Арсен Люпен – джентельмен-грабитель / Arsеne Lupin Gentleman-Cambrioleur. Книга для чтения на французском языке - Морис Леблан 2 стр.


 Eh bien, monsieur Rozaine, vous ne répondez pas ?

On tourna les yeux vers lui. Il était blond.

Avouons-le, je sentis comme un petit choc au fond de moi. Et le silence gêné qui pesa sur nous mindiqua que les autres assistants éprouvaient aussi cette sorte de suffocation. Cétait absurde dailleurs, car enfin rien dans les allures de ce monsieur ne permettait quon le suspectât.

 Pourquoi je ne réponds pas ? dit-il, mais parce que, vu mon nom, ma qualité de voyageur isolé et la couleur de mes cheveux, jai déjà procédé à une enquête analogue, et que je suis arrivé au même résultat. Je suis donc davis quon marrête.

Il avait un drôle dair, en prononçant ces paroles. Ses lèvres minces comme deux traits inflexibles samincirent encore et pâlirent. Des filets de sang strièrent ses yeux.

Certes, il plaisantait. Pourtant sa physionomie, son attitude nous impressionnèrent. Naïvement, miss Nelly demanda :

 Mais vous navez pas de blessure ?

 Il est vrai, dit-il, la blessure manque.

Dun geste nerveux il releva sa manchette et découvrit son bras. Mais aussitôt une idée me frappa. Mes yeux croisèrent ceux de miss Nelly : il avait montré le bras gauche.

Et ma foi, jallais en faire nettement la remarque, quand un incident détourna notre attention. Lady Jerland, lamie de miss Nelly, arrivait en courant.

Elle était bouleversée. On sempressa autour delle, et ce nest quaprès bien des efforts quelle réussit à balbutier :

 Mes bijoux, mes perles ! on a tout pris !

Non, on navait pas tout pris, comme nous le sûmes par la suite; chose bien plus curieuse : on avait choisi !

De létoile en diamants, du pendentif en cabochons de rubis, des colliers et des bracelets brisés, on avait enlevé, non point les pierres les plus grosses, mais les plus fines, les plus précieuses, celles, aurait-on dit, qui avaient le plus de valeur tout en tenant le moins de place. Les montures gisaient là, sur la table. Je les vis, tous nous les vîmes, dépouillées de leurs joyaux comme des fleurs dont on eût arraché les beaux pétales étincelants et colorés.

Et pour exécuter ce travail, il avait fallu, pendant lheure où lady Jerland prenait le thé, il avait fallu, en plein jour, et dans un couloir fréquenté, fracturer la porte de la cabine, trouver un petit sac dissimulé à dessein au fond dun carton à chapeau, louvrir et choisir !

Il ny eut quun cri parmi nous. Il ny eut quune opinion parmi tous les passagers, lorsque le vol fut connu : cest Arsène Lupin. Et de fait, cétait bien sa manière compliquée, mystérieuse, inconcevable et logique cependant, car sil était difficile de recéler la masse encombrante queût formée lensemble des bijoux, combien moindre était lembarras avec de petites choses indépendantes les unes des autres, perles, émeraudes et saphirs.

Et au dîner, il se passa ceci : à droite et à gauche de Rozaine, les deux places restèrent vides. Et le soir on sut quil avait été convoqué par le commandant.

Son arrestation, que personne ne mit en doute, causa un véritable soulagement. On respirait enfin. Ce soir-là on joua aux petits jeux. On dansa. Miss Nelly, surtout, montra une gaieté étourdissante qui me fit voir que, si les hommages de Rozaine avaient pu lui agréer au début, elle ne sen souvenait guère. Sa grâce acheva de me conquérir. Vers minuit, à la clarté sereine de la lune, je lui affirmai mon dévouement avec une émotion qui ne parut pas lui déplaire.

Mais le lendemain, à la stupeur générale, on apprit que, les charges relevées contre lui nétant pas suffisantes, Rozaine était libre.

Fils dun négociant considérable de Bordeaux, il avait exhibé des papiers parfaitement en règle. En outre, ses bras noffraient pas la moindre trace de blessure.

 Des papiers ! des actes de naissance ! sécrièrent les ennemis de Rozaine, mais Arsène Lupin vous en fournira tant que vous voudrez ! Quant à la blessure, cest quil nen a pas reçu ou quil en a effacé la trace !

On leur objectait quà lheure du vol, Rozaine cétait démontré se promenait sur le pont. À quoi ils ripostaient :

 Est-ce quun homme de la trempe dArsène Lupin a besoin dassister au vol quil commet ?

Et puis, en dehors de toute considération étrangère, il y avait un point sur lequel les plus sceptiques ne pouvaient épiloguer : qui, sauf Rozaine, voyageait seul, était blond, et portait un nom commençant par R ? Qui le télégramme désignait-il, si ce nétait Rozaine ?

Et quand Rozaine, quelques minutes avant le déjeuner, se dirigea audacieusement vers notre groupe, miss Nelly et lady Jerland se levèrent et séloignèrent.

Cétait bel et bien de la peur.

Une heure plus tard, une circulaire manuscrite passait de main en main parmi les employés du bord, les matelots, les voyageurs de toutes classes : M. Louis Rozaine promettait une somme de dix mille francs à qui démasquerait Arsène Lupin, ou trouverait le possesseur des pierres dérobées.

 Et si personne ne me vient en aide contre ce bandit, déclara Rozaine au commandant, moi, je lui ferai son affaire.

Rozaine contre Arsène Lupin, ou plutôt, selon le mot qui courut, Arsène Lupin lui-même contre Arsène Lupin, la lutte ne manquait pas dintérêt !

Elle se prolongea durant deux journées. On vit Rozaine errer de droite et de gauche, se mêler au personnel, interroger, fureter. On aperçut son ombre, la nuit, qui rôdait.

De son côté, le commandant déploya lénergie la plus active. Du haut en bas, en tous les coins, la Provence fut fouillée. On perquisitionna dans toutes les cabines, sans exception, sous le prétexte fort juste que les objets étaient cachés dans nimporte quel endroit, sauf dans la cabine du coupable.

 On finira bien par découvrir quelque chose, nest-ce pas ? me demandait miss Nelly. Tout sorcier quil soit, il ne peut faire que des diamants et des perles deviennent invisibles.

 Mais si, lui répondais-je, ou alors il faudrait explorer la coiffe de nos chapeaux, la doublure de nos vestes, et tout ce que nous portons sur nous.

Et lui montrant mon kodak, un 9×12 avec lequel je ne me lassais pas de la photographier dans les attitudes les plus diverses :

 Rien que dans un appareil pas plus grand que celui-ci, ne pensez-vous pas quil y aurait place pour toutes les pierres précieuses de lady Jerland. On affecte de prendre des vues et le tour est joué.

 Mais cependant jai entendu dire quil ny a point de voleur qui ne laisse derrière lui un indice quelconque.

 Il y en a un : Arsène Lupin.

 Pourquoi ?

 Pourquoi ? parce quil ne pense pas seulement au vol quil commet, mais à toutes les circonstances qui pourraient le dénoncer.

 Au début, vous étiez plus confiant.

 Mais, depuis, je lai vu à lœuvre.

 Et alors, selon vous ?

 Selon moi, on perd son temps.

Et de fait, les investigations ne donnaient aucun résultat, ou du moins, celui quelles donnèrent ne correspondait pas à leffort général : la montre du commandant lui fut volée.

Furieux, il redoubla dardeur et surveilla de plus près encore Rozaine avec qui il avait eu plusieurs entrevues. Le lendemain, ironie charmante, on retrouvait la montre parmi les faux-cols du commandant en second.

Tout cela avait un air de prodige, et dénonçait bien la manière humoristique dArsène Lupin, cambrioleur, soit, mais dilettante aussi. Il travaillait par goût et par vocation, certes, mais par amusement aussi. Il donnait limpression du monsieur qui se divertit à la pièce quil fait jouer, et qui, dans la coulisse, rit à gorge déployée de ses traits desprit et des situations quil imagina.

Décidément, cétait un artiste en son genre, et quand jobservais Rozaine, sombre et opiniâtre, et que je songeais au double rôle que tenait sans doute ce curieux personnage, je ne pouvais en parler sans une certaine admiration.

Or, lavant-dernière nuit, lofficier de quart entendit des gémissements à lendroit le plus obscur du pont. Il sapprocha. Un homme était étendu, la tête enveloppée dans une écharpe grise très épaisse, les poignets ficelés à laide dune fine cordelette.

On le délivra de ses liens. On le releva, des soins lui furent prodigués.

Cet homme, cétait Rozaine.

Cétait Rozaine assailli au cours dune de ses expéditions, terrassé et dépouillé. Une carte de visite fixée par une épingle à son vêtement portait ces mots : « Arsène Lupin accepte avec reconnaissance les dix mille francs de M. Rozaine. »

En réalité, le portefeuille dérobé contenait vingt billets de mille.

Naturellement, on accusa le malheureux davoir simulé cette attaque contre lui-même. Mais, outre quil lui eût été impossible de se lier de cette façon, il fut établi que lécriture de la carte différait absolument de lécriture de Rozaine, et ressemblait au contraire, à sy méprendre, à celle dArsène Lupin, telle que la reproduisait un ancien journal trouvé à bord.

Ainsi donc, Rozaine nétait plus Arsène Lupin. Rozaine était Rozaine, fils dun négociant de Bordeaux ! Et la présence dArsène Lupin saffirmait une fois de plus, et par quel acte redoutable !

Ce fut la terreur. On nosa plus rester seul dans sa cabine, et pas davantage saventurer seul aux endroits trop écartés. Prudemment on se groupait entre gens sûrs les uns des autres. Et encore, une défiance instinctive divisait les plus intimes. Cest que la menace ne provenait pas dun individu isolé, surveillé, et par là même moins dangereux. Arsène Lupin, maintenant, cétait cétait tout le monde. Notre imagination surexcitée lui attribuait un pouvoir miraculeux et illimité. On le supposait capable de prendre les déguisements les plus inattendus, dêtre tour à tour le respectable major Rawson, ou le noble marquis de Raverdan, ou même, car on ne sarrêtait plus à linitiale accusatrice, ou même telle ou telle personne connue de tous, ayant femme, enfants, domestiques.

Les premières dépêches sans fil napportèrent aucune nouvelle. Du moins le commandant ne nous en fit point part, et un tel silence nétait pas pour nous rassurer.

Aussi, le dernier jour parut-il interminable. On vivait dans lattente anxieuse dun malheur. Cette fois, ce ne serait plus un vol, ce ne serait plus une simple agression, ce serait le crime, le meurtre. On nadmettait pas quArsène Lupin sen tînt à ces deux larcins insignifiants. Maître absolu du navire, les autorités réduites à limpuissance, il navait quà vouloir, tout lui était permis, il disposait des biens et des existences.

Heures délicieuses pour moi, je lavoue, car elles me valurent la confiance de miss Nelly. Impressionnée par tant dévénements, de nature déjà inquiète, elle chercha spontanément à mes côtés une protection, une sécurité que jétais heureux de lui offrir.

Au fond, je bénissais Arsène Lupin. Nétait-ce pas lui qui nous rapprochait ? Nétait-ce pas grâce à lui que javais le droit de mabandonner aux plus beaux rêves ? Rêves damour et rêves moins chimériques, pourquoi ne pas le confesser ? Les Andrézy sont de bonne souche poitevine, mais leur blason est quelque peu dédoré, et il ne me paraît pas indigne dun gentilhomme de songer à rendre à son nom le lustre perdu.

Et ces rêves, je le sentais, noffusquaient point Nelly. Ses yeux souriants mautorisaient à les faire. La douceur de sa voix me disait despérer.

Et jusquau dernier moment, accoudés aux bastingages, nous restâmes lun près de lautre, tandis que la ligne des côtes américaines voguait au-devant de nous.

On avait interrompu les perquisitions. On attendait. Depuis les premières jusquà lentrepont où grouillaient les émigrants, on attendait la minute suprême où sexpliquerait enfin linsoluble énigme. Qui était Arsène Lupin ? Sous quel nom, sous quel masque se cachait le fameux Arsène Lupin ?

Et cette minute suprême arriva. Dussé-je vivre cent ans, je nen oublierai pas le plus infime détail.

 Comme vous êtes pâle, miss Nelly, dis-je à ma compagne qui sappuyait à mon bras, toute défaillante.

 Et vous ! me répondit-elle, ah ! vous êtes si changé !

 Songez donc ! cette minute est passionnante, et je suis si heureux de la vivre auprès de vous, miss Nelly. Il me semble que votre souvenir sattardera quelquefois

Elle nécoutait pas, haletante et fiévreuse. La passerelle sabattit. Mais avant que nous eûmes la liberté de la franchir, des gens montèrent à bord, des douaniers, des hommes en uniforme, des facteurs.

Miss Nelly balbutia :

 On sapercevrait quArsène Lupin sest échappé pendant la traversée que je nen serais pas surprise.

 Il a peut-être préféré la mort au déshonneur, et plonger dans lAtlantique plutôt que dêtre arrêté.

 Ne riez pas, fit-elle, agacée.

Soudain je tressaillis, et comme elle me questionnait, je lui dis :

 Vous voyez ce vieux petit homme debout à lextrémité de la passerelle ?

 Avec un parapluie et une redingote vert-olive ?

 Cest Ganimard.

 Ganimard ?

 Oui, le célèbre policier, celui qui a juré quArsène Lupin serait arrêté de sa propre main. Ah ! je comprends que lon nait pas eu de renseignements de ce côté de lOcéan. Ganimard était là ! et il aime bien que personne ne soccupe de ses petites affaires.

 Alors Arsène Lupin est sûr dêtre pris ?

 Qui sait ? Ganimard ne la jamais vu, paraît-il, que grimé et déguisé. À moins quil ne connaisse son nom demprunt

 Ah ! dit-elle, avec cette curiosité un peu cruelle de la femme, si je pouvais assister à larrestation !

 Patientons. Certainement Arsène Lupin a déjà remarqué la présence de son ennemi. Il préférera sortir parmi les derniers, quand lœil du vieux sera fatigué.

Le débarquement commença. Appuyé sur son parapluie, lair indifférent, Ganimard ne semblait pas prêter attention à la foule qui se pressait entre les deux balustrades. Je notai quun officier du bord, posté derrière lui, le renseignait de temps à autre.

Le marquis de Raverdan, le major Rawson, lItalien Rivolta, défilèrent, et dautres, et beaucoup dautres Et japerçus Rozaine qui sapprochait.

Pauvre Rozaine ! il ne paraissait pas remis de ses mésaventures !

 Cest peut-être lui tout de même, me dit miss Nelly Quen pensez-vous ?

 Je pense quil serait fort intéressant davoir sur une même photographie Ganimard et Rozaine. Prenez donc mon appareil, je suis si chargé.

Je le lui donnai, mais trop tard pour quelle sen servît. Rozaine passait. Lofficier se pencha à loreille de Ganimard, celui-ci haussa légèrement les épaules, et Rozaine passa.

Mais alors, mon Dieu, qui était Arsène Lupin ?

 Oui, fit-elle à haute voix, qui est-ce ?

Il ny avait plus quune vingtaine de personnes. Elle les observait tour à tour, avec la crainte confuse quil ne fût pas, lui, au nombre de ces vingt personnes.

Je lui dis :

 Nous ne pouvons attendre plus longtemps.

Elle savança. Je la suivis. Mais nous navions pas fait dix pas que Ganimard nous barra le passage.

 Eh bien, quoi ? mécriai-je.

 Un instant, monsieur, qui vous presse ?

 Jaccompagne mademoiselle.

 Un instant, répéta-t-il dune voix plus impérieuse.

Il me dévisagea profondément, puis il me dit, les yeux dans les yeux :

 Arsène Lupin, nest-ce pas ?

Je me mis à rire.

 Non, Bernard dAndrézy, tout simplement.

 Bernard dAndrézy est mort il y a trois ans en Macédoine.

 Si Bernard dAndrézy était mort, je ne serais plus de ce monde. Et ce nest pas le cas. Voici mes papiers.

 Ce sont les siens. Comment les avez-vous, cest ce que jaurai le plaisir de vous expliquer.

 Mais vous êtes fou ! Arsène Lupin sest embarqué sous le nom de R.

 Oui, encore un truc de vous, une fausse piste sur laquelle vous les avez lancés, là-bas. Ah ! vous êtes dune jolie force, mon gaillard. Mais cette fois, la chance a tourné. Voyons, Lupin, montrez-vous beau joueur.

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