La mort de Juve (Смерть Жюва) - Сувестр Пьер 21 стр.


Jérôme Fandor avait eu une extraordinaire inspiration en se roulant dans le plâtre. Il s’était souvenu de l’extraordinaire audace dont avait jadis fait preuve un écarteur devenu fameux dans les populations landaises. Fandor, tout jeune homme, alors qu’il était encore Charles Rambert, avait assisté à des courses landaises données à Mugron, petit village des environs de Saint-Sever. Il y avait vu le fameux Marin Premier et avait été frappé d’un de ses tours de force. Marin Premier, tout de blanc habillé, descendait dans l’arène, écartait une première fois, par une passe savante et rapide, une vache sauvage fonçant à tout galop sur lui, puis, alors que la bête revenait, folle de rage, les cornes en avant, il sautait sur un socle de bois, prenait une pose de statue, restait immobile. Et alors, frémissante, mais domptée, tandis que l’assistance haletait devant le drame qui paraissait inévitable, la vache, lancée à fond de train sur la fausse statue, se campait sur ses quatre pattes, labourait le sol, s’arrêtait net devant le pierrot et s’éloignait, calmée.

— Pourquoi, diable, s’était dit Jérôme Fandor, pourquoi diable, les lions ne se laisseraient-ils pas prendre à une ruse qui abuse les vaches sauvages ? Il est vrai que les lions sont les rois des animaux, mais les rois sont souvent imbéciles. Essayons.

Il avait essayé. Une première fois, grâce à sa ruse, grâce à l’immobilité absolue qu’il avait su conserver, il avait échappé au lion, mais voilà qu’il était à nouveau en présence d’une bête féroce, voilà que c’était une panthère qui lui barrait la route, une panthère dont les chaudes prunelles s’allumaient de convoitises.

— Bougre de bougre, se répétait Fandor, pendant les quelques secondes où la bête le dévisageait, bougre de bougre, il y a quelque chose à quoi je n’avais pas songé, c’est que mon épaule et ma jambe saignent. Si le minet s’en aperçoit, je suis sûr de passer à l’état de souris.

La panthère pourtant, après avoir galopé, ne marchait plus qu’à pas lents. Son échine souple avait des ondulations traîtresses, son ventre rasait le sol, sa tête oscillait lentement, elle reniflait.

— Allons, saute, bébé, pensait Fandor, dont le cœur battait à grands coups. Si tu dois m’ouvrir la gorge, j’aime encore mieux que tu fasses vite.

Son vœu n’était pas formulé, que la panthère, ramassée sur elle-même, se détendait soudain, elle sauta à la gorge du journaliste.

— Fichu, se dit Fandor.

Mais, tandis que le corps souple de l’animal décrivait une courbe gracieuse, Fandor qui se roidissait terriblement pour ne pas s’enfuir, pour demeurer immobile, crut voir la panthère donner un coup de rein comme si elle eût voulu l’éviter. La bête avait-elle été frappée tout d’un coup par la rigidité du gibier ? Fandor fut frôlé seulement par les pattes du félin. Ébranlé, il tomba. Il eut encore le sang-froid de tomber sans quitter sa pose, de tomber d’un seul bloc, comme tombe une chose, comme tombe une statue.

Et la panthère s’éloigna.

Quelques secondes plus tard, Jérôme Fandor se releva. Une course insensée le transporta sur le perron monumental du château de Saint-Martin, Allait-il l’atteindre ? Devrait-il une fois encore tenter la périlleuse aventure de la fausse statue ? Et si la porte du château était fermée, s’il ne pouvait pénétrer dans la demeure ?

L’allée que suivait Fandor débouchait devant une grande pelouse occupant toute la largeur de la façade de l’habitation. Fandor était à peine à moitié de cette pelouse qu’il entendait derrière lui un galop terrible. Sans doute, il s’était relevé trop vite et il avait fait trop de bruit.

Il resta une cinquantaine de mètres. Il les franchit à une allure de champion olympique. Avant que la bête l’eût rejoint, il avait atteint le perron, il en escaladait les marches, il se jetait sur la porte d’entrée, il en saisissait la poignée. La porte était ouverte. Fandor eut juste le temps de se glisser à l’intérieur de la demeure mystérieuse et de claquer la porte sur lui. Le battant se refermait que, d’un bond prodigieux, la panthère venait se heurter rudement contre elle, puis retombait sur le sol avec un feulement furieux.

Fandor, déjà, avait retrouvé son sang-froid.

— Ça, ma petite, gouailla-t-il, tu peux gueuler si ça te fait plaisir, c’est toujours pas toi qui me mangeras, et ça c’est l’essentiel.

Fandor était-il hors de danger ?

20 – LE PACTE AVEC « LE MAÎTRE »

Fandor avait à peine fermé la porte en esquissant un pied de nez, que d’autres préoccupations lui faisaient oublier les dangers auxquels il venait d’échapper :

— Cette fois, je suis dans la place, murmura-t-il, et comme je ne sais pas l’accueil que l’on m’y réserve, attention.

Le vestibule dans lequel Fandor venait de pénétrer était, ainsi qu’il arrive souvent dans les vieux châteaux, une sorte d’énorme salle au plafond en ogive, aux allures de corps de garde et dans laquelle descendait un monumental escalier à double révolution dont la balustrade de pierre, ajourée, témoignait de splendeurs anciennes. Aucun meuble, aucune tenture, rien qui pût annoncer la présence de l’Homme.

— C’est le château des Mille et une Nuits, grommela Fandor, promenant soigneusement sur les murs le pinceau lumineux de sa lampe de poche, c’est le château de la Belle au Bois dormant, et pourtant je pourrais bien y vivre mon dernier nocturne.

« Bah, murmura Fandor après quelques instants d’hésitation, quand on est enfoncé dans la boue, il n’y a qu’un moyen d’en sortir : y patauger. En ce moment, je me fais assez l’effet d’être en plein dans un guêpier. Tâchons de nous y conduire le mieux possible, pour en sortir au plus vite.

Dédaignant les salles du rez-de-chaussée, il monta. Sa lampe de la gauche, un poignard de la main droite, car il n’avait pas retrouvé son revolver, Jérôme Fandor se mit en devoir de gravir les marches du grand escalier. Il ne prenait point la peine d’étouffer le bruit de ses pas. Au contraire, il semblait satisfait d’éveiller dans le château des échos qui se répercutaient dans le lointain des corridors.

— Si Fantômas m’entend, se disait le journaliste, il va certainement me sauter dessus. J’aime mieux tout de suite que plus tard, je préfère la lutte à l’attente.

Sur le palier du premier étage, Fandor cependant s’immobilisa brusquement.

— Ah, crédibisèque !

Cloué sur le sol, penché en avant, aux aguets, Fandor semblait éprouver une terrible émotion. Puis, il se précipita en furieux le long d’une galerie, qu’il parcourut sans aucune précaution, appelant :

— Hélène, Hélène.

Fandor, du palier, avait cru entendre une plainte continue. Au bout du corridor, en effet, à un angle de la galerie, il découvrit le carré lumineux d’une porte entrouverte. Fandor fut en un éclair à l’entrée de cette chambre. Il ne s’était pas trompé, c’était bien de là que partaient les sanglots.

Hélène, atrocement pâle, dans un grand lit, secouée par la fièvre, appelait, qui ?

— Hélène, Hélène, m’entendez-vous ?

Comment lui venir en aide ?

— Fandor, gémit-elle.

Or, tandis que le jeune homme jetait un regard rapide dans la pièce sommairement meublée, meublée en hâte, Fandor tressaillit.

Collé contre le mur, juste au-dessus de la petite étagère surchargée de flacons, il venait d’apercevoir un papier dont la suscription était surprenante au plus haut point :

Pour Fandor.

Fantômas savait donc qu’il allait venir.

Fandor lut d’abord sans comprendre.

La notice indiquait minutieusement les soins à donner à la jeune fille, les potions qu’il fallait lui faire prendre d’heure en heure, et dont les fioles étaient là, toutes prêtes.

Et Fandor, insoucieux du danger, se transforma en garde-malade.

La nuit passa lente et froide. Fandor était au chevet de la jeune fille. L’aube rougeoyante alluma des reflets sinistres dans la pièce. Puis le grand jour se fit. Des angélus tintèrent aux clochers voisins. Fandor était toujours au pied du lit d’Hélène, sa montre en main, surveillant le sommeil fiévreux de la malheureuse.

Or, comme il pouvait être à peu près six heures du matin, Fandor fut tiré brusquement de sa triste songerie par une fusillade nourrie.

— Ah, sapristi, est-ce que, par hasard, Fantômas…

Fandor courut aux fenêtres, retenant mal un épouvantable juron :

— La police, c’est la police.

Dans le parc, Jérôme Fandor venait d’apercevoir un groupe d’une vingtaine d’hommes formés en carré, le fusil à l’épaule et s’avançant vers le château, tout en faisant feu sur les fourrés, où, sans doute, les fauves surpris se terraient.

Eh oui, la police, avec Nalorgne et Pérouzin marchant devant.

Parbleu, si Nalorgne et Pérouzin étaient venus à Saint-Martin, c’était bien probablement parce qu’ils étaient sur les traces de Jérôme Fandor, accusé d’espionnage, de trahison, de naufrage volontairement provoqué.

— Cette fois, se dit le journaliste, je crois que mes affaires se gâtent. J’avais les lions sur le dos, cette nuit, et ce matin j’ai les argousins sur les talons. Je perds au change. Comment me tirer de là ?

En hâte, le jeune homme s’approcha de la petite table sur laquelle étaient rangés les flacons de remèdes qu’il administrait à Hélène. Fandor tira son crayon, écrivit de sa large écriture :

La potion a été donnée, en dernier lieu, à six heures moins le quart, il faudra l’administrer de nouveau, à sept heures moins le quart.

Au-dessous, il signa, pourquoi pas ? il signa :

Jérôme Fandor.

Le journaliste alors épingla la notice là où il l’avait trouvée. Il barra l’indication pour Fandor, qu’il remplaça par Messieurs les Policiers.

Puis, cela fait, il revint s’agenouiller tout près du lit de la malheureuse Hélène. Lentement et avec une douceur infinie, Fandor attira la main fine de la jeune fille, et avec une douceur infinie, il y posa un très long baiser.

Nalorgne et Pérouzin semblaient discuter avec les autres policiers sur les moyens d’envahir le château.

— Les imbéciles songea Fandor.

Il sourit, puis cria de toutes ses forces :

— Au secours, au secours !

Alors seulement, Jérôme Fandor battit en retraite. Vingt mètres à peine le séparaient des agents que Nalorgne et Pérouzin, prudemment restés en arrière, jetaient à ses trousses. Mais Jérôme Fandor avait pour lui, pour assurer son salut, la tête froide et une habileté dont il avait donné maintes fois preuves.

— C’est bien le diable, songeait le journaliste, si je ne trouve pas un placard, un recoin, un meuble, n’importe quoi où me cacher.

La galerie qu’il suivait était longue et tortueuse. Il y galopa. Elle finissait brusquement en cul-de-sac. Or, au moment où tout se compliquait, car Fandor allait être pris au piège, le journaliste entendit très distinctement une voix qui lui criait :

— À droite, la première porte à droite, hardi, dépêchez-vous !

Qui était-ce ?

Jérôme Fandor ne s’attarda pas à le chercher. Il revint sur ses pas, ouvrit la première porte à droite, qu’il avait prise pour la porte d’une chambre : elle donnait sur un escalier.

Dans cet escalier, un homme l’attendait, qu’il voyait mal dans l’ombre :

— Vite, cria l’inconnu, fermez la porte derrière vous, et descendez.

Fandor obéit.

— Mais qui êtes-vous ?

Comme à la suite de l’homme il dégringolait les étages, l’inconnu souffla quelque chose que Fandor ne comprit pas :

— Passez par ici, dit l’inconnu.

Il ouvrait une porte de cave et, pour hâter la fuite de Fandor, sans doute, l’attrapa aux épaules, le bouscula. En même temps, Fandor eut l’horrible impression qu’il tombait dans un trou, que le sol se dérobait sous lui, qu’il était jeté dans une oubliette. La vie de château bien sûr.

Et, tandis que Fandor dégringolait ainsi le long d’une sorte de paroi lisse, à forme d’entonnoir, tandis qu’il s’efforçait vainement de se retenir, tandis qu’il avait l’impression de descendre au tombeau, il entendit une voix railleuse :

— Qui, je suis Jérôme Fandor ? Parbleu. Je n’aurais pas cru que vous auriez besoin de le demander.

***

Il y avait deux heures que Jérôme Fandor, surpris par la traîtrise de Fantômas, demeurait prisonnier au fond de l’oubliette.

— Évidemment, se disait le journaliste, il trouve préférable de me faire crever de faim. Il a choisi pour moi la mort lente. Cela ne m’étonne pas de lui.

Or, tandis que Fandor, au fond de son oubliette, se prouvait à lui-même, avec des arguments irréfutables, qu’il était à coup sûr destiné à la mort sans phrases, que dans l’ombre impénétrable un bruit de pas retentit.

Et puis une voix :

— Fandor ? Jérôme Fandor ?

— Qui va là ? qui me parle ?

Une voix nette, une voix dure :

— C’est Fantômas.

Alors, la colère de Jérôme Fandor éclata :

— Ah, c’est vous, Fantômas ? Enchanté de vous savoir là. Vous savez trahir, user des ruses les plus lâches. Moi, Jérôme Fandor, je saurai mourir sans me plaindre. Allons, Fantômas, j’ai peut être encore deux jours de vie. Eh bien, revenez dans deux jours, et vous verrez que Jérôme Fandor sait mourir en brave.

Fantômas lui répondit, très calme, sans hausser le ton :

— Vous avez tort, vous vous trompez, Jérôme Fandor. Je ne veux pas votre mort.

— Allons donc.

— Je vous l’assure.

— Que désirez-vous donc ?

— Votre aide.

— Ah ?

— Pas de paroles inutiles.

— Parlez, Fantômas.

— Fandor, j’aurais pu vous tuer, ainsi que Juve qui s’est fait transporter tout paralytique qu’il est, à Saint-Martin. Eh bien, Fandor, je viens vous proposer la vie sauve pour vous et votre ami.

— En échange de quoi ?

— En échange des papiers d’Hélène, des papiers que vous m’avez volés en Afrique, de ces papiers que Juve possède toujours et qu’il me faut. Je vous tire de ce tombeau, je ne tente rien contre vous ni Juve, et vous me rendez les papiers de ma fille. Acceptez-vous ?

— Fantômas, vous vous moquez de moi. Je refuse.

— Pourquoi ? Vous préférez la mort ? Vous trouvez que ma proposition est déshonorante ? Je ne vous demande pourtant pas de renoncer à mener campagne contre moi ? je ne vous demande rien.

— Fantômas, vous m’offrez la vie ? c’est très bien. Actuellement, grâce à vous, j’ai toute la police sur le dos. Merci de l’offre. Non, Fantômas, je ne vous dirai pas où sont les papiers d’Hélène. D’abord parce que je ne le sais pas, et qu’il faudrait les demander à Juve, ensuite, parce que vous ne les payez pas assez cher.

— Je suis au-dessus de vos insultes. Écoutez-moi une dernière fois, Jérôme Fandor. Je reprends ma proposition. Je la reprends en la complétant. Vous vous engagez tout bonnement à me remettre dans trois jours les papiers de ma fille. Vous vous y engagez en me donnant rendez-vous où bon vous semblera. Je me fie à vous. De mon côté, je vous jette une corde, je vous tire d’ici, ce qui est vous sauver de la mort, j’écris sous votre dictée une lettre dans laquelle, très nettement, j’établis que je suis l’auteur des crimes dont vous êtes accusé. Cette lettre, je ne vous la donne pas, pour être certain que, si vous êtes arrêté, elle ne sera pas saisie sur vous, ce qui m’enlèverait le temps de fuir, mais je vais devant vous la mettre à la poste. Cette lettre, je m’arrange pour qu’elle vous parvienne dans trois jours. Donc, si vous êtes arrêté, comme vous le craignez, dans trois jours, grâce à cette lettre, vous serez relâché. Enfin parce que cela est juste et que cela me convient, j’écris en même temps à Nalorgne et à Pérouzin, qui sont deux de mes complices, et j’écris de telle façon que cette seconde lettre amène leur arrestation. Voici ma proposition, Jérôme Fandor : vous me donnez les papiers de ma fille et moi je vous sauve, j’épargne Juve, je vous innocente, je fais arrêter deux coupables. Acceptez-vous ?

(Silence dans les oubliettes. Fandor songe. Fandor pèse le pour et le contre. Enfin il reprend la parole :)

— J’accepte. Dans trois jours, dans quatre plutôt, car je serais probablement pris et on ne me relâchera que dans trois jours, dans quatre jours, Fantômas, je vous rendrai les papiers de votre fille, je vous en donne ma parole d’honneur. Vous n’aurez qu’à vous rendre rue Bonaparte, chez Juve, vous m’y trouverez. Maintenant, écrivez la lettre !

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