Le Signe Des Quatre - Doyle Arthur Conan 7 стр.


– Il suffisait d’un raisonnement très simple.

– Oh! allons, allons. Il ne faut jamais avoir honte d’admettre la vérité. Mais ceci? Sale affaire! Sale affaire, hein! Des faits précis, n’est-ce pas? pas de place pour les théories. Quelle chance j’ai eue de me trouver à Norwood pour une autre affaire! J’étais au commissariat quand la nouvelle est arrivée. D’après vous, de quoi l’homme est-il mort?

– Oh! c’est une affaire qui ne laisse aucune place pour les théories, dit Holmes sèchement.

– Non, non. Mais enfin, on ne peut nier que vous touchez juste, quelquefois. Mon Dieu! la porte était verrouillée, m’a-t-on dit. Un demi-million de joyaux disparus. Comment était la fenêtre?

– Fermée de l’intérieur; mais il y a des traces de pas sur le rebord.

– Bien, bien. Mais si elle était fermée, les pas n’ont rien à voir dans l’histoire. C’est une question de bon sens. L’homme est peut-être mort d’une attaque; seulement les joyaux manquant. Ah! J’ai une idée. J’ai parfois de ces éclairs. Laissez-moi, inspecteur; vous aussi, monsieur Sholto. Votre ami peut rester, Holmes. Dites-moi ce que vous pensez de ceci: Sholto a avoué, de lui-même, qu’il était hier soir avec son frère. Ce dernier meurt d’une attaque, et Sholto part avec le trésor. Qu’en dites-vous?

– Après quoi, le mort, craignant sans doute de s’enrhumer, s’est levé pour verrouiller la porte.

– Hum! Il y a une faille. Voyons, usons un peu de bon sens. Ce Thaddeus Sholto était avec son frère; et il y eut une querelle. Cela, nous le savons. Le frère est mort, et les joyaux sont disparus. Nous savons aussi cela. Nul n’a vu le frère depuis le départ de Thaddeus. Le lit n’est pas défait; la victime ne s’est donc pas couchée. D’autre part, Thaddeus est, de toute évidence, dans un état d’esprit agité. Il est… voyons, disons: peu sympathique. Vous voyez que je suis en train de tisser ma toile. Le filet se resserre autour de lui.

– Vous n’êtes pas encore tout à fait en possession des faits, dit Holmes. Cet éclat de bois que j’ai toutes les raisons de croire empoisonné, était fiché dans le cuir chevelu; la marque s’y trouve encore. Cette carte, et l’inscription que vous pouvez y voir, étaient sur la table à côté de ce curieux instrument formé d’un manche et d’une masse en pierre. Comment tout ceci s’applique-t-il à votre théorie?

– Chaque détail s’en trouve confirmé au contraire! répliqua le gros détective pompeusement. La maison est pleine de curiosités des Indes. Thaddeus a pu apporter cet instrument qui, utiliser à des fins meurtrières cet éclat de bois, si celui-ci s’avère empoisonné. La carte est un truc, une fausse piste, probablement. La seule question est: comment est-il parti? Ah! évidemment! Il y a un trou dans le plafond.»

Il bondit sur l’escabeau, avec une vitesse surprenante pour un homme aussi corpulent et il se fraya un chemin à travers l’ouverture. Puis, nous l’entendîmes annoncer triomphalement qu’il avait trouvé la tabatière.

«Il peut découvrir quelque chose, remarqua Holmes, en haussant les épaules. Il a parfois des lueurs d’intelligence. Il n’y a pas de sots si incommodes que ceux qui ont de l’esprit!

– Vous voyez! dit Jones en redescendant les marches de l’escabeau. Les faits valent mieux que les théories après tout. Mon opinion sur l’affaire se confirme. Il y a une tabatière qui est même entrouverte.

– C’est moi qui l’ai ouverte.

– Tiens! Vous l’aviez donc remarquée? dit-il en baissant sa voix d’un ton. Quoi qu’il en soit, cela nous montre comment notre monsieur est sorti de la pièce. Inspecteur!

– Oui, monsieur, dit une voix dans le couloir.

– Demandez à M. Sholto de venir. Monsieur Sholto, mon devoir me commande de vous informer que tout ce que vous direz pourra se retourner contre vous. Au nom de la reine, je vous arrête, comme étant impliqué dans le meurtre de votre frère.

– Eh bien voilà! Est-ce que je ne vous l’avais pas dit? s’écria à notre adresse le pauvre homme en levant les bras.

– Ne vous inquiétez pas, monsieur Sholto! dit Holmes. Je vous promets d’apporter la preuve de votre innocence.

– Ne faites pas trop de promesses, monsieur le théoricien! coupa le détective officiel d’un ton cassant. Ne promettez pas trop! Vous pourriez éprouver plus de difficultés que vous ne le pensez à tenir vos engagements.

– Non seulement je le laverai de tout soupçon, monsieur Jones, mais je vais, dès à présent, vous faire un cadeau: le nom et la description de l’une des deux personnes qui pénétrèrent ici la nuit dernière. J’ai toutes raisons de croire qu’il s’appelle Jonathan Small. C’est un homme peu instruit, petit, agile et qui a perdu sa jambe droite; il porte un pilon de bois dont le côté intérieur est usé. Sa botte gauche possède une semelle épaisse et carrée avec un fer au talon. C’est un ancien condamné d’âge moyen, à la peau très brunie. Ces quelques indications vous aideront peut-être. J’ajouterai encore que la paume de ses mains est ensanglantée. Quant à l’autre homme…

– Ah! l’autre homme?» demanda Jones en ricanant.

Il était néanmoins visible que les manières précises de Holmes l’avaient impressionné.

«C’est un être plutôt curieux! dit mon ami, en tournant les talons. J’espère pouvoir vous les présenter tous deux d’ici très peu de temps. J’ai un mot à vous dire, Watson.»

Il me conduisit vers l’escalier pour me chuchoter.

«Cet événement imprévu nous a plutôt fait perdre de vue la raison première de notre voyage.

– J’étais en train d’y penser, répondis-je. Il n’est pas bon que Mlle Morstan reste dans cette maison de malheur.

– Non. Vous allez la raccompagner. Elle vit chez Mme Cecil Forrester, dans le Lower Camberwell; ce n’est donc pas très loin. Je vous attendrai ici si vous voulez revenir. Mais peut-être serez-vous trop fatigué?

– Absolument pas. Je serais incapable de me reposer avant d’en savoir davantage sur cette affaire fantastique. Je connais déjà la vie sous un certain nombre de ses aspects, et non des plus tendres! Mais je vous jure que cette succession rapide de coups de théâtre m’a brisé les nerfs! Tout de même, j’aimerais bien aller avec vous jusqu’au bout, puisque je suis déjà si loin…

– Votre présence m’aidera beaucoup! répondit-il. Nous allons laisser ce Jones se satisfaire de toutes les vessies qu’il voudra prendre pour des lanternes, et travailler seuls. J’aimerais que vous alliez au n° 3, Pinchin Lane, à Lambeth, près du bord de l’eau, lorsque vous aurez reconduit Mlle Morstan. La troisième maison sur la droite est celle d’un empailleur d’oiseau. Il s’appelle Sherman. Vous verrez à la fenêtre une belette tenant un lapin. Donnez mon meilleur souvenir à ce vieux Sherman et dites-lui que j’ai besoin de Toby tout de suite. Vous le ramènerez avec vous dans la voiture.

– Un chien, j’imagine?

– Oui, un curieux bâtard doué d’un odorat étonnant. Je préférerais l’aide de Toby à celle de tout Scotland Yard.

– Bon. Je vous ramènerai Toby… Il est une heure du matin. Je devrais être de retour avant trois heures si je peux changer de cheval.

– Et moi, dit Holmes, je vais voir ce qu’il y a à tirer de mme Berstone et du serviteur hindou. Ce dernier dort dans la mansarde à côté, m’a dit M. Thaddeus. Puis j’étudierai les méthodes de Jones, le grand détective, en écoutant ses sarcasmes peu subtils. "Wir sind gewohnt dass die Menschen verhôhnen was sie nicht verstehen" («On se moque toujours de ce que l’on ne comprend pas.» N. D. T.) Goethe est décidément toujours plein de sève.»

Chapitre VII L’épisode du tonneau

La police avait amené une voiture; je la pris pour ramener Mlle Morstan chez elle.

Selon la manière angélique des femmes, elle avait tout supporté aussi longtemps qu’il lui avait fallu réconforter quelqu’un de plus faible qu’elle. Je l’avais trouvée placide et souriante aux côtés de la femme de charge qui n’était pas revenue de ses frayeurs. Mais dans la voiture, elle défaillit et fondit en larmes, tant les aventures de cette nuit l’avaient ébranlée. Elle m’a dit depuis qu’elle m’avait trouvé froid et distant pendant ce voyage… Quel combat, pourtant, se livrait dans mon cœur! Et quels efforts dus-je faire pour me contenir! Mon amour et mon amitié s’élançaient vers elle, tout comme dans le jardin ma main avait cherché la sienne. Des années d’une vie conventionnelle ne m’auraient pas mieux révélé sa nature douce et courageuse que ces quelques heures étranges. Cependant, les mots affectueux ne passaient pas ma bouche; deux pensées la scellaient. D’abord, elle était faible, sans défense, avec l’esprit désemparé: serait-il correct d’imposer à un tel moment mon amour? Par ailleurs, elle était riche! Si les recherches de Holmes aboutissaient, elle deviendrait une héritière enviée; était-il juste, était-il honorable, qu’un chirurgien en demi-solde tirât un tel avantage d’une intimité dont le hasard était seul responsable? Ne pourrait-elle me prendre alors pour un vulgaire aventurier? Qu’une telle idée pût lui traverser l’esprit m’était intolérable. Entre nous se dressait le trésor d’Agra, obstacle insurmontable.

Il était près de deux heures quand nous arrivâmes chez Mme Forrester. Les domestiques avaient depuis longtemps quitté leur service, mais le message reçu par Mlle Morstan avait tant intrigué Mme Forrester, qu’elle avait veillé. Elle nous ouvrit la porte elle-même. C’était une femme gracieuse, d’un certain âge; elle accueillit la jeune fille d’une voix maternelle et passa tendrement son bras autour de sa taille. Je pris plaisir à constater qu’elle n’était pas une simple gouvernante salariée, mais une amie estimée. Je fus présenté, et aussitôt Mme Forrester me pria d’entrer et de lui raconter nos aventures. Mais je lui expliquai l’importance de ma mission et promis avec sincérité de venir les instruire des progrès que nous pourrions faire. Tandis que la voiture s’éloignait, je me retournai vers elles. Il me semble encore voir leur petit groupe sous le porche, les deux gracieuses silhouettes enlacées, la porte entrouverte, la lumière de l’entrée brillant à travers la vitre de couleurs, le baromètre et la rampe d’escalier luisante. Cette image, même fugitive, d’un tranquille intérieur anglais était un entracte reposant dans cette sombre affaire.

Plus j’y réfléchissais d’ailleurs, plus elle me paraissait compliquée. Je repassai en revue les événements dans leur ordre chronologique. Pour ce qui était du problème original, il était maintenant clair. La mort du capitaine Morstan, l’envoi des perles, l’annonce dans le journal, la lettre, autant de détails débrouillés. Mais nous n’en avions pas moins été conduits vers un mystère encore plus profond et beaucoup plus tragique. Ce trésor des Indes, la curieuse carte trouvée dans les bagages du capitaine, l’apparition au moment de la mort du major Sholto, la redécouverte du trésor, et celle-ci immédiatement suivie du meurtre de son auteur, les circonstances fort singulières entourant le crime, les marques de pas, l’arme inusitée, les mots sur la feuille de papier qui correspondaient avec la carte du capitaine, il y avait de quoi donner sa langue au chat pour tout homme moins doué que Sherlock Holmes.

Pinchin Lane était un alignement de douteuses maisons de brique à deux étages, dans le bas quartier de Lambeth. Il me fallut frapper assez longtemps au n° 3 pour obtenir un résultat. La lueur d’une bougie filtra enfin derrière le volet et un visage regarda par la fenêtre supérieure.

«Allons, du vent, poivrot! gronda une voix. Si tu n’arrêtes pas ton tapage, je lâche mes quarante-trois chiens à tes trousses!

– C’est exactement ce que je suis venu chercher. Si vous vouliez en laisser sortir un…

– Va te faire voir ailleurs! répondit la voix. J’ai là un bon morceau de fonte. Du diable si je ne te l’envoie pas sur la tête.

– Mais il me faut un chien! criai-je.

– Pas de discussion! hurla M. Sherman. Du balai, maintenant! Je compte jusqu’à trois et je balance ma fonte…

– M. Sherlock Holmes…» Commençai-je.

Le nom eut un effet magique. La fenêtre se referma instantanément, la porte fut déverrouillée et ouverte dans la minute qui suivit. Monsieur Sherman était un long vieillard efflanqué aux épaules tombantes, au cou noueux; il portait des lunettes teintées de bleu.

«Les amis de M. Sherlock Holmes sont toujours les bienvenus! prononça-t-il. Entrez donc, monsieur! Ne vous approchez pas du blaireau: il mord. Ah! méchante, méchante! Tu voudrais attraper le monsieur, hein?»

Cette dernière phrase s’adressait à une hermine passant sa tête avide et ses yeux rouges à travers les barreaux de sa cage.

«Ne vous occupez pas de celui-là! continua-t-il. C’est seulement un lézard. Il n’a pas de crocs; je le laisse en liberté, car il chasse les scarabées. Il ne faut pas m’en vouloir si je ne vous ai pas trop bien reçu tout à l’heure: je suis un peu la tête de turc des gamins, et ils viennent souvent m’embêter. Que désire M. Sherlock Holmes?

– Un de vos chiens.

– Toby, je parie?

– Oui, c’est bien Toby.

– Il habite au n° 7, ici à gauche.»

Élevant sa bougie, il avança lentement parmi la curieuse faune animale qu’il avait rassemblée autour de lui. À la lueur incertaine et dansante de la flamme, je vis, sortant de chaque fente ou recoin, des yeux vifs qui nous regardaient. Même les poutres au-dessus de nos têtes étaient parées de volailles d’allure solennelle qui, dérangées dans leur sommeil, changeaient paresseusement de position d’une patte sur l’autre.

Toby était vraiment laid! Il avait les oreilles pendantes, le poil long, et il marchait avec un dandinement très disgracieux; moitié épagneul, moitié berger, il avait le poil blanc et roux. Il accepta, avec quelque hésitation, le morceau de sucre que le vieux naturaliste m’avait remis; puis, ayant ainsi conclu un pacte, il me suivit jusqu’à la voiture et ne fit pas de difficulté pour m’accompagner. L’horloge du Palais sonnait trois heures lorsque je me retrouvai à nouveau à Pondichery Lodge. J’appris que l’ancien champion de boxe McMurdo avait été arrêté pour complicité, et que M. Sholto et lui avaient été conduits au commissariat. Deux agents gardaient l’étroite entrée, mais ils me laissèrent passer avec le chien lorsque je mentionnai le nom du détective.

Назад Дальше