Le Coeur Brisé D'Arelium - Slonka Sophie-Marie 2 стр.


Sa décision prise, Reed commença à avancer vers l’origine du son, sans attendre de voir si Hode le suivait. Il pouvait sentir son cœur battre la chamade dans sa poitrine, un bruit sourd montant vers sa gorge, menaçant de l'étouffer. Il se força à expirer lentement et s'agrippa au manche de sa lance, son poids lui apportant un peu de réconfort. Hode était arrivé sur sa gauche, protégeant le côté vulnérable de Reed avec sa propre arme.

Pendant plusieurs minutes, ils avancèrent lentement, lances dressées, capes flottant au vent. Le mur était silencieux, plus aucun cri ne résonnait à travers la Fosse, les brasiers brûlaient toujours au loin comme des étoiles. Ils atteignirent la tour la plus proche et trouvèrent trois autres gardes s'affairant autour de sa base, de jeunes recrues efflanquées nouvellement arrivées sur le mur. L'un d'entre eux portait un surcot trop grand de plusieurs tailles qui lui tombait presque sur les chevilles, un autre avait perdu sa lance et n'avait rien d’autre qu'une dague, qu'il brandissait d'une main tremblante vers Reed et Hode.

— Qui va là ? balbutia le jeune homme, à peine sorti de la puberté, sa voix tremblotant comme une harpe mal accordée.

Reed frappa la dague avec assez de force pour la faire tomber. L'homme se précipita pour la ramasser, en jurant abondamment.

— Reed ? questionna le jeune au surcot trop grand. Reed se rappela vaguement que son nom était Kellen. La recrue avait retiré son masque, révélant quelques rares touffes de poils agglutinés autour d'un menton boutonneux.

Reed soupira. Tout cela était une espèce de blague karmique. Après des années à se plaindre, il avait finalement obtenu ce qu'il voulait : du danger sur le mur et une chance de mener des hommes au combat en tant que fier membre de la Vieille Garde. Il réalisait maintenant qu'il n'avait jamais eu autant tort de toute sa vie. La répétition et l'ennui étaient certes peu glorieux, mais sûrs et réconfortants. Et en un instant, ils lui avaient été enlevés.

Que faire maintenant ? Combattre ou fuir ? Hode ne serait pas d'une grande aide, l'homme était doué pour réapprovisionner le bois et assommer les rats, mais utiliser sa lance contre quelque chose de plus dangereux ne se terminerait probablement pas bien pour lui. Reed jeta un coup d'œil à son ami. Celui-ci était appuyé contre le mur intérieur de la tour, tripotant les sangles de son masque pour essayer de le maintenir en place sur son nez et sa bouche. Hode sentit le regard de Reed sur lui et releva la tête avec un petit sourire et un haussement d'épaules avant de retourner à sa tâche.

— Reed ? Que doit-on faire ? répéta Kellen.

— Donne-moi une minute ! Reed observait l’endroit des remparts où les feux brûlaient encore. Le silence était revenu sur le mur, un calme et une tranquillité si absolus que Reed se demanda si ces deux cris douloureux n'avaient été qu'une facétie du vent. Mais alors, qui avait allumé les brasiers, et pourquoi ? Il passa une main dans ses cheveux grisonnants et prit une décision.

— On dirait que les feux sont principalement au niveau des tours de l'est, dit-il. La caserne de l'est est à proximité, avec le capitaine Yusifel et la garde de réserve. Nous allons longer ce tronçon de mur jusqu'à la caserne et informer Yusifel de la situation. Soit un idiot a joué avec son briquet, soit il y a quelque chose de bien plus grave. Dans tous les cas, Yusifel voudra le savoir. Hode et moi allons marcher à l’avant, Kellen tu restes derrière moi avec ton ami, celui qui ne sait pas comment tenir une lame sans la faire tomber.

— Iden, Monsieur, coupa le jeune garde à la dague.

— C’est ça, Iden, dit Reed. Tu restes près de Kellen et Taches de rousseur.

Il fit un geste vers le troisième homme, aussi grand et mince que ses amis, arborant une chevelure rousse et quelques taches de rousseur sur son large nez.

Taches de rousseur lui jeta un regard aigre mais resta muet et prit position derrière les autres. Reed mit la petite troupe en mouvement d'un signe de tête et ils avancèrent rapidement le long des remparts, scrutant le chemin d'un œil méfiant. Les tours se rapprochaient de plus en plus, les brasiers n'étaient plus des points lumineux, mais de grands cônes de feu scintillants, leur fumée s'échappant du sommet pour se mêler aux nuages gris et sombres qui flottaient dans le ciel nocturne.

Reed estimait qu'ils ne devaient pas être à plus de quatre ou cinq cents mètres de l’escalier en pierre qui les mèneraient du mur vers la caserne, le capitaine Yusifel, et la garde de réserve. Sa confiance grandissait et il accéléra le rythme, ses pieds bottés martelant lourdement les pavés, accompagnés par le tapotement rythmique de la crosse en bois de sa lance.

Quelques minutes de plus et quelque chose apparut dans la nuit, une forme sombre couchée immobile en travers du mur. Une rafale de vent se déchaîna et Reed aperçut une brève lueur vermillon. Une cape de la Vieille Garde, toujours attachée à son propriétaire. Reed entendit un halètement derrière lui ; l’une des jeunes recrues réalisant ce qu'ils avaient découvert.

— Hode, avec moi, masque accroché et serré. Les autres, restez ici, dit-il en resserrant son masque autour de son visage et en se rapprochant pour examiner le corps.

Le garde était mort face contre terre, un bras replié sous lui, l'autre tendu vers sa lance qui se trouvait juste hors de portée. L'arrière de sa tête était couvert de sang et des filets gluants s'étaient infiltrés dans sa cape, la rendant d'un rouge encore plus sombre. Reed utilisa sa lance pour retourner le corps sur le dos et ses yeux s'écarquillèrent lorsqu'il vit les dommages causés au visage de l'homme. Deux entailles larges et profondes avaient ouvert la peau en diagonale, du sourcil à la lèvre inférieure, pulvérisant l'œil gauche et mutilant le nez. Les restes de la lèvre inférieure étaient suspendus par un fil de chair, exposant la mâchoire et les dents. Aucun animal sauvage n'aurait pu faire ça ; c'était l’œuvre de quelque chose de beaucoup, beaucoup plus dangereux.

Reed se tourna vers Hode pour s'entretenir avec lui et quelque chose passa dans son champ de vision, une ombre, qui disparut aussitôt comme un nuage passant devant le soleil. Hode restait là à le regarder, son masque pendant autour de son menton, la mâchoire entrouverte comme pour dire quelque chose.

— Tout va bien ? dit Reed, luttant pour ne pas laisser paraître de tremblement dans sa voix.

Hode émit un petit son étouffé et un mince filet de sang se mit à couler de sa bouche. Il fit un pas en avant, les yeux cherchant quelque chose, puis toussa violemment, éclaboussant le visage et les cheveux de Reed de gouttelettes cramoisies et de restes de ragoût. Reed recula avec un cri de dégoût, s'éloignant de Hode jusqu'à ce que son dos heurte le parapet du mur et qu'il ne puisse plus reculer.

Hode était tombé à genoux, luttant pour respirer alors qu'il se noyait dans son propre sang. Et Reed vit ce qui s'était caché derrière son compagnon de garde, une ombre voûtée qui prenait forme.

La créature était petite, pas plus d'un mètre cinquante, et couverte d'une peau gris foncé, ridée et glabre. Elle avait de grands yeux jaunes bulbeux dans un visage cadavérique, les pommettes et la mâchoire proéminentes. Ses bras longs et maigres se terminaient par trois doigts griffus, dont l'un, plus court et plus large que les autres, était vicieusement crochu comme une faucille. Elle était nue, à part un petit morceau de cuir moisi attaché autour de l’aine.

Reed croisa le regard de la créature et pensa pouvoir y discerner une sombre intelligence, une malice bouillonnante enfouie au plus profond de son être.

La créature inclina la tête et offrit à Reed un large sourire, révélant des dizaines de dents triangulaires sales et pointues. Elle s’approcha de Hode et, sans quitter Reed des yeux, fit glisser une de ses griffes de la longueur d'une dague sur la gorge de l'homme mourant. Du sang frais giclait de la blessure. Hode bascula en avant avec un gargouillis étouffé. Ses jambes s’agitèrent brièvement une dernière fois, puis s’immobilisèrent.

La chose approcha une griffe humide de sa gueule et une affreuse langue noire surgit d'entre ses lèvres sèches pour la lécher.

En voyant la créature goûter le sang de son ami, quelque chose craqua en Reed. Un cri de colère explosa de ses poumons. Se soulevant à l'aide de sa lance, il attaqua, frappant l'apparition à la peau grise avec une force née du désespoir.

La créature poussa un cri de surprise et esquiva en bondissant vers l’arrière, évitant un coup dans la poitrine mais prenant la lame à hauteur du nombril, entaillant un lambeau assez profond pour faire couler le sang. Reed pivota et envoya la crosse de sa lance vers l'avant, frappant la tête de la chose juste derrière l'oreille avec un bruit sourd qui résonna sur les parois de la Fosse.

De l’ichor noir suinta du crâne de la créature qui cria de douleur et de colère. Étourdie, elle recula, trébuchant sur le corps sans vie de Hode et atterrissant lourdement sur les remparts en pierre. Reed la poursuivit, la poignardant avec sa lance de toutes ses forces. Le bout aiguisé transperça la poitrine de la chose et, avec un dernier cri strident, la vie disparut de ses yeux.

Reed tituba jusqu'au parapet et lutta avec les sangles de son masque, son estomac se serrant de manière incontrôlée. Il réussit à desserrer les sangles juste à temps, se retournant pour vomir violemment par-dessus le mur et dans la Fosse. Il entendit un bruit de cavalcade : Kellen et les autres qui le rattrapaient. En levant les yeux vers eux, des mots de colère se formèrent sur ses lèvres.

— Où diable étiez-vous ? cria-t-il. Hode, mon ami, un homme que je connaissais depuis dix ans, est mort ! Tué par cette... monstruosité à la peau grise et vous êtes restés là comme des idiots à rien faire !

Il s'arrêta pour reprendre son souffle et regarda à nouveau les soldats qui se tenaient devant lui. Trois jeunes hommes maigres, inexpérimentés et effrayés, à peine assez âgés pour manier une lance, et encore moins pour s'en servir au combat. Ils étaient bouche-bée, les yeux baissés, leurs armes pendant mollement dans des mains tremblantes.

Reed expira lentement. De quelle honte pourrait-il les affliger qu'ils ne ressentissent pas déjà eux-mêmes ? C'est de courage dont ils avaient besoin maintenant, de courage et d'espoir, assez pour leur permettre de passer la nuit en vie. Il sentit sa colère se dissiper, pour être remplacée par un sentiment d'effroi. Ils ne devaient pas rester là.

— Je suis désolé, dit-il doucement. Excusez-moi, je ne suis pas moi-même.

Il se retourna et étudia le chemin devant lui. Ils étaient proches des tours maintenant, pas plus de quelques minutes de marche.

— Vous venez de voir des choses terribles. Des choses difficiles à comprendre. Nous reviendrons pour nos camarades tombés au combat et nous découvrirons ce qui se passe ici, mais pour l'instant, nous devons continuer à avancer, nous devons arriver à la caserne. Une fois que nous y serons, il...

Il fut interrompu par un cri fendant l'air nocturne, tout près, quelque part dans l'obscurité, sur le chemin qu'ils venaient d’emprunter. Un cri répondant au premier vint de l’avant, résonnant dans la Fosse.

Ils étaient encerclés.


Chapitre 2

LA DEUXIÈME LOI

“Honnêtement, je n'ai vraiment aucune idée de ce contre quoi nous protégeons le mur, mais est-ce important ? On nous a confié une tâche, et nous la mènerons à bien. Ce n'est pas à nous d’en discuter la raison.”

Orleus Yusifel, Capitaine de la Vieille Garde, 424 AD

*

PAR ICI ! cria Reed et, sans vérifier si les autres suivaient, s’élança vers les brasiers. Une main aux longues griffes apparut au-dessus des créneaux sur sa gauche et il la frappa au vol avec sa lance, envoyant la créature dégringoler dans la Fosse.

Il entendit un cri de douleur et risqua un coup d'œil derrière lui. Une des créatures avait atteint le mur et avait sauté du parapet sur le dos de Taches de rousseur, l'envoyant s'écraser au sol. D'autres créatures grimpèrent à leur tour sur les remparts et se jetèrent sur l'infortuné jeune homme, leurs griffes traversant sa cape et s'enfonçant dans son dos. Ses cris furent bientôt étouffés par les hurlements inhumains de ses assaillants qui le mettaient en pièces.

Il n'y avait rien d'autre à faire que de courir, chaque pas les rapprochant de leur salut. Les remparts commençaient à s'élargir à mesure qu’ils avançaient, l'épaisse fumée des feux emplissant l'air et obscurcissant le chemin. Reed pouvait entendre le faible cliquetis des griffes sur l’acier. Avec un ultime effort, il bondit à travers les derniers mètres de fumée et de suie pour arriver à sa destination, et ce qui restait de la garde de réserve.

Les remparts débouchaient sur une petite place, assez large pour que vingt hommes puissent se tenir côte à côte. L'avant de la place était bordé de part et d'autre par des tours de signalisation rondes et trapues, dont les brasiers étaient allumés. À l'extrémité opposée, se trouvait une modeste guérite à deux étages supportant une herse en fer protégeant l'entrée d'une volée de marches en pierre. C'était la seule voie d'accès à la partie est du mur.

D’épaisses dalles de granit descendaient en zigzag des remparts vers la caserne et les dépendances en contrebas. La guérite était le dernier obstacle, bloquant l'accès aux grandes plaines et aux villages éparpillés au-delà du mur, et c'est là que la garde de réserve livrait son dernier combat.

Les cadavres des deux camps s’étalaient sur la place, le sang cramoisi et l'ichor noir éclaboussant la pierre froide. Une douzaine de corps regroupés près de la tour la plus éloignée portaient des marques de griffes le long du dos et des jambes ; il s'agissait probablement de gardes qui patrouillaient le long du mur et qui, comme Reed, avaient essayé de retourner à la caserne avant d'être attaqués par-derrière par les créatures de la Fosse.

Une coulée sanglante parsemée de capes déchirées et de lances brisées menait de la tour à la guérite à l’autre bout de la place. D'autres corps jonchaient le sol devant la herse, des hommes de la Vieille Garde, mais aussi une bonne demi-douzaine d'ennemis : c'est ici que les soldats en fuite s'étaient retournés pour combattre, et c'est ici que les derniers membres survivants de la garde de réserve tentaient encore de tenir les créatures à distance.

Ils se tenaient devant la guérite en demi-cercle convexe, sur deux rangs. Le premier rang avait un genou à terre, la crosse de leurs lances fermement plantée dans le sol derrière eux, la pointe d’acier tournée vers l'ennemi. Le deuxième rang se tenait un pas derrière le premier, leurs lances reposant légèrement sur les épaules des hommes agenouillés devant eux.

À l'intérieur du demi-cercle de lances, Reed pouvait distinguer l'officier en cape rouge qui l'avait recruté toutes ces années auparavant, sa barbe noire touffue striée de filaments gris, ses dents pourries clairement visibles tandis qu'il hurlait des ordres aux défenseurs. Le capitaine Yusifel, commandant de la garde de réserve.

Devant l'anneau défensif, juste hors de portée des lances hérissées, deux bonnes douzaines de créatures à la peau grise faisaient les cent pas, montrant leurs dents acérées et hurlant des obscénités aux défenseurs. Alors que Reed observait, deux d'entre eux s’élancèrent soudainement, griffes levées, les yeux fixés sur un petit espace dans le cercle où deux des gardes s’étaient écartés l’un de l’autre.

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