On fit ranger les gardes du corps à cheval sur la terrasse pendant la nuit, et peu après on les fit partir pour Rambouillet.
Sur les cinq heures, maman vit beaucoup de peuple courir avec violence par des mouvements tumultueux; c’était de loin, elle ne put distinguer ce que c’était; elle sortit de son appartement avec mon père et Mme d’Estourmel; ils traversèrent la galerie de l’Opéra pour aller au vestibule de la Chapelle, qui menait à la grande galerie. Ils trouvèrent les portes fermées et tout dans la plus profonde tranquillité; heureusement ils rentrèrent, car l’instant d’après, la minute avant que le peuple envahît, nos domestiques vinrent dire que les gardes du corps étaient devenus fous; deux, courant à toutes jambes, avaient voulu entrer, on avait fermé la porte sur eux. Alors maman, ne pouvant plus tenir à ses inquiétudes, demanda à la sentinelle de la garde nationale, qui était à la porte de la cour de l’Opéra, sous ses fenêtres (mais elles étaient élevées à une hauteur énorme sur la rue), ce qui se passait dans la cour des Ministres, où elle voyait toujours le peuple dans la même agitation. Il dit: « Ce sont les gardes du corps, madame, » et il fît signe qu’on leur coupait la tête. Il n’était resté à Versailles que ceux de service, environ deux cents: ils furent poursuivis, plusieurs tués en se défendant en héros, la plupart se sauvèrent par mille déguisements. D’ailleurs on ne cherchait certainement pas à en tuer beaucoup, les meneurs surent bien arrêter le peuple, quand ils le voulurent.
On peut imaginer l’état dans lequel nous étions, en apprenant qu’on tuait les gardes du corps; plusieurs exempts, qui demeuraient près de notre appartement, vinrent s’y cacher; nous donnâmes des habits à des gardes qui étaient réfugiés chez nous, nos domestiques en sauvèrent beaucoup. Nous étions dans la plus horrible inquiétude, on pensait voir massacrer toutes les personnes du château; le peuple et la garde nationale de Paris étaient dans les cours; on apprit qu’on avait gagné le régiment de Flandre dans la nuit, on avait emporté ses drapeaux. Les soldats les voyant sur la place d’Armes, passèrent pardessus la grille; alors on s’empara de chaque soldat, on lui prodigua le vin et l’argent; ces hommes, indignés de rester sans cartouches, d’avoir eu leurs canons enlevés, d’avoir été enfermés toute la nuit sous clef, furent bientôt gagnés et se mêlèrent au peuple; ils ne participèrent point cependant aux assassinats.
Profitant de ce que la foule se portait dans les cours et de ce qu’il n’y avait âme qui vive dans la rue des Réservoirs, nous sortons du château; maman et moi tremblions comme la feuille; nous nous réfugions dans un petit logement que M. le comte de Crenay avait dans la ville, extrêmement près du château; nous y restons avec plusieurs personnes venues pour y chercher asile, entre autres des officiers des gardes du corps.
Tout d’un coup nous entendons une fusillade et une canonnade générales et sans ordre, qui partent des cours et durent plus d’une demi-heure; nous croyions qu’on massacrait tout au château, et nous étions dans le plus cruel état, quand on vint nous dire que c’était une réjouissance, parce que le Roi avait paru sur le grand balcon avec la cocarde et avait consenti à aller demeurer à Paris. Il lui fallait bien obéir: quel consentement ! quelle réjouissance! Nous retournons au château et de là chez Mesdames. Je leur fais moi-même des cocardes de rubans, nous en prenons toutes; il y avait dans les antichambres plusieurs de leurs gens, qui étaient de la garde nationale de Versailles et avaient endossé l’uniforme.
Nous montons en voiture avec Mesdames, Mme de Narbonne, Mme de Chastellux, maman et moi; nous suivions celle du Roi, mais nous en étions à une grande distance; une foule immense et le grand nombre des voitures nous séparaient, quoique Mesdames fussent parties en même temps.
Je n’oublierai pas que la Reine, en montant en carrosse et entourée d’une troupe immense de ses assassins, reconnut dans la foule le baron de Ros, officier des gardes du corps, déguisé; elle eut le courage de lui dire tout haut: « Vous irez savoir de ma part des nouvelles de M. de Savonnières, et lui direz toute la part que je prends à son état. » M. de Ros nous le répéta, l’instant d’après. C’est ainsi que je n’écris que ce que j’ai vu ou ai su de la bouche des témoins oculaires, sans parler des faits que d’autres mieux instruits que moi feront passer à la postérité.
Plus de deux mille voitures suivaient le Roi; on prétendait qu’après son départ on pillerait le château; aussi le démeublait-on avec une telle précipitation, qu’on jetait jusqu’aux glaces par les fenêtres.
Jamais on n’a vu une confusion pareille à celle de la route de Paris à Versailles. Tout le monde était pêle-mêle; on voyait des énergumènes, hommes et femmes, qui avaient l’air de furieux; on entendait les cris répétés de Vive la Nation ! et à chaque instant des coups de fusil partaient au repos, ou peut-être exprès. Nous avions cent hommes de la garde nationale de Paris qui nous entouraient, destinés spécialement pour la voiture de Mesdames; tout le long de la route, elles leur parlaient avec la plus grande bonté, et même trop grande, en partie par peur, en partie par habitude d’être extrêmement affables; Madame Adélaïde surtout, par le besoin qu’elle avait d’être toujours en agitation et en mouvement. Nous fûmes cinq heures en route jusqu’à Sèvres; il avait été accordé à Mesdames d’aller à Bellevue, les cent hommes les y accompagnèrent, et y restèrent pour les garder. Maman, en arrivant, eut une affreuse attaque de nerfs. »
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Journées f pl d’Octobre – поход на Версаль (5 и 6 октября 1789), или поход женщин на Версаль, поход женщин за хлебом – поход парижанок на Версаль c целью попросить короля улучшить снабжение столицы хлебом. Закончился насильственным перемещением королевской семьи в Париж.
Château m de Versailles – Версальский дворец, королевская резиденция при Людовике XIV, Людовике XV, Людовике XVI (1682–1789). Был построен в XVII в. в пригороде Парижа, в нескольких десятках километров от столицы. Дворцово-парковый ансамбль – исторический памятник мирового значения.
Madame de la Rochejaquelein – Мария Луиза Виктория де Донниссан (1772–1857), в первом браке маркиза де Лескюр, во втором – маркиза де Ларошжаклен, автор мемуаров, рассказывающих о ее жизни, в том числе и во время вандейских войн. Родилась во влиятельной придворной семье. Дочь Ги Жозефа де Донниссана (Guy Joseph de Donnissan), лагерного маршала (maréchal m de camp – военный чин во французской армии при Старом порядке, примерно соответствующий чину бригадного генерала в армии республиканской и наполеоновской Франции), сенешаля Гиени. Получила хорошее образование. Публикация ее мемуаров, написанных простым языком и очень искренне, вызвала сенсацию. Они стали одним из главных источников по истории вандейских войн, хотя и современники, и историки не раз критиковали автора за чрезвычайную пристрастность. Книга неоднократно переиздавалась и была переведена на несколько языков. Лучшим считается издание 1889 г., подготовленное к столетней годовщине Французской революции.
Rambouillet – Рамбуйе, город в департаменте Ивелин (Иль-де-Франс), в 45 км к юго-западу от Парижа. Основная достопримечательность – замок-крепость (1375). С 1783 г. – королевская резиденция. С конца XIX в. до 2009 г. – летняя резиденция президентов Франции, место организации международных переговоров и встреч.
Mme d’Estourmel – Филиберта Рене де Галар де Брассак де Беарн (1753– 1824), жена маркиза д’Эстурмеля, придворная дама дочери Людовика XV Мадам Виктории.
Nous montons en voiture avec Mesdames …. – с XVII века так называли и дочерей короля Франции или Дофина (Dauphin) – старшего сына короля, наследника престола, а также супругу Monsieur – старшего из младших братьев короля. До середины XVI в. членов Дома Франции называли Monseigneur (Ваше Высочество, Ваша Светлость, при обращении к священнослужителям – Ваше Высокопреосвященство), за которым следовало название их земельных владений. В конце Старого порядка (Ancien Régime) члены Дома Франции обычно обозначались по титулу с указанием их положения в династии. Это были либо члены королевской семьи, либо члены семьи принцев крови. Знание этих выражений важно для понимания работ авторов того времени: например, Сен-Симона, Маркизы де Севинье и др. C начала XVII в. дочерей и внучек короля Франции по прямой мужской линии стали называть (за рядом исключений) Madame с добавлением имени. После выхода замуж их обычно (но не всегда) называли по титулу их мужа. В данном случае Mesdames – дочери Людовика XV, которых после его смерти, чтобы отличать от сестёр правящего короля, стали официально называть Mesdames Tantes, но неофициально второе слово зачастую опускали.
Mme de Narbonne – Франсуаза де Шалю, герцогиня де Нарбон-Лара (1734– 1821), придворная дама Мадам Аделаиды.
Mme de Chastellux – Анжелика-Виктория де Дюрфор-Сиврак (1752–1816), жена Анри-Жоржа-Сезара, 7-го графа де Шастелю, придворная дама Мадам Виктории.
Maman – Мария-Франсуаза де Дюрфор-Сиврак (1747–1839), придворная дама Мадам Виктории.
Comte de Crenay – Себастьян Анн Жюльен де Пуавилен, граф де Крене, граф де Монтегю (1743–после 1792), лагерный маршал кавалерии, первый гардеробмейстер графа Прованского.
Baron de Ros – Огюстен-Николя-Жан де Рос (1742–?), младший лейтенант королевской гвардии, лагерный маршал кавалерии.
M. de Savonnières – Тимолеон-Магделон-Франсуа, меркиз де Савоньер (1740–1790), лейтенант королевской гвардии, лагерный маршал. При попытке защитить дворец от толпы в ходе событий 5-6 октября был тяжело ранен выстрелом в руку и спустя несколько месяцев скончался.
Madame Adélaïde – Мария Аделаида Французская (1732–1800), принцесса из династии Бурбонов, четвертая дочь и шестой ребенок Людовика XV и Марии Лещинской.
Sèvres – Севр, коммуна в 10 км к юго-западу от Парижа. Знаменита Севрской фарфоровой мануфактурой.
Bellevue – дворец Бельвю, небольшой загородный дворец, построенный в середине XVIII века в Медоне, недалеко от Парижа, для фаворитки Людовика XV маркизы де Помпадур. Считался самым очаровательным загородным дворцом в Европе. До наших дней не сохранился. С 1757 г. королевская резиденция, с 1774 г. отдан дочерям Людовика XV, Mesdames.
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Journée du 10 août 1792. La chute de la monarchie
La guerre déclarée entre la France et l’Autriche, la menace d’invasion se précise. Alors que, de fait, le Roi et sa famille sont maintenus au palais des Tuileries, les sections parisiennes organisent une insurrection visant à s’emparer par la force du Palais et de renverser le trône. Albert Mathiez, historien marxisant, propose une interprétation des événements qui fait écho à la toute récente révolution russe. Dans les années 1990, l’historien François Furet soulignera cette analogie partisane.
Albert Mathiez, La Révolution française, 1922
« […] L’insurrection du 10 août, toute différente des précédentes, n’a pas été seulement dirigée contre le trône. Elle a été un acte de défiance et de menace contre l’Assemblée elle-même qui vient d’absoudre le général factieux La Fayette et qui a désavoué formellement les pétitions pour la déchéance. Une situation nouvelle a été créée. Un pouvoir révolutionnaire est apparu en face du pouvoir légal. La lutte de ces deux pouvoirs emplit les six semaines qui précèdent la réunion de la Convention.
Cette lutte se continuera, après le 20 septembre, dans l’opposition des deux partis qui se disputeront la majorité dans la nouvelle assemblée. Le parti montagnard sera essentiellement le parti de l’ancienne Commune révolutionnaire, tandis que le parti girondin sera formé des députés qui avaient siégé au côté gauche de la Législative avant de former le côté droit de la Convention.
Les deux partis, notons-le tout de suite avant d’y revenir plus en détail, sont séparés par des conceptions radicalement différentes sur tous les problèmes essentiels. Les Girondins, parti de la légalité, répugnent aux mesures exceptionnelles, «révolutionnaires », dont la Commune a donné l’exemple et que la Montagne recueille dans son héritage. Ce sont, dans le domaine économique et social : les réglementations, les recensements, les réquisitions, le cours forcé de l’assignat, bref la limitation de la liberté commerciale ; dans le domaine politique : la mise en suspicion de tous les adversaires du régime, la suspension de la liberté individuelle, la création de juridictions exceptionnelles, la concentration du pouvoir par la subordination étroite des autorités locales, bref la politique du salut public. Programme qui ne sera réalisé pleinement qu’un an plus tard, avec la Terreur, mais qui fut ébauché et défini par la Commune du 10 août.
L’opposition des programmes traduit une opposition foncière d’intérêts et presque une lutte de classes. La Commune et la Montagne, qui en dérive, représentent les classes populaires (artisans, ouvriers, consommateurs) qui souffrent de la guerre et de ses conséquences : cherté de la vie, chômage, déséquilibre des salaires. L’Assemblée et la Gironde, son héritière, représentent la bourgeoisie commerçante et possédante qui entend défendre ses propriétés contre les limitations, les entraves, les confiscations dont elle se sent menacée. Lutte dramatique qui revêt toutes les formes et qu’il faut suivre dans le détail pour en saisir toute la complexité.
Le trône renversé, les difficultés commençaient pour les vainqueurs. Il leur fallait faire accepter le fait accompli par la France et par l’armée, prévenir ou écraser les résistances possibles, repousser l’invasion qui entamait déjà les frontières, constituer enfin sur les débris de la royauté un gouvernement national. Problèmes ardus qui ne furent pas résolus sans d’affreux déchirements !
Les commissaires des sections parisiennes, constitués dans la nuit du 9 au 10 août en Commune révolutionnaire à l’Hôtel de Ville, tenaient leurs pouvoirs du choix direct du peuple. En face de l’Assemblée, issue d’un suffrage indirect et censitaire, discréditée par le désaveu et les menaces qu’elle avait lancés aux républicains, par les tractations secrètes de ses chefs avec la Cour, la Commune représentait une légalité nouvelle. Forte du prestige de la sanglante victoire remportée sur les défenseurs du château, consciente de l’immense service qu’elle avait rendu à la Révolution et à la France en écrasant la trahison royale, elle n’entendait pas limiter son action dans le cercle étroit de ses attributions municipales. Elle avait incarné, pensait-elle, l’intérêt public, elle avait agi au nom de la France révolutionnaire tout entière et la présence des fédérés des départements aux côtés des révolutionnaires parisiens dans l’assaut des Tuileries avait scellé l’alliance fraternelle de la capitale avec la nation.
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Commune f révolutionnaire – в данном случае, La Commune insurrectionnelle de Paris, повстанческая Парижская коммуна, чрезвычайный орган парижского самоуправления, сформированный в ночь с 9 на 10 августа 1792 г. большей частью парижских секций взамен прежнего выборного муниципалитета. Руководила восстанием 10 августа.