Les Trois Mousquetaires / Три мушкетера - Александр Дюма 4 стр.


Arrivé à lescalier, ce fut pis encore : il y avait sur les premières marches quatre mousquetaires qui se divertissaient à lexercice suivant, tandis que dix ou douze de leurs camarades attendaient sur le palier que leur tour vînt de prendre place à la partie.

Un deux, placé sur le degré supérieur, lépée nue à la main, empêchait ou du moins sefforçait dempêcher les trois autres de monter.

Ces trois autres sescrimaient contre lui de leurs épées fort agiles. DArtagnan prit dabord ces fers pour des fleurets descrime, il les crut boutonnés : mais il reconnut bientôt à certaines égratignures que chaque arme, au contraire, était affilée et aiguisée à souhait, et à chacune de ces égratignures, non seulement les spectateurs, mais encore les acteurs riaient comme des fous.

Celui qui occupait le degré en ce moment tenait merveilleusement ses adversaires en respect. On faisait cercle autour deux : la condition portait quà chaque coup le touché quitterait la partie, en perdant son tour daudience au profit du toucheur. En cinq minutes trois furent effleurés, lun au poignet, lautre au menton, lautre à loreille par le défenseur du degré, qui lui-même ne fut pas atteint : adresse qui lui valut, selon les conventions arrêtées, trois tours de faveur.

Si difficile non pas quil fût, mais quil voulût être à étonner, ce passe-temps étonna notre jeune voyageur ; il avait vu dans sa province, cette terre où séchauffent cependant si promptement les têtes, un peu plus de préliminaires aux duels, et la gasconnade de ces quatre joueurs lui parut la plus forte de toutes celles quil avait ouïes jusqualors, même en Gascogne. Il se crut transporté dans ce fameux pays des géants où Gulliver alla depuis et eut si grand-peur ; et cependant il nétait pas au bout : restaient le palier et lantichambre.

Sur le palier on ne se battait plus, on racontait des histoires de femmes, et dans lantichambre des histoires de cour. Sur le palier, dArtagnan rougit ; dans lantichambre, il frissonna. Son imagination éveillée et vagabonde, qui en Gascogne le rendait redoutable aux jeunes femmes de chambre et même quelquefois aux jeunes maîtresses, navait jamais rêvé, même dans ces moments de délire, la moitié de ces merveilles amoureuses et le quart de ces prouesses galantes, rehaussées des noms les plus connus et des détails les moins voilés. Mais si son amour pour les bonnes moeurs fut choqué sur le palier, son respect pour le cardinal fut scandalisé dans lantichambre. Là, à son grand étonnement, dArtagnan entendait critiquer tout haut la politique qui faisait trembler lEurope, et la vie privée du cardinal, que tant de hauts et puissants seigneurs avaient été punis davoir tenté dapprofondir : ce grand homme, révéré par M. dArtagnan père, servait de risée aux mousquetaires de M. de Tréville, qui raillaient ses jambes cagneuses et son dos voûté ; quelques-uns chantaient des Noëls sur Mme dAiguillon, sa maîtresse, et Mme de Combalet, sa nièce, tandis que les autres liaient des parties contre les pages et les gardes du cardinal-duc, toutes choses qui paraissaient à dArtagnan de monstrueuses impossibilités.

Cependant, quand le nom du roi intervenait parfois tout à coup à limproviste au milieu de tous ces quolibets cardinalesques, une espèce de bâillon calfeutrait pour un moment toutes ces bouches moqueuses ; on regardait avec hésitation autour de soi, et lon semblait craindre lindiscrétion de la cloison du cabinet de M. de Tréville ; mais bientôt une allusion ramenait la conversation sur Son Éminence, et alors les éclats reprenaient de plus belle, et la lumière nétait ménagée sur aucune de ses actions.

« Certes, voilà des gens qui vont être embastillés et pendus, pensa dArtagnan avec terreur, et moi sans aucun doute avec eux, car du moment où je les ai écoutés et entendus, je serai tenu pour leur complice. Que dirait monsieur mon père, qui ma si fort recommandé le respect du cardinal, sil me savait dans la société de pareils païens ? »

Aussi comme on sen doute sans que je le dise, dArtagnan nosait se livrer à la conversation ; seulement il regardait de tous ses yeux, écoutant de toutes ses oreilles, tendant avidement ses cinq sens pour ne rien perdre, et malgré sa confiance dans les recommandations paternelles, il se sentait porté par ses goûts et entraîné par ses instincts à louer plutôt quà blâmer les choses inouïes qui se passaient là.

Cependant, comme il était absolument étranger à la foule des courtisans de M. de Tréville, et que cétait la première fois quon lapercevait en ce lieu, on vint lui demander ce quil désirait. À cette demande, dArtagnan se nomma fort humblement, sappuya du titre de compatriote, et pria le valet de chambre qui était venu lui faire cette question de demander pour lui à M. de Tréville un moment daudience, demande que celui-ci promit dun ton protecteur de transmettre en temps et lieu.

DArtagnan, un peu revenu de sa surprise première, eut donc le loisir détudier un peu les costumes et les physionomies.

Au centre du groupe le plus animé était un mousquetaire de grande taille, dune figure hautaine et dune bizarrerie de costume qui attirait sur lui lattention générale. Il ne portait pas, pour le moment, la casaque duniforme, qui, au reste, nétait pas absolument obligatoire dans cette époque de liberté moindre mais dindépendance plus grande, mais un justaucorps bleu de ciel, tant soit peu fané et râpé, et sur cet habit un baudrier magnifique, en broderies dor, et qui reluisait comme les écailles dont leau se couvre au grand soleil. Un manteau long de velours cramoisi tombait avec grâce sur ses épaules découvrant par-devant seulement le splendide baudrier auquel pendait une gigantesque rapière.

Ce mousquetaire venait de descendre de garde à linstant même, se plaignait dêtre enrhumé et toussait de temps en temps avec affectation. Aussi avait-il pris le manteau, à ce quil disait autour de lui, et tandis quil parlait du haut de sa tête, en frisant dédaigneusement sa moustache, on admirait avec enthousiasme le baudrier brodé, et dArtagnan plus que tout autre.

« Que voulez-vous, disait le mousquetaire, la mode en vient ; cest une folie, je le sais bien, mais cest la mode. Dailleurs, il faut bien employer à quelque chose largent de sa légitime.

 Ah ! Porthos ! sécria un des assistants, nessaie pas de nous faire croire que ce baudrier te vient de la générosité paternelle : il taura été donné par la dame voilée avec laquelle je tai rencontré lautre dimanche vers la porte Saint-Honoré.

 Non, sur mon honneur et foi de gentilhomme, je lai acheté moi-même, et de mes propres deniers, répondit celui quon venait de désigner sous le nom de Porthos.

 Oui, comme jai acheté, moi, dit un autre mousquetaire, cette bourse neuve, avec ce que ma maîtresse avait mis dans la vieille.

 Vrai, dit Porthos, et la preuve cest que je lai payé douze pistoles. »

Ladmiration redoubla, quoique le doute continuât dexister.

« Nest-ce pas, Aramis ? » dit Porthos se tournant vers un autre mousquetaire.

Cet autre mousquetaire formait un contraste parfait avec celui qui linterrogeait et qui venait de le désigner sous le nom dAramis : cétait un jeune homme de vingt-deux à vingt-trois ans à peine, à la figure naïve et doucereuse, à loeil noir et doux et aux joues roses et veloutées comme une pêche en automne ; sa moustache fine dessinait sur sa lèvre supérieure une ligne dune rectitude parfaite ; ses mains semblaient craindre de sabaisser, de peur que leurs veines ne se gonflassent, et de temps en temps il se pinçait le bout des oreilles pour les maintenir dun incarnat tendre et transparent. Dhabitude il parlait peu et lentement, saluait beaucoup, riait sans bruit en montrant ses dents, quil avait belles et dont, comme du reste de sa personne, il semblait prendre le plus grand soin. Il répondit par un signe de tête affirmatif à linterpellation de son ami.

Cette affirmation parut avoir fixé tous les doutes à lendroit du baudrier ; on continua donc de ladmirer, mais on nen parla plus ; et par un de ces revirements rapides de la pensée, la conversation passa tout à coup à un autre sujet.

« Que pensez-vous de ce que raconte lécuyer de Chalais ? » demanda un autre mousquetaire sans interpeller directement personne, mais sadressant au contraire à tout le monde.

« Et que raconte-t-il ? demanda Porthos dun ton suffisant.

 Il raconte quil a trouvé à Bruxelles Rochefort, lâme damnée du cardinal, déguisé en capucin ; ce Rochefort maudit, grâce à ce déguisement, avait joué M. de Laigues comme un niais quil est.

 Comme un vrai niais, dit Porthos ; mais la chose est-elle sûre ?

 Je la tiens dAramis, répondit le mousquetaire.

 Vraiment ?

 Eh ! vous le savez bien, Porthos, dit Aramis ; je vous lai racontée à vous-même hier, nen parlons donc plus.

 Nen parlons plus, voilà votre opinion à vous, reprit Porthos. Nen parlons plus ! peste ! comme vous concluez vite. Comment ! le cardinal fait espionner un gentilhomme, fait voler sa correspondance par un traître, un brigand, un pendard ; fait, avec laide de cet espion et grâce à cette correspondance, couper le cou à Chalais, sous le stupide prétexte quil a voulu tuer le roi et marier Monsieur avec la reine ! Personne ne savait un mot de cette énigme, vous nous lapprenez hier, à la grande satisfaction de tous, et quand nous sommes encore tout ébahis de cette nouvelle, vous venez nous dire aujourdhui : Nen parlons plus !

 Parlons-en donc, voyons, puisque vous le désirez, reprit Aramis avec patience.

 Ce Rochefort, sécria Porthos, si jétais lécuyer du pauvre Chalais, passerait avec moi un vilain moment.

 Et vous, vous passeriez un triste quart dheure avec le duc Rouge, reprit Aramis.

 Ah ! le duc Rouge ! bravo, bravo, le duc Rouge ! répondit Porthos en battant des mains et en approuvant de la tête. Le « duc Rouge » est charmant. Je répandrai le mot, mon cher, soyez tranquille. A-t-il de lesprit, cet Aramis ! Quel malheur que vous nayez pas pu suivre votre vocation, mon cher ! quel délicieux abbé vous eussiez fait !

 Oh ! ce nest quun retard momentané, reprit Aramis ; un jour, je le serai. Vous savez bien, Porthos, que je continue détudier la théologie pour cela.

 Il le fera comme il le dit, reprit Porthos, il le fera tôt ou tard.

 Tôt, dit Aramis.

 Il nattend quune chose pour le décider tout à fait et pour reprendre sa soutane, qui est pendue derrière son uniforme, reprit un mousquetaire.

 Et quelle chose attend-il ? demanda un autre.

 Il attend que la reine ait donné un héritier à la couronne de France.

 Ne plaisantons pas là-dessus, messieurs, dit Porthos ; grâce à Dieu, la reine est encore dâge à le donner.

 On dit que M. de Buckingham est en France, reprit Aramis avec un rire narquois qui donnait à cette phrase, si simple en apparence, une signification passablement scandaleuse.

 Aramis, mon ami, pour cette fois vous avez tort, interrompit Porthos, et votre manie desprit vous entraîne toujours au-delà des bornes ; si M. de Tréville vous entendait, vous seriez mal venu de parler ainsi.

 Allez-vous me faire la leçon, Porthos ? sécria Aramis, dans loeil doux duquel on vit passer comme un éclair.

 Mon cher, soyez mousquetaire ou abbé. Soyez lun ou lautre, mais pas lun et lautre, reprit Porthos. Tenez, Athos vous la dit encore lautre jour : vous mangez à tous les râteliers. Ah ! ne nous fâchons pas, je vous prie, ce serait inutile, vous savez bien ce qui est convenu entre vous, Athos et moi. Vous allez chez Mme dAiguillon, et vous lui faites la cour ; vous allez chez Mme de Bois-Tracy, la cousine de Mme de Chevreuse, et vous passez pour être fort en avant dans les bonnes grâces de la dame. Oh ! mon Dieu, navouez pas votre bonheur, on ne vous demande pas votre secret, on connaît votre discrétion. Mais puisque vous possédez cette vertu, que diable ! Faites-en usage à lendroit de Sa Majesté. Soccupe qui voudra et comme on voudra du roi et du cardinal ; mais la reine est sacrée, et si lon en parle, que ce soit en bien.

 Porthos, vous êtes prétentieux comme Narcisse, je vous en préviens, répondit Aramis ; vous savez que je hais la morale, excepté quand elle est faite par Athos. Quant à vous, mon cher, vous avez un trop magnifique baudrier pour être bien fort là-dessus. Je serai abbé sil me convient ; en attendant, je suis mousquetaire : en cette qualité, je dis ce quil me plaît, et en ce moment il me plaît de vous dire que vous mimpatientez.

 Aramis !

 Porthos !

 Eh ! messieurs ! messieurs ! sécria-t-on autour deux.

 M. de Tréville attend M. dArtagnan », interrompit le laquais en ouvrant la porte du cabinet.

À cette annonce, pendant laquelle la porte demeurait ouverte, chacun se tut, et au milieu du silence général le jeune Gascon traversa lantichambre dans une partie de sa longueur et entra chez le capitaine des mousquetaires, se félicitant de tout son coeur déchapper aussi à point à la fin de cette bizarre querelle.

III. Laudience

M. de Tréville était pour le moment de fort méchante humeur ; néanmoins il salua poliment le jeune homme, qui sinclina jusquà terre, et il sourit en recevant son compliment, dont laccent béarnais lui rappela à la fois sa jeunesse et son pays, double souvenir qui fait sourire lhomme à tous les âges. Mais, se rapprochant presque aussitôt de lantichambre et faisant à dArtagnan un signe de la main, comme pour lui demander la permission den finir avec les autres avant de commencer avec lui, il appela trois fois, en grossissant la voix à chaque fois, de sorte quil parcourut tous les tons intervallaires entre laccent impératif et laccent irrité :

« Athos ! Porthos ! Aramis ! »

Les deux mousquetaires avec lesquels nous avons déjà fait connaissance, et qui répondaient aux deux derniers de ces trois noms, quittèrent aussitôt les groupes dont ils faisaient partie et savancèrent vers le cabinet, dont la porte se referma derrière eux dès quils en eurent franchi le seuil. Leur contenance, bien quelle ne fût pas tout à fait tranquille, excita cependant par son laisser-aller à la fois plein de dignité et de soumission, ladmiration de dArtagnan, qui voyait dans ces hommes des demi-dieux, et dans leur chef un Jupiter olympien armé de tous ses foudres.

Quand les deux mousquetaires furent entrés, quand la porte fut refermée derrière eux, quand le murmure bourdonnant de lantichambre, auquel lappel qui venait dêtre fait avait sans doute donné un nouvel aliment eut recommencé ; quand enfin M. de Tréville eut trois ou quatre fois arpenté, silencieux et le sourcil froncé, toute la longueur de son cabinet, passant chaque fois devant Porthos et Aramis, roides et muets comme à la parade, il sarrêta tout à coup en face deux, et les couvrant des pieds à la tête dun regard irrité :

« Savez-vous ce que ma dit le roi, sécria-t-il, et cela pas plus tard quhier au soir ? le savez-vous, messieurs ?

 Non, répondirent après un instant de silence les deux mousquetaires ; non, monsieur, nous lignorons.

 Mais jespère que vous nous ferez lhonneur de nous le dire, ajouta Aramis de son ton le plus poli et avec la plus gracieuse révérence.

 Il ma dit quil recruterait désormais ses mousquetaires parmi les gardes de M. le cardinal !

 Parmi les gardes de M. le cardinal ! et pourquoi cela ? demanda vivement Porthos.

 Parce quil voyait bien que sa piquette avait besoin dêtre ragaillardie par un mélange de bon vin. »

Les deux mousquetaires rougirent jusquau blanc des yeux. DArtagnan ne savait où il en était et eût voulu être à cent pieds sous terre.

« Oui, oui, continua M. de Tréville en sanimant, oui, et Sa Majesté avait raison, car, sur mon honneur, il est vrai que les mousquetaires font triste figure à la cour. M. le cardinal racontait hier au jeu du roi, avec un air de condoléance qui me déplut fort, quavant-hier ces damnés mousquetaires, ces diables à quatre il appuyait sur ces mots avec un accent ironique qui me déplut encore davantage , ces pourfendeurs, ajoutait-il en me regardant de son oeil de chat-tigre, sétaient attardés rue Férou, dans un cabaret, et quune ronde de ses gardes jai cru quil allait me rire au nez avait été forcée darrêter les perturbateurs. Morbleu ! vous devez en savoir quelque chose ! Arrêter des mousquetaires ! Vous en étiez, vous autres, ne vous en défendez pas, on vous a reconnus, et le cardinal vous a nommés. Voilà bien ma faute, oui, ma faute, puisque cest moi qui choisis mes hommes. Voyons, vous, Aramis, pourquoi diable mavez-vous demandé la casaque quand vous alliez être si bien sous la soutane ? Voyons, vous, Porthos, navez-vous un si beau baudrier dor que pour y suspendre une épée de paille ? Et Athos ! je ne vois pas Athos. Où est-il ?

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