La mort de Juve (Смерть Жюва) - Сувестр Пьер 26 стр.


Impassible l’agent demeurait en face de Fantômas et considérait curieusement cette grande et superbe silhouette de tragédie et de crime désormais abattue, réduite à l’impuissance.

Fantômas, cependant, de son regard féroce, fixait le sergent de ville. Il reprit encore :

— Tu avais pourtant le revolver à la main.

— Oui, proféra enfin l’agent d’un ton énigmatique…

Fantômas poursuivit :

— Et ce revolver était chargé, il l’est encore.

— Oui.

— Eh bien ? eh bien ? continua Fantômas, dont la fureur augmentait sans cesse. Ne pouvais-tu pas tirer ? Il fallait le tuer quand il s’en allait, le tuer comme un chien. N’y as-tu point songé ?

L’agent eut un geste vague :

— Sans doute, fit-il, j’y ai bien songé, mais…

— Mais quoi ? grommela encore le captif…

L’agent, lentement, s’expliquait :

— Mais d’abord, j’aurais pu le manquer, et puis un coup de revolver, ça fait du bruit. On aurait pu l’entendre, quelqu’un peut-être serait venu.

— Mais peu importait, hurla Fantômas, puisque nous étions là tous les deux.

Cependant, peu à peu, l’agent reprenait de l’assurance et semblait s’accoutumer à Fantômas, bien convaincu désormais que le terrible bandit ne pouvait plus faire un mouvement. Le représentant de l’autorité reprenait :

— Eh bien, pour tout dire, si je n’ai pas tiré, c’est parce que je n’ai pas voulu. Après tout, Fantômas, ce n’était plus nos conventions. C’est lui, Juve, qui devait être pris, ligoté, immobilisé.

— Et alors ? fit Fantômas.

— Alors, poursuivit l’étrange sergent de ville, car une telle conversation était en effet étrange du moment qu’elle s’échangeait entre un représentant de l’autorité et le Génie du Crime, eh bien, voilà que c’est toi qui es immobilisé, ligoté à la place de Juve et prisonnier.

— Non, grogna Fantômas.

— Comment, interrogea l’agent, vous n’êtes pas captif ?

— Je suis libre, assura Fantômas, puisque tu es là.

L’agent se prit à sourire :

— Oh, oh, fit-il, ça, c’est pas dit que je te lâcherai.

Fantômas, à ces mots, grinça des dents :

— Es-tu donc un traître ?

— Non, répliqua simplement le gardien de la paix, homme qui véritablement avait des allures mystérieuses, non, je ne suis pas un traître, et si je le suis, peu importe. Je tiens surtout, dans la circonstance actuelle, à procéder d’une façon prudente et pratique.

Les deux hommes se toisèrent du regard. Des éclairs de menace brillaient dans leurs yeux.

Le gardien de la paix que Juve venait de poster à côté de Fantômas n’était autre que le cocher Prosper, merveilleusement grimé et que le policier n’avait pu reconnaître sous ce travestissement, étant à cent lieues de s’y attendre, de le soupçonner et surtout parce que Juve n’avait que très rarement entrevu le cocher Prosper.

Pourquoi ce dernier portait-il désormais l’uniforme de sergent de ville et s’était-il trouvé précisément dans la rue Bonaparte au moment où Juve avait éprouvé le besoin de requérir un représentant de l’autorité ?

Cela tenait à ce que Fantômas avait tout prévu. Non seulement le bandit, profitant des circonstances qui semblaient s’annoncer le mieux du monde pour lui, avait au dernier moment éloigné la concierge de l’immeuble en l’envoyant payer l’abonnement du téléphone, formalité négligée par le policier, mais encore il avait posté son complice dans les environs de la maison, se disant que la présence d’un faux gardien de la paix à proximité du théâtre de ses exploits pouvait avoir une utilité, quelle que fût l’issue de la bataille.

Fantômas, en effet, savait qu’il est préférable de laisser le moins possible de choses au hasard, et dans son idée, après s’être rendu maître de Juve, il aurait fort bien pu le faire emmener sans éveiller de soupçons, que Juve fût vivant ou mort, par son complice et subordonné dont l’uniforme n’aurait pas manqué d’inspirer confiance et de faire taire tous les soupçons qui auraient pu naître le cas échéant.

En faisant la leçon à Prosper, quelques heures auparavant, Fantômas lui avait dit :

— Tu te tiendras dans la rue à ma disposition et, au premier signe que l’on te fera du quatrième étage, ou même d’un autre appartement, tu monteras l’escalier et tu accourras. D’après ce que tu verras, il faudra agir, il est vraisemblable que tu trouveras Juve à mon entière discrétion, mort ou vivant.

La première partie du programme s’était remplie comme l’avait annoncé Fantômas. Toutefois, Prosper était demeuré abasourdi lorsque, pénétrant dans l’appartement du policier, il avait trouvé ce dernier debout, parfaitement libre, en excellente santé, tandis que Fantômas était étendu, immobile, sur le plancher, non seulement ligoté de telle sorte qu’il ne pouvait faire un mouvement, mais encore cloué sur le parquet au moyen d’énormes pointes enfoncées par Juve dans ses liens.

Désormais, en présence de cette situation, Prosper qui n’avait de respect que pour les gens qui réussissent, semblait parfaitement décidé à ne pas libérer Fantômas et paraissait ne vouloir chercher qu’une solution : se tirer personnellement d’affaire et laisser Fantômas se débrouiller avec l’inspecteur de la Sûreté et le renfort qu’évidemment Juve avait dû aller chercher.

Cependant, Fantômas fulminait contre Prosper, sans parvenir à triompher des hésitations de l’ancien cocher.

— Écoute, fit Fantômas, que veux-tu, Prosper, pour me rendre la liberté ?

— Heu, fit l’ancien cocher, je ne tiens pas plus que ça à te voir libre, Fantômas, car s’il n’est guère avantageux d’être au nombre de tes ennemis, il n’est pas beaucoup plus rassurant de faire partie de tes complices. Les uns et les autres sont également exposés à périr sous les coups de tes effroyables colères.

— C’est injuste, ce que tu dis là, je n’ai jamais trahi mes amis.

— Je ne suis pas de ce nombre, répliqua le faux agent de police, tu me traites comme un subordonné, un domestique.

— Mais non, fit Fantômas, tu sais bien que j’ai pour toi de l’affection, de la sympathie, une extrême sympathie même.

— Non, non, répliqua Prosper, tout cela, c’est du boniment. Mais, ajouta-t-il après un moment de silence, peut-être y a-t-il un moyen de s’arranger.

— Parle, répondit Fantômas résigné, je suis prêt à t’accorder tout ce que tu voudras.

— Eh bien, suggéra Prosper en dissimulant mal un sourire ironique, je sais que le seul moyen d’être épargné par toi est de posséder une certaine chose à laquelle tu tiens énormément, pour laquelle tu commettrais toutes les imprudences et toutes les platitudes. Il s’agit des papiers de ta fille. Tu es venu les reprendre à Juve, donne les-moi. Après quoi, nous pourrons causer.

— Ah, s’écria Fantômas, c’est mon cœur que tu veux m’arracher, mais tu sais bien, Prosper, que je ne suis pas dans une situation à te les refuser. Défais mes liens, prends-les dans mon vêtement, ils sont là, dans une poche, sur ma poitrine.

Prosper posa son arme sur un fauteuil voisin, s’agenouilla sur le plancher, palpa de ses mains noueuses la poitrine du bandit.

Puis lentement il se releva, hocha la tête :

— Non, Fantômas, dit-il, rien à faire avec moi. Tu cherches à me monter le coup, mais je ne suis pas si bête. Ces papiers, tu ne les as pas, tu as été roulé sur toute la ligne, roulé par Juve auquel, non seulement tu n’as pas repris les papiers de ta fille, mais sous les coups duquel tu as succombé, puisqu’il t’a fait prisonnier.

Avec une voix qu’étranglait l’émotion, des intonations d’une douceur extrême, presque attendrissante, Fantômas avoua :

— C’est vrai, Prosper, je t’ai menti, je n’ai pas ces papiers, mais j’en souffre, oui, cruellement, plus qu’il n’est possible de souffrir au monde. Écoute, je suis sûr que Juve ne les a pas emportés, qu’ils sont ici, cherche-les, suis mes indications, fouille la pièce, démolis les meubles, force les serrures.

— Ça reconnut Prosper, cela rentre bien dans mes opérations habituelles. Je ne demande pas mieux que de faire une visite minutieuse de l’appartement, et si je trouve les papiers ?

— Eh bien, si tu les trouves ?

— Eh bien, nous verrons si l’on peut s’entendre, répliqua le faux gardien de la paix, et dès lors, je te libérerai peut-être.

Prosper lentement se mit au travail. Il tira de sa poche tout un jeu de fausses clés, les essaya dans les serrures, réussit sans grande difficulté à ouvrir des tiroirs dont il vida le contenu au hasard sur le plancher.

Fantômas suivait des yeux son complice, mais, soudain les deux hommes qui parlaient s’arrêtèrent, prêtèrent l’oreille :

— Entends-tu ? fit Prosper…

— Non, déclara fermement Fantômas, dissimulant ses appréhensions…

Prosper reprit le travail, mais, au bout d’un instant, il s’arrêta encore.

— Pour sûr, fit l’ancien cocher, qu’il se passe quelque chose de pas ordinaire, j’ai entendu comme des craquements, des bruits de pas.

— Il n’y a personne qui puisse venir nous déranger, te dis-je, affirma Fantômas. Néanmoins, par prudence, va fermer à clé la porte d’entrée.

— Oui, reconnut Prosper.

Le cocher, quelques instants après, revint.

— C’est égal, fit-il, si jamais quelqu’un s’amenait par l’escalier, j’ai eu beau boucler la porte, on ne tarderait pas à l’enfoncer.

— Cela retiendrait tout de même nos agresseurs pendant quelques instants, on pourrait en profiter alors pour s’en aller par la fenêtre.

— La fenêtre, déclara Prosper, elle est fermée, j’ai bien envie de l’ouvrir.

— Pourquoi ?

Depuis quelques instants, Prosper avait cessé son inventaire et ses recherches dans les tiroirs de Juve, mais il allait et venait dans le cabinet de travail du policier, les bras ballants, tournant la tête dans tous les sens, levant le nez, respirant profondément.

— Qu’est-ce qu’il y a ? interrogea Fantômas, inquiété sans doute par l’attitude bizarre de son énigmatique complice.

Prosper poussa un long soupir :

— Il y a, fit-il, qu’il fait chaud ici.

— Chaud ?

— Oui, chaud, très chaud.

Fantômas, impatienté, gourmandait l’ancien cocher :

— Tu es en train de devenir fou. Allons, dépêche-toi. Fouille encore ces armoires. Il faut faire vite. Tiens, j’ai la conviction que c’est dans ce petit bureau que tu trouveras les papiers qui nous intéressent tellement.

Prosper obéit, défonça le meuble et, pendant qu’il procédait à ce travail, il tournait le dos à Fantômas.

Cela était fort heureux, évidemment, sans quoi l’ancien cocher aurait été terrifié s’il avait pu contempler, ne fût-ce qu’un instant, le visage du captif.

Fantômas, en effet, faisait des grimaces et presque des contractions horribles. Le bandit, depuis quelques instants, paraissait souffrir, souffrir de plus en plus, ses yeux se révulsaient, il se mordait les lèvres jusqu’au sang, cependant qu’il faisait des efforts inouïs comme s’il s’efforçait de s’arracher du plancher auquel il était cloué.

Qu’arrivait-il donc à Fantômas, et s’il endurait désormais un nouveau supplice, quelle était la nature de ce supplice ?

Mais Prosper, soudain, quitta le meuble qu’il cambriolait, se pencha à moitié sur le sol regarda attentivement.

Par les interstices du plancher semblait monter un tout petit nuage de poussière, une très légère fumée.

Il se retourna interloqué, regarda Fantômas. Le bandit, faisant un extraordinaire effort sur lui-même, avait repris son masque impassible, mais, chose archi surprenante, tout autour de lui s’élevaient par moments, par intervalles irréguliers, de petits nuages bleuâtres qui se fondaient dans l’air, qui semblaient surgir de dessous le plancher.

— Drôle d’odeur, murmura Prosper, qui, spontanément, courut à la porte d’entrée.

Il l’ouvrit.

Mais il poussa un cri terrible :

Prosper, après l’avoir ouverte, referma brutalement la porte, puis revenait en courant dans le cabinet de travail :

— Nous sommes foutus, nous sommes foutus !

— Qu’est-ce qu’il y a ? interrogea Fantômas, qui avait toutes les peines du monde à conserver à sa voix une intonation naturelle.

Prosper ne pouvait répondre : il était pris d’une effroyable quinte de toux et la chose était compréhensible :

Derrière l’ancien cocher, par la porte un instant entrouverte, était entrée une vague noire, une épaisse bouffée de fumée qui l’avait poursuivi jusqu’au milieu de l’appartement.

C’était une fumée âcre et desséchée, une fumée noire.

Prosper, enfin, lorsqu’il put dire un mot, haleta :

— C’est le feu.

— Parbleu, hurla Fantômas, c’est maintenant que tu t’en aperçois.

Prosper écarquillait des yeux terrifiés. De tous côtés, dans la pièce, par les interstices du plancher, s’élevaient en effet des nuages semblables à celui qu’il avait introduit quelques instants auparavant en ouvrant la porte du palier.

Maintenant, on percevait nettement les craquements sinistres. C’étaient soudain des lames du parquet qui se recroquevillaient, craquaient, ouvrant des abîmes béants par lesquels surgissaient les flammes bleues, rouges, qui lentement, mais sûrement, venaient lécher les tapis, les meubles, s’attaquaient aux rideaux.

— Fantômas, hurla Prosper, la maison brûle. Nous allons être étouffés. Je me débine. Tant pis pour toi.

— Attends donc, hurla Fantômas, cherche encore, Prosper, il est impossible que tu partes avant d’avoir sauvé les papiers de ma fille. Lorsque tu les auras trouvés, tu seras possesseur d’une fortune immense et je mourrai tranquille si je sais que tu te contentes d’en donner une part infime à mon enfant.

En parlant ainsi, Fantômas savait qu’il surexcitait la cupidité de l’infâme voleur.

Et d’ailleurs, Prosper, malgré ses inquiétudes, ne résistait pas au désir de fouiller encore, de fouiller toujours dans les papiers, dans les documents épars qui se trouvaient dans le cabinet de Juve.

Car, à chaque incursion qu’il faisait dans les tiroirs ou les coffrets, il découvrait des choses excellentes à prendre, à défaut des papiers de la fille de Fantômas.

C’étaient en effet, çà et là, des billets de banque, des pièces d’or, quelques bijoux, dont il se bourrait les poches.

Cependant l’incendie gagnait ; Prosper eut une idée :

Un broc d’eau se trouvait à proximité, dans l’angle de la pièce. Il s’en saisit, renversa le contenu sur le meuble que, précisément, il était en train de visiter et qui menaçait de s’enflammer : les pieds du petit bureau étaient déjà calcinés par les flammes.

L’eau qui coulait, ruisselait sur le fauteuil où Prosper avait déposé son revolver, elle noyait l’arme, puis elle tombait ensuite en cascades irrégulières sur le plancher, juste à côté de Fantômas qui, sans laisser échapper un cri, afin de ne point montrer à Prosper les angoisses par lesquelles il passait, souffrait un véritable martyr, car, plus le temps s’écoulait, plus l’incendie faisait de progrès, plus les flammes consumaient de tous côtés le plancher et les meubles.

— Prosper, hurla Fantômas, délivre-moi, je n’en puis plus. Il faut que je sorte d’ici.

Mais Prosper haussait les épaules :

— Débrouille-toi, fit-il, chacun pour soi, dans ces affaires-là.

— Lâche, traître, misérable, hurla le bandit.

— Au revoir, à dimanche, cria ironiquement Prosper qui, ayant enfin cessé de vider les tiroirs de Juve et ayant bourré ses poches d’or et de billets de banque, décidait de s’en aller.

Au moment où Prosper s’approchait de la fenêtre, les vitres, avec un cliquetis sinistre, volaient en éclats et une énorme langue de feu pénétra dans la pièce.

Mais on ne pouvait plus s’échapper par les toits et, comme l’escalier depuis longtemps était consumé, Prosper se rendit compte que toute fuite était désormais impossible.

— Foutu, je suis foutu, hurla-t-il en se tordant les bras.

Il revint vers Fantômas qui, léché de plus en plus par les flammes, poussait d’épouvantables hurlements.

— Canaille, s’écria Prosper, c’est toi qui m’as fourré dans cette histoire-là.

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