Les Trois Mousquetaires / Три мушкетера - Александр Дюма 15 стр.


 Mon mari à la Bastille ! sécria Mme Bonacieux, oh ! mon Dieu ! qua-t-il donc fait ? pauvre cher homme ! lui, linnocence même ! »

Et quelque chose comme un sourire perçait sur la figure encore tout effrayée de la jeune femme.

« Ce quil a fait, madame ? dit dArtagnan. Je crois que son seul crime est davoir à la fois le bonheur et le malheur dêtre votre mari.

 Mais, monsieur, vous savez donc

 Je sais que vous avez été enlevée, madame.

 Et par qui ? Le savez-vous ? Oh ! si vous le savez, dites-le-moi.

 Par un homme de quarante à quarante-cinq ans, aux cheveux noirs, au teint basané, avec une cicatrice à la tempe gauche.

 Cest cela, cest cela ; mais son nom ?

 Ah ! son nom ? cest ce que jignore.

 Et mon mari savait-il que javais été enlevée ?

 Il en avait été prévenu par une lettre que lui avait écrite le ravisseur lui-même.

 Et soupçonne-t-il, demanda Mme Bonacieux avec embarras, la cause de cet événement ?

 Il lattribuait, je crois, à une cause politique.

 Jen ai douté dabord, et maintenant je le pense comme lui. Ainsi donc, ce cher M. Bonacieux ne ma pas soupçonnée un seul instant ?

 Ah ! loin de là, madame, il était trop fier de votre sagesse et surtout de votre amour. »

Un second sourire presque imperceptible effleura les lèvres rosées de la belle jeune femme.

« Mais, continua dArtagnan, comment vous êtes-vous enfuie ?

 Jai profité dun moment où lon ma laissée seule, et comme je savais depuis ce matin à quoi men tenir sur mon enlèvement, à laide de mes draps je suis descendue par la fenêtre ; alors, comme je croyais mon mari ici, je suis accourue.

 Pour vous mettre sous sa protection ?

 Oh ! non, pauvre cher homme, je savais bien quil était incapable de me défendre ; mais comme il pouvait nous servir à autre chose, je voulais le prévenir.

 De quoi ?

 Oh ! ceci nest pas mon secret, je ne puis donc pas vous le dire.

 Dailleurs, dit dArtagnan (pardon, madame, si, tout garde que je suis, je vous rappelle à la prudence), dailleurs je crois que nous ne sommes pas ici en lieu opportun pour faire des confidences. Les hommes que jai mis en fuite vont revenir avec main-forte ; sils nous retrouvent ici nous sommes perdus. Jai bien fait prévenir trois de mes amis, mais qui sait si on les aura trouvés chez eux !

 Oui, oui, vous avez raison, sécria Mme Bonacieux effrayée ; fuyons, sauvons-nous. »

À ces mots, elle passa son bras sous celui de dArtagnan et lentraîna vivement.

« Mais où fuir ? dit dArtagnan, où nous sauver ?

 Éloignons-nous dabord de cette maison, puis après nous verrons. »

Et la jeune femme et le jeune homme, sans se donner la peine de refermer la porte, descendirent rapidement la rue des Fossoyeurs, sengagèrent dans la rue des Fossés-Monsieur-le-Prince et ne sarrêtèrent quà la place Saint-Sulpice.

« Et maintenant, quallons-nous faire, demanda dArtagnan, et où voulez-vous que je vous conduise ?

 Je suis fort embarrassée de vous répondre, je vous lavoue, dit Mme Bonacieux ; mon intention était de faire prévenir M. de La Porte par mon mari, afin que M. de La Porte pût nous dire précisément ce qui sétait passé au Louvre depuis trois jours, et sil ny avait pas danger pour moi de my présenter.

 Mais moi, dit dArtagnan, je puis aller prévenir M. de La Porte.

 Sans doute ; seulement il ny a quun malheur : cest quon connaît M. Bonacieux au Louvre et quon le laisserait passer, lui, tandis quon ne vous connaît pas, vous, et que lon vous fermera la porte.

 Ah ! bah, dit dArtagnan, vous avez bien à quelque guichet du Louvre un concierge qui vous est dévoué, et qui grâce à un mot dordre »

Mme Bonacieux regarda fixement le jeune homme.

« Et si je vous donnais ce mot dordre, dit-elle, loublieriez-vous aussitôt que vous vous en seriez servi ?

 Parole dhonneur, foi de gentilhomme ! dit dArtagnan avec un accent à la vérité duquel il ny avait pas à se tromper.

 Tenez, je vous crois ; vous avez lair dun brave jeune homme, dailleurs votre fortune est peut-être au bout de votre dévouement.

 Je ferai sans promesse et de conscience tout ce que je pourrai pour servir le roi et être agréable à la reine, dit dArtagnan ; disposez donc de moi comme dun ami.

 Mais moi, où me mettrez-vous pendant ce temps-là ?

 Navez-vous pas une personne chez laquelle M. de La Porte puisse revenir vous prendre ?

 Non, je ne veux me fier à personne.

 Attendez, dit dArtagnan ; nous sommes à la porte dAthos. Oui, cest cela.

 Quest-ce quAthos ?

 Un de mes amis.

 Mais sil est chez lui et quil me voie ?

 Il ny est pas, et jemporterai la clef après vous avoir fait entrer dans son appartement.

 Mais sil revient ?

 Il ne reviendra pas ; dailleurs on lui dirait que jai amené une femme, et que cette femme est chez lui.

 Mais cela me compromettra très fort, savez-vous !

 Que vous importe ! on ne vous connaît pas ; dailleurs nous sommes dans une situation à passer par-dessus quelques convenances !

 Allons donc chez votre ami. Où demeure-t-il ?

 Rue Férou, à deux pas dici.

 Allons. »

Et tous deux reprirent leur course. Comme lavait prévu dArtagnan, Athos nétait pas chez lui : il prit la clef, quon avait lhabitude de lui donner comme à un ami de la maison, monta lescalier et introduisit Mme Bonacieux dans le petit appartement dont nous avons déjà fait la description.

« Vous êtes chez vous, dit-il ; attendez, fermez la porte en dedans et nouvrez à personne, à moins que vous nentendiez frapper trois coups ainsi : tenez ; et il frappa trois fois : deux coups rapprochés lun de lautre et assez forts, un coup plus distant et plus léger.

 Cest bien, dit Mme Bonacieux ; maintenant, à mon tour de vous donner mes instructions.

 Jécoute.

 Présentez-vous au guichet du Louvre, du côté de la rue de lÉchelle, et demandez Germain.

 Cest bien. Après ?

 Il vous demandera ce que vous voulez, et alors vous lui répondrez par ces deux mots : Tours et Bruxelles. Aussitôt il se mettra à vos ordres.

 Et que lui ordonnerai-je ?

 Daller chercher M. de La Porte, le valet de chambre de la reine.

 Et quand il laura été chercher et que M. de La Porte sera venu ?

 Vous me lenverrez.

 Cest bien, mais où et comment vous reverrai-je ?

 Y tenez-vous beaucoup à me revoir ?

 Certainement.

 Eh bien, reposez-vous sur moi de ce soin, et soyez tranquille.

 Je compte sur votre parole.

 Comptez-y. »

DArtagnan salua Mme Bonacieux en lui lançant le coup doeil le plus amoureux quil lui fût possible de concentrer sur sa charmante petite personne, et tandis quil descendait lescalier, il entendit la porte se fermer derrière lui à double tour. En deux bonds il fut au Louvre : comme il entrait au guichet de Échelle, dix heures sonnaient. Tous les événements que nous venons de raconter sétaient succédé en une demi-heure.

Tout sexécuta comme lavait annoncé Mme Bonacieux. Au mot dordre convenu, Germain sinclina ; dix minutes après, La Porte était dans la loge ; en deux mots, dArtagnan le mit au fait et lui indiqua où était Mme Bonacieux. La Porte sassura par deux fois de lexactitude de ladresse, et partit en courant. Cependant, à peine eut-il fait dix pas, quil revint.

« Jeune homme, dit-il à dArtagnan, un conseil.

 Lequel ?

 Vous pourriez être inquiété pour ce qui vient de se passer.

 Vous croyez ?

 Oui. Avez-vous quelque ami dont la pendule retarde ?

 Eh bien ?

 Allez le voir pour quil puisse témoigner que vous étiez chez lui à neuf heures et demie. En justice, cela sappelle un alibi. »

DArtagnan trouva le conseil prudent ; il prit ses jambes à son cou, il arriva chez M. de Tréville, mais, au lieu de passer au salon avec tout le monde, il demanda à entrer dans son cabinet. Comme dArtagnan était un des habitués de lhôtel, on ne fit aucune difficulté daccéder à sa demande ; et lon alla prévenir M. de Tréville que son jeune compatriote, ayant quelque chose dimportant à lui dire, sollicitait une audience particulière. Cinq minutes après, M. de Tréville demandait à dArtagnan ce quil pouvait faire pour son service et ce qui lui valait sa visite à une heure si avancée.

« Pardon, monsieur ! dit dArtagnan, qui avait profité du moment où il était resté seul pour retarder lhorloge de trois quarts dheure ; jai pensé que, comme il nétait que neuf heures vingt-cinq minutes, il était encore temps de me présenter chez vous.

 Neuf heures vingt-cinq minutes ! sécria M. de Tréville en regardant sa pendule ; mais cest impossible !

 Voyez plutôt, monsieur, dit dArtagnan, voilà qui fait foi.

 Cest juste, dit M. de Tréville, jaurais cru quil était plus tard. Mais voyons, que me voulez-vous ? »

Alors dArtagnan fit à M. de Tréville une longue histoire sur la reine. Il lui exposa les craintes quil avait conçues à légard de Sa Majesté ; il lui raconta ce quil avait entendu dire des projets du cardinal à lendroit de Buckingham, et tout cela avec une tranquillité et un aplomb dont M. de Tréville fut dautant mieux la dupe, que lui-même, comme nous lavons dit, avait remarqué quelque chose de nouveau entre le cardinal, le roi et la reine.

À dix heures sonnant, dArtagnan quitta M. de Tréville, qui le remercia de ses renseignements, lui recommanda davoir toujours à coeur le service du roi et de la reine, et qui rentra dans le salon. Mais, au bas de lescalier, dArtagnan se souvint quil avait oublié sa canne : en conséquence, il remonta précipitamment, rentra dans le cabinet, dun tour de doigt remit la pendule à son heure, pour quon ne pût pas sapercevoir, le lendemain, quelle avait été dérangée, et sûr désormais quil y avait un témoin pour prouver son alibi, il descendit lescalier et se trouva bientôt dans la rue.

XI. Lintrigue se noue

Sa visite faite à M. de Tréville, dArtagnan prit, tout pensif, le plus long pour rentrer chez lui.

À quoi pensait dArtagnan, quil sécartait ainsi de sa route, regardant les étoiles du ciel, et tantôt soupirant tantôt souriant ?

Il pensait à Mme Bonacieux. Pour un apprenti mousquetaire, la jeune femme était presque une idéalité amoureuse. Jolie, mystérieuse, initiée à presque tous les secrets de cour, qui reflétaient tant de charmante gravité sur ses traits gracieux, elle était soupçonnée de nêtre pas insensible, ce qui est un attrait irrésistible pour les amants novices ; de plus, dArtagnan lavait délivrée des mains de ces démons qui voulaient la fouiller et la maltraiter, et cet important service avait établi entre elle et lui un de ces sentiments de reconnaissance qui prennent si facilement un plus tendre caractère.

DArtagnan se voyait déjà, tant les rêves marchent vite sur les ailes de limagination, accosté par un messager de la jeune femme qui lui remettait quelque billet de rendez-vous, une chaîne dor ou un diamant. Nous avons dit que les jeunes cavaliers recevaient sans honte de leur roi ; ajoutons quen ce temps de facile morale, ils navaient pas plus de vergogne à lendroit de leurs maîtresses, et que celles-ci leur laissaient presque toujours de précieux et durables souvenirs, comme si elles eussent essayé de conquérir la fragilité de leurs sentiments par la solidité de leurs dons.

On faisait alors son chemin par les femmes, sans en rougir. Celles qui nétaient que belles donnaient leur beauté, et de là vient sans doute le proverbe, que la plus belle fille du monde ne peut donner que ce quelle a. Celles qui étaient riches donnaient en outre une partie de leur argent, et lon pourrait citer bon nombre de héros de cette galante époque qui neussent gagné ni leurs éperons dabord, ni leurs batailles ensuite, sans la bourse plus ou moins garnie que leur maîtresse attachait à larçon de leur selle.

DArtagnan ne possédait rien ; lhésitation du provincial, vernis léger, fleur éphémère, duvet de la pêche, sétait évaporée au vent des conseils peu orthodoxes que les trois mousquetaires donnaient à leur ami. DArtagnan, suivant létrange coutume du temps, se regardait à Paris comme en campagne, et cela ni plus ni moins que dans les Flandres : lEspagnol là-bas, la femme ici. Cétait partout un ennemi à combattre, des contributions à frapper.

Mais, disons-le, pour le moment dArtagnan était mû dun sentiment plus noble et plus désintéressé. Le mercier lui avait dit quil était riche ; le jeune homme avait pu deviner quavec un niais comme létait M. Bonacieux, ce devait être la femme qui tenait la clef de la bourse. Mais tout cela navait influé en rien sur le sentiment produit par la vue de Mme Bonacieux, et lintérêt était resté à peu près étranger à ce commencement damour qui en avait été la suite. Nous disons : à peu près, car lidée quune jeune femme, belle, gracieuse, spirituelle, est riche en même temps, nôte rien à ce commencement damour, et tout au contraire le corrobore.

Il y a dans laisance une foule de soins et de caprices aristocratiques qui vont bien à la beauté. Un bas fin et blanc, une robe de soie, une guimpe de dentelle, un joli soulier au pied, un frais ruban sur la tête, ne font point jolie une femme laide, mais font belle une femme jolie, sans compter les mains qui gagnent à tout cela ; les mains, chez les femmes surtout, ont besoin de rester oisives pour rester belles.

Puis dArtagnan, comme le sait bien le lecteur, auquel nous navons pas caché létat de sa fortune, dArtagnan nétait pas un millionnaire ; il espérait bien le devenir un jour, mais le temps quil se fixait lui-même pour cet heureux changement était assez éloigné. En attendant, quel désespoir que de voir une femme quon aime désirer ces mille riens dont les femmes composent leur bonheur, et de ne pouvoir lui donner ces mille riens ! Au moins, quand la femme est riche et que lamant ne lest pas, ce quil ne peut lui offrir elle se loffre elle-même ; et quoique ce soit ordinairement avec largent du mari quelle se passe cette jouissance, il est rare que ce soit à lui quen revienne la reconnaissance.

Puis dArtagnan, disposé à être lamant le plus tendre, était en attendant un ami très dévoué. Au milieu de ses projets amoureux sur la femme du mercier, il noubliait pas les siens. La jolie Mme Bonacieux était femme à promener dans la plaine Saint-Denis ou dans la foire Saint-Germain en compagnie dAthos, de Porthos et dAramis, auxquels dArtagnan serait fier de montrer une telle conquête. Puis, quand on a marché longtemps, la faim arrive ; dArtagnan depuis quelque temps avait remarqué cela. On ferait de ces petits dîners charmants où lon touche dun côté la main dun ami, et de lautre le pied dune maîtresse. Enfin, dans les moments pressants, dans les positions extrêmes, dArtagnan serait le sauveur de ses amis.

Et M. Bonacieux, que dArtagnan avait poussé dans les mains des sbires en le reniant bien haut et à qui il avait promis tout bas de le sauver ? Nous devons avouer à nos lecteurs que dArtagnan ny songeait en aucune façon, ou que, sil y songeait, cétait pour se dire quil était bien où il était, quelque part quil fût. Lamour est la plus égoïste de toutes les passions.

Cependant, que nos lecteurs se rassurent : si dArtagnan oublie son hôte ou fait semblant de loublier, sous prétexte quil ne sait pas où on la conduit, nous ne loublions pas, nous, et nous savons où il est. Mais pour le moment faisons comme le Gascon amoureux. Quant au digne mercier, nous reviendrons à lui plus tard.

DArtagnan, tout en réfléchissant à ses futures amours, tout en parlant à la nuit, tout en souriant aux étoiles, remontait la rue du Cherche-Midi ou Chasse-Midi, ainsi quon lappelait alors. Comme il se trouvait dans le quartier dAramis, lidée lui était venue daller faire une visite à son ami, pour lui donner quelques explications sur les motifs qui lui avaient fait envoyer Planchet avec invitation de se rendre immédiatement à la souricière. Or, si Aramis sétait trouvé chez lui lorsque Planchet y était venu, il avait sans aucun doute couru rue des Fossoyeurs, et ny trouvant personne que ses deux autres compagnons peut-être, ils navaient dû savoir, ni les uns ni les autres, ce que cela voulait dire. Ce dérangement méritait donc une explication, voilà ce que disait tout haut dArtagnan.

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