Арсен Люпен – джентельмен-грабитель / Arsеne Lupin Gentleman-Cambrioleur. Книга для чтения на французском языке - Морис Леблан


Maurice Leblanc "Arsène Lupin. Gentleman-Cambrioleur"

Préface

 Racontez-nous donc, vous qui contez si bien, une histoire de voleurs

 Soit, dit Voltaire (ou un autre philosophe du

XVIIIe

Et il commença :

 Il était une fois un fermier général

Lauteur des Aventures dArsène Lupin, qui sait si joliment conter, lui aussi, eût commencé tout autrement :

 Il était une fois, un gentilhomme cambrioleur

Et ce début paradoxal eût fait dresser les têtes effarées des auditrices. Les aventures dArsène Lupin, aussi incroyables et entraînantes que celles dArthur Gordon Pym, ont fait mieux. Elles nont pas seulement intéressé un salon, elles ont passionné la foule. Depuis le jour où cet étonnant personnage a fait son apparition dans Je sais tout, il a effrayé, il a charmé, il a amusé des lecteurs par centaines de mille et, sous la forme nouvelle du volume, il va entrer triomphalement dans la bibliothèque, après avoir conquis le magazine.

Ces histoires de détectives et dapaches du high life ou de la rue ont toujours eu une singulière et puissante attraction. Balzac, en quittant Mme de Morsauf, vivait lexistence dramatique dun limier de police. Il laissait là le lys de la vallée pour le réfractaire du ruisseau. Victor Hugo inventait Javert, donnant la chasse à Jean Valjean comme lautre « inspecteur » poursuivait Vautrin. Et tous deux songeaient à Vidocq, cet étrange loup-cervier devenu chien de garde, dont le poète des Misérables et le romancier de Rubempré avaient pu recueillir les confidences. Plus tard, et dans un ordre inférieur, Monsieur Lecoq avait éveillé la curiosité des fervents du roman judiciaire, et M. de Bismarck et M. de Beust, ces deux adversaires, lun farouche, lautre spirituel, avaient trouvé, avant et après Sadowa, ce qui les divisait le moins : les récits de Gaboriau.

Il arrive ainsi à lécrivain de rencontrer sur son chemin un personnage dont il fait un type et qui, à son tour, fait la fortune littéraire de son inventeur. Heureux qui crée de toutes pièces un être qui semblera bientôt aussi vivant que les vivants : Delobelle ou Priola ! Le romancier anglais Conan Doyle a popularisé Sherlock Holmes. M. Maurice Leblanc a trouvé, lui, son Sherlock Holmes, et je crois bien que depuis les exploits de lillustre détective anglais, pas une aventure au monde na aussi vivement excité la curiosité que les exploits de cet Arsène Lupin, cette succession de faits devenus aujourdhui un livre.

Le succès des récits de M. Leblanc a été, on peut le dire, foudroyant dans la revue mensuelle où le lecteur, qui se contentait jadis des vulgaires intrigues du roman feuilleton, va chercher (évolution significative) une littérature qui le divertisse, mais qui reste pourtant de la littérature.

Lauteur avait débuté, il y a une douzaine dannées, si je ne me trompe, dans lancien Gil Blas, où ses nouvelles originales, sobres, puissantes, le placèrent du premier coup au meilleur rang des conteurs. Normand, Rouennais, lauteur était visiblement de la bonne lignée des Flaubert, des Maupassant, des Albert Sorel (qui fut, lui aussi, un novellière à ses heures). Son premier roman, Une Femme, fut très remarqué, et, depuis, plusieurs études psychologiques, lŒuvre de Mort, Armelle et Claude, lEnthousiasme, une pièce en trois actes, applaudie chez Antoine, la Pitié, étaient venues sajouter à ces petits romans en deux cents lignes où excelle M. Maurice Leblanc.

Il faut avoir un don particulier dimagination pour trouver de ces drames en raccourci, de ces nouvelles rapides qui enserrent la substance même de volumes entiers, comme telles vignettes magistrales contiennent des tableaux tout faits. Ces rares qualités dinventeur devaient nécessairement, un jour, trouver un cadre plus large, et lauteur dUne Femme allait bientôt se concentrer après sêtre dispersé en tant doriginales histoires.

Cest alors quil fit la connaissance du délicieux et inattendu Arsène Lupin.

On sait lhistoire de ce bandit du XVIII

e

Histoire Naturelle

 Vous pouvez comparer, me disait M. Marcel LHeureux en mapportant les épreuves de lœuvre de son confrère et les numéros où Je sais tout illustrait les exploits dArsène Lupin, vous pouvez comparer Sherlock Holmes à Lupin et Maurice Leblanc à Conan Doyle. Il est certain que les deux écrivains ont des points de contact. Même puissance de récit, même habileté dintrigue, même science du mystère, même enchaînement rigoureux des faits, même sobriété de moyens. Mais quelle supériorité dans le choix des sujets, dans la qualité même du drame ! Et remarquez ce tour de force : avec Sherlock Holmes on se trouve chaque fois en face dun nouveau vol et dun nouveau crime; ici, nous savons davance quArsène Lupin est le coupable; nous savons que, lorsque nous aurons débrouillé les fils enchevêtrés de lhistoire, nous nous trouverons en face du fameux gentleman-cambrioleur ! Il y avait là un écueil, certes. Il est évité, il était même impossible de léviter avec plus dhabileté que ne la fait Maurice Leblanc. À laide de procédés que le plus averti ne distingue pas il vous tient en haleine jusquau dénouement de chaque aventure. Jusquà la dernière ligne on reste dans lincertitude, la curiosité, langoisse, et le coup de théâtre est toujours inattendu, bouleversant et troublant. En vérité, Arsène Lupin est un type, un type déjà légendaire, et qui restera. Figure vivante, jeune, pleine de gaîté, dimprévu, dironie. Voleur et cambrioleur, escroc et filou, tout ce que vous voudrez, mais si sympathique, ce bandit ! Il agit avec une si jolie désinvolture ! Tant dironie, tant de charme et tant desprit ! Cest un dilettante. Cest un artiste ! Remarquez-le bien : Arsène Lupin ne vole pas; il samuse à voler. Il choisit. Au besoin, il restitue. Il est noble et charmant, chevaleresque, délicat, et je le répète, si sympathique, que tout ce quil fait semble juste, et quon se prend malgré soi à espérer le succès de ses entreprises, que lon sen réjouit, et que la morale elle-même a lair de son côté. Tout cela, je le répète, parce que Lupin est la création dun artiste, et parce quen composant un livre où il a donné libre cours à son imagination, Maurice Leblanc na pas oublié quil était avant tout, et dans toute lacception du terme, un écrivain ! »

Ainsi parla M. Marcel LHeureux, si bon juge en la matière et qui sait la valeur dun roman pour en avoir écrit de si remarquables. Et me voici de son avis après avoir lu ces pages ironiquement amusantes, point du tout amorales malgré le paradoxe qui prête tant de séduction au gentleman détrousseur de ses contemporains. Certes je ne donnerais pas un prix Montyon à ce très séduisant Lupin. Mais eût-on couronné pour sa vertu le Fra Diavolo qui charma nos grand-mères à lOpéra-Comique, au temps lointain où les symboles dAriane et Barbe Bleue nétaient pas inventés ?

Le voilà qui savanceLa plume rouge à son chapeau

Arsène Lupin, cest un Fra Diavolo armé non dun tromblon, mais dun revolver, vêtu non dune romantique veste de velours, mais dun smoking de forme correcte, et je souhaite quil ait le succès plus que centenaire de lirrésistible brigand que fit chanter M. Auber.

Mais quoi ! il ny a rien à souhaiter à Arsène Lupin. Il est entré vivant dans la popularité. Et la vogue qua si bien commencée le magazine, le livre va la continuer.

Jules CLARETIE, de lAcadémie Française

Maurice Leblanc

Arsène Lupin

Gentleman-Cambrioleur

À Pierre LAFITTE.

Mon cher ami,

Tu mas engagé sur une route où je ne croyais point que je dusse jamais maventurer, et jy ai trouvé tant de plaisir et dagrément littéraire quil me paraît juste dinscrire ton nom en tête de ce premier volume, et de taffirmer ici mes sentiments daffectueuse et fidèle reconnaissance.

M. L.

Larrestation dArsène Lupin

Létrange voyage ! Il avait si bien commencé cependant ! Pour ma part, je nen fis jamais qui sannonçât sous de plus heureux auspices. La Provence est un transatlantique rapide, confortable, commandé par le plus affable des hommes. La société la plus choisie sy trouvait réunie. Des relations se formaient, des divertissements sorganisaient. Nous avions cette impression exquise dêtre séparés du monde, réduits à nous-mêmes comme sur une île inconnue, obligés, par conséquent, de nous rapprocher les uns des autres.

Et nous nous rapprochions

Avez-vous jamais songé à ce quil y a doriginal et dimprévu dans ce groupement dêtres qui, la veille encore, ne se connaissaient pas, et qui, durant quelques jours, entre le ciel infini et la mer immense, vont vivre de la vie la plus intime, ensemble vont défier les colères de lOcéan, lassaut terrifiant des vagues, la méchanceté des tempêtes et le calme sournois de leau endormie ?

Cest, au fond, vécue en une sorte de raccourci tragique, la vie elle-même, avec ses orages et ses grandeurs, sa monotonie et sa diversité, et voilà pourquoi, peut-être, on goûte avec une hâte fiévreuse et une volupté dautant plus intense ce court voyage dont on aperçoit la fin au moment même où il commence.

Mais, depuis plusieurs années, quelque chose se passe qui ajoute singulièrement aux émotions de la traversée. La petite île flottante dépend encore de ce monde dont on se croyait affranchi. Un lien subsiste, qui ne se dénoue que peu à peu en plein Océan, et peu à peu, en plein Océan, se renoue. Le télégraphe sans fil ! appel dun autre univers doù lon recevrait des nouvelles de la façon la plus mystérieuse qui soit ! Limagination na plus la ressource dévoquer des fils de fer au creux desquels glisse linvisible message. Le mystère est plus insondable encore, plus poétique aussi, et cest aux ailes du vent quil faut recourir pour expliquer ce nouveau miracle.

Ainsi, les premières heures, nous sentîmes-nous suivis, escortés, précédés même par cette voix lointaine, qui, de temps en temps, chuchotait à lun de nous quelques paroles de là-bas. Deux amis me parlèrent. Dix autres, vingt autres nous envoyèrent à tous, au travers de lespace, leurs adieux attristés ou souriants.

Or, le second jour, à cinq cents milles des côtes françaises, par une après-midi orageuse, le télégraphe sans fil nous transmettait une dépêche dont voici la teneur :

« Arsène Lupin à votre bord, première classe, cheveux blonds, blessure avant-bras droit, voyage seul, sous le nom de R »

À ce moment précis, un coup de tonnerre violent éclata dans le ciel sombre. Les ondes électriques furent interrompues. Le reste de la dépêche ne nous parvint pas. Du nom sous lequel se cachait Arsène Lupin, on ne sut que linitiale.

Il se fût agi de toute autre nouvelle, je ne doute point que le secret en eût été scrupuleusement gardé par les employés du poste télégraphique, ainsi que par le commissaire du bord et par le commandant. Mais il est de ces événements qui semblent forcer la discrétion la plus rigoureuse. Le jour même, sans quon pût dire comment la chose avait été ébruitée, nous savions tous que le fameux Arsène Lupin se cachait parmi nous.

Arsène Lupin parmi nous ! linsaisissable cambrioleur dont on racontait les prouesses dans tous les journaux depuis des mois ! lénigmatique personnage avec qui le vieux Ganimard, notre meilleur policier, avait engagé ce duel à mort dont les péripéties se déroulaient de façon si pittoresque ! Arsène Lupin, le fantaisiste gentleman qui nopère que dans les châteaux et les salons, et qui, une nuit, où il avait pénétré chez le baron Schormann, en était parti les mains vides et avait laissé sa carte, ornée de cette formule : « Arsène Lupin, gentleman-cambrioleur, reviendra quand les meubles seront authentiques ». Arsène Lupin, lhomme aux mille déguisements : tour à tour chauffeur, ténor, bookmaker, fils de famille, adolescent, vieillard, commis-voyageur marseillais, médecin russe, torero espagnol !

Quon se rende bien compte de ceci : Arsène Lupin allant et venant dans le cadre relativement restreint dun transatlantique, que dis-je ! dans ce petit coin des premières où lon se retrouvait à tout instant, dans cette salle à manger, dans ce salon, dans ce fumoir ! Arsène Lupin, cétait peut-être ce monsieur ou celui-là mon voisin de table mon compagnon de cabine

 Et cela va durer encore cinq fois vingt-quatre heures ! sécria le lendemain miss Nelly Underdown, mais cest intolérable ! Jespère bien quon va larrêter.

Et sadressant à moi :

 Voyons, vous, monsieur dAndrézy, qui êtes déjà au mieux avec le commandant, vous ne savez rien ?

Jaurais bien voulu savoir quelque chose pour plaire à miss Nelly ! Cétait une de ces magnifiques créatures qui, partout où elles sont, occupent aussitôt la place la plus en vue. Leur beauté autant que leur fortune éblouit. Elles ont une cour, des fervents, des enthousiastes.

Élevée à Paris par une mère française, elle rejoignait son père, le richissime Underdown, de Chicago. Une de ses amies, lady Jerland, laccompagnait.

Dès la première heure, javais posé ma candidature de flirt. Mais, dans lintimité rapide du voyage, tout de suite son charme mavait troublé, et je me sentais un peu trop ému pour un flirt quand ses grands yeux noirs rencontraient les miens. Cependant elle accueillait mes hommages avec une certaine faveur. Elle daignait rire de mes bons mots et sintéresser à mes anecdotes. Une vague sympathie semblait répondre à lempressement que je lui témoignais.

Un seul rival peut-être meût inquiété, un assez beau garçon, élégant, réservé, dont elle paraissait quelquefois préférer lhumeur taciturne à mes façons plus « en dehors » de Parisien.

Il faisait justement partie du groupe dadmirateurs qui entourait miss Nelly, lorsquelle minterrogea. Nous étions sur le pont, agréablement installés dans des rocking-chairs. Lorage de la veille avait éclairci le ciel. Lheure était délicieuse.

 Je ne sais rien de précis, mademoiselle, lui répondis-je, mais est-il impossible de conduire nous-mêmes notre enquête, tout aussi bien que le ferait le vieux Ganimard, lennemi personnel dArsène Lupin ?

 Oh ! oh ! vous vous avancez beaucoup !

 En quoi donc ? Le problème est-il si compliqué ?

 Très compliqué.

 Cest que vous oubliez les éléments que nous avons pour le résoudre.

 Quels éléments ?

1. Lupin se fait appeler monsieur R

 Signalement un peu vague.

2. Il voyage seul.

 Si cette particularité vous suffit !

3. Il est blond.

 Et alors ?

 Alors nous navons plus quà consulter la liste des passagers et à procéder par élimination.

Javais cette liste dans ma poche. Je la pris et la parcourus.

 Je note dabord quil ny a que treize personnes que leur initiale désigne à notre attention.

 Treize seulement ?

 En première classe, oui. Sur ces treize messieurs R, comme vous pouvez vous en assurer, neuf sont accompagnés de femmes, denfants ou de domestiques. Restent quatre personnages isolés : le marquis de Raverdan

 Secrétaire dambassade, interrompit miss Nelly, je le connais.

 Le major Rawson

 Cest mon oncle, dit quelquun.

 M. Rivolta

 Présent, sécria lun de nous, un Italien dont la figure disparaissait sous une barbe du plus beau noir.

Miss Nelly éclata de rire.

 Monsieur nest pas précisément blond.

 Alors, repris-je, nous sommes obligés de conclure que le coupable est le dernier de la liste.

 Cest-à-dire ?

 Cest-à-dire, M. Rozaine. Quelquun connaît-il M. Rozaine ?

On se tut. Mais miss Nelly, interpellant le jeune homme taciturne dont lassiduité près delle me tourmentait, lui dit :

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