La mort de Juve (Смерть Жюва) - Сувестр Пьер 25 стр.


Les deux agents hâtaient le pas, entraînaient Fandor jusqu’à la hauteur du taxi-auto. Il avait le drapeau levé la voiture était libre, mais on ne voyait pas le chauffeur.

Pour le coup, Nalorgne s’emporta.

— Je parie qu’il a été boire. Ah sapristi !

Pérouzin cependant appelait à tous les échos :

— Mécano, mécano, le mécanicien du taxi-auto !

— Eh ben, quoi, me voilà, c’est pas la peine de faire tant de potin, les bourgeois, montez dans la bagnole, j’en ai pour deux minutes de réparation.

Le conducteur du taxi-auto était tout bonnement étendu sous sa voiture, invisible. Nalorgne se pencha :

— Ah vous êtes là ? C’est vous, Pros…

Mais le nom qu’il allait dire, le nom que Fandor guettait, Nalorgne ne le prononça pas.

Il se redressa rapidement, il ouvrit la portière du véhicule, y poussa Fandor :

— Embarquez et rapidement, ou sans ça…

La gueule d’un revolver brilla dans l’obscurité, Fandor haussa les épaules, monta.

— C’était Prosper qu’ils attendaient, se disait Fandor et ce n’est pas Prosper qui est là. Est-ce un complice ou un honnête conducteur de taxi-auto ?

Fandor n’eut guère le temps de réfléchir plus avant. Nalorgne venait de souffler quelque chose à l’oreille de Pérouzin, et celui-ci après avoir grimpé à son tour dans le fiacre, s’asseyait à côté de Fandor, refermait la portière.

Nalorgne disait tranquillement au chauffeur :

— Dépêchez-vous, mon ami, nous sommes des agents de la Sûreté, et vous avez pu voir que l’individu que nous emmenons porte des menottes. C’est un criminel dangereux. Il s’agit de ne pas perdre de temps. Je vais monter à côté de vous sur le siège. Je vous indique le chemin.

Tandis que Fandor, tout yeux et tout oreilles, s’efforçait de saisir les moindres indices susceptibles de le renseigner sur la destination du taximètre, qui venait de démarrer, tandis qu’il se faisait cette réflexion que Nalorgne guidait le taxi-auto, non point dans la direction de Paris, mais vers les terrains déserts du Petit-Bicêtre, Pérouzin, à l’improviste, tirait son revolver et le braquait sur le jeune homme :

— Maintenant, avait-il dit, tâchez de comprendre, Fandor, si vous vous permettez de faire un geste, de dire un mot, d’essayer d’attirer l’attention, je vous brûle la cervelle. C’est l’ordre de Fantômas. Si au contraire vous êtes sage, et vous laissez mener là où nous vous conduisons, il ne vous sera fait aucun mal. Pour l’instant du moins.

Pérouzin, sans doute, s’attendait à quelque geste apeuré du journaliste, à ce que le prisonnier, au moins, manifestât une surprise. Ce fut lui, en réalité, qui demeura stupide sous le coup d’une stupéfaction sans bornes. En réponse à sa menace, Fandor avait éclaté de rire. Et Fandor riait, riait si fort, semblait s’amuser à un tel point qu’une peur subite s’emparait de Pérouzin.

— Mais que diable avez-vous ? demandait l’agent, qui pour mieux le regarder dans les yeux, s’avançait sur sa banquette, tournait le dos au siège sur lequel était assis Nalorgne et le conducteur.

Et alors dans la voiture il se déroula une scène étrange. À peine Pérouzin avait-il menacé Fandor de son revolver que, brusquement, le journaliste levait ses deux mains attachées par les menottes aux poignets, les passait avec une rapidité folle derrière la tête de Pérouzin pris ainsi dans une sorte de collier, et Fandor attirait l’agent sur sa poitrine, lui serrait la tête sur ses vêtements avec une force que décuplait la rage, il l’étouffait à moitié. Pérouzin, pris à l’improviste, laissait échapper son revolver sur lequel Fandor s’empressait de mettre le pied, puis le journaliste hurlait :

— C’est fait, Juve, vous pouvez arrêter.

Qu’est-ce que tout cela voulait donc dire ? Pourquoi avec une brusquerie soudaine le taxi-auto stoppait-il ? Pourquoi le conducteur sautait-il à bas de son siège cependant que Nalorgne demeurait lui, immobile sur ce même siège ? Le conducteur après avoir immobilisé son véhicule, avoir arrêté le moteur, –  c’était visiblement un homme précautionneux —, courait à la portière voisine de Fandor. Il ouvrait cette portière, il avait dans ses mains, de longues courroies, en une seconde, il avait lié, de main de maître, les pieds de Pérouzin, en une seconde, il lui avait ligoté les bras :

— Tu peux lâcher, Fandor. La bête enragée est hors d’état de nuire.

Alors Fandor lâcha la tête du malheureux Pérouzin, tendit ses bras encore pris par les menottes au conducteur :

— Si ça ne vous fait rien, mon cher Juve, j’aurais un certain plaisir à ce que vous me débarrassiez de ces affaires-là. C’est incommode en diable.

Que s’était-il donc passé ?

***

— Mon petit Fandor, je suis content de te voir.

— Mon cher Juve, vous êtes la plus détestable rosse que j’aie jamais rencontrée.

— Vraiment ? et pourquoi cela ?

— D’abord, vous n’êtes pas paralytique.

— Tu me le reproches, Fandor ?

— J’en aurais presque envie. Quand je pense que depuis six mois, vous vous faites soigner, dorloter, plaindre, par tout le monde, alors que vous vous portez comme le Pont-Neuf.

— Je t’expliquerai.

— Ensuite, je vous en veux pour la façon dont vous m’avez fait arrêter.

— Je n’avais pas d’autres moyens, Fandor, pour te faire tenir tranquille.

— Possible, mais tout de même.

— Il n’y a pas de tout de même.

Depuis dix minutes, Jérôme Fandor était libre. Nalorgne, immobilisé par des poucettes, que Juve lui avait passées à l’improviste, tout en conduisant de l’autre main le taxi-auto, avait été transporté à l’intérieur de la voiture où il avait rejoint Pérouzin, atterré lui aussi. Et maintenant, Juve et Fandor, assis sur le siège, causaient, cependant que le véhicule expertement guidé par Fandor allait bon train.

— Juve, continuait le journaliste, je ne comprends rien du tout à ce qui se passe. D’abord, où me menez-vous ? Ensuite, comment êtes-vous là ? Enfin qu’allons-nous faire de Nalorgne et de Pérouzin ?

— Procédons par ordre. Dis-moi d’abord ce qui t’es arrivé depuis le moment où tu as si gentiment embarqué Pérouzin, et je te dirai ensuite…

En peu de mots, Jérôme Fandor fit le récit de ses propres aventures depuis le moment où Juve l’avait fait arrêter à Saint-Martin, jusqu’au moment où, en compagnie de Nalorgne et Pérouzin, il était arrivé à Clamart.

— Ma parole, continuait Fandor, quand nous avons aperçu votre taxi-auto, quand Nalorgne s’est penché en demandant : « C’est vous, Pros… ? » je n’aurais pas donné cher de ma vie, je me croyais bel et bien fichu.

— Et alors ?

— Et alors, bien entendu, je ne vous ai pas reconnu, mon bon Juve, car vous étiez sous votre voiture.

— Précisément pour que l’on ne me reconnaisse pas.

— Je suis donc monté docilement dans cette auto, et je m’attendais aux pires événements, lorsque j’ai vu votre main, votre main droite qui, avec ostentation, frappait contre la vitre. Donc, votre signe de la main a attiré mon attention sur la vitre du fiacre. J’y ai lu tout naturellement l’avis que vous aviez gravé :

T’inquiète pas, Fandor, c’est moi, Juve, qui mène ce taxi-auto, tâche d’immobiliser Pérouzin, je me charge de Nalorgne.

Je me suis acquitté de ma partie de concert. Pérouzin, qui ne s’attendait à rien, a très gentiment accepté de venir dans mes bras, et ma foi, c’est tout. Mais comment diable êtes-vous ici ?

Le taxi-auto filait toujours dans la nuit noire. De temps à autre, Juve, d’un signe de la main, indiquait à Fandor la direction qu’il importait de prendre, une direction bizarre qui rapprochait certainement le véhicule de Paris, mais qui, cependant, n’était pas le chemin le plus court pour gagner la Préfecture.

— Ah çà, faisait-il, vas-tu me reprocher d’avoir remplacé Prosper, car c’était Prosper qu’ils attendaient, sur la présence duquel ils comptaient, ces bandits. Aimerais-tu mieux…

— Ne plaisantez donc pas, Juve, vous devriez comprendre mon impatience. Je vous quitte paralytique, je vous retrouve agile comme un zèbre. J’arrive prisonnier et cinq minutes après je suis libre, il y a bien de quoi…

— Tu n’es pas libre du tout, faisait-il tranquillement, tu es toujours sous le coup d’un mandat d’arrêt, ne l’oublie pas, un mandat d’arrêt signé par moi-même.

— Sans doute, Juve, mais enfin ?

— Stoppe, ordonna le policier.

Comme Fandor hésitait, Juve répéta :

— Arrête-toi donc, animal, fais entrer notre taxi-auto dans ce terrain vague que tu aperçois là-bas. Je connais l’endroit, n’aie pas peur, notre voiture peut passer. Bon, maintenant, va te ranger près de la champignonnière.

Fandor, intrigué, obéissait aux ordres de Juve, conduisait le véhicule près du monticule que le policier lui désignait. L’endroit était sinistre à souhait, désert comme il n’est pas possible. Fandor n’avait pas immobilisé son véhicule, qu’il questionnait à nouveau Juve.

— Mais, bon Dieu de bon Dieu, que prétendez-vous donc faire ?

— Tu vas le voir.

Juve avait sauté du fiacre, il faisait signe à Fandor de venir l’aider. Juve ouvrait la portière du taxi-auto. Blêmes, livides, décomposés, ligotés au point de ne pouvoir faire un geste, bâillonnés à ne pouvoir dire un mot, Pérouzin et Nalorgne s’y trouvaient, croyant leur dernière heure venue.

Juve regarda les deux agents, rit, puis :

— Crois-tu, Fandor, que tu as une belle revanche ? Crois-tu qu’ils ont l’air malheureux ?

La remarque faite, Juve ordonnait :

— Prends-moi Nalorgne par les épaules, pendant que je me charge de Pérouzin. Ah, tu peux ramasser le revolver de Pérouzin, c’est le modèle de la Sûreté, il est excellent.

Fandor, de plus en plus interloqué, se demandait quelles pouvaient être les intentions de Juve. Le policier venait de charger Pérouzin sur ses épaules, avec la même indifférence qu’il eût apportée à transporter un colis.

— Prends donc Nalorgne, répétait Juve, tu n’as pas l’air de te douter que je suis horriblement pressé.

Fandor empoigna Nalorgne et suivit Juve. Le policier se dirigeait alors vers un puits d’aération communiquant avec une champignonnière. Un grand panier était là, suspendu à une corde servant évidemment à descendre les outils de travail nécessaires à la culture des champignons.

— Voilà un ascenseur parfait.

Et, en même temps, il jetait Pérouzin dans le panier.

— Dépose Nalorgne.

Et quand Fandor se fut exécuté, quand Nalorgne eut rejoint dans le grand panier son complice Pérouzin, Juve laissa filer la benne, la fit descendre au fond de la champignonnière.

— À notre tour, dit Juve. Il y a une échelle.

Quelques secondes plus tard Juve et Fandor tiraient Nalorgne et Pérouzin du panier qui avait servi à les descendre, les accolaient à la muraille.

Juve était toujours d’excellente humeur, il se frottait les mains, il riait :

— Et maintenant, mon petit Fandor, déclarait le policier, tu vas me faire le plaisir de prendre ce revolver en main, de t’asseoir dans cette cave, bien en face de ces gaillards-là, et de monter la garde devant eux, jusqu’à ce que je sois revenu te prendre. J’ai à faire.

Mais véritablement, Juve était par trop énigmatique. Il ne donnait pas à Fandor suffisamment d’explications. Le journaliste protesta violemment :

— Non, je ne marche pas. J’aimerais mieux leur rendre la liberté pour vous suivre et savoir ce que vous allez faire. Juve, des explications !

Juve éclata de rire :

— Qu’il soit fait suivant ta volonté. Tu te demandes, Fandor, comment je suis là ? Peuh, c’est excessivement simple. Parce qu’après avoir arrêté Fantômas…

Mais Juve n’en dit pas plus long. À peine avait-il articulé ces deux mots extraordinaires, « arrêté Fantômas », que Fandor avait bondi vers lui :

— Vous avez arrêté Fantômas ? c’est vrai ? vous ne vous moquez pas de moi ? Vous avez arrêté Fantômas ?

— Mais, sans doute. Il est en ce moment proprement ligoté et gentiment cloué au sol, dans un appartement que tu connais, rue Bonaparte.

— Chez vous, Juve ?

— Oui.

Et, du ton dont il aurait annoncé les choses les plus ordinaires, les événements les plus indifférents, Juve, sans souci de Nalorgne et de Pérouzin, qui cependant écoutaient ses paroles, raconta à Fandor les événements survenus depuis son arrestation.

— Mon petit, déclarait Juve, tu penses bien que si j’ai pris le moyen désespéré qu’était ton arrestation pour t’empêcher d’aller recevoir chez moi cet excellent Fantômas, c’est que j’avais l’intention d’être là moi-même au rendez-vous. J’en avais d’autant plus l’intention que, n’étant nullement paralytique, il me paraissait très opportun de profiter de la venue de Fantômas pour, une bonne fois, lui mettre la main au collet. Toi, tu étais lié par un scrupule d’honneur ; moi, je n’étais tenu par rien de semblable. D’ailleurs, entre parenthèses, tu m’avoueras, Fandor, que les scrupules d’honneur sont déplacés avec Fantômas. Tu allais tenir ta parole, toi. Lui ne tenait pas la sienne, puisque sa lettre était blanche. Enfin… Maintenant, Fandor, j’imagine que tu devines la suite. Fantômas, ligoté chez moi, m’avouait, avec une belle tranquillité d’âme, que si j’avais la victoire sur lui, il l’avait sur toi. Je le tenais à ma merci, mais toi, tu revenais accompagné de Nalorgne et Pérouzin qui, dans une lettre chiffrée, avaient reçu les instructions nécessaires pour t’assassiner proprement. Tu vois mon émotion, Fandor ?

— Mon bon Juve !

— Naturellement, je courais au plus pressé. J’abandonnais Fantômas chez moi, à la garde d’un sergent de ville que je faisais monter d’urgence, je téléphonais à la Sûreté, j’apprenais ainsi que Fantômas devait envoyer à Clamart un fiacre conduit par Prosper. Prosper a dû trahir en ne venant pas t’attendre. En tout cas, pour ma part, je me suis emparé d’un taxi-auto, parce que, de la sorte, je facilitais beaucoup la lutte que je prévoyais entre Nalorgne, Pérouzin et nous, puis je suis venu t’attendre. Tu sais le reste.

Tandis que Fandor, ému au plus haut point, semblait prêt à sauter au cou de Juve, tandis que Nalorgne et Pérouzin, épouvantés, s’attendaient d’une minute à l’autre à être proprement expédiés dans l’autre monde, Juve reprenait :

— Donc, voici, en ce moment, où nous en sommes ; toi, tu es sous le coup d’un mandat d’arrêt. Nalorgne et Pérouzin, eux, sont considérés comme d’honnêtes gens. Fantômas, enfin, est immobilisé chez moi, sous la garde d’un agent. Eh bien, mon petit Fandor, je crois que tout cet imbroglio va se dénouer rapidement. Moi, Juve, je vais rentrer d’urgence rue Bonaparte et conduire Fantômas au Dépôt. Fantômas, une fois arrêté, je me débrouille, ce ne sera pas très difficile, pour obtenir que mon mandat d’arrêt te concernant soit rapporté. D’autre part, j’obtiens deux mandats contre Nalorgne et Pérouzin. En possession de ces paperasses, je reviens naturellement te tirer de cette champignonnière, et…

Fandor ne laissa même pas à son ami le temps d’achever.

— Dépêchez-vous, Juve, supplia-t-il, dépêchez-vous. Si vous saviez comme j’ai hâte que vous soyez parti et revenu ? J’ai bien pour trois ou quatre heures à vous attendre, cela va me sembler terriblement long. Mais tout de même, Fantômas est arrêté. Ah, Juve. Juve, je crois que cette fois nous avons enfin débarrassé le monde du Maître de l’Effroi, du Roi de l’Épouvante.

Juve, qui remontait l’échelle de la champignonnière, répondait simplement :

— Je le crois aussi, Fandor. Je l’espère.

25 – LE CHÂTIMENT

— Imbécile, triple imbécile.

À peine Juve avait-il quitté en hâte son appartement de la rue Bonaparte, que cette exclamation retentissait, s’échappait de la bouche en furie de Fantômas, cependant que le monstre, réduit à l’impuissance et cloué sur le plancher comme une chouette le long d’un mur, s’efforçait en vain d’arracher les liens qui le retenaient et l’immobilisaient ainsi, le laissant à la merci de son adversaire.

— Imbécile, répéta Fantômas, en écumant de rage.

Ces injures s’adressaient à l’agent de police que Juve avant de s’en aller avait posté dans son cabinet de travail, revolver au point, avec l’ordre de briser les membres de Fantômas si d’aventure le bandit s’efforçait de vouloir s’échapper.

Назад Дальше