Président Élu - Джек Марс 6 стр.


EN DIRECT, clamait le bandeau sous l’image. CHINATOWN, NEW YORK

Swann revint avec deux bouteilles de bière. Luke comprit alors pourquoi il avait grossi : il passait beaucoup de temps à boire de la bière.

Swann indiqua la télé du pouce.

– T’es au courant de ça ?

Luke secoua la tête.

– Non. C’est quoi ?

– Il y a trois quarts d’heure environ, une bande de néonazis a tenté de faire une sorte de défilé en plein milieu de Chinatown, à New York. Gathering Storm, t’en as jamais entendu parler ?

– Swann, si je te disais que j’ai passé les deux dernières années à vivre sous une tente ?

– Alors je dirais que tu n’as jamais entendu parler de Gathering Storm. Bref, c’est en fait une association à but non lucratif, vouée à préserver et promouvoir la culture… quoi ? Blanche, je suppose. De l’européanisme américain ? Tu sais, ils veulent rendre l’Amérique plus sûre pour les Blancs. Jefferson Monroe en est le principal financier – à la base, c’est sa version moderne des Chemises brunes. Il y a sans doute une demi-douzaine de groupes de ce genre à présent, mais je pense que ceux-ci sont les plus importants.

– Qu’est-ce qui s’est passé ?

Swann haussa les épaules.

– Que dire ? Ils se sont mis à tabasser les passants au hasard dans la rue. On n’a jamais vu ces types, c’est une bande de gorilles. Des mastards. Ils jetaient les gens à terre. Deux gus dans le quartier s’en sont offusqués. Ils ont allumé les nazis à coups de flingues. Plusieurs personnes ont été abattues, cinq morts au dernier décompte. Les tireurs sont toujours dans la nature. C’est ce qu’on appelle une situation instable.

– Les morts sont tous des nazis ? s’enquit Luke.

– On dirait bien.

Luke haussa les épaules.

– Eh bien…

– Ça va. C’est pas une grosse perte.

Luke détourna le regard de la télé. Il avait du mal à appréhender ce qui se passait. Susan Hopkins pensait que l’élection avait été truquée. Son adversaire, le futur président, finançait un groupe néonazi qui venait de déclencher une mini guerre raciale à New York. Était-ce ainsi que les choses se passaient maintenant ? À quel moment tout avait changé ? Luke était parti depuis trop longtemps, apparemment.

– Qu’est-ce que tu fais de beau, Swann ?

Celui-ci s’assit dans le grand canapé blanc et indiqua à Luke un siège face à lui. Luke le prit. Il avait l’avantage tangible de tourner le dos à la télé. De sa place, il distinguait le toit-terrasse de Swann à travers les portes en verre teinté. Le néon du jacuzzi émettait une pâle lueur bleutée. À part ça, il faisait plutôt noir dehors. Luke avait dormi sur la terrasse une fois. Il savait qu’en journée, elle offrait une vue panoramique sur l’océan Atlantique.

– Pas grand-chose, répondit Swann. Rien, pour être honnête.

– Rien ?

Swann parut s’abîmer dans ses pensées.

– Tu le vois bien. Je suis en invalidité. Quand on est revenu de Syrie, je n’ai jamais pu… reprendre le travail. J’ai essayé plusieurs fois. Mais le renseignement est un sale métier. Je m’en foutais quand c’était d’autres qui étaient blessés. Mais après la Syrie… j’ai eu des crises de panique. Les têtes coupées, tu sais ? Pendant un moment, je les voyais tout le temps. Ce n’était pas bon. C’était trop.

– Je suis désolé, fit Luke.

– Je le suis aussi, crois-moi. Et ce n’est pas fini. Je vis un peu en reclus maintenant. J’ai gardé mon ancien appartement à Washington, mais je vis ici la plupart du temps. C’est tranquille. Personne ne vient ici sans que je le veuille.

Stone y songea un instant, mais garda la bouche close. C’était assez vrai, dans une certaine mesure. La grande majorité des gens ne pouvaient pas entrer ici. Les gens normaux, honnêtes. Les gens bien. Mais des méchants ? Des tueurs ? Des agents secrets ? Ils entreraient s’ils le voulaient.

– Je sors rarement, reprit Swann. Je commande mes courses sur Internet. Je fais entrer le gamin dans l’immeuble depuis ici, et je le surveille quand il monte dans l’ascenseur. Je le suis sur la vidéosurveillance. Je lui laisse un pourboire dans le couloir, il pose les sacs devant la porte, et je le regarde redescendre. Puis je sors dans le couloir et je récupère mes courses. C’est un peu pathétique, je sais.

Luke garda le silence. C’était triste que Swann en soit réduit à ça, mais Luke n’aurait pas employé le mot « pathétique ». C’était arrivé, voilà tout. Peut-être qu’il pourrait aider Swann, le ramener dans le monde – ou pas. En tout cas, ce serait un gros travail qui prendrait beaucoup de temps, et il faudrait que Swann le souhaite. Parfois, des traumatismes psychologiques comme celui-ci ne guérissent jamais vraiment. Swann avait été fait prisonnier par Daesh et avait failli être décapité, quand Luke et Ed Newsam étaient intervenus. Avant leur arrivée, il avait été battu et avait subi des simulacres d’exécution.

Un silence plana entre eux, pas du genre confortable.

– Il y a eu une période où je te rendais responsable de ce qui m’est arrivé.

– Okay, fit Luke.

C’était l’opinion de Swann, et Luke n’allait pas en débattre avec lui. Mais Swann avait été volontaire pour cette mission, et Luke et Ed avaient risqué leur vie pour le sauver.

– Je me rends compte que ça n’a plus guère de sens, et je ne le crois plus maintenant, mais il m’a fallu des mois de thérapie pour en arriver là. Ed et toi avez cette aura bizarre autour de vous. Comme si vous étiez surhumains. Même quand vous êtes blessés, on dirait que ça ne vous fait pas vraiment mal. Ceux qui vous fréquentent de trop près se mettent à croire que ce truc que vous avez s’applique aussi à eux. Mais ce n’est pas le cas. Quand les gens normaux sont blessés, ils meurent.

– Tu es en thérapie en ce moment ?

Swann hocha la tête.

– Deux fois par semaine. J’ai trouvé un gars qui fait ça en vidéo. Il est dans son cabinet et moi ici. C’est pas mal.

– Qu’est-ce qu’il te dit ?

Swann sourit.

– Il m’a dit : « Quoi que tu fasses, n’achète pas un flingue. » Je lui ai répondu que j’habitais au vingt-huitième étage, avec une terrasse ouverte. Je n’ai pas besoin d’un flingue. Je peux mourir quand je veux.

Luke préféra changer de sujet. Parler des manières qu’aurait Swann de se suicider… ça n’avait rien de réjouissant.

– Tu vois Ed souvent ?

Swann haussa les épaules.

– Plus depuis quelque temps. Son travail l’accapare. Il est chef de l’Hostage Rescue Team3. Il est beaucoup à l’étranger. On avait l’habitude de se voir plus souvent. Mais il est resté à peu près le même.

– Est-ce que ça te dirait de bosser un peu ? demanda Luke.

– Je ne sais pas. Je pense que ça dépendra de ce que c’est. Des exigences, de ce que j’aurais à faire. Je ne veux pas non plus compromettre mon invalidité. Tu payes au noir ?

– Je travaille pour la présidente, répondit Luke. Susan Hopkins.

– C’est mignon. Et pourquoi elle a besoin de toi ?

– Elle pense que l’élection a été truquée.

Swann hocha la tête.

– J’ai entendu ça. Les infos défilent à la vitesse de la lumière de nos jours, mais cette histoire-là tient la route. Elle ne veut pas se retirer. Alors quelle est ta place là-dedans ? Et plus important, quelle serait la mienne ?

– Eh bien, elle va sans doute vouloir qu’on collecte des renseignements pour son compte. J’imagine qu’elle veut démolir ces mecs, d’une façon ou d’une autre. Je n’ai pas plus de détails pour le moment.

– Est-ce que je peux bosser pour elle ? s’enquit Swann.

– Je le suppose. Pourquoi pas ? (Luke marqua une pause.) Mais en vérité, cette discussion m’inquiète un peu. Tu n’es plus le même qu’avant, tu sais. J’aimerais être sûr que tu as toujours tes anciens talents.

Swann ne le prit pas mal.

– Teste-moi de la manière que tu veux, Luke. Je suis là jour et nuit. Qu’est-ce que tu crois que je fais de mon temps ? Du hacking. J’ai tous mes anciens talents, et quelques nouveaux. Je pourrais même être meilleur qu’avant. Tant que je n’ai pas à sortir…

Swann se tut un moment. Il baissa les yeux sur la bière dans sa main, puis les releva vers Luke. Son regard était grave.

– Et je hais les nazis, ajouta-t-il.

CHAPITRE DIX

12 novembre

08:53, heure avancée de l’Est

Aile ouest

Maison-Blanche, Washington DC


– La violence a régné toute la nuit, déclara Kat Lopez. Kurt a tous les détails, mais le pire s’est déroulé à Boston, San Francisco et Seattle.

– Pourquoi ne m’a-t-on rien dit ? s’étonna Susan.

Toutes deux marchaient dans les couloirs de l’aile ouest, en direction du Bureau ovale. Leurs talons claquaient sur le sol de marbre. Susan se sentait mieux qu’elle ne l’avait été depuis longtemps – bien reposée après une longue nuit de sommeil. Elle avait pris son petit-déjeuner dans la cuisine familiale sans avoir consulté une seule fois les infos. Elle commençait à croire que les événements prenaient une tournure positive. Jusqu’à cette dernière minute.

Kat haussa les épaules.

– J’ai préféré te laisser dormir. Tu ne pouvais rien faire à ce sujet en pleine nuit, et je me suis dit qu’aujourd’hui allait encore être une sacrée journée. Kurt était d’accord avec moi.

– Okay, admit Susan, supposant que Kat le pensait vraiment.

Un agent du Secret Service leur ouvrit les portes et elles entrèrent dans le Bureau ovale. Kurt Kimball était là, manches retroussées, prêt à foncer. Luke Stone était assis dans un fauteuil, quasi dans la même position qu’il avait la veille au soir.

Stone portait un T-shirt noir uni sous un blouson en cuir, un jean et des bottes en cuir luxueuses. Il avait l’air plus frais, moins distant, plus dans le présent que la veille. Son regard était vif. Stone est un cowboy de l’espace, décida Susan. Parfois, il était juste absent, quelque part dans l’éther. Là où il allait quand il disparaissait. Mais aujourd’hui, il était de retour.

– Salut, Kurt, dit Susan.

Kurt se tourna vers elle.

– Bonjour, Susan.

– Jolies bottes, agent Stone.

Stone releva de quelques centimètres une jambe de son jean pour mieux lui montrer sa botte.

– Ferragamo, dit-il. Ma femme me les avait offertes un jour. Elles ont une valeur sentimentale.

– Désolée pour votre épouse.

– Merci, acquiesça Stone.

Un silence embarrassé s’ensuivit. Si elle l’avait pu, Susan – du moins son côté émotif, on pourrait même dire son côté féminin – aurait passé les vingt minutes suivantes à questionner Stone à propos de sa femme, de sa relation avec elle, comment il avait surmonté son décès, et de quelle façon il prenait soin de lui-même. Mais Susan n’avait pas le temps pour cela en ce moment. Son côté pratique au cœur dur – dirait-elle son côté masculin ? – la poussait à suivre l’ordre du jour.

– Bon, Kurt, qu’est-ce que tu as pour moi ?

Kurt indiqua l’écran de la télé.

– La situation a rapidement évolué, ce qui n’est pas surprenant. La nuit dernière, on a eu une fusillade de masse dans le Chinatown de New York. Un grand groupe d’activistes de Gatering Storm ont surgi d’un convoi de fourgons noirs, autour de 20 h 30, pour entamer un défilé au sud de Canal Street. C’était une provocation, bien sûr. En quelques minutes, ils en venaient aux mains avec les habitants du quartier.

– Gathering Storm, hein ?

Gathering Storm était l’une des organisations financées par Monroe qui lui faisaient mal au ventre. Susan s’était souvent demandé ce que ces gens croyaient faire au juste. Bien sûr, jusqu’à présent, les violences étaient principalement des menaces proférées sur Internet. Maintenant, elles devenaient réelles.

Kurt hocha la tête.

– Oui. On dirait qu’ils recrutent leurs activistes d’après leur gabarit. Pendant quelques minutes, les coups de poing ont été entièrement à sens unique, jusqu’à ce que deux tueurs des Triades de Hong-Kong – qui étaient à New York apparemment pour un contrat – ouvrent le feu avec des mitraillettes Uzi. Le dernier décompte fait état de trente-six blessés – dont douze Chinois, probablement touchés par accident – et sept morts, tous membres de Gathering Storm. Trois autres membres sont entre la vie et la mort.

Susan ne savait trop que dire là-dessus. Que c’était bien ? Ça lui trottait en tête.

– Et les membres des Triades ?

– Arrêtés par la police de New York, accusés de meurtres multiples, de tentatives de meurtre et de port d’armes. Ils ont des traducteurs nommés par le tribunal, et aux dernières nouvelles, une équipe juridique est en route depuis Hong-Kong. Les Triades sont bien financées, c’est le moins qu’on puisse dire. On s’attend à ce que les avocats essaient de monter un dossier d’autodéfense pour les meurtres, et plaident coupables pour les armes.

– Que penses-tu de cette approche ? s’enquit Susan.

Kurt sourit en secouant la tête.

– New York a aboli la peine de mort. C’est à peu près le seul avantage qu’ont ces types pour le moment.

– Et si je les graciais et les renvoyais chez eux avec des médailles ?

– Je crois qu’on a assez de problèmes comme ça.

– Dis-m’en plus.

– Eh bien, quand les infos sur New York ont été diffusées, ça a fait tomber les masques. Des groupes de jeunes ont pénétré dans le Chinatown de Boston vers 22 h et ont attaqué les gens dans la rue. Il semble que ces gars ont picolé dans les bars des environs, car les quatre hommes arrêtés étaient tous saouls.

– Quatre hommes arrêtés ? Tu parlais de groupes…

– Oui. Il apparaît que la police de Boston a été plus indulgente qu’on aurait pu l’espérer, elle a laissé partir la majorité des assaillants avec un simple avertissement.

– Et quoi d’autre ?

– Un groupe de la section d’Oakland du gang de motards nazi Lowriders est entré dans le Chinatown de San Francisco et a agressé les passants à coups de matraques et de queues de billard sciées. Plus de quarante d’entre eux ont été arrêtés. Deux victimes de ces attaques sont dans un état critique dans les hôpitaux de la région.

Susan soupira en secouant la tête.

– Génial. Autre chose ?

– Oui – sans doute l’info la plus excitante. Monroe doit parler ce matin à un meeting de ses supporters, peut-être pour aborder les violences de la nuit dernière, ou bien pour te demander à nouveau de te retirer. Personne ne connaît vraiment son scénario. Mais le meilleur, c’est l’endroit où se tient le meeting.

Susan n’appréciait pas quand Kurt se montrait évasif.

– Vas-y, Kurt, crache le morceau. Où est-ce ?

– Parc Lafayette. Juste de l’autre côté de la rue.

CHAPITRE ONZE

09:21, heure avancée de l’Est

Parc Lafayette, Washington DC


C’était vraiment beau à voir.

Ils l’avaient appelé le parc du Peuple, et aujourd’hui le peuple était là.

Non pas les hôtes ordinaires de ce parc où, génération après génération, campaient la populace, les agitateurs et les radicaux – la lie du peuple, les perdants de la vie –, protestant contre la politique d’un président à l’autre.

Non. Pas ces gens-là.

Ceux-ci étaient son peuple. Une marée humaine – des milliers, des dizaines de milliers – qui s’étaient passé le mot via les réseaux sociaux la nuit dernière, que leur leader allait parler ici aujourd’hui. C’était un mouvement furtif, un poignard dans le dos, le genre de mouvement dans lequel Gerry O’Brien excellait. Il avait obtenu de la municipalité l’autorisation de ce rassemblement hier après-midi, juste avant la fermeture des bureaux, et la nouvelle s’était répandue dans la nuit comme un feu de brousse attisé par un vent tempétueux.

À présent le peuple était là, coiffé de chapeaux géants style Abe Lincoln et brandissant leurs pancartes et banderoles artisanales ou officielles issues de la campagne, réalisées professionnellement par les dizaines d’organisations qui l’avaient soutenue. La plupart des gens étaient chaudement couverts contre ce froid hors-saison.

En observant depuis la scène de fortune cette masse grouillante d’humanité – c’était comme un festival de rock –, Jefferson Monroe comprit qu’il était né pour ce moment précis. Soixante-quatorze ans, et beaucoup, beaucoup de victoires : depuis ses débuts comme ado trafiquant d’alcool au fin fond des Appalaches jusqu’à actionnaire majeur et capitaine dans l’industrie du charbon, en passant par jeune et furieux briseur de grève et ambitieux dirigeant d’entreprise.

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