Contes merveilleux, Tome II - Andersen Hans Christian 19 стр.


Le stoique soldat de plomb

Il y avait une fois vingt cinq soldats de plomb, tous freres, tous nes d'une vieille cuiller de plomb: l'arme au bras, la tete droite, leur uniforme rouge et bleu n'etait pas mal du tout.

La premiere parole qu'ils entendirent en ce monde, lorsqu'on souleva le couvercle de la boite fut: des soldats de plomb! Et c'est un petit garcon qui poussa ce cri en tapant des mains. Il les avait recus en cadeau pour son anniversaire et tout de suite il les aligna sur la table.

Les soldats se ressemblaient exactement, un seul etait un peu different, il n'avait qu'une jambe, ayant ete fondu le dernier quand il ne restait plus assez de plomb. Il se tenait cependant sur son unique jambe aussi fermement que les autres et c'est a lui, justement, qu'arriva cette singuliere histoire.

Sur la table ou l'enfant les avait alignes, il y avait beaucoup d'autres jouets, dont un joli chateau de carton qui frappait tout de suite le regard. A travers les petites fenetres on pouvait voir jusque dans l'interieur du salon. Au-dehors, de petits arbres entouraient un petit miroir figurant un lac sur lequel voguaient et se miraient des cygnes de cire. Tout l'ensemble etait bien joli, mais le plus ravissant etait une petite demoiselle debout sous le portail ouvert du chateau. Elle etait egalement decoupee dans du papier, mais portait une large jupe de fine batiste tres claire, un etroit ruban bleu autour de ses epaules en guise d'echarpe sur laquelle scintillait une paillette aussi grande que tout son visage. La petite demoiselle tenait les deux bras leves, car c'etait une danseuse, et elle levait aussi une jambe en l'air, si haut, que notre soldat ne la voyait meme pas. Il crut que la petite danseuse n'avait qu'une jambe, comme lui-meme.

«Voila une femme pour moi, pensa-t-il, mais elle est de haute condition, elle habite un chateau, et moi je n'ai qu'une boite dans laquelle nous sommes vingt-cinq, ce n'est guere un endroit digne d'elle. Cependant, tachons de lier connaissance.»

Il s'etendit de tout son long derriere une tabatiere qui se trouvait sur la table; de la, il pouvait admirer a son aise l'exquise petite demoiselle qui continuait a se tenir debout sur une jambe sans perdre l'equilibre.

Lorsque la soiree s'avanca, tous les autres soldats reintegrerent leur boite et les gens de la maison allerent se coucher. Alors les jouets se mirent a jouer a la visite, a la guerre, au bal.

Les soldats de plomb s'entrechoquaient bruyamment dans la boite, ils voulaient etre de la fete, mais n'arrivaient pas a soulever le couvercle. Le casse-noisettes faisait des culbutes et la craie batifolait sur l'ardoise. Au milieu de ce tapage, le canari s'eveilla et se mit a gazouiller et cela en vers, s'il vous plait. Les deux seuls a ne pas bouger de leur place etaient le soldat de plomb et la petite danseuse, elle toujours droite sur la pointe des pieds, les deux bras leves; lui, bien ferme sur sa jambe unique. Pas un instant il ne la quittait des yeux. L'horloge sonna minuit. Alors, clac! le couvercle de la tabatiere sauta, il n'y avait pas le moindre brin de tabac dedans (c'etait une attrape), mais seulement un petit diable noir.

– Soldat de plomb, dit le diablotin, veux-tu bien mettre tes yeux dans ta poche? Mais le soldat de plomb fit semblant de ne pas entendre.

– Attends voir seulement jusqu'a demain, dit le diablotin.

Le lendemain matin, quand les enfants se leverent, le soldat fut place sur la fenetre. Tout a coup-par le fait du petit diable ou par suite d'un courant d'air-, la fenetre s'ouvrit brusquement, le soldat piqua, tete la premiere, du troisieme etage. Quelle equipee! Il atterrit la jambe en l'air, tete en bas, sur sa casquette, la baionnette fichee entre les paves.

La servante et le petit garcon descendirent aussitot pour le chercher. Ils marchaient presque dessus, mais ne le voyaient pas. Bien sur! Si le soldat de plomb avait crie: «Je suis la», ils l'auraient decouvert. Mais lui ne trouvait pas convenable de crier tres haut puisqu'il etait en uniforme.

La pluie se mit a tomber de plus en plus fort, une vraie trombe! Quand elle fut passee, deux gamins des rues arriverent.

– Dis donc, dit l'un d'eux, voila un soldat de plomb, on va lui faire faire un voyage. D'un journal, ils confectionnerent un bateau, placerent le soldat au beau milieu, et le voila descendant le ruisseau, les deux garcons courant a cote et battant des mains. Dieu! Quelles vagues dans ce ruisseau! Et quel courant! Bien sur, il avait plu a verse! Le bateau de papier montait et descendait et tournoyait sur lui-meme a faire trembler le soldat de plomb, mais il demeurait stoique, sans broncher, et regardait droit devant lui, l'arme au bras.

Soudain le bateau entra sous une large planche couvrant le ruisseau. Il y faisait aussi sombre que s'il avait ete dans sa boite.

«Ou cela va-t-il me mener? pensa-t-il. C'est surement la faute du diable de la boite. Helas! Si la petite demoiselle etait seulement assise a cote de moi dans le bateau, j'accepterais bien qu'il y fit deux fois plus sombre.»

A ce moment surgit un gros rat d'egout qui habitait sous la planche.

– Passeport! cria-t-il, montre ton passeport, vite!

Le soldat de plomb demeura muet, il serra seulement un peu plus fort son fusil. Le bateau continuait sa course et le rat lui courait apres en grincant des dents et il criait aux epingles et aux brins de paille en derive.

– Arretez-le, arretez-le, il n'a pas paye de douane, ni montre son passeport!

Mais le courant devenait de plus en plus fort. Deja, le soldat de plomb apercevait la clarte du jour la ou s'arretait la planche, mais il entendait aussi un grondement dont meme un brave pouvait s'effrayer. Le ruisseau, au bout de la planche, se jetait droit dans un grand canal. C'etait pour lui aussi dangereux que pour nous de descendre en bateau une longue chute d'eau.

Il en etait maintenant si pres que rien ne pouvait l'arreter. Le bateau fut projete en avant, le pauvre soldat de plomb se tenait aussi raide qu'il le pouvait, personne ne pourrait plus tard lui reprocher d'avoir seulement cligne des yeux. L'esquif tournoya deux ou trois fois, s'emplit d'eau jusqu'au bord, il allait sombrer. Le soldat avait de l'eau jusqu'au cou et le bateau s'enfoncait toujours davantage, le papier s'amollissait de plus en plus, l'eau passa bientot par-dessus la tete du navigateur. Alors, il pensa a la ravissante petite danseuse qu'il ne reverrait plus jamais, et a ses oreilles tinta la chanson:

Tu es en grand danger, guerrier!

Tu vas souffrir la malemort!

Le papier se dechira, le soldat passa au travers… mais, au meme instant, un gros poisson l'avala.

Non! Ce qu'il faisait sombre la-dedans! Encore plus que sous la planche du ruisseau, et il etait bien a l'etroit, notre soldat, mais toujours stoique il resta couche de tout son long, l'arme au bras.

Le poisson s'agitait, des secousses effroyables le secouaient. Enfin, il demeura parfaitement tranquille, un eclair sembla le traverser. Puis, la lumiere l'inonda d'un seul coup et quelqu'un cria:

«Un soldat de plomb!»

Le poisson avait ete peche, apporte au marche, vendu, monte a la cuisine ou la servante l'avait ouvert avec un grand couteau. Elle saisit entre deux doigts le soldat par le milieu du corps et le porta au salon ou tout le monde voulait voir un homme aussi remarquable, qui avait voyage dans le ventre d'un poisson, mais lui n'etait pas fier. On le posa sur la table…

Comme le monde est petit!… Il se retrouvait dans le meme salon ou il avait ete primitivement, il revoyait les memes enfants, les memes jouets sur la table, le chateau avec l'exquise petite danseuse toujours debout sur une jambe et l'autre dressee en l'air; elle aussi etait stoique.

Le soldat en etait tout emu, il allait presque pleurer des larmes de plomb, mais cela ne se faisait pas… il la regardait et elle le regardait, mais ils ne dirent rien. Soudain, un des petits garcons prit le soldat et le jeta dans le poele sans aucun motif, surement encore sous l'influence du diable de la tabatiere. Le soldat de plomb tout ebloui sentait en lui une chaleur effroyable. Etait-ce le feu ou son grand amour? Il n'avait plus ses belles couleurs, etait-ce le voyage ou le chagrin? Il regardait la petite demoiselle et elle le regardait, il se sentait fondre, mais stoique, il restait debout, l'arme au bras. Alors, la porte s'ouvrit, le vent saisit la danseuse et, telle une sylphide, elle s'envola directement dans le poele pres du soldat. Elle s'enflamma… et disparut. Alors, le soldat fondit, se reduisit en un petit tas, et lorsque la servante, le lendemain, vida les cendres, elle y trouva comme un petit coeur de plomb. De la danseuse, il ne restait rien que la paillette, toute noircie par le feu, noire comme du charbon.

La tirelire

Il y avait une quantite de jouets dans la chambre d'enfants. Tout en haut de l'armoire tronait la tirelire sous la forme d'un cochon en terre cuite; il avait naturellement une fente dans le dos, et cette fente avait ete elargie a l'aide d'un couteau pour pouvoir y glisser aussi de grosses pieces. On en avait deja glisse deux dedans, en plus de nombreuses menues monnaies.

Le cochon etait si bourre que l'argent ne pouvait plus tinter dans son ventre et c'est bien le maximum de ce que peut esperer un cochon-tirelire. Il se tenait tout en haut de l'armoire et regardait les jouets en bas, dans la chambre; il savait bien qu'avec ce qu'il avait dans le ventre il aurait pu les acheter tous et cela lui donnait quelque orgueil.

Les autres le savaient aussi meme s'ils n'en parlaient pas, ils avaient d'autres sujets de conversation. Le tiroir de la commode etait entrouvert et une poupee un peu vieille et le cou raccommode regardait au-dehors. Elle dit:

– Je propose de jouer aux grandes personnes, ce sera une occupation!

Alors, il y eut tout un remue-menage, les tableaux eux-memes se retournerent contre le mur ils savaient pourtant qu'ils avaient un envers-mais ce n'etait pas pour protester.

On etait au milieu de la nuit; la lune, dont les rayons entraient par la fenetre, offrait un eclairage gratuit. Le jeu allait commencer et tous etaient invites, meme la voiture de poupee bien qu'elle appartint aux jouets dits vulgaires.

Chacun est utile a sa maniere, disait-elle; tout le monde ne peut pas appartenir a la noblesse, il faut bien qu'il y en ait qui travaillent.

Le cochon-tirelire seul recut une invitation ecrite. On craignait que, place si haut, il ne put entendre une invitation orale. Il se jugea trop important pour donner une reponse et ne vint pas. S'il voulait prendre part au jeu, ce serait de la-haut, chez lui; les autres s'arrangeraient en consequence. C'est ce qu'ils firent.

Le petit theatre de marionnettes fut monte de sorte qu'il put le voir juste de face. Il devait y avoir d'abord une comedie, puis le the, ensuite des exercices intellectuels. Mais c'est par ceux-ci qu'on commenca tout de suite.

Le cheval a bascule parla d'entrainement et de pur-sang, la voiture de poupee de chemins de fer et de traction a vapeur: cela se rapportait toujours a leur specialite. La pendule parla politique-tic, tac-elle savait quelle heure elle avait sonne, mais les mauvaises langues disaient qu'elle ne marchait pas bien.

La canne se tenait droite, fiere de son pied ferre et de son pommeau d'argent; sur le sofa s'etalaient deux coussins brodes, ravissants mais stupides. La comedie pouvait commencer.

Tous etaient assis et regardaient. On les pria d'applaudir, de claquer ou de gronder suivant qu'ils seraient satisfaits ou non. La cravache declara qu'elle ne claquait jamais pour les vieux, mais seulement pour les jeunes non encore fiances.

– Moi, j'eclate pour tout le monde, dit le petard.

– Etre la ou ailleurs… declarait le crachoir. Et c'etait bien l'opinion de tous sur cette idee de jouer la comedie.

La piece ne valait rien, mais elle etait bien jouee. Les acteurs presentaient toujours au public leur cote peint, ils etaient faits pour etre vue de face, pas de dos. Tous jouaient admirablement, tout a fait en avant et meme hors du theatre, car leurs fils etaient trop longs, mais ils n'en etaient que plus remarquables.

La poupee raccommodee etait si emue qu'elle se decolla et le cochon-tirelire, bouleverse a sa facon, decida de faire quelque chose pour l'un des acteurs, par exemple: le mettre sur son testament pour qu'il soit couche pres de lui dans un monument funeraire quand le moment serait venu.

Tous etaient enchantes, de sorte qu'on renonca au the et on s'en tint a l'intellectualite. On appelait cela jouer aux grandes personnes et c'etait sans mechancete puisque ce n'etait qu'un jeu. Chacun ne pensait qu'a soi-meme et aussi a ce que pensait le cochon-tirelire et lui pensait plus loin que les autres: a son testament et a son enterrement. Quand en viendrait l'heure? Toujours plus tot qu'on ne s'y attend…

Patatras! Le voila tombe de l'armoire. Le voila gisant par terre en mille morceaux; les pieces dansent et sautent a travers la piece, les plus petites ronflent, les plus grandes roulent, surtout le daler d'argent qui avait tant envie de voir le monde. Il y alla, bien sur; toutes les pieces y allerent, mais les restes du cochon allerent dans la poubelle.

Le lendemain, sur l'armoire, se tenait un nouveau cochon-tirelire en terre vernie.

Il ne contenait encore pas la moindre monnaie, et rien ne tintait en lui. En cela, il ressemblait a son predecesseur. Il n'etait qu'un commencement et, pour nous, ce sera la fin du conte.

La vieille maison

Au beau milieu de la rue se trouvait une antique maison, elle avait plus de trois cents ans: c'est la ce qu'on pouvait lire sur la grande poutre, ou au milieu de tulipes et de guirlandes de houblon etait gravee l'annee de la construction. Et on y lisait encore des versets tires de la Bible et des bons auteurs profanes; au-dessus de chaque fenetre etaient sculptees des figures qui faisaient toute espece de grimaces. Chacun des etages avancait sur celui d'en dessous; le long du toit courait une gouttiere, ornee de gros dragons, dont la gueule devait cracher l'eau des pluies; mais elle sortait aujourd'hui par le ventre de la bete; par suite des ans, il s'etait fait des trous dans la gouttiere.

Toutes les autres maisons de la rue etaient neuves et belles a la mode regnante; les carreaux de vitre etaient grands et toujours bien propres; les murailles etaient lisses comme du marbre poli. Ces maisons se tenaient bien droites sur leurs fondations, et l'on voyait bien a leur air qu'elles n'entendaient rien avoir de commun avec cette construction des siecles barbares.

«N'est-il pas temps, se disaient-elles, qu'on demolisse cette batisse surannee, dont l'aspect doit scandaliser tous les amateurs du beau? Voyez donc toutes ces moulures qui s'avancent et qui empechent que de nos fenetres on distingue ce qui se passe dans la baraque. Et l'escalier donc qui est aussi large que si c'etait un chateau! que d'espace perdu! Et cette rampe en fer forge, est-elle assez pretentieuse! Comme ceux qui s y appuient doivent avoir froid aux mains! Comme tout cela est sottement imagine!»

Dans une des maisons neuves, bien propres, d'un gout bien prosaique, celle qui etait juste en face, se tenait souvent a la fenetre un petit garcon aux joues fraiches et roses; ses yeux vifs brillaient d'intelligence. Lui, il aimait a contempler la vieille maison; elle lui plaisait beaucoup, qu'elle fut eclairee par le soleil ou par la lune. Il pouvait rester des heures a la considerer, et alors il se representait les temps ou, comme il l'avait vu sur une vieille gravure, toutes les maisons de la rue etaient construites dans ce meme style, avec des fenetres en ogive, des toits pointus, un grand escalier menant a la porte d'entree, des dragons et autres terribles gargouilles tout autour des gouttieres; et, au milieu de la rue, passaient des archers, des soldats en cuirasse, armes de hallebardes.

C'etait vraiment une maison qu'on pouvait contempler pendant des heures. Il y demeurait un vieillard qui portait des culottes de peau et un habit a grands boutons de metal, tout a fait a l'ancienne mode; il avait aussi une perruque, mais une perruque qui paraissait bien etre une perruque, et qui ne servait pas a simuler habilement de vrais cheveux. Tous les matins, un vieux domestique venait, nettoyait, faisait le menage et les commissions, puis s'en allait.

Le vieillard a culottes de peau habitait tout seul la vieille maison. Parfois il s'approchait de la fenetre; un jour, le petit garcon lui fit un gentil signe de tete en forme de salut; le vieillard fit de meme; le lendemain ils se dirent de nouveau bonjour, et bientot ils furent une paire d'amis, sans avoir jamais echange une parole.

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