Elle prit une verge et frappa les pierres: aussitot revinrent a la vie non seulement le frere et ses animaux, mais une foule d’autres personnes encore, tels que marchands, ouvriers, patres, qui lui rendirent grace de leur delivrance et retournerent chez eux. Quant aux freres jumeaux, des qu’ils se revirent, ils se precipiterent dans les bras l’un de l’autre. Puis ils saisirent la sorciere, lui lierent les membres et la jeterent dans le feu: des qu’elle fut consumee, la foret sembla s’ouvrir d’elle-meme; elle devint claire et brillante, et on pouvait apercevoir le palais du roi a trois lieues de distance. Les deux freres reprirent ensemble la route du chateau, et tout en allant, ils se raconterent chacun leur histoire. Et lorsque le plus jeune eut dit qu’il devait un jour remplacer le roi sur le trone, l’autre reprit:
– Je m’en suis bien apercu, car lorsque j’arrivai dans la ville et qu’on m’eut prit pour toi, on me rendit tous les honneurs royaux, la jeune princesse me recut comme son epoux, et je dus m’asseoir a son cote a table et dormir dans ton lit.
La-dessus, ils continuerent leur route, et le jeune prince dit a son frere:
– Tu me ressembles de tout point, tu portes comme moi des vetements royaux et tes betes te suivent ainsi que font les miennes. Entrons dans la ville par les deux portes opposees et arrivons de deux cotes differents et en meme temps en presence du roi.
Ils se separerent donc et les factionnaires de l’une et de l’autre porte se presenterent au meme instant devant le vieux roi pour lui annoncer que le jeune prince arrivait de la chasse avec ses animaux. Le roi repondit:
– Cela n’est pas possible; les deux portes sont a une lieue de distance.
En ce moment les deux freres entraient de deux cotes differents dans la cour du palais. Ils en monterent les degres ensemble. Le roi dit a sa fille:
– Indique-moi quel est ton epoux; ces deux princes se ressemblent tellement que je ne puis les reconnaitre.
L’anxiete de la princesse etait grande, et elle ne savait que repondre, lorsqu’elle apercut le collier qu’elle avait donne aux animaux ainsi que le fermoir d’or que portait le lion de son epoux. Alors elle s’ecria avec joie:
– Celui-ci est mon veritable epoux.
Le jeune prince se mit a rire et dit:
– Oui, c’est le veritable.
Et ils prirent tous place a table, et s’abandonnerent a leur joie.
Le Diable et sa grand-mere
Il y avait une grande guerre en ces temps-la et le roi avait beaucoup de soldats a son service; mais il leur versait une si maigre solde que les soldats arrivaient a peine a en vivre. Trois des soldats, qui en avaient assez, se concerterent et deciderent de deserter. Le premier dit aux autres: «Si l'on nous prend, nous finirons sur l'echafaud. Comment donc allons-nous faire?» Le second repondit: «Voyez, la-bas, le champ de ble! Si nous nous y cachons, personne ne nous trouvera. L'armee ne restera pas ici; demain, les troupes doivent lever le camp.» Les trois soldats ramperent dans le champ de ble et s'y cacherent. Mais le lendemain, les troupes ne s'en allerent pas et les trois soldats durent rester caches durant deux jours et deux nuits. N'ayant rien a manger, etant presque morts de faim, ils se resolurent donc a sortir: «A quoi bon deserter, si c'est pour mourir miserablement?», se dirent-ils.
A ce moment, un dragon flamboyant surgit des cieux et se posa juste devant eux. Il leur demanda alors pourquoi ils restaient terres la. «Nous sommes trois soldats qui ont deserte parce que de notre solde nous ne vivons pas. Mais de faim nous allons mourir, si nous restons ici; ou sur l'echafaud nous allons perir, si nous quittons notre nid.» «Si vous devenez mes serviteurs pendant sept annees, dit le dragon, je vous transporterai au-dela des troupes, si bien que personne ne vous prendra». «Nous n'avons pas le choix, et devons accepter», se dirent les soldats. Le dragon les prit alors dans ses griffes, les transporta loin des troupes, et les deposa sur le sol.
Il donna a chacun un petit fouet et leur dit: «Frappez et claquez avec ce fouet, et tout l'or que vous souhaitez vous apparaitra. Vous pourrez mener la grande vie, posseder des chevaux et voyager en voiture. Mais lorsque les sept annees seront ecoulees, vous m'appartiendrez.» Le dragon n'etait nul autre que le diable et il leur presenta un livre dans lequel tous trois durent apposer leur signature. Puis il ajouta: «Toutefois, avant de vous emmener avec moi, je vous poserai une enigme; si vous pouvez la resoudre, alors vous serez libres et je n'aurai plus aucun droit sur vous.» Sur ce, le dragon s'envola et s'eloigna.
Les soldats firent claquer leur fouet et obtinrent de l'or en abondance. Ils se firent confectionner de beaux habits et allerent de par le monde. Partout ou ils allaient, ils vivaient dans le bonheur et dans la somptuosite. Ils se promenaient a cheval et en voiture, ils mangeaient et buvaient comme des rois, mais jamais ils ne firent quelque chose de mal. Le temps passait vite et, comme les sept annees etaient presque ecoulees, les deux premiers soldats devinrent anxieux et apeures. Mais le troisieme leur dit: «Mes freres, ne vous effrayez pas. Je trouverai la solution de l'enigme.» Puis, ils retournerent dans le champ de ble et s'y assirent. Les deux premiers soldats avaient toujours leur triste mine.
Une vieille femme, qui vint a passer, leur demanda ce qui les rendait si triste. «A ce qui nous arrive, vous ne pouvez rien y faire.» «Qui sait, repondit la vieille femme, confiez-moi toujours vos soucis.» Ils lui raconterent alors que, presque sept ans plus tot, le diable avait fait d'eux ses serviteurs, qu'il leur avait donne le pouvoir de creer autant d'or qu'ils le voulaient et que si, a la fin de la septieme annee, ils ne repondaient pas a l'enigme qui leur serait posee, le diable les emporterait avec lui en enfer. La vieille femme leur dit: «Si vous voulez obtenir de l'aide, alors l'un de vous devra aller dans la foret. La, il trouvera un amas de roches qui ressemble a une petite maison et il y entrera.»
Les deux soldats qui etaient tristes se dirent: «Cela ne nous sauvera pas!»; et ils resterent assis. Mais le troisieme, celui qui etait gai, se leva et alla tres loin dans la foret, jusqu'a ce qu'il trouve la petite maison de pierres. Dans la maisonnette, une tres vieille dame etait assise: c'etait la grand-mere du diable. Celle-ci demanda au soldat d'ou il venait et ce qu'il voulait. Il lui raconta tout ce qui etait arrive, si bien que la vielle dame eut pitie et decida de l'aider. Elle souleva une grosse pierre qui bouchait l'entree d'une cave, et dit: «Cache-toi la, et tu pourras entendre ce qui se dira. Reste assis, soit tranquille, et ne bouge pas; lorsque le dragon viendra, je le ferai parler et il me donnera la solution de l'enigme: a moi, il me dit tout. Soit alerte, ecoute bien tout ce qu'il racontera.»
A minuit, le dragon arriva et demanda son repas. Afin de le contenter, sa grand-mere dressa la table, apporta des victuailles et mangea en sa compagnie. Au cours de la conversation, elle lui demanda comment s'etait passee sa journee et de combien d'ames il s'etait empare. «Aujourd'hui, je n'ai eu guere de succes, repondit-il, mais demain, je dois m'emparer de l'ame de trois soldats.» «Oui!, repondit-elle, trois soldats qui peuvent sans doute encore t'echapper.» Le diable s'exclama d'un rire moqueur: «Ils seront a moi! Je leur ai propose une enigme a laquelle ils ne pourront jamais repondre!» «Et qu'elle est donc cette enigme?», demanda la grand-mere. «Je vais te le dire: dans la grande Mer du Nord, se trouve un poisson mort dont sera fait leur repas; dans une cote de baleine sera taillee leur cuillere; et un sabot de vieux cheval leur servira en guise de coupe.»
Lorsque le diable fut au lit et qu'il se fut endormi, la grand-mere souleva la grosse roche et laissa sortir le soldat. «As-tu bien fait attention a tout ce qui s'est dit?», demanda la vieille dame. «Oui, repondit le soldat, je sais ce qu'il faut savoir, et cela m'aidera beaucoup.» La-dessus, il sortit par la fenetre et s'empressa de retourner aupres de ses compagnons. Il leur expliqua comment le diable s'etait laisse posseder par sa propre grand-mere, et comment il avait finalement obtenu la solution de l'enigme. Les soldats furent tellement transportes de joie, qu'ils prirent chacun leur fouet, frapperent et claquerent tant et si bien que le sol fut tout recouvert d'or.
Quand les sept annees furent completement ecoulees, le diable se presenta avec son livre; il leur montra les signatures et leur dit: «Je vais vous emmener en enfer, et la, un repas vous sera servi. Celui qui saura me dire ce que vous recevrez comme repas, celui-la sera libre; il pourra partir et conserver son fouet.» Le premier soldat dit alors: «Dans la grande Mer du Nord, se trouve un poisson mort dont sera fait notre repas.» Voyant que le soldat avait su repondre, le diable se facha et grogna, puis il dit: «Celui qui saura me dire dans quoi seront taillees vos cuilleres, celui-la sera libre; il pourra partir et conserver son fouet.» Le second soldat repondit alors: «Dans une cote de baleine seront taillees nos cuilleres.» Le diable grimaca, grogna de nouveau, puis demanda au troisieme: «Et toi, sais-tu ce qui te servira en guise de coupe?» Le troisieme soldat repondit: «Un sabot de vieux cheval me servira en guise de coupe.» Le diable, qui n'avait desormais plus aucun pouvoir sur eux, s'envola en poussant un grand hurlement de colere.
Grace a leur fouet, les trois soldats purent frapper et claquer, et obtenir tout l'or qu'ils desiraient Et c'est ainsi qu'ils vecurent heureux jusqu'a leur dernier jour.
Les Douze freres
Il y avait une fois un roi et une reine qui vivaient ensemble en bonne intelligence. Ils avaient douze enfants, mais c'etaient douze garcons. Un jour le roi dit a la reine:
– Si le treizieme enfant que tu me promets est une fille, les douze garcons devront mourir, afin que l'heritage de leur s?ur soit considerable, et que le royaume tout entier lui appartienne.
Il fit donc construire douze cercueils qu'on remplit de copeaux; puis le roi les fit transporter dans un cabinet bien ferme, dont il donna la clef a la reine, en lui recommandant de n'en rien dire a personne.
Cependant, la mere etait en proie a un violent chagrin. Le plus jeune de ses fils, a qui elle avait donne le nom de Benjamin, s'apercut de sa peine et lui dit:
– Ma bonne mere, pourquoi es-tu si triste?
– Cher enfant, lui repondit-elle, je ne dois pas te le dire.
Mais l'enfant ne lui laissa point de repos, qu'elle ne l'eut conduit au cabinet mysterieux, et qu'elle ne lui eut montre les douze cercueils remplis de copeaux:
– Mon bien-aime Benjamin, lui dit-elle, ton pere a fait construire ces cercueil pour tes onze freres et pour toi, car si je mets au monde une petite fille, vous devez tous mourir et etre ensevelis la.
Et comme elle pleurait, l'enfant chercha a la consoler en lui disant:
– Ne pleure pas, nous saurons bien eviter la mort. La reine reprit:
– Va dans la foret avec tes onze freres, et que l'un de vous se tienne sans cesse en sentinelle sur la cime de l'arbre le plus eleve, les yeux tournes vers la tour du chateau. J'aurai soin d'y arborer un drapeau blanc si je mets au monde un garcon, et alors vous pourrez revenir sans danger; si au contraire je deviens mere d'une fille, j'y planterai un drapeau rouge comme du sang; alors hatez-vous de fuir bien loin, et que le bon Dieu vous protege.
Lorsque la reine eut donne sa benediction a ses fils, ceux-ci se rendirent dans la foret. Chacun d'eux eut son tour de faire sentinelle pour la surete des autres, en grimpant au haut du chene le plus eleve, et en tenant, de la, ses yeux fixes vers la tour. Quand onze jours furent passes, et que ce fut a Benjamin de veiller, il vit qu'un drapeau avait ete arbore, mais c'etait un drapeau rouge comme du sang, ce qui prouvait trop qu'ils devaient tous mourir. Lorsqu'il eut annonce la nouvelle a ses freres, ceux-ci s'indignerent et dirent:
– Sera-t-il dit que nous aurons du subir la mort pour une fille? Faisons serment de nous venger! Partout ou nous trouverons une jeune fille, son sang devra couler. Cela dit, ils allerent tous ensemble au fond de la foret, et a l'endroit le plus epais, ils trouverent une petite cabane miserable et deserte. Alors ils dirent:
– C'est ici que nous voulons fixer notre demeure et toi, Benjamin, comme tu es le plus jeune et le plus faible, tu resteras au logis et te chargeras du menage nous autres, nous irons a la chasse afin de nous procurer de la nourriture.
Ils allerent donc dans la foret, et tuerent des lievres, des chevreuils sauvages, des oiseaux et des pigeons; puis ils les rapporterent a Benjamin qui dut les preparer et les faire cuire pour apaiser la faim commune. C'est ainsi qu'ils vecurent pendant dix annees dans la foret; et ce temps leur parut court. Cependant la jeune fille que la mere avait mise au monde etait devenue grande sa beaute etait remarquable, et elle avait sur le front une etoile d'or. Un jour que se faisait la grande lessive, elle remarqua parmi le linge douze chemises d'homme, et demanda a sa mere:
– A qui appartiennent ces douze chemises, car elles sont beaucoup trop petites pour mon pere?
La reine lui repondit avec un soupir:
– Chere enfant, elles appartiennent a tes douze freres.
La jeune fille reprit:
– Ou sont donc mes douze freres? je n'en ai jamais entendu parler.
La reine repondit:
– Ou ils sont! Dieu le sait: ils sont errants par le monde.
Alors, entrainant avec elle la jeune fille, elle ouvrit la chambre mysterieuse, et lui montra les douze cercueils, avec leurs copeaux et leurs coussins funebres.
– Ces cercueils, lui dit-elle, etaient destines a tes freres; mais ils se sont echappes de la maison avant ta naissance.
Et elle lui raconta tout ce qui s'etait passe. Alors la jeune fille lui dit:
– Ne pleure pas, chere mere, je veux aller a la recherche de mes freres.
Elle prit donc les douze chemises, et se dirigea juste au milieu de la foret. Elle marcha tout le jour, et arriva vers le soir a la pauvre cabane. Elle y entra et trouva un jeune garcon, qui lui dit:
– D'ou venez-vous, et ou allez-vous?
A quoi elle repondit:
– Je suis la fille d'un roi, je cherche mes douze freres et je veux aller jusqu'a ce que je les trouve.
Et elle lui montra les douze chemises qui leur appartenaient. Benjamin vit bien alors que la jeune fille etait sa s?ur; il lui dit: