Шарль Ле Гоффик
Бретонская любовь. Избранные стихотворения
В оформлении обложки использована картина французского художника Бориса Лежена из бретонского цикла «Армор».
© Лукин Е. В., перевод, составление, примечания, 2022
© Лежен Борис, предисловие, картина, 2022
© Издательско-Торговый Дом «Скифия», оформление, 2022
Charles Le Goffic
Amour Breton
POÈMES CHOISIS
Traduit du français par E.V. Loukine
Skifia
Saint-Pétersbourg
2022
Перевод с французского Е.В. Лукина
Charles Le Goffic. Amour Breton. Poèmes choisis. Traduit du français par E.V. Loukine. Saint-Pétersbourg, Maison dédition et de commerce «Scythie», 2022.
Charles Le Goffic (18631932) est un éminent poète français, de Bretagne qui est connu aussi comme romancier, dramaturge, critique et historien. Il est lun des chefs de la Renaissance bretonne de la fin du XlX-ème siècle et du début du XX-ème siècle. Dans son oeuvre, il professait les valeurs traditionnelles chrétiennes et lidentité de lesprit breton marquant limportance des traditions populaires et de lhéritage culturel. En 1930 il a été élu à lAcadémie française. Les traductions des poèmes de Charles Le Goffic en russe y sont publiées pour la première fois.
Le traducteur exprime ses remerciements les plus sincères au peintre et sculpteur français Boris Lejeune, au poète et journaliste de Saint-Pétersbourg Viacheslav Kotchnov ainsi quà la maîtresse de conférences du département de philologie romaine de lUniversité dÉtat pédagogique Herzen, Anna Loukina, pour leur aide inestimable dans la préparation et lédition de ce livre.
Sur la couverture du livre la peinture du peintre français Boris Lejeune pris de son cahier breton «Armor».
© Loukine E. V., traduction, rédaction, remarques, 2022 © Lejeune Boris, préface, peinture, 2022
© Maison dédition et de commerce «Scythie», présentation, 2022
Charles Le Goffic: Lenchantement de la poésie
Le poète Charles Le Goffic est né le 4 juillet 1863 à Lan-nion, en Bretagne. Dans la seconde moitié du 19
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Il convient de souligner immédiatement que toute lœuvre, fort considérable, de Le Goffic est intimement liée à la géographie, lhistoire, le climat de sa terre natale de Bretagne.
La Bretagne de Charles Le Goffic correspond à la région de lArmorique, un mot dorigine celte. «Armor» signifie «à la mer»: une terre peu accueillante, soumise aux vents marins, à la rare végétation surtout composée de bruyère sétendant jusquà lhorizon. Mais comme dans les légendes locales, tout peut sy métamorphoser en un clin dœil. Au printemps et en automne les terrains arides, dordinaire chagrins, se couvrent soudain de lor étincelant des ajoncs et des genêts. Comme lécrit le poète: «Tout lhorizon flamboie. Magique incendie».
Et il est impossible dévoquer sa terre natale sans parler de la mer. On lentend constamment dans ses strophes, dans le rythme ondulant des rimes et des allitérations:
Le Goffic a vécu à une époque où les fondements de la société, en apparence immuables, avaient été profondément ébranlés par la révolution française et, antérieurement, par la philosophie des Lumières qui avaient provoqué des bouleversements historiques pareils à des secousses sismiques. Limage de la mer navait pas échappé au changement. Jadis voie des argonautes, mystérieuse et fascinante, symbole de linfini et source de vie, elle était devenue la Mecque des corps oisifs à la saison balnéaire.
Dans la préface de son anthologie Poètes de la mer, Charles Le Goffic cite Dostoïevski, perplexe face au phénomène de la migration saisonnière des bourgeois français vers les plages. Il sinterroge aussi et répond à sa propre question: «La mer? Peut-être, au fond, ny a-t-il que les poètes et les artistes qui laiment dun amour désintéressé avec les enfants».
Quant aux pêcheurs et aux marins dont la mer est le gagne-pain, Le Goffic avoue ignorer ce quils en pensent.
Pour comprendre et apprécier pleinement son œuvre, il faut prendre conscience de son vecteur principal: la vie et lhistoire de sa chère Bretagne avec tous ses paramètres. Elle accompagne toujours ses pensées où quil soit, à Paris, Nevers, Nancy
Dans le chapitre intitulé La vraie Bretagne de son livre Lâme bretonne, il établit la différence entre les images dune Bretagne touristique et ce quelle est réellement. Entre la beauté discrète qui tarde à se découvrir et le masque enjolivé Cest une région quil faut visiter en automne, car: «Un pays doit être vu dans son atmosphère à lui, non sous sa couleur dexception. La Bretagne est grise incurablement, comme lautomne. Tout sy atténue, sy imprécise comme au travers dune prunelle en pleurs»
Sa poésie correspond à ces considérations. Telle une éponge, elle absorbe le climat et latmosphère de lArmor. Une certaine douceur de ton lui est propre, elle évite la démesure et le maniérisme des épithètes. On y relève des notes nostalgiques: le regard se perd à suivre les rivages marins qui séloignent à linfini.
Il a été le témoin des changements radicaux dans sa province éloignée du centre qui, peut-on dire à son corps défendant, sest vue projetée du moyen-âge dans lère industrielle et la société de consommation. Les conflits liés au partage des sphères dinfluence, les migrations massives de population, lenseignement laïque obligatoire, le développement effréné des moyens de transport ont conduit à la disparition des particularités régionales et à luniformisation de tout et de chacun. Dans la préface de Poètes de la mer, il évoque la génération dApollinaire, de Biaise Cendrars, de Jean Cocteau, de Valery Larbaud avec leur vertigineux sens planétaire, quand «le terme dEuropéen ou dAméricain est trop étroit; les continents, après les patries, ne suffisent plus à la définir».
On peut remarquer que depuis le dernier quart du dix-neuvième siècle a débuté un processus actif de globalisation qui ne sest jamais arrêté jusquà ce jour. Conscient que la Bretagne des légendes et des mythes était en train de disparaître à jamais, Charles Le Goffic sest fixé pour but de transcrire et de sauver ce qui pouvait lêtre. Suite à ses convictions conservatrices, régionalistes et chrétiennes, il collabore avec Charles Maurras dans lAction française et fonde en 1886 avec ses amis Maurice Barrés et Raymond de La Tailhède la revue littéraire Les Chroniques.
Par la force de ses traditions familiales et son attachement à la Bretagne historique, il demeure fidèle au catholicisme. Les Bretons, quand ils se sont convertis au Christianisme, ont conservé une bonne part de leur riche héritage celte de croyances et de légendes. Le poème Membra Dei laisse deviner les traces dune narrativité propre aux bardes celtes tout en demeurant assez fidèle au contenu du douzième chapitre de la première épître aux Corinthiens de lapôtre Paul. Dans le poème, Dieu descend de son trône dans notre misérable sphère humaine et sy dilue de façon mystique.
Dans son discours de réception à lAcadémie française du 4 juin 1931, Le Goffic pose des questions essentielles qui demeurent dune brûlante actualité.
«La science, «la nouvelle Idole», va-t-elle détrôner Dieu et, désormais, le monde sera-t-il sans mystère ou si les ténèbres spirituelles doivent nous presser de plus en plus? Et déjà Berthelot entrevoyait un stade de civilisation où manger, aimer, penser aussi sans doute, quand nous aurons lécole unique se traiteraient chimiquement et perdraient toute leur importance».
Le nouvel académicien achève son long discours par une dernière interrogation rhétorique avec une réponse possible en latin: « solutio totius difficultatis Christus, «Le Christ qui résout toutes les difficultés»?
Charles Le Goffic na pas encore trente ans quand Anatole France, lauréat dun prix Nobel qui navait encore rien perdu de son prestige, lui consacre un grand article. Il souligne fort justement le rôle quà joué la famille du jeune poète dans ses préférences littéraires. Son père, Jean-François Le Goffic, était imprimeur et éditeur. Dans sa petite imprimerie de Lannion, il éditait et imprimait les textes des bardes, leurs chants, leurs poèmes, leurs légendes, en continuité avec les traditions celtes et même avec celles des druides qui avaient vécu sur ces terres avant la venue des Celtes. Anatole France cite Charles Maurras qui décrit ainsi les réunions annuelles dans la maison de Le Goffic «M. Charles Maurras nous apprend que laïques et clercs, mendiants et lettrés, tous les jouglars du pays se réunissaient une fois lan dans la maison de Jean-François à un banquet ou lon chantait toute la nuit sur vingt tonneaux de cidre défoncés». Et il conclut: «Conçu dans ces fêtes de poésie populaire, Charles Le Goffic naquit poète».
Selon Anatole France, lart poétique de Le Goffic «est rare, pur, achevé». Dans son article, il cite également Paul Bourget: «Ces vers donnent une impression unique de grâce triste et souffrante. Cela est à la fois très simple et très savant Il ny a que Gabriel Vicaire et lui à toucher certaines cordes de cet archet-là, celui dun ménétrier de campagne qui serait un grand violoniste aussi».
Le Goffic a payé son tribut au romantisme, précoce et tardif, qui a ouvert la voie au mysticisme, au personnalisme et à lindividualisme. Le Parnasse la attiré en tant que maître de la composition poétique, auteur dun traité de versification, par la grande attention quil prêtait aux problèmes de forme. André Chénier, Théodore de Banville, Paul Verlaine, poètes quil admirait tout particulièrement, ont exercé sur lui une influence certaine. Et Paul Bourget a raison de souligner les liens particuliers qui le liaient à Gabriel Vicaire. Plus quune camaraderie, il partageaient la même compréhension profonde de ce que devait être selon eux la poésie de leur temps. Rapprocher la langue poétique du parler populaire qui navait pas perdu son substrat historique, ses légendes, son folklore.
Dans son article Gabriel Vicaire ou la plaisante histoire dun Bressan devenu Breton, il cite une lettre de Vicaire que celui-ci lui a adressée: «Mon rêve serait dintroduire dans notre poésie française une forte dose de poésie populaire. Je vois que cette idée fait son chemin: je nai cessé de la répandre de mon mieux».
Dans cet article il définit le développement de la poésie de Vicaire en des termes quon peut, cent ans plus tard, appliquer à Le Goffic lui-même.
«Le vers de Gabriel Vicaire, déjà si souple et si libre, se fait plus musical encore, mêlant les rythmes, se jouant aux allitérations et aux assonances internes et quen même temps que son sensualisme saffine une émotion plus pénétrante, une délicieuse fleur de rêve séveille en lui».
Cest tout particulièrement dans ses poèmes damour qui occupent une place dhonneur dans son écriture ses œuvres complètes commencent par un cycle intitulé Amour Breton quon perçoit la façon dont il construit sa dépiction, le principe de description visuelle de sa poétique. Le Goffic nutilise pratiquement jamais les objets qui soffrent directement à son regard. Dans sa mémoire, comme sur la palette dun peintre sorganisent des images nées dune impulsion spirituelle, que son inspiration redessine après les avoir fixées, recompose avec dautres pour créer ses vers. Ce qui explique lattention particulière quil prête au folklore populaire et plus généralement à tout ce qui constitue la mémoire dune société. La mémoire est la matière quil travaille. Prenons par exemple cette petite pièce, comme la nomme fort justement Anatole France.
Comme se mêlent ici et coexistent de façon mnémique les images tactiles, auditives, visuelles et olfactives!
Marcel de Corte dans son étude L'essence de la poésie souligne que la poésie transcende lexistence et témoigne de la présence dune mystique qui sélève au-dessus de la nature.
Anatole France venait rarement en Bretagne, mais en entendant les chants de Le Goffic il écrivait revoir les rives solitaires, lor des plaines, les chênes enracinés dans le granit, la sombre verdure ombrageant les rivières et les routes bordées de genêts, et au pied des calvaires les paysannes sévères comme des nonnes.
Boris Lejeune,
France
Шарль Ле Гоффик: чарующая поэзия
Поэт Шарль Ле Гоффик родился 4 июля 1863 года в бретонском городе Ланьон. Во второй половине девятнадцатого века этот небольшой город на морском побережье с проживающими в нем семью тысячами жителей продолжал сохранять средневековой характер, как, впрочем, и вся Бретань. Длинные каменные лестницы поднимались к храму тамплиеров. Вдоль них ютились, этаж за этажом, небольшие дома. Эрнест Ренан описывает узкие улочки, веселый нрав жителей, их невозмутимость.
Подчеркнем сразу: все обширное литературное творчество Ле Гоффика неразрывно связано с географией, историей, климатом его родной земли Бретани.
Перевод Е. В. Лукина
Побережье Бретани Шарля Ле Гоффика, именуемое Арморика, слово, происходящее из кельтского языка. Армор означает «на море» это местность малоприветливая, постоянно продуваемая морскими ветрами с одиноко тянущимися до горизонта вересковыми пустошами. Но, как в рожденных в этих местах легендах, все может мгновенно преобразиться. Весной и осенью нищие пустоши, обычно печальные, сверкают. Это золотое наводнение кустарника, утесника и дрока, как пишет сам поэт: «Весь горизонт пылает. Магический пожар».
Невозможно, упоминая родные места поэта, оставить в стороне Море. Ибо слышно оно постоянно в самих строках его поэм, в плавном ритме набегающих окончаний слов, аллитерациях.
Перевод Е. В. Лукина
Ле Гоффик жил в эпоху, когда вслед за Французской революцией и предшествующей ей так называемой философией Просвещения произошли глубинные толчки, исторические крушения, подобные землетрясениям, поколебавшим, казалось бы, неизменные устои общества. Представление о море не было исключением. Из таинственного и притягивающего к себе пути аргонавтов, аналога бесконечности и прародительницы жизни, оно превратилось в Мекку праздных тел в курортный период.
В предисловии к своей антологии «Поэты моря» Шарль Ле Гоффик приводит слова Достоевского, озадаченного этим явлением ежегодного наезда французского буржуа на морское побережье. Там же, на вопрос, поставленный самому себе, он отвечает: «Море? Возможно, в глубине души только поэты и художники любят море бескорыстной любовью с детьми». А те, рыбаки, моряки, заработок которых море? Ле Гоффик сознается, что не знает, что они думают.
Для того чтобы понять и оценить по достоинству его творчество, нужно осознать главный вектор это во всех параметрах жизнь и история его родной земли Бретани. Мысль о ней не покидает его, где бы он ни был в Париже, Невере, Нанси
В главе «Настоящая Бретань» своей книги «Бретонская душа» он устанавливает различия между представлениями о туристической Бретани и о ней подлинной. Между скромной красотой, не раскрывающейся незамедлительно, и красочной маской Его страну нужно посетить осенью, ибо: «Страну нужно видеть в ее атмосфере, а не в исключительных цветах. А Бретань неизлечимо серая, как осень. Все смягченно, расплывчато, как зеница в слезах»
Его поэзия соответствует сказанному выше. Она, как губка, впитала в себя климат, атмосферу Армора. Ей свойственна мягкость тона, она лишена чрезмерности, эпитетной вычурности. Ей не чужды ностальгические ноты взгляд, теряющийся в удаляющиеся в бесконечность морские берега.