Les Trois Mousquetaires / Три мушкетера - Александр Дюма 17 стр.


 Madame, dit le jeune homme en sinclinant, je ne sais rien refuser à qui me demande ainsi ; soyez contente, je méloigne.

 Mais vous ne me suivrez pas, vous ne mépierez pas ?

 Je rentre chez moi à linstant.

 Ah ! je le savais bien, que vous étiez un brave jeune homme ! » sécria Mme Bonacieux en lui tendant une main et en posant lautre sur le marteau dune petite porte presque perdue dans la muraille.

DArtagnan saisit la main quon lui tendait et la baisa ardemment.

« Ah ! jaimerais mieux ne vous avoir jamais vue, sécria dArtagnan avec cette brutalité naïve que les femmes préfèrent souvent aux afféteries de la politesse, parce quelle découvre le fond de la pensée et quelle prouve que le sentiment lemporte sur la raison.

 Eh bien, reprit Mme Bonacieux dune voix presque caressante, et en serrant la main de dArtagnan qui navait pas abandonné la sienne ; eh bien, je nen dirai pas autant que vous : ce qui est perdu pour aujourdhui nest pas perdu pour lavenir. Qui sait, si lorsque je serai déliée un jour, je ne satisferai pas votre curiosité ?

 Et faites-vous la même promesse à mon amour ? sécria dArtagnan au comble de la joie.

 Oh ! de ce côté, je ne veux point mengager, cela dépendra des sentiments que vous saurez minspirer.

 Ainsi, aujourdhui, madame

 Aujourdhui, monsieur, je nen suis encore quà la reconnaissance.

 Ah ! vous êtes trop charmante, dit dArtagnan avec tristesse, et vous abusez de mon amour.

 Non, juse de votre générosité, voilà tout. Mais croyez-le bien, avec certaines gens tout se retrouve.

 Oh ! vous me rendez le plus heureux des hommes. Noubliez pas cette soirée, noubliez pas cette promesse.

 Soyez tranquille, en temps et lieu je me souviendrai de tout. Eh bien, partez donc, partez, au nom du Ciel ! On mattendait à minuit juste, et je suis en retard.

 De cinq minutes.

 Oui ; mais dans certaines circonstances, cinq minutes sont cinq siècles.

 Quand on aime.

 Eh bien, qui vous dit que je nai pas affaire à un amoureux ?

 Cest un homme qui vous attend ? sécria dArtagnan, un homme !

 Allons, voilà la discussion qui va recommencer, fit Mme Bonacieux avec un demi-sourire qui nétait pas exempt dune certaine teinte dimpatience.

 Non, non, je men vais, je pars ; je crois en vous, je veux avoir tout le mérite de mon dévouement, ce dévouement dût-il être une stupidité. Adieu, madame, adieu ! »

Et comme sil ne se fût senti la force de se détacher de la main quil tenait que par une secousse, il séloigna tout courant, tandis que Mme Bonacieux frappait, comme au volet, trois coups lents et réguliers ; puis, arrivé à langle de la rue, il se retourna : la porte sétait ouverte et refermée, la jolie mercière avait disparu.

DArtagnan continua son chemin, il avait donné sa parole de ne pas épier Mme Bonacieux, et sa vie eût-elle dépendu de lendroit où elle allait se rendre, ou de la personne qui devait laccompagner, dArtagnan serait rentré chez lui, puisquil avait dit quil y rentrait. Cinq minutes après, il était dans la rue des Fossoyeurs.

« Pauvre Athos, disait-il, il ne saura pas ce que cela veut dire. Il se sera endormi en mattendant, ou il sera retourné chez lui, et en rentrant il aura appris quune femme y était venue. Une femme chez Athos ! Après tout, continua dArtagnan, il y en avait bien une chez Aramis. Tout cela est fort étrange, et je serais bien curieux de savoir comment cela finira.

 Mal, monsieur, mal », répondit une voix que le jeune homme reconnut pour celle de Planchet ; car tout en monologuant tout haut, à la manière des gens très préoccupés, il sétait engagé dans lallée au fond de laquelle était lescalier qui conduisait à sa chambre.

« Comment, mal ? que veux-tu dire, imbécile ? demanda dArtagnan, quest-il donc arrivé ?

 Toutes sortes de malheurs.

 Lesquels ?

 Dabord M. Athos est arrêté.

 Arrêté ! Athos ! arrêté ! pourquoi ?

 On la trouvé chez vous ; on la pris pour vous.

 Et par qui a-t-il été arrêté ?

 Par la garde quont été chercher les hommes noirs que vous avez mis en fuite.

 Pourquoi ne sest-il pas nommé ? pourquoi na-t-il pas dit quil était étranger à cette affaire ?

 Il sen est bien gardé, monsieur ; il sest au contraire approché de moi et ma dit : « Cest ton maître qui a besoin de sa liberté en ce moment, et non pas moi, puisquil sait tout et que je ne sais rien. On le croira arrêté, et cela lui donnera du temps ; dans trois jours je dirai qui je suis, et il faudra bien quon me fasse sortir. »

 Bravo, Athos ! noble coeur, murmura dArtagnan, je le reconnais bien là ! Et quont fait les sbires ?

 Quatre lont emmené je ne sais où, à la Bastille ou au For- lÉvêque ; deux sont restés avec les hommes noirs, qui ont fouillé partout et qui ont pris tous les papiers. Enfin les deux derniers, pendant cette expédition, montaient la garde à la porte ; puis, quand tout a été fini, ils sont partis, laissant la maison vide et tout ouvert.

 Et Porthos et Aramis ?

 Je ne les avais pas trouvés, ils ne sont pas venus.

 Mais ils peuvent venir dun moment à lautre, car tu leur as fait dire que je les attendais ?

 Oui, monsieur.

 Eh bien, ne bouge pas dici ; sils viennent, préviens-les de ce qui mest arrivé, quils mattendent au cabaret de la Pomme de Pin ; ici il y aurait danger, la maison peut être espionnée. Je cours chez M. de Tréville pour lui annoncer tout cela, et je les y rejoins.

 Cest bien, monsieur, dit Planchet.

 Mais tu resteras, tu nauras pas peur ! dit dArtagnan en revenant sur ses pas pour recommander le courage à son laquais.

 Soyez tranquille, monsieur, dit Planchet, vous ne me connaissez pas encore ; je suis brave quand je my mets, allez ; cest le tout de my mettre ; dailleurs je suis Picard.

 Alors, cest convenu, dit dArtagnan, tu te fais tuer plutôt que de quitter ton poste.

 Oui, monsieur, et il ny a rien que je ne fasse pour prouver à monsieur que je lui suis attaché. »

« Bon, dit en lui-même dArtagnan, il paraît que la méthode que jai employée à légard de ce garçon est décidément la bonne : jen userai dans loccasion. »

Et de toute la vitesse de ses jambes, déjà quelque peu fatiguées cependant par les courses de la journée, dArtagnan se dirigea vers la rue du Colombier.

M. de Tréville nétait point à son hôtel ; sa compagnie était de garde au Louvre ; il était au Louvre avec sa compagnie.

Il fallait arriver jusquà M. de Tréville ; il était important quil fût prévenu de ce qui se passait. DArtagnan résolut dessayer dentrer au Louvre. Son costume de garde dans la compagnie de M. des Essarts lui devait être un passeport.

Il descendit donc la rue des Petits-Augustins, et remonta le quai pour prendre le Pont-Neuf. Il avait eu un instant lidée de passer le bac ; mais en arrivant au bord de leau, il avait machinalement introduit sa main dans sa poche et sétait aperçu quil navait pas de quoi payer le passeur.

Comme il arrivait à la hauteur de la rue Guénégaud, il vit déboucher de la rue Dauphine un groupe composé de deux personnes et dont lallure le frappa.

Les deux personnes qui composaient le groupe étaient : lun, un homme ; lautre, une femme.

La femme avait la tournure de Mme Bonacieux, et lhomme ressemblait à sy méprendre à Aramis.

En outre, la femme avait cette mante noire que dArtagnan voyait encore se dessiner sur le volet de la rue de Vaugirard et sur la porte de la rue de La Harpe.

De plus, lhomme portait luniforme des mousquetaires.

Le capuchon de la femme était rabattu, lhomme tenait son mouchoir sur son visage ; tous deux, cette double précaution lindiquait, tous deux avaient donc intérêt à nêtre point reconnus.

Ils prirent le pont : cétait le chemin de dArtagnan, puisque dArtagnan se rendait au Louvre ; dArtagnan les suivit.

DArtagnan navait pas fait vingt pas, quil fut convaincu que cette femme, cétait Mme Bonacieux, et que cet homme, cétait Aramis.

Il sentit à linstant même tous les soupçons de la jalousie qui sagitaient dans son coeur.

Il était doublement trahi et par son ami et par celle quil aimait déjà comme une maîtresse. Mme Bonacieux lui avait juré ses grands dieux quelle ne connaissait pas Aramis, et un quart dheure après quelle lui avait fait ce serment, il la retrouvait au bras dAramis.

DArtagnan ne réfléchit pas seulement quil connaissait la jolie mercière depuis trois heures seulement, quelle ne lui devait rien quun peu de reconnaissance pour lavoir délivrée des hommes noirs qui voulaient lenlever, et quelle ne lui avait rien promis. Il se regarda comme un amant outragé, trahi, bafoué ; le sang et la colère lui montèrent au visage, il résolut de tout éclaircir.

La jeune femme et le jeune homme sétaient aperçus quils étaient suivis, et ils avaient doublé le pas. DArtagnan prit sa course, les dépassa, puis revint sur eux au moment où ils se trouvaient devant la Samaritaine, éclairée par un réverbère qui projetait sa lueur sur toute cette partie du pont.

DArtagnan sarrêta devant eux, et ils sarrêtèrent devant lui.

« Que voulez-vous, monsieur ? demanda le mousquetaire en reculant dun pas et avec un accent étranger qui prouvait à dArtagnan quil sétait trompé dans une partie de ses conjectures.

 Ce nest pas Aramis ! sécria-t-il.

 Non, monsieur, ce nest point Aramis, et à votre exclamation je vois que vous mavez pris pour un autre, et je vous pardonne.

 Vous me pardonnez ! sécria dArtagnan.

 Oui, répondit linconnu. Laissez-moi donc passer, puisque ce nest pas à moi que vous avez affaire.

 Vous avez raison, monsieur, dit dArtagnan, ce nest pas à vous que jai affaire, cest à madame.

 À madame ! vous ne la connaissez pas, dit létranger.

 Vous vous trompez, monsieur, je la connais.

 Ah ! fit Mme Bonacieux dun ton de reproche, ah monsieur ! javais votre parole de militaire et votre foi de gentilhomme ; jespérais pouvoir compter dessus.

 Et moi, madame, dit dArtagnan embarrassé, vous maviez promis

 Prenez mon bras, madame, dit létranger, et continuons notre chemin. »

Cependant dArtagnan, étourdi, atterré, anéanti par tout ce qui lui arrivait, restait debout et les bras croisés devant le mousquetaire et Mme Bonacieux.

Le mousquetaire fit deux pas en avant et écarta dArtagnan avec la main.

DArtagnan fit un bond en arrière et tira son épée.

En même temps et avec la rapidité de léclair, linconnu tira la sienne.

« Au nom du Ciel, Milord ! sécria Mme Bonacieux en se jetant entre les combattants et prenant les épées à pleines mains.

 Milord ! sécria dArtagnan illuminé dune idée subite, Milord ! pardon, monsieur ; mais est-ce que vous seriez

 Milord duc de Buckingham, dit Mme Bonacieux à demi-voix ; et maintenant vous pouvez nous perdre tous.

 Milord, madame, pardon, cent fois pardon ; mais je laimais, Milord, et jétais jaloux ; vous savez ce que cest que daimer, Milord ; pardonnez-moi, et dites-moi comment je puis me faire tuer pour Votre Grâce.

 Vous êtes un brave jeune homme, dit Buckingham en tendant à dArtagnan une main que celui-ci serra respectueusement ; vous moffrez vos services, je les accepte ; suivez-nous à vingt pas jusquau Louvre ; et si quelquun nous épie, tuez-le ! »

DArtagnan mit son épée nue sous son bras, laissa prendre à Mme Bonacieux et au duc vingt pas davance et les suivit, prêt à exécuter à la lettre les instructions du noble et élégant ministre de Charles Ier.

Mais heureusement le jeune séide neut aucune occasion de donner au duc cette preuve de son dévouement, et la jeune femme et le beau mousquetaire rentrèrent au Louvre par le guichet de lÉchelle sans avoir été inquiétés

Quant à dArtagnan, il se rendit aussitôt au cabaret de la Pomme de Pin, où il trouva Porthos et Aramis qui lattendaient.

Mais, sans leur donner dautre explication sur le dérangement quil leur avait causé, il leur dit quil avait terminé seul laffaire pour laquelle il avait cru un instant avoir besoin de leur intervention. Et maintenant, emportés que nous sommes par notre récit, laissons nos trois amis rentrer chacun chez soi, et suivons, dans les détours du Louvre, le duc de Buckingham et son guide.

XII. Georges Villiers, duc de Buckingham

Madame Bonacieux et le duc entrèrent au Louvre sans difficulté ; Mme Bonacieux était connue pour appartenir à la reine ; le duc portait luniforme des mousquetaires de M. de Tréville, qui, comme nous lavons dit, était de garde ce soir-là. Dailleurs Germain était dans les intérêts de la reine, et si quelque chose arrivait, Mme Bonacieux serait accusée davoir introduit son amant au Louvre, voilà tout ; elle prenait sur elle le crime : sa réputation était perdue, il est vrai, mais de quelle valeur était dans le monde la réputation dune petite mercière ?

Une fois entrés dans lintérieur de la cour, le duc et la jeune femme suivirent le pied de la muraille pendant lespace denviron vingt-cinq pas ; cet espace parcouru, Mme Bonacieux poussa une petite porte de service, ouverte le jour, mais ordinairement fermée la nuit ; la porte céda ; tous deux entrèrent et se trouvèrent dans lobscurité, mais Mme Bonacieux connaissait tous les tours et détours de cette partie du Louvre, destinée aux gens de la suite. Elle referma les portes derrière elle, prit le duc par la main, fit quelques pas en tâtonnant, saisit une rampe, toucha du pied un degré, et commença de monter un escalier : le duc compta deux étages. Alors elle prit à droite, suivit un long corridor, redescendit un étage, fit quelques pas encore, introduisit une clef dans une serrure, ouvrit une porte et poussa le duc dans un appartement éclairé seulement par une lampe de nuit, en disant : « Restez ici, Milord duc, on va venir. » Puis elle sortit par la même porte, quelle ferma à la clef, de sorte que le duc se trouva littéralement prisonnier.

Cependant, tout isolé quil se trouvait, il faut le dire, le duc de Buckingham néprouva pas un instant de crainte ; un des côtés saillants de son caractère était la recherche de laventure et lamour du romanesque. Brave, hardi, entreprenant, ce nétait pas la première fois quil risquait sa vie dans de pareilles tentatives ; il avait appris que ce prétendu message dAnne dAutriche, sur la foi duquel il était venu à Paris, était un piège, et au lieu de regagner lAngleterre, il avait, abusant de la position quon lui avait faite, déclaré à la reine quil ne partirait pas sans lavoir vue. La reine avait positivement refusé dabord, puis enfin elle avait craint que le duc, exaspéré, ne fît quelque folie. Déjà elle était décidée à le recevoir et à le supplier de partir aussitôt, lorsque, le soir même de cette décision, Mme Bonacieux, qui était chargée daller chercher le duc et de le conduire au Louvre, fut enlevée. Pendant deux jours on ignora complètement ce quelle était devenue, et tout resta en suspens. Mais une fois libre, une fois remise en rapport avec La Porte, les choses avaient repris leur cours, et elle venait daccomplir la périlleuse entreprise que, sans son arrestation, elle eût exécutée trois jours plus tôt.

Buckingham, resté seul, sapprocha dune glace. Cet habit de mousquetaire lui allait à merveille.

À trente-cinq ans quil avait alors, il passait à juste titre pour le plus beau gentilhomme et pour le plus élégant cavalier de France et dAngleterre.

Favori de deux rois, riche à millions, tout-puissant dans un royaume quil bouleversait à sa fantaisie et calmait à son caprice, Georges Villiers, duc de Buckingham, avait entrepris une de ces existences fabuleuses qui restent dans le cours des siècles comme un étonnement pour la postérité.

Aussi, sûr de lui-même, convaincu de sa puissance, certain que les lois qui régissent les autres hommes ne pouvaient latteindre, allait-il droit au but quil sétait fixé, ce but fût-il si élevé et si éblouissant que ceût été folie pour un autre que de lenvisager seulement. Cest ainsi quil était arrivé à sapprocher plusieurs fois de la belle et fière Anne dAutriche et à sen faire aimer, à force déblouissement.

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