Président Élu - Джек Марс 7 стр.


Plus tard, il devint sénateur de la Virginie-Occidentale et faiseur de rois conservateurs, largement financé par les mêmes compagnies charbonnières pour lesquelles il avait travaillé. Et maintenant… Président élu des États-Unis. Une vie entière d’efforts, de longues décennies à gravir l’échelle, à se frayer un chemin, et soudain, par surprise (un résultat que personne n’attendait, pas même lui), il était l’homme le plus puissant du monde.

Il était là pour forcer la présidente en place à quitter la Maison-Blanche au plus tôt et à le laisser y entrer. C’était plus audacieux que tout ce qu’il avait jamais tenté. Au-delà de la foule, de l’autre côté de la large avenue, il distinguait la Maison-Blanche au loin, dressée sur une butte herbue. Pouvait-elle le voir de là-bas ? Regardait-elle seulement ?

Bon Dieu, il l’espérait.

Il se détourna un instant de l’assemblée. Toute une troupe se tenait également sur la scène derrière lui. O’Brien était là, le cerveau de sa campagne, l’âme damnée des suprémacistes blancs, un homme aussi déterminé que Monroe lui-même. Encore maintenant, il était en train d’aboyer dans un portable. « Je veux cet oiseau », semblait proférer Gerry le Requin. Mais était-ce vraiment cela ? Je veux cet oiseau ? Quelles paroles bizarres ! À un tel moment ?

– Je le veux, okay ? Je veux qu’il se pose juste comme on a dit. Dites-moi que vous pouvez le faire. Okay ? Bien. Quand ?

Monroe l’ignora. Traiter avec Gerry n’était pas seulement une folle aventure, c’était une leçon de surréalisme. Le président élu décida de ne pas tenir compte de son conseiller le plus proche pour le moment. Il s’adressa plutôt aux autres personnes sur la scène :

– Vous voyez ça ? (Il couvrit le micro d’une main et désigna de l’autre la foule massive.) Vous voyez ça ?

– Je n’ai jamais rien vu d’aussi beau, déclara un jeune assistant.

Devant lui, des applaudissements retentirent parmi l’assemblée – non pas au hasard, mais en rythme, des milliers de mains frappant ensemble – CLAP, CLAP, CLAP, CLAP…

Puis un slogan s’éleva, à l’unisson avec les applaudissements et des tapements de pieds çà et là. Il enfla parmi la foule : « U-S-A ! U-S-A ! U-S-A ! »

C’était un bon slogan, et un bon début.

Monroa lâcha le micro pour empoigner le pupitre. Il leva une main, qui ramena le silence en quelques secondes. C’était comme s’il avait coupé le son d’un appareil, d’une télé ou d’une radio. Mais ce n’était pas un appareil, c’était des milliers et des milliers de personnes qu’il pouvait contrôler sans effort, d’un simple geste. Ce n’était pas la première fois qu’il s’émerveillait de ce pouvoir qu’il possédait. Comme un superhéros. Ou un dieu.

– Comment ce réchauffement climatique vous traite-t-il ? lança-t-il, sa voix résonnant au-dessus de la multitude.

Rires et acclamations fusèrent au sein de la foule. Personnellement, Monroe savait, grâce aux climatologues employés par ses entreprises, que le réchauffement climatique était une réalité, qu’il constituerait un problème sérieux d’ici un siècle voire plus tôt, une menace pour la civilisation elle-même. En tant que président, il pourrait tranquillement chercher des moyens de mettre en œuvre des politiques qui réduiraient quelque peu cette menace, sans nuire aux profits de l’industrie. En attendant, ses entreprises augmentaient progressivement leurs investissements dans le domaine des énergies renouvelables, les technologies solaires, éoliennes et géothermiques qui représentaient l’avenir.

Mais son peuple ne voulait rien entendre de tout cela. Il voulait entendre que le réchauffement climatique était une mystification perpétrée en grande partie par la Chine. C’était donc ce que Monroe allait leur dire. Donner au peuple ce qu’il désire… Et de toute façon, il faisait froid dehors, un froid anormal pour un début novembre, ce qui constituait une preuve suffisante : il n’y avait aucun réchauffement climatique en cours.

– Aujourd’hui est votre jour, vous le savez ?

La foule accueillit cette idée par des rugissements d’approbation.

– Vous et moi sommes issus de rien, d’accord ? Et nous venons de nulle part. Nous n’avons pas été élevés dans des penthouses huppés et prétentieux de Manhattan, San Francisco ou Boston. Nous ne sommes pas allés dans des écoles privées spéciales pour élites. Nous ne sirotons pas de latte et ne lisons pas le New York Times. Nous ne connaissons pas ce monde-là et ne voulons pas le connaître. Vous et moi, nous avons travaillé dur toute notre vie, et nous avons gagné tout ce que nous possédons et posséderons jamais. Et aujourd’hui, c’est notre jour.

Les acclamations furent comme une éruption, un séisme. On aurait dit qu’une bête géante, endormie sous la terre depuis des siècles, s’arrachait du sol et surgissait dans un déchaînement de violence.

– Aujourd’hui est le jour où nous allons destituer une administration parmi les plus corrompues de l’histoire des États-Unis. Oui, je sais, je sais. Elle dit qu’elle ne partira pas, mais je vous dis que ça ne va pas durer. Elle partira, d’accord, et bien plus tôt qu’on ne le pense. Ça arrivera bien plus tôt qu’elle ne le pense, c’est certain.

Les vivats continuaient. Il attendit que la foule se calme. Les supporters de Monroe haïssaient Susan Hopkins. Et non seulement elle, mais tout ce qu’elle représentait. Elle était riche, elle était belle, elle était gâtée – elle n’avait jamais manqué de rien. Elle était une femme à un poste toujours tenu par des hommes.

Elle était l’amie des immigrés et des Chinois, dont les méthodes de travail bon marché avaient détruit le mode de vie américain. C’était une hédoniste, une ancienne de la jet-set, et elle semblait confirmer tout ce que les gens du pays profond soupçonnaient à propos des élites. Son mari était homosexuel, pour l’amour de Dieu ! Il était né en France. Y avait-il plus non américain qu’un Français gay ?

Susan Hopkins était un monstre aux yeux de ces gens. Dans les confins des sites Internet complotistes, il y en avait même qui prétendaient qu’elle et son mari étaient des meurtriers, voire pires : des adorateurs du diable. Ils appartenaient à un culte satanique de mégariches qui kidnappaient et sacrifiaient des enfants.

Eh bien, aujourd’hui Monroe parlerait aux siens de cet aspect meurtrier. Il aurait aimé se trouver dans le Bureau ovale pour voir son expression quand cette nouvelle sortirait.

La foule s’était calmée de nouveau, attendant la suite.

– Je voudrais que vous soyez attentifs une minute, reprit-il. Car ce que je vais vous dire est un peu compliqué, et pas facile à entendre. Mais je vais vous le dire parce que vous devez le savoir. Vous, les Américains, les vrais patriotes, vous méritez de le savoir. C’est très important. Notre avenir est en jeu.

Il les tenait. Ils étaient prêts à présent. C’était là. La manœuvre ultime. La bombe. Jefferson Monroe se prépara, puis la lança :

– Cinq jours avant l’élection, un homme a été retrouvé mort près du Tidal Basin, juste ici à Washington DC.

Ses supporters firent silence. Un homme mort ? C’était nouveau. Ce n’était pas le sujet habituel des meetings de Jefferson Monroe. Des milliers de paires d’yeux paraissaient rivés sur lui. En fait, c’était bien le cas. Donne-nous quelque chose, semblaient dire tous ces grands yeux vides. Donne-nous de la chair fraîche.

– À première vue, on aurait dit que cet homme s’est suicidé. Il a reçu une balle dans la tête, le pistolet a été retrouvé près de son corps avec ses empreintes dessus. Ça n’a guère eu de retentissement à ce moment-là – des gens meurent tous les jours, et assez souvent, ils attentent à leur propre vie. Mais j’ai su – okay, les amis ? – j’ai su que cet homme ne s’est pas tué.

Les yeux le scrutaient. Des milliers et des milliers d’yeux.

– Et comment je l’ai su ?

Nul ne pipait mot. De toute sa vie, Jefferson Monroe n’avait jamais vu autant de gens si silencieux. Ils sentaient que quelque chose d’énorme allait se produire, et que c’était lui qui le provoquait.

– J’ai su qu’il ne s’est pas suicidé car je connaissais personnellement cet homme. Je pourrais même dire que c’était un ami. Il s’appelait Patrick Norman.

Jefferson n’était pas rétif aux gros mensonges. Pourtant, et contrairement à de nombreux politiciens, il ressentait un certain pincement au cœur lorsqu’il en proférait. Ce n’était pas de la culpabilité. C’était le sentiment que quelque part, quelqu’un connaissait la vérité et œuvrerait sans relâche à la faire éclater au grand jour. En fait, ce n’était même pas quelque part – au moins trois personnes qui se tenaient derrière lui sur la scène connaissaient les faits. Et il y en avait probablement une douzaine d’autres au sein de l’organisation. Elles savaient que Jeff Monroe n’avait jamais parlé une seule fois à Patrick Norman.

– Patrick Norman n’était pas suicidaire, loin de là, continua-t-il. Au contraire, c’était l’un des meilleurs et des plus prospères enquêteurs privés des États-Unis, qui gagnait beaucoup d’argent. Je savais ce qu’il faisait car c’était moi qui le payais. Il travaillait pour ma campagne au moment de sa mort.

« Faire campagne est une sale affaire, les amis. Je suis le premier à vous le dire. Parfois, vous faites des choses dont vous n’êtes pas fier pour avoir une longueur d’avance sur votre adversaire. J’avais engagé Patrick pour enquêter sur la corruption dans l’administration Hopkins et dans les relations d’affaires du mari de la future ancienne présidente, Pierre Michaud. D’accord ? Vous voyez où je ça nous mène ?

Une onde d’assentiment traversa la foule en un fort murmure, telle une vague qui roule.

– Patrick m’a téléphoné quelques jours avant de mourir, et il m’a dit : « Jeff, j’ai les crasses que tu recherches. J’ai encore besoin de suivre quelques dernières pistes. Mais ce que j’ai – les mauvaises choses qu’elle a faites – va faire exploser cette élection. »

C’était mensonge sur mensonge. Norman ne l’avait jamais appelé. Il ne l’avait jamais appelé Jeff – ne l’avait jamais appelé du tout. Il n’avait pas de crasses à propos de Susan Hopkins, même au bout de presque un an de recherches. Il avait déterminé qu’elle était probablement blanche comme neige, ou sinon, les crasses étaient enterrées si profond que personne ne les trouverait jamais.

– Ce que Patrick m’a suggéré, c’est que Hopkins et son mari acceptaient des pots-de-vin de dirigeants étrangers, y compris de dictateurs du Tiers-Monde, en échange d’un traitement favorable de la part du gouvernement américain. Il a également suggéré qu’il y avait un quiproquo dans le soutien aux œuvres de charité bidon de Pierre Michaud. Si les dictateurs laissaient Michaud faire bonne figure en construisant ses faux réseaux d’eau – des réseaux d’eau qui ne servent à personne, les amis ! – les États-Unis leur vendraient des systèmes d’armements. C’est choquant. Et ça a été la dernière fois que j’ai eu des nouvelles de Patrick Norman. Il avait des infos sur Susan Hopkins. Puis il est mort, apparemment de sa propre main.

Des huées s’élevèrent à présent parmi la foule.

– Mais ce n’était pas de sa propre main, d’accord ? Hier après-midi, le bureau du médecin légiste de Washington DC a rendu publiques ses découvertes. Patrick Norman n’a pas tiré avec le pistolet qui l’a tué. Et il avait sur son corps des marques correspondant à une lutte. Tout indique qu’on l’a tué et qu’on a camouflé sa mort en suicide.

Il marqua une pause pour laisser le temps de digérer l’info. Cette partie-là était vraie, et particulièrement accablante.

– Cinq jours avant l’élection, Patrick Norman, l’homme qui avait des crasses sur Susan Hopkins, a été assassiné.

La foule explosa en un accès d’extase. C’était ce qu’ils voulaient, tout ce qu’ils avaient toujours voulu – quelque chose qui semblait confirmer tout ce qu’ils savaient sur Susan Hopkins. Elle était corrompue jusqu’au bout, et elle aurait fait tuer quelqu’un pour couvrir les traces de ses tromperies.

Les acclamations se métamorphosèrent en autre chose – ce slogan qui avait émergé vers la fin de la campagne. C’était le slogan le plus dangereux, que Gerry le Requin avait lâché dans le domaine public via sa bande de brutes de Gathering Storm :

– FOUTEZ-LA DEHORS ! FOUTEZ-LA DEHORS !

C’est alors que survint une chose étrange et merveilleuse.

Alors que son peuple scandait la violence, une colombe blanche descendit du ciel, plana un moment au-dessus de Jefferson Monroe, puis vint se poser sur l’épaule droite de son manteau de laine. Elle battit un peu des ailes, puis s’installa et se détendit. Il avait à présent une colombe sur son épaule. L’assistance explosa.

C’était magique. Plus que ça, c’était un signe. Un signe divin.

Monroe bougea doucement, tâchant de ne pas effrayer l’oiseau.

Je veux cet oiseau, avait braillé Gerry le Requin au téléphone.

Il leva sa main gauche afin de calmer la foule. Cela marcha, plus ou moins.

– C’est la colombe de la paix, déclara-t-il. Et c’est ainsi que nous allons procéder, les amis. Pacifiquement, dans le cadre de l’État de droit. Par l’application des lois des États-Unis. Par le transfert pacifique du pouvoir, qui est l’une de nos grandes traditions depuis les premiers jours de la République.

« Parce que nous sommes dans un État de droit, Susan Hopkins doit libérer le bureau du président aujourd’hui même, et quitter la Maison-Blanche. La police de Washington DC et le médecin légiste ont fait leur travail : ils ont déterminé que Patrick Norman ne s’est pas suicidé. Et maintenant, j’appelle le ministère de la Justice et le FBI à faire leur travail – et à poursuivre la présidente Hopkins pour meurtre.

CHAPITRE DOUZE

11:45, heure avancée de l’Est

Salle de crise

Maison-Blanche, Washington DC


– C’est un mandat d’arrêt contre moi ? demanda Susan Hopkins. C’est ça qu’ils ont lancé ?

Kurt Kimball coupa le son du moniteur vidéo. Ils venaient juste de revisionner le speech de Jefferson Monroe – que Luke avait déjà vu à trois reprises.

Bien que le meeting de Monroe ait prévu d’autres festivités ce matin, peu importait ce qui venait après cela. Une starlette de musique country avait occupé la scène, tentant de divertir le public avec une chanson sur l’Amérique, mais les gens s’étaient dispersés au bout de quelques secondes.

Ils n’étaient pas venus pour la musique mais pour un lynchage public, ce qui n’était pas loin de ce qu’on leur avait jeté en pâture.

À présent Luke balayait la salle de crise du regard, guettant les réactions. Elle était bondée, c’était un vrai pow-wow : du personnel de la campagne électorale, des agents du Secret Service, des gens de l’entourage de Susan et de la vice-présidente, quelques membres du Parti démocrate. Luke ne discernait pas chez eux d’expressions très combatives. De toute évidence, certains d’entre eux suivaient le déroulement des événements en quête du bon moment pour quitter le navire avant qu’il ne sombre au fond de l’océan.

Ce genre de scène ne faisait pas partie de l’environnement normal de Luke. Il ne se sentait pas à sa place, pour le moins. Il admettait qu’un groupe de gens tente de prendre des décisions difficiles, mais il n’avait guère de patience quant au procédé. Sa réponse typique à tout problème avait toujours été d’y réfléchir, puis de passer à l’action. En attendant, Kurt Kimball semblait troublé, et Kat Lopez très éprouvée. Seule Susan avait l’air calme.

Luke l’observa avec attention, cherchant des signes d’effondrement. C’était une habitude qu’il avait prise dans les zones de guerre, en particulier pendant les périodes d’immobilisation entre les batailles : il devenait très conscient du nombre de personnes autour de lui qui en avaient encore dans le ventre. Le stress faisait des ravages, épuisait les gens. Cela se produisait parfois progressivement, parfois instantanément. Mais quoi qu’il en soit, venait un moment où tous les combattants, sauf les plus acharnés, cédaient sous la pression. Puis ils cessaient de fonctionner.

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