenter une théorie selon laquelle les suspects seraient souvent pris au dépourvu en voyant que deux petits bouts de femmes comme elles avaient été envoyées pour enquêter. Et le fait d’être déconcerté pouvait faire perdre leurs moyens aux pires criminels. Si le FBI cherchait vraiment à prouver cette théorie, Hughes aurait été un bon sujet d’étude.
« Qui êtes-vous ? » demanda-t-il.
Chloé s’approcha de la table et lui montra son badge. Il n’y avait aucune chaise de leur côté, alors elles restèrent debout.
« Quel est votre lien avec Steven Fielding ? » demanda Chloé.
« Aucun. Je le voyais parfois au bar. Apparemment, il avait l’air d’avoir de l’argent. »
« C’est plutôt idiot de porter une montre que vous avez volée chez lui. Surtout après l’avoir tué. Vous ne trouvez pas ? »
La colère envahit le visage d’Hughes, mais ce ne fut que temporaire. Apparemment, il s’était rendu compte qu’il s’était attiré de sérieux problèmes et il se calma instantanément.
« Ce n’était pas intentionnel, » dit-il.
« Qu’est-ce qui n’était pas intentionnel ? » demanda Rhodes.
Hughes eut l’air de réfléchir pendant un instant. Chloé avait déjà vu ça. Même quand ils se retrouvaient confrontés à leurs crimes et qu’ils savaient parfaitement qu’ils s’étaient fait prendre, il était souvent très dur pour les humains d’admettre qu’ils avaient dépassé les limites.
« Écoutez, je sais que c’était mal, mais j’avais juste besoin d’un peu d’argent, vous voyez ? J’ai perdu mon boulot il y a trois mois et les factures… eh bien, elles n’arrêtent pas de s’accumuler. Et ma copine… elle ne veut pas se marier avec moi tant que je ne suis pas un peu plus stable… »
« Et c’est pour ça qu’un cambriolage vous a paru la meilleure chose à faire ? » dit Rhodes.
Chloé avait pensé exactement la même chose, mais elle ne voyait pas l’intérêt de contrarier un suspect. En général, tout ce que ça amenait, c’était que le suspect fasse traîner encore un peu plus les choses. Franchement, dans le cas d’Hughes, elle s’était également retenue de lui dire que s’il n’avait plus de travail depuis trois mois, traîner dans les bars n’était probablement pas la meilleure idée.
« Racontez-nous ce qui s’est passé, » dit Chloé.
« Je le suivais depuis quelques jours et je connaissais son emploi du temps. Je ne pensais pas qu’il serait chez lui. J’allais juste entrer et sortir, c’est tout. » Il s’interrompit un instant et au début, Chloé crut qu’il allait se mettre à pleurer. Mais l’expression de peur qui avait envahi son visage fit bientôt place à l’effroi. Hughes commençait à réaliser la gravité de ce qu’il avait fait.
« Mais quand je suis entré, il était là, sur le divan. J’avais un pied-de-biche en main parce que je m’attendais à devoir entrer par effraction. Quand il s’est jeté sur moi et qu’on s’est mis à se battre, j’ai… j’ai perdu le contrôle. J’étais surpris et effrayé, et j’ai juste… j’ai commencé à le frapper avec le pied-de-biche. Et je n’arrivais pas à m’arrêter… je n’y arrivais pas… »
« Qu’est-ce qui a fini par vous faire arrêter ? » demanda Rhodes.
« J’ai entendu la porte du garage s’ouvrir. C’était sa femme qui rentrait. Et il fallait que je sois parti avant qu’elle rentre à la maison. Je n’ai jamais voulu faire de mal à qui que ce soit, et encore moins commettre un crime… mais j’ai entendu la porte du garage et je me suis arrêté. J’ai vu ce que j’avais fait et… »
Il s’interrompit. Il ne parvenait toujours pas à le formuler avec des mots.
« Continuez, » l’encouragea Chloé.
« Je savais qu’il était mort et il fallait que je prenne quelque chose, n’importe quoi. J’ai pris sa montre et l’argent qu’il avait dans son portefeuille. Quatre-vingt-deux dollars. »
« Et vous êtes parti ? » demanda Chloé. « Par la porte d’entrée ? »
Hughes hocha la tête. « J’ai entendu la porte du garage se refermer. Sa femme a dû me rater de quelques secondes. »
« Vous pensiez qu’il était mort quand vous êtes parti de là ? » demanda Rhodes.
« Je n’en étais pas sûr à cent pourcents. » Il s’était mis à trembler et les menottes cliquetèrent contre la barre à laquelle elles étaient accrochées. « Mais son crâne… et tout ce sang, je me suis dit qu’il était impossible qu’il soit encore vivant. Et s’il n’était pas encore mort… il le serait bientôt… »
« Monsieur Hughes, est-ce que vous connaissez un homme du nom de Viktor Bjurman ? »
La question parut le surprendre, peut-être parce que ça n’avait aucun lien avec ce qu’il avait fait. Il réfléchit un instant, avant de secouer la tête. « Non. Non, je ne connais personne de ce nom. »
« Est-ce que vous vous êtes rendu à Pine Point au cours de la semaine qui vient de s’écouler ? » demanda Chloé.
« Oui. Il y a un petit magasin diététique à Pine Point. C’est là que j’achète mes vitamines. C’était… vendredi dernier, je pense. »
Chloé s’éloigna un peu de la table. Elle regarda Hughes et réfléchit aux réponses qu’il leur avait données. N’importe quel menteur pourrait concocter un récit comme celui-là. Mais il fallait être un vrai sociopathe pour pouvoir en arriver à certains détails, comme les tremblements de son corps ou l’expression de frayeur sincère qu’elle avait vue sur son visage. D’après son expérience et en se basant sur son instinct, elle pensait qu’il disait la vérité – et il était terrifié par les conséquences de ses actes. Le fait qu’il ajoute ce petit détail concernant l’endroit où il achetait ses vitamines avait fini par la convaincre totalement.
Et compte tenu de ça, elle était sûre que ce n’était pas l’homme qui avait tué Viktor Bjurman. Les deux meurtres n’avaient donc aucun lien entre eux. Bien sûr, c’était agréable de se rendre compte que son instinct ne l’avait pas trompée, mais c’était également frustrant parce qu’elles se retrouvaient de nouveau à la case départ en ce qui concernait le meurtre de Bjurman.
« Monsieur Hughes, nous allons laisser la police locale vous poser des questions concernant votre emploi du temps entre le moment où vous avez involontairement tué monsieur Fielding et le moment où vous avez été arrêté. Si tout se tient, le FBI n’aura pas besoin d’être impliqué. Vous avez compris ? »
Il hocha la tête. Il avait toujours l’air aussi surpris. « Je ne comprends pas comment tout ça a pu arriver. Je ne… »
« Vous avez d’autres questions, agent Rhodes ? » demanda Chloé.
« Non, aucune. »
Les agents laissèrent Hughes seul dans la pièce. Il avait maintenant un air effrayé et surpris sur le visage. Dès qu’elles furent sorties, Cooper apparut au bout du couloir. Il se rua vers elles. Il était accompagné d’un autre policier et ils avaient tous les deux l’air perplexe.
« Il y a quelque chose qui ne va pas ? » demanda-t-il.
« Non, » dit Chloé. « Vous avez fait du très bon boulot. C’est votre type, mais ce n’est pas celui qu’on cherchait. Si vous pouviez vérifier son emploi du temps au cours des derniers jours, on devrait pouvoir confirmer qu’il n’a rien à voir avec le meurtre de Viktor Bjurman. »