La mort de Juve (Смерть Жюва) - Сувестр Пьер 11 стр.


Nouveau silence.

Léon et Michel qui, en entendant le soupir, avaient machinalement tourné la tête, inspectèrent le cabinet de travail, en tous sens, regardaient une fois encore dans la direction de la petite table.

Et alors, Léon poussa un juron formidable, en même temps qu’il se relevait, qu’il s’élançait, sans plus prendre la peine de ne pas faire de bruit.

— Ah crédibisèque de crédibisèque, les billets ont foutu le camp.

Sur la petite table, en effet, plus trace de billets. Le temps de tourner la tête, les faux billets de banque avaient disparu, volatilisés.

Ils fouillèrent, ils scrutèrent, ils déménagèrent, ils renversèrent, ils mirent sens dessus dessous, ils se lamentèrent. Et puis, brusquement, Léon, parut furieux.

— Taisez-vous, Michel, taisez-vous.

Impressionné, Michel obéit, se tut, immobile.

— Vous n’entendez rien ?

— Rien.

— Si, un froissement de papiers ?

— Vous vous trompez, Léon.

— Non, écoutez mieux.

Léon ne se trompait pas. Il y avait en effet, dans la pièce, à un endroit qu’il était difficile malheureusement de définir, quelque chose ou quelqu’un, –  mais quelqu’un, on l’aurait vu, –  qui s’agitait avec lenteur.

On entendit un bruit, un bruit léger, un bruit que Léon avait parfaitement défini comme un froissement de papier.

— Cré nom d’un chien dit Michel, nos billets qui s’en vont.

Léon, à ce moment, était debout devant la cheminée.

Il lui semblait que le bruit avait sa source tout près de lui. Et pourtant, il ne voyait rien, absolument rien qui lui parût de nature à le produire. Sur la cheminée, des bibelots étaient disposés, une pendule, arrêtée n’offrait rien d’extraordinaire, des candélabres dont les bougies s’ornaient d’abat-jour minuscules n’apparaissaient pas suspects.

Or tandis que Léon considérait cette garniture de cheminée, il lui vint soudain à l’idée que peut-être, sous la tablette de velours recouverte d’une dentelle dont les franges très longues débordaient, il pouvait y avoir quelque chose d’intéressant.

L’inspecteur se pencha. Il colla l’oreille à la tablette de la cheminée. Le bruit, le bruit soyeux de papiers froissés, le bruit qui persistait, devait se produire tout près.

— Michel, regardez bien à droite de la cheminée, je vais surveiller à gauche, cria Léon.

D’un mouvement brusque, Léon empoigna les franges qui voilaient le rebord de la tablette et il les souleva.

Alors, Léon poussa une exclamation terrifiée : en soulevant les franges qui garnissaient le côté gauche de la cheminée d’où les billets de banque avaient disparu, Michel venait précisément de les apercevoir, ces billets de banque. Ils étaient collés contre le mur, glissés sous les franges, ils s’agitaient.

— Ah par exemple, qu’est-ce que ça veut dire ? commença l’inspecteur.

Mais, sans doute, en soulevant les franges, il avait poussé les billets, car, au moment même, Léon les vit s’engouffrer dans le mur, y entrer, disparaître par une bouche de calorifère creusée là et dont la grille, très large gênait à peine leur passage.

En même temps, Léon sentit un violent appel d’air, au même instant il entendit un long soupir.

— Michel, avez-vous vu ? Il y a quelque chose qui aspire là-dedans ? c’est par là qu’on attire.

Léon n’acheva pas. Entraîné par l’intérêt même de sa découverte, il s’était penché sur la bouche du calorifère, il venait d’y coller le visage. Alors, un hurlement déchirant, un cri de douleur effroyable, une lamentation sans fin, emplit le cabinet de travail. Une seconde peut-être, Léon était resté le visage collé à la bouche de chaleur. Maintenant, il se rejetait en arrière.

Le malheureux inspecteur était épouvantable à voir. Le sang ruisselait de son visage tailladé dont les chairs semblaient avoir été violemment appuyées contre la grille du calorifère, s’être coupées sur le treillis métallique. Et surtout, son œil droit arraché de l’orbite, lamentable, pendait sur sa joue, cependant que, sous une horrible douleur, tous les traits de son visage grimaçaient, se convulsaient. Il s’écroula sur le tapis rougi de sang.

Michel n’avait pas eu le temps d’intervenir. Épouvanté, il se jeta à genoux à côté de Léon. Léon sembla reprendre conscience. Il râla :

— C’est horrible. La bouche de calorifère fait ventouse. Ah, je ne vois plus. Suis-je aveugle ?

— Au secours, au secours ! hurla Michel.

11 – VERS L’AMOUR

Dans la villa de Saint-Germain, Juve et Fandor, en tête à tête, discutaient avec la plus vive émotion :

— Oui, dit Fandor. Son œil est perdu.

Juve serrait les dents. L’infirme bégayait de colère :

— Oh, nous venger, venger notre pauvre ami, réduire, une fois pour toutes à néant notre formidable adversaire, voilà ce que je voudrais.

— Calmez-vous, dit Fandor. Nous finirons par réussir. Il y a ici-bas une justice immanente. À ce propos, Juve, j’ai des renseignements…

— Non Fandor, tout à l’heure. D’abord, donne-moi des nouvelles de Léon. Quelles sont les causes de ce qui s’est passé.

— Oui. vous avez raison, Juve. Je vous ai mis au courant jusqu’à ce moment fatal où Léon a la fichue idée de coller le nez sur la bouche du calorifère. Là, il a poussé un grand cri. Il est tombé. Michel l’a relevé. Il avait le visage mutilé, l’œil arraché de l’orbite. Je passe sur l’affolement, la suite. On a emporté Léon à l’hôpital.

— Au fait, Fandor, au fait. La machine infernale, c’était quoi ?

— Une pompe.

— Quoi ? Que veux-tu dire.

— Une pompe aspirante. Une machine qui fait le vide.

Et comme Juve paraissait ne pas avoir très bien compris, Fandor lui expliqua :

— J’ai eu la chance, comme je vous le disais précédemment, de pouvoir venir avec Michel, dans l’appartement du courtier Hervé Martel, quelques heures après le terrible accident. Nous avons passé ensemble la fin de la journée, presque la nuit entière, la matinée, puis l’après-midi. Après d’interminables recherches, nous avons découvert ceci : la canalisation de la bouche du calorifère aboutissant dans le cabinet de travail de Hervé Martel avait été détournée et venait s’ouvrir dans un long tuyau métallique qui, traversant le mur de la maison, descendait le long de ce mur jusque dans une maison voisine, un garage d’automobiles, abandonné de ses propriétaires depuis six mois. Une liquidation, une faillite probablement, avait déterminé cet état de choses. Nous avons pénétré là, guidés par le tuyau. Dans les sous-sols de ce garage où ce tube venait aboutir, nous avons trouvé, tout installé, graissé, bien entretenu, dans un état qui prouvait qu’on s’en était servi tout récemment, un moteur à pétrole d’un type très courant, moteur à quatre cylindres qui, fixé à un dispositif spécial et fort connu, paraît-il, dans l’industrie, permet, lorsque le moteur est mis en marche, de faire le vide dans le tuyau et par suite, d’aspirer à l’extrémité de l’orifice avec une violence inouïe tout ce qui peut se trouver emporté. Je ne vous définirais pas mieux l’appareil, Juve, en disant qu’il était établi sur un principe identique à celui de ces aspirateurs que l’on emploie pour nettoyer les appartements.

— C’est admirable, c’est effrayant, c’est du Fantômas.

— Oui, Juve. C’est du Fantômas.

— Quoi d’autre Fandor ?

— Juve, si j’ai bien compris ce qui s’est passé, –  et je crois être dans le vrai en disant que le mystérieux voleur de l’avenue Niel faisait disparaître les documents qui se trouvaient dans le bureau du courtier maritime en les aspirant, au sens propre du mot, –  il est un autre point que je n’ai pas pu éclaircir.

— Ce que tu viens de me dire, Fandor, est rigoureusement exact. L’appareil ne se contentait pas d’aspirer, il refoulait aussi, ce qui explique le fameux ouragan déchaîné un certain soir dans le cabinet de travail uniquement pour jeter l’épouvante. Mais je te vois venir et tu vas me demander comment il se fait que le coupable qui faisait manœuvrer l’appareil, choisissait le bon moment pour le mettre en action, et pourquoi il n’aspirait qu’à coup sûr ?

— Décidément, Juve, vous avez toujours, vous avez même plus que jamais une admirable perspicacité. Oui, j’allais vous poser cette question.

— Notre homme se contentait d’écouter aux portes.

— Aux portes ?

— C’est une façon de parler, poursuivit Juve, car, en réalité, le voleur, le criminel ne se tenait pas dans l’appartement d’Hervé Martel, mais bien dans le garage, à côté du moteur, ainsi que tu l’as découvert. Il écoutait ce que l’on disait dans le cabinet de travail de l’appartement de l’avenue Niel. Mieux encore, il entendait comme s’il se fût trouvé dans la pièce. Comment ?

— Comment ?

— Voyons, le téléphone.

— Mais le téléphone d’Hervé Martel n’est pas dans son cabinet, il est à l’autre bout de l’appartement.

— D’accord pour le téléphone d’Hervé Martel, mais celui de Fantômas est encore dans le bureau.

— Vous avez peut-être raison, fit soudain le journaliste, j’ai remarqué en effet dans le garage un poste téléphonique placé tout à côté du moteur, mais je ne vois pas où il pouvait aboutir.

— Hélas ! fit Juve, je l’avais pourtant indiqué à Léon, et le malheureux garçon aurait pu te le dire, s’il n’avait été victime du terrible accident qui lui coûte un œil. Vous avez fouillé tout l’appartement, sondé les murs du bureau de travail, je parie que vous n’avez pas démoli le plancher.

— Non.

— Eh bien, dit Juve, c’est ce qu’il fallait faire et vous auriez certainement trouvé la plaque réceptrice disposée par Fantômas entre le parquet de la pièce et le plafond de l’appartement du dessous. C’est pour cela, poursuivait Juve en s’animant, que j’avais recommandé à Léon et à Michel de prononcer à haute voix certaines phrases caractéristiques, de façon à prévenir, si je puis m’exprimer ainsi, l’adversaire inconnu. Mon procédé a réussi, puisqu’à peine venaient-ils de dire ce qu’il fallait que l’appareil d’aspiration s’est mis en mouvement et a traité si brutalement d’ailleurs mon infortuné collègue. Hein, qu’en penses-tu, Fandor ?

— Vous m’avez empêché de parler.

— Dis ce que tu veux dire :

— Il y a deux points qu’il faut élucider. Puisque vous êtes si merveilleusement renseigné sur ce que nous appelons les mystérieuses affaires de l’avenue Niel, et qu’en somme c’est vous qui, de votre lit, avez dirigé les enquêtes, pouvez-vous me dire si vous avez des renseignements sur la personnalité de cette jeune fille qui était dactylographe chez le pseudo courtier d’assurances, Hervé.

— Fandor, elle s’appelle Hélène.

— Eh bien ?

— Eh bien, poursuivit Juve, cramponne-toi au fauteuil, si tu ne veux pas tomber à la renverse, parce que je vais t’étonner.

— C’est fait, Juve.

— Cette jeune fille je la connais donc très bien, puisque, grâce à l’intervention de nos amis Nalorgne et Pérouzin, je dois l’épouser prochainement.

— Vous devez épouser la dactylographe ?

— Je pourrais d’ailleurs faire plus mal, car elle est fort jolie.

Le policier tira de dessous ses couvertures un portefeuille où il prit une photographie qu’il tendit au journaliste.

Fandor se précipita.

— Hélène, cria Fandor, c’est elle, la fille de Fantômas !

— Eh oui, Fandor, eh oui.

En proie à une émotion inexprimable, à une nervosité presque inquiétante, Fandor arpentait la chambre de Juve avec une extraordinaire fébrilité.

— Mais c’est une plaisanterie ? Vous n’allez pas épouser la fille de Fantômas ? Mais était-ce bien elle qui se trouvait avenue Niel en qualité de dactylographe ? Oh Juve, inutile d’essayer de me convaincre, c’est fait depuis longtemps. Si je doute absolument de votre projet de mariage, je suis convaincu que la malheureuse Hélène est bien la mystérieuse dactylographe qu’employait à son service le pseudo courtier Hervé Martel.

— Fandor, interrompit Juve, voilà deux fois que tu viens de dire le « pseudo courtier ». Pourquoi ?

— Parce que Fantômas, c’est le courtier Hervé Martel.

— C’est idiot, Fandor. Hervé Martel existe réellement. C’est une personnalité connue à Paris, il est titulaire de sa charge depuis près de dix ans.

— Possible ! s’écria Fandor, mais nous savons que Fantômas n’en est pas à un crime près, et il est parfaitement capable d’avoir assassiné le véritable Hervé Martel, pour se substituer à lui. Juve, souvenez-vous du magistrat de Saint-Calais, tué, remplacé par l’Insaisissable.

— Tu te trompes, Fandor.

— Non, la meilleure preuve, c’est qu’après l’attentat dont vient d’être victime le malheureux Léon, le courtier, le « pseudo courtier » je maintiens mes dires, a brusquement quitté Paris et s’en est allé, soi disant, à Cherbourg.

— À Cherbourg, en effet, déclara Juve, rien n’est plus logique. Sa présence est nécessaire dans ce port de mer à l’entrée duquel est venu sombrer un cargo boat dont la cargaison l’intéresse au plus haut point.

— Juve, Hélène a disparu avec lui.

— Non, interrompit encore Juve, elle a simplement, en employée fidèle, suivi les instructions de son patron, c’est-à-dire qu’elle s’est rendue également à Cherbourg où le courtier maritime peut avoir besoin d’elle.

— En êtes-vous sûr, Juve ?

— Oui.

— Eh bien je pars pour Cherbourg. Je veux en avoir le cœur net. Demain, je saurai si Hervé Martel est bien Fantômas, comme j’en ai la conviction.

Juve n’essaya pas de retenir son ami, mais connaisseur de l’âme humaine, il dit simplement à son ami :

— La personnalité de Fantômas te préoccupe, Fandor, mais avoue-le, ce qui te préoccupe surtout, c’est de retrouver Hélène et de pouvoir la rejoindre, la voir, lui parler. Fandor, Fandor, tu l’aimes encore, tu l’aimes toujours, tu l’aimes plus que jamais.

Déjà le journaliste était sur le seuil de la porte, il hésita une seconde, puis, rebroussant chemin, il vint vers Juve, prit les mains glacées du policier dans les siennes, les serra chaleureusement et, d’une voix étouffée, presque confuse, comme un enfant qui confesse une faute, il reconnut avec des sanglots dans la voix :

— Eh bien, oui, je l’aime, Juve, je l’aime éperdument.

***

— Le Palace-Hôtel, s’il vous plaît ?

— Ah ! mon bon monsieur, si vous n’avez pas peur de marcher, vous pouvez vous y rendre à pied. Mais c’est tout à l’autre bout de la ville, en face la plage. Ici, vous n’êtes qu’à la gare, il y a près de deux kilomètres.

Fandor  se demanda  un  instant  s’il  n’allait  pas répondre aux suggestions intéressées que lui formulait le cocher auquel il demandait ce renseignement.

Le train avait eu quelque retard, il était déjà neuf heures du soir et le journaliste dominait difficilement son impatience.

— Allez, dit-il au cocher, et vivement ! Vous m’arrêterez à cent mètres de l’hôtel.

Le cocher exécuta les ordres de son client et Fandor, entré inaperçu, demanda timidement à un portier aux vêtements dorés :

— Pourriez-vous me dire si la dactylographe de M. Hervé Martel est visible en ce moment ?

Le portier, grave et majestueux, mit en branle plusieurs sonneries électriques, appela à différents postes téléphoniques et devant ce déploiement de forces mystérieuses, Fandor sentit son cœur battre à rompre, dans sa poitrine, car si on lui répondait par l’affirmative, qu’allait-il dire ? Sous quel nom devait-il se faire annoncer ? En présence de qui se trouverait-il ?

Assurément, si la jeune fille qu’il demandait était bien la fille de Fantômas, et si, comme il le croyait encore, Hervé Martel n’était autre que Fantômas lui-même, ces deux mystérieux personnages devaient se tenir perpétuellement sur leurs gardes.

Avec un fort accent tudesque, le portier aux allures de Saxon expliqua :

— La demoiselle est sortie depuis une heure et n’est pas encore rentrée, mais elle ne tardera sans doute pas car elle n’a pas encore pris son souper.

Fandor remercia, parcourut un instant le vaste hall de l’hôtel, mais il s’y trouvait trop visible, trop exposé, trop facilement reconnaissable dans l’éblouissement des lumières.

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