Contes Merveilleux Tome I - Grimm Jakob et Wilhelm 6 стр.


Le Conte du genevrier

Il y a de cela bien longtemps, au moins deux mille ans, vivait un homme riche qui avait une femme de grande beaute, honnete et pieuse; ils s’aimaient tous les deux d’un grand amour, mais ils n’avaient pas d’enfant et ils en desiraient tellement, et la femme priait beaucoup, beaucoup, nuit et jour pour avoir un enfant; mais elle n’arrivait pas, non, elle n’arrivait pas a en avoir.

Devant leur maison s’ouvrait une cour ou se dressait un beau genevrier, et une fois, en hiver, la femme etait sous le genevrier et se pelait une pomme; son couteau glissa et elle se coupa le doigt assez profondement pour que le sang fit quelques taches dans la neige. La femme regarda le sang devant elle, dans la neige, et soupira tres fort en se disant, dans sa tristesse: «Oh! si j’avais un enfant, si seulement j’avais un enfant vermeil comme le sang et blanc comme la neige!» Des qu’elle eut dit ces mots, elle se sentit soudain toute legere et toute gaie avec le sentiment que son v?u serait realise. Elle rentra dans la maison et un mois passa: la neige disparut; un deuxieme mois, et tout avait reverdi; un troisieme mois, et la terre se couvrit de fleurs; un quatrieme mois, et dans la foret, les arbres etaient tout epais et leurs branches vertes s’entrecroisaient sans presque laisser de jour: les oiseaux chantaient en foule et tout le bois retentissait de leur chant, les arbres perdaient leurs fleurs qui tombaient sur le sol; le cinquieme mois passe, elle etait un jour sous le genevrier et cela sentait si bon que son c?ur deborda de joie et qu’elle en tomba a genoux, tant elle se sentait heureuse; puis le sixieme mois s’ecoula, et les fruits se gonflerent, gros et forts, et la femme devint toute silencieuse; le septieme mois passe, elle cueillit les baies du genevrier et les mangea toutes avec avidite, et elle devint triste et malade; au bout du huitieme mois, elle appela son mari et lui dit en pleurant:

– Quand je mourrai, enterre-moi sous le genevrier.

Elle en eprouva une immense consolation, se sentit a nouveau pleine de confiance et heureuse jusqu’a la fin du neuvieme mois. Alors elle mit au monde un garcon blanc comme la neige et vermeil comme le sang, et lorsqu’elle le vit, elle en fut tellement heureuse qu’elle en mourut.

Son mari l’enterra alors sous le genevrier et la pleura tant et tant: il ne faisait que la pleurer tout le temps. Mais un jour vint qu’il commenca a la pleurer moins fort et moins souvent, puis il ne la pleura plus que quelquefois de temps a autre; puis il cessa de la pleurer tout a fait. Un peu de temps passa encore, maintenant qu’il ne la pleurait plus, et ensuite il prit une autre femme.

De cette seconde epouse, il eut une fille; et c’etait un garcon qu’il avait de sa premiere femme: un garcon vermeil comme le sang et blanc comme la neige. La mere, chaque fois qu’elle regardait sa fille, l’aimait beaucoup, beaucoup; mais si elle regardait le petit garcon, cela lui ecorchait le c?ur de le voir; il lui semblait qu’il empechait tout, qu’il etait toujours la en travers, qu’elle l’avait dans les jambes continuellement; et elle se demandait comment faire pour que toute la fortune revint a sa fille, elle y reflechissait, poussee par le Malin, et elle se prit a detester le petit garcon qu’elle n’arretait pas de chasser d’un coin a l’autre, le frappant ici, le pincant la, le maltraitant sans cesse, de telle sorte que le pauvre petit ne vivait plus que dans la crainte. Quand il revenait de l’ecole, il n’avait plus un instant de tranquillite.

Un jour, la femme etait dans la chambre du haut et la petite fille monta la rejoindre en lui disant:

– Mere, donne-moi une pomme!

– Oui, mon enfant! lui dit sa mere, en lui choisissant dans le bahut la plus belle pomme qu’elle put trouver.

Ce bahut, ou l’on mettait les pommes, avait un couvercle epais et pesant muni d’une serrure tranchante, en fer.

– Mere, dit la petite fille, est-ce que mon frere n’en aura pas une aussi?

La femme en fut agacee, mais elle repondit quand meme:

– Bien sur, quand il rentrera de l’ecole.

Mais quand elle le vit qui revenait, en regardant par la fenetre, ce fut vraiment comme si le Malin l’avait possedee: elle reprit la pomme qu’elle avait donnee a sa fille, en lui disant:

– Tu ne dois pas l’avoir avant ton frere.

Et elle la remit dans le bahut, dont elle referma le pesant couvercle.

Et lorsque le petit garcon fut arrive en haut, le Malin lui inspira son accueil aimable et ses paroles gentilles:

– Veux-tu une pomme, mon fils?

Mais ses regards dementaient ses paroles car elle fixait sur lui des yeux feroces, si feroces que le petit garcon lui dit:

– Mere, tu as l’air si terrible: tu me fais peur. Oui, je voudrais bien une pomme.

Sentant qu’il lui fallait insister, elle lui dit:

– Viens avec moi! et, l’amenant devant le gros bahut, elle ouvrit le pesant couvercle et lui dit:

– Tiens! prends toi-meme la pomme que tu voudras!

Le petit garcon se pencha pour prendre la pomme, et alors le Diable la poussa et boum! elle rabattit le lourd couvercle avec une telle force que la tete de l’enfant fut coupee et roula au milieu des pommes rouges.

Alors elle fut prise de terreur (mais alors seulement) et pensa:

«Ah! si je pouvais eloigner de moi ce que j’ai fait!»

Elle courut dans une autre piece, ouvrit une commode pour y prendre un foulard blanc, puis elle revint au coffre, replaca la tete sur son cou, la serra dans le foulard pour qu’on ne puisse rien voir et assit le garcon sur une chaise, devant la porte, avec une pomme dans la main.

La petite Marlene, sa fille, vint la retrouver dans la cuisine et lui dit, tout en tournant une cuillere dans une casserole qu’elle tenait sur le feu:

– Oh! mere, mon frere est assis devant la porte et il est tout blanc; il tient une pomme dans sa main, et quand je lui ai demande s’il voulait me la donner, il ne m’a pas repondu. J’ai peur!

– Retournes-y, dit la mere, et s’il ne te repond pas, flanque-lui une bonne claque!

La petite Marlene courut a la porte et demanda:

– Frere, donne-moi la pomme, tu veux?

Mais il resta muet et elle lui donna une gifle bien sentie, en y mettant toutes ses petites forces. La tete roula par terre et la fillette eut tellement peur qu’elle se mit a hurler en pleurant, et elle courut, toute terrifiee, vers sa mere:

– Oh! mere, j’ai arrache la tete de mon frere!

Elle sanglotait, sanglotait a n’en plus finir, la pauvre petite Marlene. Elle en etait inconsolable.

– Marlene, ma petite fille, qu’as-tu fait? dit la mere. Quel malheur! Mais a present tiens-toi tranquille et ne dis rien, que personne ne le sache, puisqu’il est trop tard pour y changer quelque chose et qu’on n’y peut rien. Nous allons le faire cuire en ragout, a la sauce brune.

La mere alla chercher le corps du garconnet et le coupa en menus morceaux pour le mettre a la sauce brune et le faire cuire en ragout. Mais la petite Marlene ne voulait pas s’eloigner et pleurait, pleurait et pleurait, et ses larmes tombaient dans la marmite, tellement qu’il ne fallut pas y mettre de sel.

Le pere rentra a la maison pour manger, se mit a table et demanda:

– Ou est mon fils?

La mere vint poser sur la table une pleine marmite de ragout a la sauce brune et petite Marlene pleurait sans pouvoir s’en empecher. Une seconde fois, le pere demanda

– Mais ou est donc mon fils?

– Oh! dit la mere, il est alle a la campagne chez sa grand-tante; il y restera quelques jours.

– Mais que va-t-il faire la-bas? demanda le pere et il est parti sans seulement me dire au revoir!

– Il avait tellement envie d’y aller, repondit la femme; il m’a demande s’il pouvait y rester six semaines et je le lui ai permis. Il sera bien la-bas.

– Je me sens tout attriste, dit le pere; ce n’est pas bien qu’il soit parti sans rien me dire. Il aurait pu quand meme me dire adieu!

Tout en parlant de la sorte, le pere s’etait mis a manger; mais il se tourna vers l’enfant qui pleurait et lui demanda:

– Marlene, mon petit, pourquoi pleures-tu? Ton frere va revenir bientot.

Puis il se tourna vers sa femme:

– 0 femme, lui dit-il, quel bon plat tu as fait la! Sers-m’en encore.

Elle le resservit, mais plus il en mangeait, et plus il en voulait.

– Donne-m’en, donne-m’en plus, je ne veux en laisser pour personne: il me semble que tout est a moi et doit me revenir.

Et il mangea, mangea jusqu’a ce qu’il ne restat plus rien, sucant tous les petits os, qu’il jetait a mesure sous la table. Mais la petite Marlene se leva et alla chercher dans le tiroir du bas de sa commode le plus joli foulard qu’elle avait, un beau foulard de soie, puis, quand son pere eut quitte la table, elle revint ramasser tous les os et les osselets, qu’elle noua dans son foulard de soie pour les emporter dehors en pleurant a gros sanglots. Elle alla et deposa son petit fardeau dans le gazon, sous le genevrier; et quand elle l’eut mis la, soudain son c?ur se sentit tout leger et elle ne pleura plus. Le genevrier se mit a bouger, ecartant ses branches et les resserrant ensemble, puis les ouvrant de nouveau et les refermant comme quelqu’un qui manifeste sa joie a grands gestes des mains. Puis il y eut soudain comme un brouillard qui descendit de l’arbre jusqu’au sol, et au milieu de ce brouillard c’etait comme du feu, et de ce feu sortit un oiseau splendide qui s’envola tres haut dans les airs en chantant merveilleusement. Lorsque l’oiseau eut disparu dans le ciel, le genevrier redevint comme avant, mais le foulard avec les ossements n’etait plus la. La petite Marlene se sentit alors toute legere et heureuse, comme si son frere etait vivant; alors elle rentra toute joyeuse a la maison, se mit a table et mangea.

L’oiseau qui s’etait envole si haut redescendit se poser sur la maison d’un orfevre, et la il se mit a chanter:

– Oiseau, que tu sais bien chanter! Comme c’est beau! Chante-le-moi encore une fois, ton morceau!

– Non, dit l’oiseau, je ne chante pas deux fois pour rien. Donne-moi la chainette d’or, et je le chanterai encore.

– Tiens, prends la chainette d’or, elle est a toi, dit l’orfevre, et maintenant chante-moi encore une fois ton beau chant.

L’oiseau vint prendre la chainette d’or avec sa patte droite, se mit en face de l’orfevre et chanta:

– Oiseau, lui dit-il, comme tu sais bien chanter!

Il repassa sa porte et rentra chez lui pour appeler sa femme.

– Femme, lui cria-t-il, viens voir un peu dehors: il y a un oiseau, regarde-le, cet oiseau qui sait si bien chanter!

Il appela aussi sa fille et les autres enfants, et encore ses commis et la servante et le valet, qui vinrent tous dans la rue et regarderent le bel oiseau qui chantait si bien et qui etait si beau, avec des plumes rouges et vertes, et du jaune autour de son cou: on aurait dit de l’or pur; et ses yeux scintillants on aurait dit qu’il avait deux etoiles dans sa tete!

– Oiseau, dit le cordonnier, maintenant chante encore une fois ton morceau.

– Non, dit l’oiseau, je ne chante pas deux fois pour rien; il faut que tu me fasses un cadeau.

– Femme, dit le cordonnier, monte au grenier: sur l’etagere la plus haute, il y a une paire de chaussures rouges; apporte-les-moi.

La femme monta et rapporta les chaussures.

– Tiens, c’est pour toi, l’oiseau! dit le cordonnier. Et maintenant chante encore une fois.

L’oiseau descendit et prit les chaussures avec sa patte gauche, puis il s’envola sur le toit ou il chanta:

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