Et le voila qui eclate de rire, et il riait encore quand deja surgissait toute une foule de lutins qui rapporterent le veritable enfant, l’installerent devant le feu et emporterent avec eux le monstre a grosse tete.
La Maisonnee
– Toi, ou tu vas? – Moi? Mais a Walpe. – Tu vas a Walpe, je vais a Walpe, alors ca va, on y va donc ensemble.
– Es-tu mariee aussi? Comment s’appelle ton mari? – Henri, c’est mon mari. – Ton mari c’est Henri, mon mari c’est Henri, tu vas a Walpe, je vais a Walpe, alors ca va, on y va donc ensemble.
– Et tu as un enfant aussi? Comment s’appelle ton petit? – Mon petit? Bris. – Ton petit, Bris; mon petit, Bris; ton mari c’est Henri, mon mari c’est Henri; tu vas a Walpe, je vais a Walpe, alors ca va, on y va donc ensemble.
– Un berceau, t’en as un? Comment s’appelle ton berceau? – Hippoleau. – Hippoleau ton berceau, Hippoleau mon berceau; ton petit Bris, mon petit Bris, et ton mari Henri et mon mari Henri; tu vas a Walpe, je vais a Walpe, alors ca va, on y va donc ensemble.
– Et un valet? Comment s’appelle ton valet? – Son nom c’est Bienlefait. – Bienlefait ton valet, Bienlefait mon valet; Hippoleau ton berceau, mon berceau Hippoleau -, ton petit Bris, mon petit Bris, et ton mari Henri et Henri mon mari, tu vas a Walpe, je vais a Walpe, alors ca va, on y va donc ensemble, jusque-la.
La Mariee blanche et la mariee noire
Une pauvre paysanne s’en alla dans les champs pour couper le fourrage. Elle y alla avec ses filles – sa propre fille et sa belle-fille. Soudain, Dieu se presenta devant elles sous l’apparence d’un homme pauvre et demanda:
– Pouvez-vous m’indiquer le chemin pour aller au village?
– Il faudra le trouver vous-meme, retorqua la mere.
Et la fille rencherit:
– Quand on a peur de s’egarer, on part accompagne.
Mais la belle-fille proposa:
– Venez, brave homme, je vous guiderai.
Dieu se facha contre la mere et la fille, se detourna d’elles, et les fit devenir noires comme la nuit et laides comme le peche. La belle-fille en revanche entra dans ses bonnes graces; il se laissa accompagner et lorsqu’ils s’approcherent du village, il la benit et dit:
– Prononce trois v?ux, ils seront exauces.
– Je desire etre belle et pure comme le soleil, dit la jeune fille.
Et immediatement, elle devint blanche et belle comme une journee de soleil.
– Ensuite, je voudrais une bourse pleine d’ecus qui ne desemplirait jamais.
Dieu la lui donna mais il ajouta:
– N’oublie pas le meilleur.
La jeune fille dit alors:
– Mon troisieme v?u est la joie eternelle apres ma mort.
Dieu l’en assura et se separa d’elle.
La mere et sa fille rentrerent a la maison et constaterent qu’elles etaient toutes les deux laides et noires comme le charbon, tandis que la belle-fille etait belle et immaculee. Une plus grande cruaute s’empara alors de leurs c?urs et elles n’eurent plus qu’une idee en tete: lui faire du mal. Or, l’orpheline avait un frere qui s’appelait Regis. Elle l’aimait par-dessus tout. Un jour, Regis lui dit:
– Ma petite s?ur, j’ai envie de dessiner ton portrait pour t’avoir toujours a mes cotes. je t’aime tant que je voudrais pouvoir te contempler a tout instant.
– Ne montre surtout jamais mon portrait a personne, exigea sa s?ur.
Le frere accrocha le tableau, tres fidele a l’original, dans la piece qu’il habitait au chateau, car il etait le cocher du roi. Tous les jours il regardait le portrait et remerciait Dieu du bonheur qu’il avait donne a sa s?ur.
Le roi que Regis servait venait de perdre son epouse.
Les serviteurs a la cour avaient remarque que le cocher s’arretait tous les jours devant le magnifique tableau et, jaloux et envieux, ils le rapporterent au roi. Ce dernier ordonna alors qu’on lui apporte le tableau et, des qu’il le vit, il put constater que la jeune fille du portrait ressemblait incroyablement a son epouse defunte, et qu’elle etait meme encore plus gracieuse; il en tomba amoureux. Il fit appeler le cocher et lui demanda qui etait la personne sur le tableau.
– C’est ma s?ur, repondit Regis.
– C’est elle, la seule et unique que je veux epouser, decida le roi. Il donna au cocher une superbe robe brodee d’or, un cheval et un carrosse, et il lui demanda de lui ramener l’heureuse elue de son c?ur.
Lorsque Regis arriva avec le carrosse, sa s?ur ecouta avec joie le message du roi. Mais sa belle-mere et sa belle-s?ur furent terriblement jalouses du bonheur de l’orpheline et, de depit, faillirent devenir encore plus noires.
– A quoi sert toute votre magie, reprocha la fille a sa mere, puisque vous etes incapable de me procurer un tel bonheur!
– Attends un peu, la rassura sa mere, je tournerai ce bonheur en ta faveur.
Et elle se eut recours a la magie: elle voila les yeux du cocher de maniere qu’il ne vit plus qu’a moitie; quant a la mariee blanche, elle la rendit a moitie sourde. Tous ensemble monterent ensuite dans le carrosse: d’abord la mariee dans sa belle robe royale, et derriere elle sa belle-mere et sa belle-s?ur; Regis monta sur le siege de cocher et ils se mirent en route.
Peu de temps apres Regis appela:
– Voile ton beau visage, ma petite s?ur, gare a tes jolies joues, car le ciel pleure: Empeche le vent fort de te decoiffer, que bientot le roi admire ta grande beaute!
– Que dit-il, mon petit frere? demanda la mariee.
– Il dit seulement que tu dois enlever ta robe doree et la donner a ta s?ur, repondit la maratre.
La jeune fille ota la robe, sa s?ur noire se glissa a l’interieur, et donna a la mariee sa chemise grise en toile grossiere.
Ils poursuivirent leur route, puis le cocher appela a nouveau:
Voile ton beau visage, ma petite s?ur, gare a tes jolies joues, car le ciel pleure; empeche le vent fort de te decoiffer, que bientot le roi admire ta grande beaute!
– Qu’est-ce qu’il dit, mon petit frere? demanda la jeune fille.
– Il dit seulement que tu dois oter ton chapeau dore de ta tete et le donner a ta s?ur.
La jeune fille ota son chapeau dore, en coiffa la tete de sa s?ur et poursuivit le voyage tete nue. Peu de temps apres, Regis appela de nouveau:
Voile ton beau visage, ma petite s?ur, gare a tes jolies joues, car le ciel pleure; empeche le vent fort de te decoiffer, que bientot le roi admire ta grande beaute!
– Que dit-il, mon petit frere? demanda la mariee pour la troisieme fois.
– Il dit seulement que tu dois regarder un peu le paysage.
Ils etaient justement en train de passer sur un pont franchissant des eaux profondes. Et des que la mariee se leva et se pencha par la fenetre du carrosse, sa belle-mere et sa belle-fille la pousserent si fort qu’elle tomba dans la riviere. L’eau se referma sur elle; a cet instant apparut a la surface d’eau une petite cane d’une blancheur immaculee qui flottait en suivant le courant.
Le frere sur le siege du cocher n’avait rien remarque; il continuait a foncer avec le carrosse jusqu’a la cour du roi. Son regard etait voile, mais percevant l’eclat de la robe doree il etait de bonne foi lorsqu’il conduisit devant le roi la fille noire a la place de sa s?ur. Lorsque le roi vit la pretendue mariee et son inenarrable laideur, il devint fou furieux et ordonna de jeter le cocher dans une fosse pleine de serpents.
Pendant ce temps, la vieille sorciere reussit a ensorceler le roi et a l’aveugler a tel point qu’il ne les chassa pas, ni elle, ni sa fille; et mieux encore: elle l’envouta si bien que le roi finit par trouver la mariee noire plutot acceptable et il l’epousa.
Un soir, tandis que l’epouse noire etait assise sur les genoux du roi, arriva dans les cuisines du chateau, par le conduit de l’evier une petite cane blanche qui parla ainsi au jeune marmiton:
Allume le feu, jeune apprenti,
Un court instant, sans doute, suffit
Pour faire secher mes plumes fletries.
Le garcon obeit et alluma le feu; la petite cane s’approcha, secoua ses plumes et les lissa avec son petit bec. Un peu ragaillardie, elle demanda:
– Que fait mon frere Regis?
Le marmiton repondit:
Parmi les serpents, dans une fosse,
Sa prison semble plus qu’atroce.
Et la petite cane demanda:
Que fait la sorciere noire?
Le garcon repondit:
Elle tremble de joie
Dans les bras du roi.
Et la petite cane soupira:
Mon Dieu, sois a mes cotes
Face a toute adversite!
et elle s’en alla par ou elle etait venue.
Le lendemain soir elle revint et elle reposa les memes questions et le troisieme soir egalement. Le jeune marmiton eut pitie d’elle et decida d’aller voir le roi pour tout lui raconter. Le roi, voulant voir de ses propres yeux ce qui se passait, se rendit le soir a la cuisine et des que la petite cane sortit la tete de l’evier, il brandit son epee et lui transperca la gorge.
Et tout a coup, la petite cane se transforma – et devant le roi apparut une fille d’une beaute indescriptible ressemblant comme deux gouttes d’eau a la belle du tableau de Regis. Le visage du roi s’illumina de joie et comme la jeune fille etait toute mouillee, il fit immediatement apporter une robe magnifique et ordonna qu’on l’en vetit.
La Jeune fille lui raconta ensuite comment elle se fit abuser par sa belle-mere et sa belle-s?ur et comment celles-ci l’avaient poussee a l’eau. Mais en premier lieu elle pria le roi de faire sortir son frere de la fosse aux serpents. Le roi exauca son v?u et se dirigea ensuite vers la chambre de la vieille sorciere. Il lui raconta l’histoire telle qu’elle s’etait passee et a la fin lui demanda:
– Que merite la femme qui a commis de telles abominations?
La sorciere, dans son aveuglement, n’avait pas compris de qui il etait question et repondit:
– Elle merite d’etre enfermee toute nue dans un fut garni de clous pointus et que l’on attache ce fut a un attelage et que cet attelage soit lance a toute allure.
Et c’est ainsi qu’on les traita, elle et sa fille noire.
Le roi epousa sa belle mariee blanche et recompensa le fidele Regis: il en fit l’homme le plus riche et le plus estime de son royaume.
Les Miettes sur la table
Le coq, une fois, avait dit, a sa dame poule: «Hardi! Viens picorer les miettes sur la table de la cuisine; la patronne est partie en visite!»
Mais la poule refusa – «Non, non, pas moi!, Tu sais bien qu’elle ne le veut pas et qu’elle nous battra!»
Alors, le coq reprit – «Mais viens donc, elle n’en saura rien; elle ne peut pas nous voir puisqu’elle n’est pas la!»
La poule ne voulait rien savoir: «Non et non! repeta-t-elle, c’est pas permis et j’y vais pas: on ne doit pas entrer!»
Mais le coq ne la laissa pas tranquille tant qu’ils n’y furent pas alles, se perchant sur la table et picorant consciencieusement toutes les miettes de pain qui s’y trouvaient. Et alors justement rentra la femme, qui attrapa prestement une baguette et leur distribua non moins prestement une solide et impitoyable correction.
Et lorsqu’ils se retrouverent dehors enfin, la poule dit a son coq: «T’a, t’a, t’a, t’a, t’a vu?» Sur quoi le coq commenca par glousser de rire, puis il dit: «Et co, co, co, comment que je le savais!» Et apres ils s’en sont alles.
La Mort marraine
Il etait une fois un homme pauvre qui avait douze enfants. Pour les nourrir, il lui fallait travailler jour et nuit. Quand le treizieme vint au monde, ne sachant plus comment faire, il partit sur la grand-route dans l’intention de demander au premier venu d’en etre le parrain. Le premier qu’il rencontra fut le Bon Dieu. Celui-ci savait deja ce que l’homme avait sur le c?ur et il lui dit:
– Brave homme, j’ai pitie de toi; je tiendrai ton fils sur les fonts baptismaux, m’occuperai de lui et le rendrai heureux durant sa vie terrestre.
L’homme demanda:
– Qui es-tu?
– Je suis le Bon Dieu.
– Dans ce cas, je ne te demande pas d’etre parrain de mon enfant, dit l’homme. Tu donnes aux riches et tu laisses les pauvres mourir de faim. (L’homme disait cela parce qu’il ne savait pas comment Dieu partage richesse et pauvrete.)
Il prit donc conge du Seigneur et poursuivit sa route. Le Diable vint a sa rencontre et dit:
– Que cherches-tu? Si tu me prends pour parrain de ton fils, je lui donnerai de l’or en abondance et tous les plaisirs de la terre par-dessus le marche.
L’homme demanda:
– Qui es-tu?
– Je suis le Diable.
– Alors, je ne te veux pas pour parrain. Tu trompes les hommes et tu les emportes.
Il continua son chemin. Le Grand Faucheur aux ossements desseches venait vers lui et l’apostropha en ces termes: