Pirates ! - de Villiers Gérard 2 стр.


Viktor Nikolski retourna s’asseoir. Le calme était absolu sur le vracquier. À part lui, l’homme de barre, l’officier de permanence aux machines, les autres membres d’équipage, tous ukrainiens, sauf trois Russes et Piotr le Letton, dormaient dans leurs couchettes. L’Océan Indien était relativement calme, le vent faible et la nuit plutôt claire.

L’itinéraire qu’ils suivaient était le « rail » emprunté par des centaines de navires contournant la Corne de l’Afrique et descendant ensuite vers le sud. Avec son énorme château arrière flanqué de deux hautes cheminées bleues, le MV Faina n’était pas très beau. Ce château occupait presque le tiers du pont, ce qui lui donnait une silhouette particulière. Après trois jours à Mombasa, ils repartiraient vers une autre destination, selon les ordres de leur armateur.

Le commandant en second reprit son journal, luttant pour ne pas céder au sommeil. Encore trois heures avant le changement de quart prévu à six heures du matin.

Hashi Farah n’arrivait pas à détacher les yeux du château arrière, se demandant comment les deux petites barques allaient pouvoir attaquer un tel mastodonte. Afin de s’écarter du remous des hélices, elles bifurquèrent pour se placer parallèlement au vracquier. Heureusement, leur moteur de trois cylindres chinois de 75 chevaux leur donnait une grande maniabilité et une vitesse de pointe de plus de trente nœuds.

L’une derrière l’autre, les deux barques arrivèrent à la hauteur du MV Faina et réglèrent leur vitesse sur la sienne, éloignées d’une quinzaine de mètres de leur cible.

Un des pirates se dressa à l’avant de la première, en équilibre sur le plat-bord, malgré la houle. Tenant fermement un lance-harpon, long tube relié à une bouteille d’air comprimé à 80 bars, posée dans le fond de la barque. L’homme braqua son engin avec un angle de 45° sur le bastinguage du vracquier.

Fasciné, Hashi Farah ne le quittait pas des yeux, assistant pour la première fois à cette opération audacieuse. À l’extrémité du long piston coulissant dans le tube du lance-harpon, était fixé un gros grappin, lui-même relié par un mousqueton à deux échelles de spéléologue lovées à l’avant de l’embarcation. L’homme en équilibre sur le plat-bord abaissa la main gauche. Aussitôt, son partenaire, accroupi au fond de la barque, actionna le levier libérant l’air comprimé. Le grappin entraînant les deux échelles de spéléologue fila vers le pont du MV Faina. L’opération ne générait qu’un « pschitt » léger, noyé dans le bruit de la houle.

Déjà, l’homme de barre à l’arrière de la barque donnait un coup de moteur pour se rapprocher du vracquier et venir se coller contre sa coque. Il était temps : le grappin avait disparu quelque part sur le pont du MV Faina et les deux échelles de spéléologue pendaient le long de la coque sombre. Le vracquier continuait sa course, la barque des pirates collée à lui comme une sangsue, évitant les chocs trop violents contre la coque du navire grâce à un bordage de vieux pneus.

C’était le moment délicat.

Celui qui avait lancé le grappin jeta le lanceur au fond de l’embarcation, et se pencha en avant, saisissant un des barreaux d’acier de l’échelle. Il tira dessus de toutes ses forces et elle ne s’abaissa pas : le grappin avait croche dans quelque chose de solide.

L’homme se retourna.

Garda Abdi, le chef de l’expédition, était déjà debout. Il gagna l’avant de la barque et, à son tour, attrapa l’échelle. C’était à lui de monter le premier. Accroché des deux mains aux barreaux longs d’une vingtaine de centimètres, il commença à grimper le long de la coque, enfilant ses baskets à toute vitesse dans les barreaux, suivi par l’autre pirate. Pointe-talon, il s’élevait comme un singe dans un cocotier, avec une facilité déconcertante, un pistolet automatique Tokarev dans un sac en plastique suspendu à son cou par un lacet.

Il était déjà à plusieurs mètres de hauteur lorsqu’un coup de houle brutal éleva la barque presque à sa hauteur, avant de la faire plonger à nouveau.

Hashi Farah crut se trouver dans un manège de foire. On ne voyait déjà plus les deux hommes, parvenus presque au bastingage du MV Faina et les autres pirates commençaient à monter à leur tour.

Aborder de cette façon un navire lancé à 15 nœuds, en pleine mer, la nuit, demandait des nerfs d’acier.

Heureusement, la récompense était au bout : plusieurs millions de dollars à se partager. Dans un pays où une famille arrivait à survivre avec 3 dollars par jour, cela motivait...

Il ne restait plus dans la barque que l’homme de barre, un dernier pirate et Hashi Farah. Celui-ci prit son courage à deux mains et se leva, gagnant l’avant de la barque. Le dernier pirate le soutint tandis qu’il attrapait l’échelle et commençait à grimper maladroitement. Arrosé par un paquet de mer, trempé, gêné par la Kalach accrochée dans son dos, il se demanda s’il allait arriver en haut.

Grimpé derrière lui, le dernier pirate l’encourageait de la voix.

Hashi Farah n’avait même pas peur : il avait tout simplement envie de se laisser tomber... Enfin, il aperçut la barre horizontale du bastingage et s’y accrocha, comme un chat qui parvient à s’extirper d’une baignoire.

À la surface de la mer, la première barque venait de s’éloigner, laissant la place à la seconde dont les occupants commencèrent à grimper à leur tour, apportant l’armement « lourd » : deux RPG7 et leurs roquettes.

Cinq minutes plus tard, il avait regagné sa couchette.

Доступ к книге ограничен фрагменом по требованию правообладателя.

Ils se trouvaient à l’arrière du Faina devant la masse du château arrière où s’ouvrait une porte aux angles arrondis qui menait certainement à la dunette. À part le bruit de la mer et du vent, le silence était absolu.

Le plus dur était fait. Les équipages des navires de commerce ayant l’interdiction d’être armés, ils ne risquaient pas de se heurter à une résistance dangereuse.

Garda Abdi attendit que tous ses hommes soient sur le pont pour manœuvrer le levier ouvrant la porte donnant accès au château arrière.

Devant lui, s’ouvrait un escalier métallique. Il s’y engagea silencieusement, suivi d’une partie de ses hommes et de Hashi Farah.

L’officier ukrainien se leva et l’intrus lui lança en mauvais anglais :

— You no move !

Piotr, l’homme de barre, pétrifié, n’avait pas bougé, accroché à son volant de bois. N’en croyant pas ses yeux. Certes, il avait déjà entendu parler des pirates, mais il n’aurait jamais cru en voir en chair et en os. Ne recevant pas d’ordre de son chef, il demeura à son poste, conservant le même cap, sud, sud-ouest.

Fou de rage, Viktor Nicolski pointa son index sur l’homme au pistolet et lança :

— You, bandit !

Le mot russe désignant les criminels.

— 

Deux hommes venaient de surgir derrière lui, armés de Kalachs à crosse pliante, l’un coiffé d’un keffieh rose, jeune et barbu, le regard farouche.

— 

 ? demanda le premier arrivé. L’officier ukrainien secoua la tête négativement.

— No, we are a merchant veassel.

Il se rapprocha discrètement de la radio VHF. Avant tout, prévenir le monde extérieur de ce qui se passait. S’il y avait un navire de guerre dans les parages, il se précipiterait à leur secours.

— 

continua le pirate.

— No, he is sleeping.

Le Somalien arbora un large sourire et se frappa la poitrine de la main gauche.

— Now, I captain. You obey me.

Le Somalien s’approcha de la table des cartes, y jeta un coup d’oeil et se retourna vers Viktor Nicolski.

— You take cape 120. I repeat One Two Zéro. You understand "broken English" ?

L’Ukrainien inclina la tête affirmativement. Il n’avait pas besoin d’aller consulter une carte pour savoir que le cap 120, c’était la direction de la côte somalienne. Il tentait de se souvenir de quel port ils étaient le plus proche.

Ce qui avait finalement peu d’importance.

— I

Very hot tea.

Viktor Nicolski prit la barre et demanda à Piotr d’aller chercher du thé aux cuisines. Inutile d’exciter les envahisseurs. Lui aussi avait aperçu les autres pirates sur le pont : le MV Faina était bel et bien entre les mains. Un de ceux qui avaient envahi la dunette s’était assis par terre et parlait dans un Thuraya avec de grands éclats de rire.

L’homme au keffieh, silencieux et semblant épuisé, s’était installé dans le vieux fauteuil de bois réservé au capitaine et semblait lutter contre le sommeil.

Désormais, le vracquier ukrainier filait vers la côte somalienne, bien au nord de Mogadiscio.

Le « Howard » appartenant à la Task Force 150, ratissait l’océan Indien, à la recherche de tous événements suspects liés potentiellement au terrorisme. La chasse aux pirates n’était pas dans ses attributions, mais le radar venait de signaler le brutal changement de course d’un navire en route pour Mombasa, qui se dirigeait désormais droit vers les côtes somaliennes.

Or, personne n’allait dans cette direction sans y être forcé. Malheureusement, le « Howard » se trouvait à la latitude de Eyl, dans le Puntland, à environ 300 miles du navire qui venait d’effectuer ce changement de cap suspect. Soit à une douzaine d’heures de mer, à pleine vitesse.

Il était trop loin pour pouvoir identifier ce navire par l’AIS, ce qui lui aurait apporté de précieuses indications. Il se contenta donc d’expédier un message « flash » au CentCom de Manama, signalant la manœuvre anormale et demandant de suivre au radar l’itinéraire du mystérieux navire.

Après avoir terminé son quart, il allait prendre un peu de repos lorsqu’on lui apporta un message « 

du CentCom.

Après diffusion de son alerte sur toutes les fréquences marines, on venait d’identifier, grâce à un appel de son armateur, le navire qui avait changé de course. Il s’agissait d’Un cargo ukrainien chargé de 3 200 tonnes de matériel de guerre destiné au Kenya !

Vraisemblablement attaqué par des pirates et qui se dirigeait désormais vers le port somalien de Hobyo. Le CentCom donnait donc l’ordre au « Howard » de faire route vers Hobyo pour tenter d’y arriver avant le MV Faina et, de toute façon, à s’opposer si besoin était par la force, au déchargement de ce matériel de guerre.

Dans une zone comme la Somalie, c’était verser de l’essence sur un feu déjà bien allumé.

Si les chars lourds T.72 ne semblaient pas être utiles aux milices somaliennes, l’armement léger et les munitions du MV Faina valaient sûrement de l’or à leurs yeux.

Jusque-là, les autorités américaines avaient toujours appliqué aux pirates la politique du « benign neglect ». Elles ne connaissaient qu’une seule mission : la guerre contre le terrorisme. Le cas du Faina était différent. Les groupes islamistes somaliens, comme les Shebabs, étaient considérés comme des filiales d’Al Qaida et il n’était pas question de les laisser se renforcer.

Fedor Nemichenko, l’officier radio, vint se joindre à eux, détendu. Grâce au message qu’il avait envoyé sur la fréquence MAYDAY, durant la nuit, le monde entier savait désormais que le MV Faina était aux mains des pirates somaliens. Or, le vracquier ukrainien se trouvait encore dans les eaux internationales. Ce qui laissait un mince espoir à l’équipage du vracquier. N’importe quel navire de guerre de n’importe quelle nation avait le droit d’intervenir par la force pour le libérer.

Les pirates n’étaient qu’une douzaine, la plupart très jeunes. Certains même n’étaient armés que de coutelas... En tout, ils avaient six Kalachnikovs, deux RPG7 et des pistolets. Hélas, pour le moment, l’horizon restait vide. Or, dans cinq heures au plus, ils seraient dans les eaux somaliennes.

Soudain, l’homme au keffieh rose eut une sorte de hoquet, pâlit et échangea quelques mots dans sa langue avec l’autre pirate avant de sortir de la dunette. Les deux Ukrainiens le virent émerger sur le pont et se pencher au-dessus du bastingage, vomissant tout ce qu’il avait dans le corps...

— Le salaud, s’il pouvait crever ! fit à mi-voix Fedor Nemichenko.

Hélas, on ne mourait pas du mal de mer...

D’ailleurs, le pirate remonta et reprit sa place dans le fauteuil de bois.

Quelques instants plus tard, il s’endormait. Son compagnon lança aux deux officiers ukrainiens, menaçant.

— You stay same cap !

Avant de s’éclipser. Lui aussi émergea sur le pont et se mit à parler avec ses hommes.

Fedor Nemichenko et Viktor Nikolski échangèrent un regard, après avoir fixé le pirate endormi. Il avait un pistolet dans un étui à sa ceinture, et sa Kalach à crosse pliante était posée à terre. À deux, ils pouvaient facilement le neutraliser et s’emparer de ses armes.

— On pourrait... commença l’officier radio.

Viktor Nikolski secoua la tête.

— Cela ne servirait à rien. En bas, ils ont des Kalachs. On va se faire tuer pour rien. Va plutôt prendre ta caméra et fais une photo. On va la transmettre par e-mail. Il est peut-être connu...

L’officier radio s’éclipsa et fut de retour quelques instants plus tard.

Доступ к книге ограничен фрагменом по требованию правообладателя.

Назад Дальше